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Le cauchemar du négociateur

Démarré par JacquesL, 15 Juillet 2023, 11:56:55 AM

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JacquesL

Le cauchemar du négociateur


Des questions inconfortables auxquelles nous ne sommes pas encore prêts à répondre.

Par Alastair Crooke – Le 26 juin 2023 – Source Strategic Culture

crooke alastairLe président Poutine a déclaré qu'il était ouvert, à tout moment, à des pourparlers avec un interlocuteur américain.
Pourquoi alors personne ne s'est-il manifesté ? Pourquoi, alors que le public américain est de plus en plus inquiet de voir la guerre en Ukraine s'enliser à jamais, et que la crainte est palpable que "Joe Biden et les "bellicistes du Congrès" conduisent les États-Unis à un "holocauste nucléaire"" ? C'est l'avertissement sévère lancé par l'ancienne candidate à la présidence, Tulsi Gabbard, lors de l'émission très regardée de Tucker Carlson.
L'urgence de stopper la dérive vers l'escalade est évidente : alors que la marge de manœuvre politique ne cesse de se réduire, les néo-conservateurs de Washington et de Bruxelles ne perdent pas l'élan qui les pousse à porter une attaque fatale sur la Russie. Loin de là, le discours qui précède le sommet de l'OTAN consiste plutôt à se préparer à une "longue guerre" .
L'urgence ? Oui. Cela semble si simple – commencer à parler. Mais du point de vue d'un éventuel médiateur américain, la tâche est tout autre.
Le public occidental n'a pas été conditionné à s'attendre à la possibilité de voir émerger une Russie plus forte. Au contraire, il a enduré des "experts" occidentaux qui se sont moqués de l'armée russe, ont dénigré les dirigeants russes en les qualifiant d'incompétents et ont vu défiler sur leurs écrans de télévision les "horreurs" de l'"invasion" russe.
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'agit d'un environnement extrêmement défavorable pour tout interlocuteur qui voudrait s'y "aventurer" . Kissinger (il y a un an à Davos) a été "grillé" lorsqu'il a timidement suggéré que l'Ukraine devrait peut-être céder des territoires à la Russie.
Quelle serait la mission ? Il est clair qu'il s'agirait de trouver cette "bretelle de sortie" à laquelle Kissinger a fait allusion. Mais le premier problème serait de définir la mission d'un médiateur potentiel du point de vue d'un public américain qui a subi une année de propagande (en grande partie délirante) et dont une grande partie est hostile à Moscou (le partenaire de dialogue envisagé).
Lorsque Poutine parle d'un "interlocuteur américain" , il doit s'agir de quelqu'un qui jouit d'une crédibilité dans la sphère américaine au sens large – et d'un certain mandat d'autorité (même s'il est nébuleux). Dans le passé, le sénateur George Mitchell a joué ce rôle à deux reprises (dans les conflits israélo-palestinien et irlandais). Il y a eu d'autres médiateurs, bien sûr.
Quelles étaient les qualités particulières du sénateur Mitchell ? Tout d'abord, il avait la réputation de convaincre les deux parties en conflit qu'il pouvait voir et comprendre leur position, qu'il n'était pas l'otage des circonstances immédiates mais qu'il pouvait aussi assimiler la longue durée de l'histoire. L'empathie était essentielle, mais son travail consistait malgré tout à déterrer la structure sous-jacente du conflit – et à y apporter une solution.
Notre négociateur supposé devrait réfléchir à la manière de formuler sa mission de manière à obtenir le soutien d'au moins une partie de la structure du pouvoir américain. Mais voici le premier problème : le conflit – pour le public occidental – a été délibérément présenté sous une forme binaire extrême et ultra-humanitaire : "La Russie – sans que personne ne l'ait provoquée – a envahi un État souverain et a commis des atrocités sur son peuple" .
Ce choix narratif cache l'objectif géopolitique plus large de détruire toute perspective de création d'un heartland eurasiatique susceptible de menacer la primauté des États-Unis. C'est à nouveau le scénario de la guerre du Kosovo : une hypocrite "intervention humanitaire" pour "sauver" le peuple kosovar du massacre et de la tyrannie.
L'approche "réaliste" , qui consiste à exposer rationnellement les "faits" du conflit, ne fonctionne plus depuis plusieurs années : en Syrie, en particulier, le "parti de la guerre" a compris qu'une seule photo d'un enfant mourant dans les bras de sa mère l'emportait sur toute explication rationnelle du conflit et obscurcissait toutes les voies de sortie. Elle a été utilisée sans pitié pour étouffer toute autre compréhension. La corde sensible des Occidentaux l'emporte invariablement sur les faits.
C'est toujours le "cauchemar" : alors que les "pourparlers" progressent, une atrocité – un attentat à la bombe contre un bus, des civils gisant en sang dans la rue – balaie la raison et la remplace par une émotion brute.
