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La présidentielle vue par les profs

Démarré par JacquesL, 03 Mars 2007, 12:39:22 PM

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JacquesL

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3230,50-878255,0.html

On n'entrera pas dans la salle des professeurs du lycée Charles-de-Gaulle de Vannes (Morbihan). On ne franchira pas non plus la porte de l'établissement. Interdiction du proviseur : introduire à haute voix la politique dans la salle des profs pourrait, selon lui, nuire gravement à la santé de cette petite confrérie de 80 enseignants.

Il faut dire que les questions politiques avaient failli mal tourner au lycée, en 2003, lors des grèves contre la réforme des retraites. Joël Audin, professeur de philosophie au lycée et caricaturiste au Télégramme de Brest sous le nom de "Nono", avait comme à son habitude épinglé un dessin dans la salle des profs : le "coup de gueule" d'un syndiqué (SGEN-CFDT) contre les non-grévistes. On y voyait deux individus tergiverser devant le lycée Charles-de-Gaulle avec, dans la bulle : "On devrait plutôt l'appeler lycée Pétain"... La plaisanterie, on l'imagine, n'a pas été du goût de tout le monde. Les échanges furent d'une rare violence. "C'était chaud, ça s'engueulait fort", se souvient Nono. "Il avait fallu qu'on fasse une sorte de thérapie de groupe pour s'expliquer", poursuit-il.

En dehors des grèves, grands moments de tension au sein de la confrérie, on ne parle pas politique dans la salle des professeurs. Le décor haut de plafond et tout en vitres n'y incite pas, paraît-il.

Vu de l'extérieur, le lycée Charles-de-Gaulle est un bâtiment cubique blanc et vert, pas franchement joli, construit à la fin des années 1980 pour désengorger l'énorme lycée Alain-René-Lesage. Situé dans la périphérie Nord de Vannes, il accueille 850 élèves des quartiers nord et est de la préfecture et des communes alentour : enfants d'ouvriers, d'employés, de la petite classe moyenne ; quelques immigrés de la deuxième génération, plutôt originaires de Turquie. Pas de délinquance majeure, pas de problèmes de violence. "Ça fume certainement un peu, ils peuvent être durs, mais c'est plutôt calme", note Nono. Les enseignants sont contents d'y être mutés, heureux d'y rester. Vannes, 55 000 habitants, très demandée pour sa qualité de vie, près de la mer, est en plein essor économique. L'académie de Rennes, dont dépend son réseau scolaire, est celle où s'obtiennent les meilleurs résultats de France au bac.

Des professeurs ont bien voulu nous rejoindre de l'autre côté de la route, face au lycée, dans ce qui sera provisoirement une annexe de la salle des profs : "L'amie océane", un café-boulangerie planté dans une nouvelle zone artisanale, au pied d'un grand parking. Par un message glissé dans leurs casiers, Nono les avait invités à venir parler de leur quotidien professionnel et de leurs attentes politiques. Sur les 80 enseignants, seule une petite dizaine a souhaité venir. Nono, incorrigible, a épinglé un dessin pour dire aux absents sa déception.

Premiers arrivés au café-boulangerie : Erwan Tanguy, 36 ans, professeur de sciences économiques et sociales, et Richard Bourgoin, 58 ans, professeur de philosophie. Cheveux longs et lunettes ovales, celui-ci s'assied en retrait d'un air détaché. Au-delà du conflit provoqué par le dessin de Nono, commence Erwan, "l'état de tension est visible chez les professeurs. Il y a une ambiance paranoïaque. On se méfie du système, des politiques, des parents. On a le sentiment qu'ils ne comprennent pas notre métier".

En voulant "dégraisser le mammouth", l'ancien ministre socialiste du gouvernement Jospin, Claude Allègre, avait blessé le corps enseignant. En se faisant piéger par une vidéo où elle proposait que les professeurs passent non plus 18 heures mais 35 dans le lycée pour y assurer des cours de soutien, la candidate Ségolène Royal a conforté l'idée qu'ils sont plus actifs à faire grève qu'à travailler. Le ministre actuel, Gilles de Robien, a décrété la suppression de plus de 5 000 postes d'enseignants dans les lycées et collèges à la rentrée prochaine. Les professeurs se sentent déconsidérés. "Les parents, poursuit Erwan, sont devenus souvent agressifs. Avant, ils demandaient à nous voir. Maintenant, ils disent : "vous nous devez deux rencontres par an", en s'appuyant sur une circulaire du ministre. Le regard sur nous a changé."

