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Répression pro-israélienne contre le sous-préfet Bruno Guigue.

Démarré par JacquesL, 03 Avril 2008, 07:00:38 PM

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JacquesL

Désolé d'arriver après tout le monde sur cette affaire, alors que l'article auquel Guigue réagissait, n'est plus disponible  sur Le Monde qu'aux abonnés payants.
L'origine du débat :
Citation de: MichaudÀ l'heure où les plus virulents écrits et propos islamophobes et anti-palestiniens passent en France comme lettre à la poste (émis par des membres de la fonction publique ou pas, voire même des députés), Bruno Guigue, sous-préfet de Saintes (Charente-Maritime) mais non moins spécialiste du Moyen-Orient, est limogé par le Ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie pour avoir, en sa qualité d'intellectuel et non celle d'employé de l'État, osé mettre en pièces une tribune mensongère torchée par la clique d'intellos pro-israéliens français habitués et publiée dans Le Monde.
CiterL'ONU contre les droits de l'homme

Article publié le 28 Février 2008
Source : LE MONDE
Taille de l'article : 1116 mots

Extrait : Les démocraties doivent résister à l'offensive idéologique conjointe des pays musulmans et dictatoriaux. L'année 2008 verra-t-elle simultanément le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme par l'ONU et la destruction de ses principes par la même ONU ? Tout porte à le redouter, tant depuis un certain nombre d'années, par ses dérives, l'ONU s'est caricaturée. A Durban, en Afrique du Sud, s'est tenue en 2001 la Conférence mondiale contre le racisme, à l'initiative des Nations unies, dans la ville même où Gandhi avait commencé à exercer son métier d'avocat.

Article de Bruno Guigue :
Quand le lobby pro-israélien se déchaîne contre l'ONU

_____________________

Deux poids deux mesures : la suite de la suite de la suite...,
À propos de l'Affaire Bruno Guigue et de la non-affaire Goasguen

Par Collectif Les mots sont importants
24 mars 2008

CiterNous apprenons, ce dimanche 23 mars, qu'un sous-préfet vient d'être expéditivement limogé pour avoir publié sur le site Oumma.com une tribune considérée par sa hiérarchie comme « violemment anti-israélienne ».

La dépêche qui suit, ainsi que la tribune mise en cause, montrent bien ce que recouvre cette formulation savamment équivoque :

« Paris (Afp). Le sous-préfet de Saintes (Charente-Maritime), Bruno Guigue, a été limogé après avoir publié une tribune "violemment anti-israélienne" sur le site internet Oumma.com, a-t-on appris samedi auprès du ministère de l'Intérieur. Dans une tribune publié le 13 mars, M. Guigue estime notamment qu'Israël est "le seul Etat au monde dont les snipers abattent des fillettes à la sortie des écoles". Il ironise également sur les "geôles israéliennes, où grâce à la loi religieuse, on s'interrompt de torturer pendant Shabbat". La ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a "été mise au courant mercredi du contenu de cette tribune et a immédiatement décidé de mettre fin aux fonctions" de M. Guigue, a-t-on indiqué au ministère de l'Intérieur, sans fournir plus de précision. »

On le voit :

si le propos de Bruno Guigue peut être qualifié de « violent », ce n'est en aucun cas au sens d'un appel à la violence physique contre des personnes, mais au sens d'une critique virulente, ciblant des actes objectivement odieux (bombardements, torture) ;

si le propos est effectivement « anti-israélien », ce n'est pas le peuple israélien dans sa globalité qui est visé, mais un État, et la politique qu'il mène.

Ce qui vient donc d'être sanctionné – et, pour le coup, violemment sanctionné – n'est donc pas un « dérapage raciste », mais bel et bien une expression politique légitime, que notre Constitution est censée protéger.

