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Contraintes géochimiques, genèse des croûtes continentales.

Démarré par JacquesL, 22 Décembre 2008, 04:47:44 PM

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JacquesL

Rappelons le message de Jean-François Moyen, 1er février 2006 :
Citation de: jean-françois Moyen> Michel Lecomte <m.leco...@wol.be> avait écrit :
>> Bonjour,
>> puis-je vous soumettre une question - peut-être idiote - mais qui me
>> trotte en tête.

>> A-t-on une idée pourquoi la croûte continentale de la terre ne la
>> recouvre que sur 40 pourcent de la surface?
>> Quelle est l'origine de cette différence fondamentale avec la croûte
>> océanique?

Ploum, ploum.... dit le Jeff dont c'est à peu près le sujet de
recherche...

* Les différences entre la CO et la CC :
- D'abord l'épaisseur. La CO fait typiquement 5-10 km, la CC 30-40
d'épaisseur. Entre parenthèse, ca implique donc que les volumes des
deux sont sensiblement équivalents, il y a même un peu plus de CC que
de CO.

- Ensuite, la composition. En regardant de loin, la CO est basaltique
et la CC granodioritique (ou andésitique); si on regarde ce que ca veut
dire en terme de composition, ca fait 50 % de SiO2 dans la CO et 57
dans la CC, mais par exemple 12 % de MgO dans la CO et 3 % dans la CC.
Minéralogiquement, la CC est faite de feldspaths (alcalins) et de
quartz; la CO de pyroxènes et de feldspath plagioclase.
Evidemment, tout ça est à la très grosse louche, parce que il y a
d'autres roches présentes dans les deux cas, d'autres minéraux, des
hétérogénéités chimiques, etc.

- Une conséquence de ça, ce sont les propriétés physiques. La CC est
assez peu dense (2.7, contre 2.9 pour la CO). Ce qui rend la CC très
dure à recycler (par subduction).

- Et ce qui amène à une autre propriété : la CC, à peu près
insubductable, est vieille (80 % du volume s'est formé entre 4.0 et 2.5
Ga), tandis que la CO est jeune (il n'en existe pas de plus agée que
250 Ma, soit 0.25 Ga). Ca ne veut pas dire que toutes les *roches* de
la CC soient vieilles; elles sont continuellement recyclées, c'est à
dire érodées, fondues, transformées, etc. Mais tout se déroule plus ou
moins en vase clos, avec pas ou peu (forcément un peu, puisque la CC a
légèrement crû depuis 2.5 Ga) d'apports "juvéniles", comme on dit, cad
d'apports de nouveaux matériaux.

- Enfin, la CC augmente doucement de volume au cours du temps, avec une
courbe sigmoide : croissance très rapide de 4.0 à 2.5 Ga (de quasi-rien
à 80 % du volume actuel), puis plus lente depuis (de 80 à 100 %). Ceci
implique des apports continus de matière... et surtout, des apports qui
font plus que contrebalancer les "pertes". Les pertes, ici, c'est par
exemple l'érosion, qui produit des sédiments qui finissent dans l'océan
et sont subductés et recyclés dans le manteau.

* L'origine de la CO : c'est assez facile. Ce sont des basaltes, et on
connaît une seule façon de les faire, c'est de faire fondre des
péridotites du manteau. En plus, on voit bien ou ca se passe : sur les
dorsales médio-océaniques en majorité.
Dans les détails, il s'agit de fusion par décompression des péridotites :
dans un contexte d'extension entre deux plaques, le manteau remonte
plus vite qu'il ne peut s'équilibrer thermiquement, ce qui cause sa
fusion.