Il n'est donc pas facile de définir la mission d'un interlocuteur potentiel des États-Unis. Les architectes du conflit ukrainien ayant défini le conflit comme une mission humanitaire, la question qui se pose alors est la suivante : comment parvenir à l'issue politique souhaitée ? Comment contourner (ou surmonter/recadrer) la question humanitaire ?
Il est inutile de contester l'assaut sans précédent de la propagande. Le "parti de la guerre" découvrira toujours une nouvelle atrocité (et s'il n'y en a pas à portée de main, il y a toujours les producteurs et les directeurs des sociétés de télévision qui sont toujours prêts à s'exécuter).
D'un point de vue tactique, il est donc préférable de faire preuve de finesse dans le "cadrage" (plutôt que de s'y opposer frontalement). Oui, il peut y avoir une dimension humanitaire découlant d'une action militaire (il y en a toujours une), mais il pourrait s'avérer possible de déplacer l'attention vers cette autre "catastrophe humanitaire" largement passée sous silence : les centaines de milliers de jeunes Ukrainiens tués inutilement dans une guerre ingagnable.
Il peut sembler superficiel de changer de rhétorique et de dire que sa mission est "humanitaire" , c'est-à-dire qu'elle vise à sauver des vies ukrainiennes. Toutefois, pour parler simplement, tout négociateur doit protéger ses arrières. Le Brutus est autant derrière que devant.
Pourtant, ce n'est là que le premier obstacle auquel se heurterait tout interlocuteur américain imaginaire. Le cadre réductionniste extrême de l'Occident – affirmant une "invasion russe injustifiée" accompagnée d'"atrocités" concomitantes – est tout simplement le mouvement qui supprime le contexte environnant de la question en litige. L'"œil" ou l'intellect est séparé et désengagé de l'"objet" examiné : précisément la question de savoir "comment cette guerre est apparue" en premier lieu, et comment sa structure sous-jacente est apparue.
En bref, le cadrage occidental vise à créer une "clairière" abstraite ou un vide spatial autour de l'opération spéciale russe, dans lequel la chose visible – l'"invasion" – doit être positionnée et présentée au spectateur extérieur comme la cause unique et l'explication suffisante des événements, de sorte que le citoyen américain ordinaire n'aille pas plus loin dans ses recherches.
Le "sénateur Mitchell" (ou qui que ce soit d'autre) ne peut pas entièrement revenir sur cette vision unilatérale, mais doit insister, dans son discours public, sur le fait qu'il faut toujours "voir avec deux yeux" : peut-être en s'inspirant du discours de JF Kennedy de 1963, qui soulignait que les États-Unis et la Russie n'avaient jamais été en guerre l'un contre l'autre, ce qui est presque unique parmi les "grandes puissances mondiales" . Et en reconnaissant les pertes humaines massives subies par la Russie pendant la Seconde Guerre mondiale.
Dans les pays non occidentaux, cette capacité à "voir" double (parfois des aspects apparemment opposés du monde qui nous entoure) ne suscite absolument aucune inquiétude. C'est précisément la tendance des Lumières occidentales à fragmenter le "tout" , puis à catégoriser, qui nous pousse à voir des conflits – alors que ce que nous observons, ce sont différentes polarités qui se présentent distinctement.
La question la plus épineuse, cependant, est la ruse du "parti de la guerre" qui consiste à présenter l'Ukraine comme un État souverain homogène sur le modèle du 19e siècle d'un État-nation ethniquement cohérent (un peu comme les Jeunes Turcs et le nettoyage de l'État turc, pour en faire un "État turc ethniquement pur").
Il s'agit là d'une Grande fabrication. L'Ukraine n'a jamais été cela. Elle a toujours été une "zone frontalière" "ni tout à fait comme ceci, ni tout à fait comme cela" . Depuis le tout début (1917), ceux qui se sentaient culturellement russes ont opposé une résistance farouche à l'idée d'être "jetés" dans une "Ukraine" hétéroclite – l'État-patchwork ethniquement conflictuel issu de la stratégie des minorités de Lénine.
En 1917, un nouvel État, violemment combattu par les nationalistes ukrainiens, la République de Donetsk-Krivoy-Rog, a été proclamé (autour du Donbass) et demandait à faire partie de l'Union soviétique. Mais Lénine n'en a pas voulu. C'est ainsi qu'a commencé la série de massacres ethniques qui a suivi cette initiative ratée visant à obtenir l'autonomie du Donbass.
C'est là que le bât blesse. Il existe des moyens de gérer deux communautés ayant des visions de l'avenir incompatibles entre elles et des lectures de l'histoire irréconciliables. (C'était la tâche principale du sénateur Mitchell en Irlande). Mais un résultat positif n'est possible que lorsque les deux parties acceptent (même à contrecœur) que "l'autre partie" soit une expression légitime des opinions de leur communauté, même si les deux parties rejettent simultanément la vision de l'avenir de l'autre partie – et refusent catégoriquement sa lecture de l'histoire.