Cette atteinte scandaleuse à la liberté d'expression prend tout son relief quand on la rapporte à un autre scandale, advenu quelques jours auparavant, le 11 mars 2008 : les déclarations « anti-palestiniennes » du député UMP Claude Goasguen, sur le parvis de la Place de la République [1] :

« Comment vous dire la honte qui nous parcourt quelquefois, lorsque nous savons qu'à Sdérot, où j'étais la semaine dernière, on subit, quotidiennement, les agressions d'un peuple sauvage, de terroristes épouvantables ! »

Contrairement aux propos « anti-israéliens » de Bruno Guigue, cette diatribe « anti-palestinienne » ne vise pas seulement un ou plusieurs actes précis (comme l'attentat de la Yeshiva Merkaz Harav à Jérusalem), qu'on a parfaitement le droit de dénoncer violemment ; elle vise, au-delà, tout un ensemble de personnes qui ne sont pas partie prenante de ces actes. Elle stigmatise même, explicitement, tout un Peuple : le peuple palestinien – en usant, qui-plus-est, d'un terme très chargé : « sauvage » [2]

En d'autres termes, là où le propos « anti-israélien » de Bruno Guigue relève du droit constitutionnel et inaliénable à la critique d'un État et d'une politique, le propos « anti-palestinien » de Goasguen relève indiscutablement de la provocation à la haine raciale, passible en théorie d'un an de prison, de 45000 euros d'amende et d'un an de privation des droits civiques.

C'est pourtant Bruno Guigue qui a été sanctionné, avec une rapidité (trois jours après que la ministre ait pris connaissance de ses propos) et une rigueur (un pur et simple limogeage, sans autre forme de procès) qu'on aimerait voir s'appliquer face aux propos racistes, en particulier lorsqu'ils sont tenus sur la place publique par des représentants élus du peuple français, des enseignants ou des hommes de loi.

Car telle est bien la situation de Claude Goasguen : député UMP, chargé de conférences à HEC et avocat à la Cour d'appel de Paris, il a tenu des propos indiscutablement racistes (puisque rabaissant tout un peuple au rang de sauvages) en plein Paris, devant une foule rassemblée qui-plus-est Place de la République ! Or, plus de dix jours après les faits, aucune sanction n'est venue : ni limogeage, ni blâme, ni avertissement – ni à l'Assemblée nationale, ni à HEC, ni à la Cour d'Appel de Paris. Pas même une sanction sociale : ni scandale médiatique [3], ni réaction indignée de la classe politique – même l'opposition de gauche n'a pas jugé utile de porter l'affaire sur la place publique. Pas même un communiqué des associations antiracistes : ni SOS Racisme, ni la LICRA, ni le MRAP. Seules des associations de soutien au peuple palestinien, comme le CAPJPO et des médias alternatifs, comme Oumma.com ou le site des Indigenes de la Republique, ont réagi.

Imaginons maintenant la situation inverse :

Un sous-préfet qui, dans un article, s'en serait pris avec virulence aux attentats palestiniens : se serait-on inquiété de son manquement au devoir de réserve, et l'aurait-on limogé pour cela ?

Un député, par ailleurs avocat à la Cour d'Appel de Paris, qui aurait publiquement qualifié le peuple israélien de « peuple de sauvages, d'abominables tueurs d'écolières » : les médias, les associations antiracistes, l'opposition de gauche, ses autorités de tutelle, ses amis politiques, même, l'auraient-ils laissé à ce point tranquille ?

On rétorquera sans doute – tel est l'argument du Ministère de l'Intérieur – que Bruno Guigue était, en tant que haut fonctionnaire, tenu au devoir de réserve, auquel Claude Goasguen ne saurait être tenu puisqu'il est un homme politique. Ce paramètre peut effectivement entrer en ligne de compte, mais en prenant bien soin de remarquer aussi

que Bruno Guigue ne s'est pas prononcé sur la politique de son ministère de tutelle (le Ministère de l'Intérieur) mais sur une question de politique étrangère ;

qu'il ne l'a pas fait en qualité de sous-préfet, mais en tant qu'intellectuel, auteur de livres et d'articles sur la question évoquée [4].

Il faudrait aussi vérifier si, par le passé, on a déjà été aussi regardant quant aux « manquements au devoir de réserve » de la part de sous-préfets, et le cas échéant, si les autres sous-préfets fautifs ont été sanctionnés aussi durement.