* L'origine de la CC : c'est plus compliqué. En effet, bien que sa
composition *moyenne* soit assez bien calée, la CC est très hétérogène.
On peut donc avoir plusieurs idées :

- La CC se forme en y ajoutant des matériaux de composition proche de
sa composition moyenne (et donc, tout nouvel ajout ne change pas la
composition). C'est le modèle dit "andésitique", probablement le modèle
dominant dans la communauté. Les andésites, ce sont les laves des zones
de subduction; elles sont assez abondantes pour produire un volume de
roche correspondant au taux de croissance observé de la CC. Elles se
forment par fusion de péridotites elles aussi, mais de péridotites
"enrichies" et, surtout, riches en eau. Cette eau est amenée par la CO
subductée (elle a mariné pendant un moment au fond de l'océan et a eu
le temps de récupérer 5-10 % d'eau, qui est relarguée dans le manteau
juste là ou il faut pour l'hydrater et le faire fondre).
Bon, la je simplifie, parce que les matériaux et les processus étaient
sans doute un peu différents en détail avant 2.5 Ga; mais on reste sur
la même idée, de rôle de l'eau de la plaque subductée.

Dans cette hypothèse, le départ de matériaux (sédiments) ne change pas
non plus significativement la composition de la CC, parce que la
composition moyenne des sédiments (sables et argiles des rivières) est
très proche de celle de la CC de toutes façons.

- La CC se forme en y ajoutant des matériaux très différents de la
composition moyenne, dont les compositions se compensent pour "tomber
juste". La moyenne n'aurait alors aucun sens géologique. Possible, mais
on ne voit pas très bien de tels processus géologiques opérer, ca
semble donc peu probable. En tout cas depuis 2.5 Ga, entre 4.0 et 2.5
Ga on peut en effet envisager une croûte bimodale, avec d'une part des
matériaux très ferro-magnésiens et d'autre part des matériaux très
felsiques : ca correspond plutôt bien à ce qu'on voit à l'affleurement
dans les terrains de cette époque. Mais ca ne règle pas le problème de
"aprés 2.5 Ga".

- La CC se forme en y ajoutant des matériaux très différents de la
composition moyenne, puis en enlevant sélectivement "ce qu'il faut"
pour revenir sur la moyenne. C'est une idée moins farfelue qu'il n'y
parait, proposée par quelques personnes qui disent que, en volume, une
des choses qui apportent énormément de matière à la CC, ce sont les
grandes provinces basaltiques intra-continentales type Deccan, ou
intra-océaniques type Ontong-Java ultérieurement soudées au continent
par des mouvements tectoniques.

Il faut alors, pour revenir à la moyenne, enlever des matériaux très
basiques, et deux processus permettraient de le faire : d'une part,
l'érosion et le transport d'ions dissous dans les rivières (et non plus
de sédiments solides, comme avant), qui transporte préférentiellement
des choses comme Fe, Mg, Ca; d'autre part, des processus dits de
"délamination de racine", selon lesquels la base d'une CC épaissie dans
une chaîne de montagne pourrait se détacher et tomber dans le manteau.
Comme la base de la CC a tendance à être plus Fe-Mg que son sommet, ca
peut marcher.

* Au final, à cette échelle, on parle d'un très grand cycle CC <->
manteau. D'une certaine façon, la CO qui retourne au manteau par
subduction en 0.25 Ga fait partie du manteau. Ce cycle-là donne-t-il
une contrainte forte sur le volume maxi de CC ? Ce n'est pas certain;
on peut juste penser qu'on est en train de regarder un moment donné de
l'histoire de la Terre, et que la CC va continuer, progressivement, à
croître. Les 40 % actuels ne représenteraient, dans ce cas, rien du
tout...