Le ministre délégué au budget, Jean-François Copé, n'a pas arrangé "l'ambiance paranoïaque" en déclarant en janvier qu'"un professeur certifié en fin de carrière gagne à peu près 4 100 euros par mois". En réalité, il commence à 1 500 euros et termine, selon l'échelon, entre 2 500 et 3 000 euros, sans treizième mois. Au moment de la retraite, le salaire maximum d'un agrégé est de 3 200 euros. Selon une étude publiée en janvier, les professeurs en collèges, lycées et universités auraient perdu 20 % de leur pouvoir d'achat (hors primes) entre 2001 et 2004 (9 % pour les professeurs des écoles).

Erwan n'est pas un habitué des grèves, mais il a participé à celle de décembre 2006. Pas tant pour la question du salaire, même s'il ne gagne que 1 800 euros sur douze mois (y compris les primes, non comptabilisées dans les retraites). Mais "parce que notre statut se dégrade de plus en plus". L'un des motifs de la mobilisation était l'idée de supprimer une heure de décharge de cours - "l'heure de première chaire" accordée aux enseignants préparant au baccalauréat. "Cette heure de première chaire, dit Erwan, c'était la seule disposition par laquelle on reconnaissait qu'une copie de sixième prend moins de temps à corriger qu'une copie de terminale. La supprimer, c'est de nouveau considérer qu'on ne fiche rien. On s'investit naïvement, passionnément, dans un métier. En conscience, on participe à des projets d'établissement, on ajoute du temps de travail sans compter. De moi-même, j'en fais plus. Et, au lieu de me remercier, on me demande de faire une heure de plus pour le même prix. Ça me choque."

"Il est impossible de mesurer notre travail, intervient Richard Bourgoin. J'ai 6 classes de terminale, dont la plus nombreuse comporte 35 élèves. Je corrige en moyenne deux ou trois copies par heure. Calculez vous-même, je ne le ferai pas. Et quand je lis un texte de philosophie en grec avant de l'expliquer aux élèves, qui le sait ?"

Erwan Tanguy n'imaginait pas, en devenant enseignant, qu'il lui faudrait à ce point "bricoler". Acheter lui-même ses cartes en couleurs, payer ses photocopies chez le marchand, se rendre à ses frais aux convocations de l'inspecteur pédagogique à Rennes plusieurs fois par an. Et, surtout, ne pas pouvoir exécuter les objectifs fixés par le gouvernement. "On nous demande d'avoir recours à l'informatique, et il faut fournir soi-même les logiciels. On nous demande de former des littéraires, et on a supprimé les classes de latin parce qu'elles attiraient trop peu d'élèves. On annonce qu'on va mettre le paquet sur les langues, et on ne donne pas les moyens de diminuer les groupes ni d'augmenter les heures : des collègues ont calculé que le temps moyen de parole était de deux minutes par élève et par semaine. Ce décalage entre le discours et la pratique, c'est nous qui l'assumons. Les parents nous tiennent pour responsables."

"Ben oui, c'est la vie ! philosophe le philosophe. Les politiques font des promesses qu'ils ne tiennent pas ! On nous donne des objectifs impossibles, et on fait ce qu'on peut !" Qu'attendent-ils, tous les deux, du politique ? "Surtout, pitié, qu'il ne fasse rien !, lance Richard Bourgoin. Depuis qu'elle existe, l'éducation nationale est en réforme. On réforme la réforme, les modalités des examens, les programmes, tout part sens dessus dessous. Si l'Etat veut bien ne plus se mêler de mes affaires, c'est tout ce que je lui demande." Il ne votera pas pour Ségolène Royal. "Le socialisme, c'est tout par l'Etat, c'est-à-dire la contrainte. Je voterai pour celui qui me semblera le plus libéral. Bayrou ou Sarkozy, on verra bien."

Erwan Tanguy, lui, comme de plus en plus d'enseignants, va voter François Bayrou. De même que le métier de professeur a changé, le Parti socialiste n'est plus l'incontournable socle politique des enseignants, qui votaient très majoritairement pour le PS en 1981. En 2002, selon l'IFOP, 46 % des enseignants ont voté à gauche dès le premier tour, dont seulement 22 % pour Lionel Jospin. Que Bayrou soit agrégé de lettres classiques n'est pas pour rien dans le frisson d'engouement qu'il suscite dans la profession. Son passage comme ministre de l'éducation nationale (1993-1997), plutôt bien vu par les syndicats, n'a pas marqué les mémoires, mais "il respecte les profs", disent même ceux qui ne voteront pas pour lui. " Je ne vote pas pour des intérêts d'enseignants, précise Erwan. Ségolène promet à tout-va et Bayrou me semble avoir l'esprit ouvert. Contrairement à Sarkozy, il refuse de mettre des gendarmes dans les écoles. Le jour où l'on fait ça, c'est la fin de l'éducation."