Et il faudrait en tout état de cause souligner une nouvelle manifestation, particulièrement écoeurante, d'un « Deux poids deux mesures » que tout le monde peut observer, mais qu'il est difficile de dénoncer sans se faire accuser de paranoïa ou de complotisme. Car, quand bien même l'article de Bruno Guigue pourrait sans abus de langage être qualifié de manquement au devoir de réserve, et quand bien même le sous-préfet pourrait sans abus de pouvoir être limogé pour ce manquement, il reste que la provocation à la haine raciale est un délit autrement plus grave, et que Claude Goasguen, comme bien d'autres palestinophobes, arabophobes, islamophobes ou négrophobes (Philippe de Villiers, Philipe Val, Sylvie Noachovich, Claude Imbert, Alain Finkielkraut, Oriana Fallacci, Michel Houellebecq, Maurice Dantec...), bénéficie pour ce délit d'une totale impunité.

Il est même invité, comme si de rien n'était, à commenter l'actualité politique, ce dimanche 23 mars sur France 5, à l'émission Ripostes. Tant pis pour les Palestiniens.

Notes

[1] Face à une foule de près d'un millier de personnes, rassemblées en réaction à l'attentat de la Yeshiva Merkaz Harav, à Jérusalem

[2] Joint par le site « Rue 89 » pour s'expliquer, Claude Goasguen se défend d'avoir visé le peuple palestinien, et prétend n'avoir ciblé que les auteurs des attentats. Cette « mise au point » ne tient évidemment pas : le mot peuple n'a jamais désigné des groupes politiques, militaires ou para-militaires organisés ; il désigne toujours une entité bien plus large, regroupant des individus partageant un même sol et/ou une même langue et/ou une même référence religieuse, politique ou nationale et/ou une même conscience d'être un peuple.

[3] La presse a été remarquablement discrète sur l'événement. Saluons malgré tout le site Rue 89, qui a relayé l'information, et contacté Goasguen pour lui demander de s'expliquer : cliquer ici

[4] Bruno Guigue est notamment l'auteur de Proche-Orient : la guerre des mots et Les origines du conflit israélo-arabe, ainsi que de nombreux articles sur le site Oumma.com. C'est ainsi qu'il est présenté dans l'article incriminé par sa hiérarchie. Contrairement, par exemple, à Robert Redeker, qui avait signé sa fameuse tribune islamophobe dans Le Figaro en tant que « professeur de philosophie », en mentionnant même son lycée de rattachement. Ce manquement au devoir de réserve lui avait été reproché dans un premier temps par son ministre de tutelle Gilles de Robien, avant que ce dernier, sous la pression politique et médiatique, ne se rallie au consensus aveuglément pro-Redeker. Cf. « Injures et menaces : pas en notre nom ! ».

Regrettons l'emploi aveugle du terme "limoger", qui n'a aucun sens juridique. Il n'a qu'un sens historique : durant la première guerre mondiale, le minsistre de la guerre avait affecté à Limoges des officiers incapables. Ainsi ils ne nuisaient plus au front, mais conservaient leur solde et leurs droits à la retraite. Ici, il semble bien qu'il s'agisse juridiquement d'un licenciement sec, mesure beaucoup plus agressive que l'historique "limogeage", qui n'était qu'humiliant.

Et la pièce de Guigue :
CiterQuand le lobby pro-israélien se déchaîne contre l'ONU

Par Bruno Guigue
jeudi 13 mars 2008

Dans sa rubrique « Point de vue » du 27 février 2008, « Le Monde » a généreusement offert ses colonnes à un texte d'une hystérie verbale et d'une mauvaise foi insondables. Les accusations qu'il profère à l'égard du conseil des droits de l'homme de l'ONU sont si mensongères que même la liste des signataires ne tempère qu'à peine notre stupéfaction : Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Claude Lanzmann, Elie Wiesel, Pierre-André Taguieff, Frédéric Encel .. On peut facilement compléter la liste tant l'omniprésence des intellectuels organiques du lobby pro-israélien nous est devenue familière.

Le titre sans nuances de cette prose haineuse est déjà tout un programme : « L'ONU contre les droits de l'homme ». Dès les premières lignes, on peut y lire cet appel angoissé : « L'année 2008 verra-t-elle simultanément le soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme par l'ONU et la destruction de ses principes par la même ONU ? Tout porte à le redouter, tant depuis un certain nombre d'années, par ses dérives, l'ONU s'est caricaturée ». Inévitablement le lecteur non averti s'alarme : l'organisation internationale serait-elle brusquement devenue suicidaire ?