Mais on peut aussi penser qu'il y a une limite fondamentale; cette
limite, c'est la quantité d'éléments chimiques appropriés qu'on trouve
dans le manteau --et même, dans le manteau supérieur, les 600 premiers
kilomètres : les processus décrits plus haut ne peuvent en effet que
difficilement affecter du manteau très profond. Des éléments comme le
potassium (3 % dans la CC, mais 0.1 % dans le manteau) sont importants
pour la CC (ils jouent un rôle structurel majeur dans des minéraux
importants); la quantité totale de CC est donc limitée par la quantité
de K disponible.
De fait, on observe à l'heure actuelle un manteau stratifié, avec
globalement un manteau supérieur "appauvri", qui a perdu les éléments
constituant la CC, et un manteau supérieur non-appauvri, sans doute
proche du manteau original, chondritique (cf. l'autre discussion sur le
noyau etc. dans fsg). On peut penser qu'il n'est plus possible
d'extraire de grandes quantités de CC du manteau appauvri, ce qui
fatalement en limite fortement la production.

* Et donc, ce qui fait la spécificité de la CC, quel que soit le sens
dans lequel on retourne le problème, c'est ... l'eau. Dans le modèle
andésitique, l'eau est indispensable à la formation des andésites. Dans
le modèle "bimodal", elle est aussi indispensable au composant
"felsique". Enfin, dans le troisième modèle... bon, c'est moins net,
mais enfin, il faut de l'altération et des ions dissous.
D'autre part, si la CC moyenne est andésitique, ca ne veut pas dire que
toutes les roches continentales le soient. Une des roches fréquentes de
la CC, c'est le granite, et celui-ci ne se forme que si il y a de
l'eau.

A l'inverse, la CO a un comportement très "passif" vis à vis de l'eau.
Ce corps ne joue aucun rôle dans la formation des basaltes; ensuite, il
y a certes plein d'eau dans la CO, mais c'est juste par infiltration et
par altération des minéraux de la CO, elle ne joue pas d'autre rôle que
"d'être là". On peut faire de la CO sans eau (d'une certaine façon,
c'est ce qu'on voit sur la Lune --basaltes des mers-- ou Mars). On ne
peut pas faire de CC sans eau.

>> Serait-ce possible qu'à l'origine, il y ait eu 2 protoplanètes: une plus
>> petite et une plus grosse. La plus grosse -plus chaude- n'ayant pas
>> encore formé de croûte, et une plus petite -déjà refroidie en surface-
>> recouverte de ce qui sera par la suite notre croûte continentale.

Difficile à imaginer, parce que la CC n'est pas uniquement une croûte
refroidie et figée : c'est un objet avec des propriétés, chimiques en
particulier, bien différentes de ce qu'il y a en dessous.

>> Si les deux se rapprochent et fusionnent (pas trop brutalement) par le
>> jeu des attractions différentielles, la croûte de la petite ne
>> pourrait-elle pas résister en partie au cataclysme et former ainsi le
>> Gondwana partiellement disloqué par l'augmentation subit du manteau?

C'est à peu près impossible, le Gondwana est un continent qui a existé
durant l'ère primaire (vers 500 Ma); à peu près toute la CC était déjà
formée à cette époque là. Pire encore, on arrive à faire des
reconstitutions du mouvement des plaques jusque vers 800 Ma ou 1 Ga,
avec des jeux de collision, séparation, etc.

Par contraste, la formation du système solaire et des planètes date de
4.5 Ga. Vers 0.5 Ga, les proto-planètes seraient toutes refroidies et
il ne semble pas possible d'en préserver une chaude, non différenciée,
jusqu'à cette période.

Et puis, on voit très bien des structures géologiques plus anciennes
que le Gondwana (on a des choses de 3.2 ou 3.5 Ga parfaitement
préservées, avec des fossiles et tout !), c'est difficilement
compatible avec un impact majeur qui aurait tout cassé ... ou au moins,
affecté les roches de façon visible.

>> de
>> là les déchirures comme entre l' Afrique-Europe et les Amériques.

Le timing ne marche pas, ca se passe vers 200 Ma.