Cet acquiescement est la condition préalable essentielle à toute solution politique – où deux peuples culturellement et ethniquement divergents, en désaccord complet l'un avec l'autre, partagent un même territoire.
Atteindre ce point de départ vers un résultat politique – tout en conservant le cadre d'un État ukrainien unitaire – était en fait, précisément, l'objectif des accords de Minsk.
Or, les dirigeants européens (de leur propre aveu) ont conspiré pour saboter Minsk (et donc la perspective qu'une population parvienne à l'autonomie au sein de "l'ensemble de l'État"). L'Europe a plutôt choisi d'armer un camp, afin d'écraser militairement "l'autre" (les républiques de Donetsk et de Louhansk).
Pour aggraver cette tragique décision européenne (alimentée par l'aspiration des néoconservateurs à utiliser l'Ukraine comme une arme pour frapper la Russie, la faire craquer et la fissurer), les Européens ont exagéré leur investissement dans le "récit ukrainien validé" – une démarche qui n'a servi qu'à faciliter la tournure toxique de la rancœur ethnique qui s'empare aujourd'hui de Kiev.
La perspective d'une résolution de type Minsk a été anéantie. Si, à la fin de cette histoire, il ne reste plus qu'un "État ukrainien croupion" , les Européens n'auront qu'à s'en prendre à eux-mêmes pour en assumer la responsabilité.
L'interlocuteur américain imaginaire n'aura d'autre choix que de reconnaître la réalité. Les différentes psychologies (plus importantes que la raison en cas de guerre prolongée) sont désormais trop aigries pour que l'on puisse tenter de réorienter les structures sous-jacentes au conflit.
La seule solution est la "séparation" , qui est déjà en cours et qui pourrait s'étendre jusqu'au fleuve Dniepr et à Odessa (mais qui pourrait s'étendre plus loin, avec des "morsures" imprévisibles sur le territoire mâché, par les voisins de l'Ouest).
Franchement, les Européens ont provoqué cette issue par leur tromperie sur Minsk. Ils ont misé toute la prospérité future de l'Europe sur un projet néo-con dirigé par les États-Unis pour faire tomber la Russie – et ils ont perdu. Moscou n'est même plus intéressée par des discussions avec la classe politique de l'UE : elle n'a de toute façon pas d'"agentivité" ; l'agentivité qui compte se trouve à Washington.
Tout interlocuteur américain trouvera tout cela difficile à vendre dans son pays. Une Russie plus forte, une Ukraine croupion tronquée, ne provoqueront aucun remerciement de la part des élites au pouvoir aux États-Unis, mais seulement des insultes venimeuses à l'encontre du messager. Mais il ne faut pas perdre de vue une réussite essentielle.
Notre interlocuteur américain présumé peut se concentrer sur la manière dont un Occident (inévitablement réduit) peut coexister, en toute sécurité, avec un heartland eurasien prospère et politiquement en expansion. Ce n'est pas facile. Certains aux États-Unis se déchaîneront à cette seule idée et tenteront de la saper ; mais la grande majorité du monde remerciera chaleureusement quiconque parviendra à accomplir cette tâche essentielle.
Ce qui nous amène au dernier point – le calendrier. Les élites dominantes des États-Unis veulent-elles même une "bretelle de sortie" à ce stade ?
Le 15 juin, le Washington Post a rapporté ce qui suit :
CiterAlors que l'Ukraine lance sa contre-offensive tant attendue contre les occupants russes, Kiev et ses soutiens espèrent une reprise rapide de territoires stratégiquement importants. Si ce n'est pas le cas, les États-Unis et leurs alliés seront confrontés à des questions embarrassantes auxquelles ils ne sont pas encore prêts à répondre...À l'approche de la campagne de réélection de l'année prochaine, Joe Biden a besoin d'une victoire majeure sur le champ de bataille pour montrer que son soutien inconditionnel à l'Ukraine a renforcé le leadership mondial des États-Unis, revigoré une politique étrangère forte bénéficiant d'un soutien bipartisan et démontré l'utilisation prudente de la puissance militaire américaine à l'étranger" [Emphase ajouté].
 
Et si la victoire sur le champ de bataille n'est pas au rendez-vous ? La réponse sera peut-être de camoufler cette lacune en promettant plus d'armes et plus d'argent, afin de maintenir en vie une lueur d'espérance ukrainienne jusqu'aux élections américaines de 2024. À moins, bien sûr, que le centre de Kiev "ne tienne pas" et implose soudainement (peut-être plus rapidement que beaucoup ne le pensent). Ne pariez pas sur une longue guerre : le "camp" de Kiev est, comme une coquille de chrysalide abandonnée dont la chenille est sortie, à la recherche de nourriture – dans de nouvelles directions.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
https://strategic-culture.org/news/2023/06/26/the-negotiator-nightmare/
https://lesakerfrancophone.fr/le-cauchemar-du-negociateur