Mais par bonheur la suite nous éclaire aussitôt sur les préoccupations profondes de nos signataires : « A Durban, en Afrique du Sud, s'est tenue en 2001 la conférence mondiale contre le racisme, à l'initiative des Nations-Unies. C'est au nom des droits des peuples que furent scandés des « mort à l'Amérique ! » et « mort à Israël ! » et c'est au nom du relativisme culturel qu'on fit silence sur les discriminations et violences commises contre les femmes ».

Quel rapport entre la géopolitique du Moyen-Orient, manifestement en cause dans les appels à combattre les Etats-Unis et Israël, et l'oppression des femmes que viendrait cautionner le « relativisme culturel » ? Probablement aucun. Mais amalgamer les deux sujets présente l'intérêt polémique de suggérer une pernicieuse concurrence entre les victimes : vous qui condamnez Israël et l'Amérique, vous ne dites rien de la souffrance des femmes opprimées dans les pays musulmans. C'est une antienne dont la rhétorique lobbyiste est coutumière : elle permet de détourner le lecteur occidental de la critique de la politique américaine ou israélienne en fixant son attention sur un problème interne des sociétés moyen-orientales.

Ce rapprochement polémique entre les deux sujets, pourtant, est particulièrement cocasse. L'Arabie saoudite, où le port du voile est obligatoire et les femmes interdites de conduite automobile, est l'alliée historique des Etats-Unis dans la région. Le régime obscurantiste des talibans, lui, a vu le jour sous les auspices d'une CIA qui a prêté ses camps d'entraînement sur le sol américain aux combattants du mollah Omar. En revanche, l'Irak et la Syrie baasistes, plus proches de la norme occidentale en matière de condition féminine, n'eurent pas droit aux mêmes égards. Le premier a été pulvérisé sous les bombes US, la seconde est rangée dans la catégorie des « Etats voyous ». Mais peu importe : les partisans de la politique américaine au Moyen-Orient se croient fondés à donner des leçons en matière d'émancipation féminine.

S'agissant de l'ONU, en outre, on ne s'étonnera guère d'un tel ressentiment de la part des porte-parole du néoconservatisme à la française. Car les résolutions du conseil des droits de l'homme, comme hier les déclarations de l'assemblée générale, ont osé mettre en cause la répression israélienne en Palestine occupée. Les 47 Etats élus par leurs pairs au CDH bénéficient de l'égalité de vote. La sensibilité qui s'y exprime reflète donc une opinion majoritaire qui n'a aucune raison de cautionner l'occupation militaire des territoires arabes. Que les thuriféraires d'Israël, cependant, se rassurent : ces résolutions demeurent symboliques à défaut d'être exécutoires. Mais ce n'est pas suffisant. Il leur faut aussi en stigmatiser le principe par un usage grossier de la calomnie.

C'est à quoi s'emploient rageusement les signataires. « Par sa mécanique interne, les coalitions et les alliances qui s'y constituent, les discours qui s'y tiennent, les textes qui s'y négocient et la terminologie utilisée anéantissent la liberté d'expression, légitiment l'oppression des femmes et stigmatisent les démocraties occidentales .. Le CDH est devenu une machine de guerre idéologique à l'encontre de ses principes fondateurs. Ignorée des grands médias, jour après jour, session après session, résolution après résolution, une rhétorique politique est forgée pour légitimer les passages à l'acte et les violences de demain ».

Symptôme d'une psychose paranoïaque ou monument de la démonologie occidentale : on hésite sur le diagnostic. La seule certitude, c'est que ce réquisitoire contre des forfaits inexistants témoigne d'une inventivité hors du commun. Le conseil des droits de l'homme de l'ONU voudrait « anéantir la liberté d'expression » ? On se demande bien pourquoi et comment. Mais nos interrogations demeurent sans réponse. Nos polémistes annoncent « la mise à mort de l'universalité des droits » par l'ONU elle-même, mais cette mort annoncée reste nimbée de mystère. Aucune citation des résolutions du CDH ne vient étayer cette accusation, et les détracteurs de l'ONU condamnent ses idées supposées avec une violence inversement proportionnelle aux preuves de ce qu'ils avancent. Visiblement, ils préfèrent parler à sa place en procédant directement au commentaire de ce qu'elle est censée avoir dit.