JF

Citation de: Jacques LavauHa bin ! Comme actualisation des connaissances ! Moi qui en étais
resté au dilemne si anatexite ou si Anna t'excite pas...
Mais bon, je savais tout de même que l'eau est indispensable à la
cristallisation du granite (expérience de synthèse en labo), et
notamment à celle du quartz.
Je savais l'opposition : beaucoup de granite, peu d'andésite, beaucoup
de basalte, peu de gabbro ; mais je ne savais pas la relier à la
présence ou l'absence d'eau en profondeur.
Je ne savais pas relier l'eau à la différenciation du granite d'avec
les matériaux non crustaux. J'ignorais aussi la très faible proportion
de potassium dans le manteau, et l'hypothèse que ce soit par
appauvrissement au profit de la croûte continentale.
Or, pas de muscovite ni de biotites sans potassium, si les
plagioclases savent s'en passer...

En tout cas, merci pour une intervention aussi riche et de qualité,
alors que le topic de départ faisait plutôt hausser les épaules.
Notamment par le timing farfelu, comme tu l'as fait remarquer avec
beaucoup de discrétion et de courtoisie.

Il me reste que j'ai beaucoup de mal à me figurer le mécanisme de
montée d'un pluton granitique, malgré tous les schémas présents dans
les livres. Notamment je m'explique mal par quels mécanismes les
matériaux surincombants sont éliminés ou digérés. Nous avons quelques
plutons granitiques isolés remarquables dans le Cotentin : un derrière
Carolles, d'autres plus au Nord, dont au moins un (Carteret ?), et son
auréole de métamorphisme, sont présents dans beaucoup de manuels de
géologie de collège.

La présence d'eau dans le pluton est attestée de manière spectaculaire
à Larderello, où elle est exploitée et pour alimenter une centrale
géothermique, et comme source d'acide borique.

Citation de: Jean-François MoyenJacques Lavau avait soumis l'idée :

> La présence d'eau dans le pluton est attestée de manière spectaculaire
> à Larderello, où elle est exploitée et pour alimenter une centrale
> géothermique, et comme source d'acide borique.

Oui.. Mais attention, il y a "eau" et "eau". Ce dont j'ai surtout
parlé, plus ou mons explicitement, c'est l'eau constitutive des
minéraux (biotites en particulier). Ce que tu évoques là, c'est plutôt
de l'eau "libre", hydrothermale, qui se ballade dans les pores ou les
fissures. Pas forcément la même... quoi que, lors de la cristallisation
d'un granite l'eau du magma va d'abord former les mnx hydratés, puis,
lorsqu'il y en aura en excès, formera une phase séparée.

JF

--
J.-F. Moyen
http://moyen.free.fr


Citation de: Jean-François MoyenLe 01/02/2006, Jacques Lavau a supposé :

> Mais bon, je savais tout de même que l'eau est indispensable à la
> cristallisation du granite (expérience de synthèse en labo), et
> notamment à celle du quartz.

Je parlais, principalement, de ce qui se passe lors de la fusion qui
est à la source des magmas andésitiques (ou granitiques). Mais c'est
vrai que ca marche aussi pour la cristallisation.

> Je ne savais pas relier l'eau à la différenciation du granite d'avec
> les matériaux non crustaux. J'ignorais aussi la très faible proportion
> de potassium dans le manteau, et l'hypothèse que ce soit par
> appauvrissement au profit de la croûte continentale.

J'ai pris K, parce que c'est un élément majeur (ie, il est
indispensable pour constuire des minéraux). Mais ces appauvrissements
se voient aussi pour d'autres éléments... en fait pour tout les
"incompatibles", typiquement les gros cations peu chargés. Des choses
comme Rb, les terres rares, Nb ... sont assez appauvries dans le
manteau sup, et, en "miroir", enrichies dans la CC.

> Or, pas de muscovite ni de biotites sans potassium, si les
> plagioclases savent s'en passer...

... mais pas les feldspaths potassiques (hé...)