Chantal Marin et Catherine Graffard, 56 et 42 ans, professeures de lettres classiques et de marketing (filière technologique), vont elles aussi voter pour François Bayrou. "Et si Bayrou était une femme, admet Catherine, ce serait encore plus génial !" En 2002, elle avait opté pour Besancenot ("par légèreté"), et Chantal pour Chevènement ("j'aime les gens qui ont le courage d'être en rupture"). Toutes deux étaient syndiquées, elles ne le sont plus. "Les syndicats, explique Chantal, continuent à mettre tous les professeurs sur le même plan, alors que nos métiers et nos intérêts ne sont pas les mêmes. On ne corrige pas une dissertation aussi vite qu'un contrôle de maths. Enseigner les lettres au collège ne demande pas la même charge de travail qu'au lycée, mais les élèves sont plus difficiles dans la classe. Nous serions mieux entendus si nous ne nous présentions pas en bloc. C'est le noeud de l'incompréhension dont nous sommes victimes."

Un autre groupe arrive au café-boulangerie et prend place autour de la table. Même constat, au départ, sur un métier "de plus en plus difficile et de moins en moins reconnu".

"Il faut beaucoup plus d'énergie qu'avant pour intéresser les élèves, constate Véronique Palmer, 53 ans. Ils n'acceptent plus de s'ennuyer ni de faire trop d'efforts. Dans certains établissements, ils se lèvent, cognent, crachent. Ici ils soufflent de façon manifeste ou regardent par la fenêtre. Tous sont maintenant habitués à ce qu'on leur donne du spectacle. Il faut faire un show. L'école n'a pas su anticiper ce changement des élèves et nous aider. On doit se débrouiller dans l'urgence."

"Il faudrait une remise en question totale de notre métier, dit Claire Mourot, 44 ans, professeure d'anglais. De nouvelles technologies, des pédagogies innovantes."

"Tu le penses, je le pense, dit Pascal Le Bert, 44 ans, professeur de lettres. Mais s'il y a des tensions entre les profs, c'est aussi que nous n'avons plus la même conception de notre métier. Avant, il y avait un consensus sur les programmes. Aujourd'hui, personne ne les interprète de la même façon. En section Lettres, la fracture est très nette, entre ceux qui déplorent l'époque où l'on transmettait un corpus de culture incontournable, et ceux qui veulent innover. On ne peut plus enseigner Racine pour Racine, ça ne passe plus. Il faut établir des correspondances pour que les élèves trouvent du sens. Etablir par exemple un parallèle entre une tragédie et un article de fait divers qui reprend le registre tragique, la règle des trois unités..."

"On peut aussi garder un juste milieu, glisse Véronique. Enrober à chaque fois, n'est-ce pas céder à la démagogie ?" Véronique votera Ségolène Royal : "Sans enthousiasme, mais je vote socialiste et je m'y tiens." Pascal (syndicat SNES) votera pour José Bové s'il est candidat ou s'abstiendra (peut-être) : "J'aimerais que les politiques aient comme lui le courage d'aller en prison pour défendre leurs idées." Il n'aime pas Ségolène mais sait gré aux socialistes "d'avoir pensé à une époque que le projet de société passait par l'éducation, plutôt que par les policiers, les gardiens de prison et les centres fermés pour adolescents". Claire (aussi au SNES) hésite entre Ségolène Royal et François Bayrou. Pour la première fois, elle pourrait ne pas voter à gauche. En 2002, elle avait voté pour les Verts. Ils déplorent que l'éducation nationale ne figure au centre des préoccupations d'aucun candidat. Qu'elle ne soit évoquée qu'à travers la question des banlieues, de la violence, de l'autorité, de l'absentéisme des professeurs.

Nadine Krestchenkoff est agrégée de lettres modernes, syndiquée au SGEN et, accessoirement, épouse de Nono. Tous deux voteront Ségolène Royal dès le premier tour, "par raison". En dehors des classes moins surpeuplées, des aides individualisées, des meilleures conditions de travail, Nadine attendrait surtout d'une réforme de l'éducation... quelque chose qui n'est pas du ressort d'un ministre : "Je voudrais revenir quinze ans en arrière. Que les professeurs retrouvent leur dynamisme, que les syndicats et les associations revivent, que les enfants aient le goût de l'effort, qu'ils cessent de vouloir tout, tout de suite, que la citoyenneté signifie des devoirs et pas seulement des droits... que la société s'humanise. Mais cela nous dépasse tous."

Marion Van Renterghem
Article paru dans l'édition du 03.03.07