JF

--
J.-F. Moyen
http://moyen.free.fr

Citation de: Jean-François MoyenAprès mure réflexion, Jacques Lavau a écrit :

> Il me reste que j'ai beaucoup de mal à me figurer le mécanisme de
> montée d'un pluton granitique, malgré tous les schémas présents dans
> les livres. Notamment je m'explique mal par quels mécanismes les
> matériaux surincombants sont éliminés ou digérés. Nous avons quelques
> plutons granitiques isolés remarquables dans le Cotentin : un derrière
> Carolles, d'autres plus au Nord, dont au moins un (Carteret ?), et son
> auréole de métamorphisme, sont présents dans beaucoup de manuels de
> géologie de collège.

Ah, ben si tu me branches là dessus, ca va pas faire avancer mon cours
pour Lundi (... de pétro magmatique. En un sens, il y a un lien !).

Tu soulèves là un assez gros lièvre, en fait un des problèmes majeurs
de la géologie des granites. Et un problème que ... au risque d'être
présomptueux, qu'on commence à comprendre depuis une vingtaine d'années
(une étape majeure, c'est la "Hutton conference" de 1996 au Maryland,
ou le paradigme actuel a à peu près été dessiné). Pas étonnant donc que
ces notions ne soient pas encore sorties de la communauté au sens le
plus restreint !

Le paradigme actuel sépare plusieurs étapes lors de la formation des
granites (pour simplifier, je considère des granites formés au sein de
la CC, sans apports mantelliques. C'est pas tout à fait vrai, mais
conceptuellement ca permet de comprendre et c'est pas entièrement faux
non plus) :
- formation des magmas (fusion partielle);
- extraction des magmas (qui restent, sinon, piégés dans leur source
--les anatexites, justement !)
- transfert vers la surface
- mise en place, sous forme de plutons

La fusion se déroule typiquement dans la croûte profonde (il faut 850
°C, ce qui est très dur à moins de 15-20 km, même en trichant avec les
gradients). On peut donc trouver des intrusions de granite à tous
niveaux, depuis les sites de formation jusqu'à presque la surface (pas
en surface à proprement parler ... sinon c'est un volcan !). Si on est
dans la croûte inférieure, il peut s'agir de liquides magmatiques qui
n'ont pas, ou très peu, bougé depuis leur formation.
On l'observe typiquement dans le massif du Velay, ou on voit, en
continuité, des roches pas ou peu fondues; des roches fondues
("anatexites" ou "migmatites"); des granites riches en matériel solide
mal isolé; des granites "propres". Ces granites sont donc des liquides
qui ont gelé sur place ou quasiment sur place, peu après la fusion. Ce
genre de choses était décrit (est encore ...) comme des "massifs
granitiques à bord diffus".

Si on veut faire des petits plutons dans la croûte supérieure, comme
celui auquel tu fais allusion (c'est Flamanville -- et c'est
l'archétype, du moins en France, du pluton de domaine superficiel),
c'est à dire mis en place à 3-10 km de profondeur, disons, il est
nécessaire d'extraire les liquides de leur source; de les transporter
vers la surface; de les mettre en place dans un "volume" superficiel.

* L'extraction des liquides
Il y a deux processus évoqués pour extraire les liquides de roches
partiellement fondues :
- la gravité, les liquides étant plus légers que les roches solides
environantes vont remonter tout naturellement (si leur viscosité le
permet, si il y a une "porosité" interconnectée, etc.), et le reste va
rester au fond.
- des surpressions, liées à la déformation en particulier. En gros
c'est le principe de l'éponge : on presse, et le liquide sort. Il y a
de superbes exemples de terrain de ça, ou on voit par exemple des plis
dans des migmatites avec le liquide concentré dans le coeur du pli.
Vous mettrai ça en ligne quand mon cours de pétro en sera arrivé là...
:-)
(cf. papiers de Brown, Sawyer...)

On arrive donc, à ce stade, à des petites poches de liquides métriques
ou décamétriques, qui vont sans doute se regrouper progressivement.

* Le transfert vers la surface
Il a forcément eu lieu, pour les granites de faible profondeur...
Physiquement, c'est sans doute la densité des magmas qui joue le rôle
moteur principal; suivi par, peut être, des surpressions tectoniques
(liées à la déformation), mais là on se tape dessus pour savoir si ca
peut avoir un effet suffisant ou si c'est négligeable.

L'autre gros débat, c'est le mode de transport au travers de la croûte.
On commence à arriver à se mettre d'accord, mais ca a été un gros sujet
d'engueulade dans les années 90 (papiers de Clemens, Hutton, Mawer...)
:

- Historiquement, le premier modèle proposé été celui du "diapirisme" :
la "bulle" de magma, plus légère, remonte en masse vers la surface, un
peu comme un ballon d'air chaud, ou comme ces bulles de liquide chaud
qui remontent dans les lampes fantaisie. C'est de là que vient le
fameux dessin des plutons granitiques comme des petites bulles avec une
queue, qui traîne partout.

Le diapirisme est un processus qui est possible, mais à condition que
les matériaux soient assez ductiles. Dans la croûte inférieure, il peut
arriver; mais dans la croûte supérieure, les roches sont trop rigides
pour qu'ilsoit possible (c'est l'argument d'un fameux papier de, je
crois, Clemens et Petford, en 92).

/* Noter aussi que le diapirisme peut affecter toute sortes de roches,
pas seulement des granites. Les migmatites, en masse, peuvent former
elles aussi des dômes diapiriques (cf. Vanderhaeghe, Teyssier -- années
2000; Brun, Van den Driesche - années 80). Des roches solides de la
croûte inférieure forment aussi de telles dômes, sans fusion (ou avec
très peu), à condition que la croûte soit très chaude, comme c'était
peut être le cas à l'Archéen (Choukroune, Chardon, Bouhallier -- années
90; van Kranendonk -- années 90-2000, pour ne citer que la "résurgence"
moderne de ces concepts, proposés dès les années 50), ou dans certaines
chaînes de montagnes (Mahéo & Guillot, Himalaya, 2002). On connaît des
diapirs de sel dans toutes les chaînes de montagne (le Jura, sans
chercher très loin). Et dans lemanteau, il y a sans doute des diapirs
de péridotite solide. */

- Dans les années 80-90, le nouveau modèle proposé est celui du
"dyking" : les magmas, plutôt que de former des grosses boules, montent
vers la surface dans des petits filons ("dykes"), qui utilisent des
fractures cassantes. Ces dykes servent de zone d'alimentation aux
plutons superficiels proprement dit, qui se mettent en place non pas
comme un diapir, en masse; mais plutôt comme un ballon qu'on gonfle peu
à peu (on a parlé de "ballooning" à l'époque, le terme est un peu passé
de mode) (Clemens, Petford, Mawer, etc. -- années 90).

Un autre argument fort, ca a été l'observation sous les plutons de
zones de "racine", de "cheminées d'alimentation", bien décrites par la
gravi par exemple (Vigneresse, années 80-90), et suggérant qu'il y
avait un "tuyau" pour remplir le pluton par en dessous...

- Vers le même moment, on a proposé des variantes du dyking, basé sur
la circulation et l'injection des magmas non pas tant dans des
fractures cassantes, ouvertes (peu probable dans la croûte inf du reste
!), mais plutôt le long de failles ("shear zones") (Hutton, 1992;
Moyen, 2000).

- A l'heure actuelle, on penche plus pour des combinaisons de tout ces
processus. Le diapirisme est possible dans la croute inf, mais affecte
sans doute plutôt en masse des terrains composites migmatites-granites,
avec les liquides mal séparés. Les circulations sur shear zones, voire
les dykes, prennent sans doute le relai dans les zones plus
supérieures.

Un problème, c'est que sauf exception on ne voit pas à l'affleurement
ce genre de zones de transfert. Peut être parce que, justement, le
magma n'a fait "que passer", et qu'il n'y a plus rien à voir ?
(Sawyer).

* La mise en place des plutons
.. cad des plutons superficiels, puisqu'on a à peu près traité le cas
des intrusions profondes...

Dans la croute sup, on exclut à peu près le diapirisme à l'heure
actuelle. C'est là que se pose avec accuité le problème de place :
comment faire assez d'espace pour mettre la matière granitique ? En
fait, ce problème se pose un peu en profondeur aussi... mais moins :
pour les dykes, bon, ce sont des petites fractures, ce n'est pas très
grave en terme de volume; pour les diapirs c'est plus gênant mais on a
un joker, la plupart des diapirs se mettent en place en contexte au
moins localement extensif, ce qui permet de faire toute la place qu'on
veut.

Mais pour les intrusions de haut niveau ? La encore, schématiquement on
peut imaginer trois choses :

- On ne fait pas de place et on "assimile" ou on "digère" sur place les
roches encaissantes. Mais ca ne crée pas vraiment de place...

- On fait de la place "par le haut", en créant un bombement en surface :
c'est ce qui se passe dans les intrusions sous les volcans, par
exemple, qu'on voit gonfler au fur et à mesure que l'éruption approche
! C'est peut être la façon dont se forme les "laccolithes", des
injections plates qui s'insèrent entre deux couches. C'est dur à dire,
parce que si on voit le laccolithe, justement, tout ce qui était au
dessus est parti (érosion) : pas moyen, donc, de savoir si ca a remonté
ou pas. En fait, si le laccolithe est assez profond, on peut surement
distribuer la déformation assez loin, en faisant un peu de compression
par ci, un peu de bombement par là... et ca pourrait être assez
discret. (Cruden, 90-2000)

- On fait de la place "sur les cotés". On retombe sur les histoires de
tectonique. Les failles, souvent, permettent de créer de l'espace, que
ce soit en écartant un peu leur lèvres (failles un peu extensives), ou
grâce à des petites irrégularités qui créent des structures dites en
"pull-apart"

J'essaye un dessin : si la faille ci-dessous est dextre, la petite
irrégularité va s'aggrandir pour former un "trou" ...

------\
       \
        \--------------

.. comme ça :

------\----\
       \    \
        \----\----------

Dans ce trou (losangique), on peut donc mettre en place un granite !
(cf. Benn, 95-2000)

En fait, ca impose donc des contextes avec au moins localement un peu
d'extension. Mais ce n'est pas un problème; quand on regarde un tout
petit peu, il y a de l'extension partout, même dans les zones de
convergence les plus convergentes .... Les Alpes sont pleines de
failles normales par exemple.

On a plein de jolis exemples de plutons qui se sont mis en place de
façon syn-tectonique, dans ou à proximité d'une faille. Par exemple
ceux de Bretagne Sud (Gapais, années 80) ou des Pyrénées (Bouchez et
cie, années 80-90), ou encore de Sierra Nevada (Tikoff et St Blanquat,
années 90-présent). En refroidissant, les plutons enregistrent la
déformation liée à la faille, et on voit très bien le lien
faille/granite.

/* C'est dans ce contexte que se place le "métamorphisme de contact" :
le granite, chaud, se mettant en place dans la croûte sup plus froide,
peut la "cuire", comme de l'argile est cuit en brique dans un four de
potier. Il se forme une petite auréole métamorphique, de 500-1000 m
typiquement, autour du pluton. Enfin, si les roches s'y prêtent. */

JF

--
J.-F. Moyen
http://moyen.free.fr

Citation de: Jacques LavauMerci, je suis comblé et confus, d'avoir obtenu tant avec des
questions toutes couillonnes.

On voit des photos saisissantes de diapirs de sel au Kuh i Namak,
région de Qum, Iran, dans le Manuel de sédimentologie de André Vatan,
Editions Technip. La montée de sel s'est accompagnée de venues de
roches volcaniques andésitiques. Cela va bien avec ton exposé
d'expansion latérale locale.

Cinq pages plus haut, il détaille la formation de dolomites
évaporitiques dans le Kara Bogaz.

Page 208, il est rappelé que la glauconie se forme généralement dans
les mers épicontinentales, entre 50 et 200 m de profondeur. Dans tous
les cas, soit en solution, soit en détritique, le fer vient des
continents.

Je ne suis pas géologue, mais j'ai dû acquérir des connaissances en
plus de notre minéralogie de base, pour pouvoir comprendre nos
carrières potentielles, et celles de nos clients. Au final, cela n'a
servi à rien du tout : le procédé a été abandonné.

JacquesL

Contraintes géochimiques, potassium et genèse des croûtes continentales.

Avant recyclage par les convergences, dont les subductions, la sédimentation des argiles sur le fond marin, glauconites et illites par exemple, enrichit cette couche sédimentaire en potassium, au dépens des solutés des océans. Potassium qui est ensuite injecté en croûte continentale, sous forme de plutons granitiques, où on le retrouve en feldspath orthose, en muscovite et biotite.

Cette sélectivité extrême des argiles micacées et des micas pour le potassium, est le mécanisme géochimique clé, qui a permis l'édification des croûtes continentales granitiques, à partir des croûtes océaniques, et il y a fallu quelques milliards d'années.

C'est à cette sélectivité lors de la synthèse des argiles marines des grands fonds, que l'on doit que la mer est salée de sodium et non de potassium, alors que les sédiments sont pauvres en sodium, riches en potassium.

Oui il existe bien un mica sodique, un seul, et d'une grande rareté : la paragonite. On ne la trouve que dans des environnements totalement carencés en potassium, riches en sodium. Très très rares.

L'existence de ce mécanisme d'accumulation exceptionnellement forte de potassium dans les sédiments marins, implique que les toutes premières petites croûtes continentales de l'âge archéen, n'ont pu survenir que par différenciation magmatique produisant du granite ou des andésites à partir des sédiments enrichis en potassium, au fond de ces premiers océans. Rien de semblable n'a pu se produire sur la Lune, faute d'océan pouvant produire des argiles micacées.

La composition de cet océan primitif archéen est inconnue. On est certains qu'elle était fort différente de l'eau de mer actuelle : elle était réductrice, riche en fer ferreux, et le rapport Na/K devait être encore proche de 1. On peut soupçonner, par la survie d'Alain Bombard avec une presse à poissons, que la force ionique de l'océan primitif était bien moindre que celle que nous connaissons à présent.

JacquesL

#2
En février 2006, Jean-François Moyen nous avait décrit la grosse différenciation en potassium, des croûtes continentales aux dépens du manteau, copie à
http://deonto-ethics.org/impostures/index.php/topic,97.0.html

Voici un autre travail sur le différenciation en magnésium :
http://www.sciencedaily.com/releases/2008/04/080401112403.htm

Continents Loss Of Dense Matter To Oceans Helps Keep Continents Above The Mantle

ScienceDaily (Apr. 3, 2008) — New research suggests that the geological staying power of continents comes partly from their losing battle with the Earth's oceans over magnesium. The research finds continents lose more than 20 percent of their initial mass via chemical reactions involving the Earth's crust, water and atmosphere. Because much of the lost mass is dominated by magnesium and calcium, continents ultimately gain because the lighter, silicon-rich rock that's left behind is buoyed up by denser rock beneath the Earth's crust.

Je m'arrête au résumé, car certains vont gueuler que le forum est strictement francophone, et je n'ai pas le temps de traduire.

En comparaison de la différenciation potassium :
Les rivières emmènent à la mer les cations solubles, qui ne reviennent pas tous, dont Mg.
Délamination des racines de continent : surnage la partie plus riche en Si (et K), coule et est recyclée la partie la plus riche en Mg et Fe.
Différenciation dans les poches magmatiques de subduction : la partie riche en Mg coule, tandis que montent soit des plutons granitiques, soit des laves grises.