En guise de citations, on doit alors se contenter des propos résumés au style indirect, sans guillemets, qu'aurait tenus M. Doudou Diène, rapporteur spécial sur le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie auprès de l'ONU. L'intellectuel sénégalais aurait ainsi déclaré qu'« énoncer une critique contre le port de la burqa constitue une agression raciste, que la laïcité est ancrée dans une culture esclavagiste et colonialiste, et que la loi française contre le port des signes religieux à l'école participe du racisme antimusulman ». Seul problème : ces citations sont introuvables. Si chacun de ces énoncés soulève évidemment des objections, encore faut-il qu'il ait été formulé. Une polémique grossière sur des citations qui n'en sont pas : le procédé condamne ses auteurs.

Au demeurant, les seules citations que les idéologues publiés par « Le Monde » auraient dû produire à l'appui de leur propre thèse sont celles du CDH lui-même. Mais ils se gardèrent bien de le faire. Livrant leur interprétation tendancieuse en lieu et place de la pensée d'autrui, ils pérorent gravement en prenant leur fantasme pour la réalité : « La confusion est à son comble, affirment-ils, quand est dénoncée comme une attitude raciste toute critique de la religion ». Mais d'où vient cette idée ? Qui l'a émise ? Nul ne le sait. N'importe qui, en revanche, peut vérifier ce qu'a énoncé le CDH sur la question religieuse. Il suffit de consulter les compte-rendus officiels des six sessions réunies depuis sa création en juin 2006.

Le 30 mars 2007, le CDH a ainsi adopté une résolution «  sur la lutte contre la diffamation des religions ». Ce texte nuancé insiste sur « le droit de chacun à la liberté d'expression, qui devrait s'exercer de façon responsable et peut donc être soumis à de restrictions, prescrites par la loi et nécessaires pour le respect des droits ou de la réputation d'autrui, la protection de la sécurité nationale, de la santé ou de la morale publiques, et le respect des religions et des convictions ». Sur le plan des principes, ce texte ne diffère guère du droit positif en vigueur dans la plupart des pays, les Etats occidentaux ayant eux aussi entouré l'exercice de la liberté d'expression de certaines limites juridiques. En France, la reconnaissance de la liberté d'expression n'entraîne aucun droit à diffamer son voisin, toute forme d'injure manifestant une discrimination raciale ou religieuse est punie par la loi, et certaines dispositions législatives ont même eu pour effet d'énoncer une vérité officielle sur des faits historiques.

Naturellement, la teneur de cette résolution du CDH n'est pas indifférente au contexte politique lié à la « guerre contre le terrorisme » menée tambour battant par Washington. « Le Conseil se déclare préoccupé par les images stéréotypées négatives des religions et par les manifestations d'intolérance et de discrimination en matière de religion ou de conviction. Il se déclare en outre profondément préoccupé par les tentatives visant à associer l'islam avec le terrorisme, la violence et les violations des droits de l'homme. Il note avec une vive inquiétude l'intensification de la campagne de diffamation des religions, et la désignation des minorités musulmanes selon des caractéristiques ethniques et religieuses depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001 ».

L'adoption de ce texte s'est heurtée à l'opposition des pays occidentaux, mis en minorité lors du vote final. Aucun d'entre eux n'y a vu, toutefois, le danger mortel pour la civilisation universelle que dénoncent les signataires de notre pamphlet antionusien. Au nom de l'Union européenne, la représentante de l'Allemagne « a fait remarquer que, comme l'a établi le rapport de M. Doudou Diène, la discrimination fondée sur la religion ne concerne pas uniquement l'islam, mais également le judaïsme, le christianisme et des religions et croyances venues d'Asie, ainsi que des personnes sans religion. Elle a également souligné qu'il est problématique de séparer la discrimination fondée sur la religion des autres formes de discrimination. Elle a aussi jugé l'utilisation du concept de diffamation contre-productive, préconisant plutôt un texte axé sur la liberté de religion ou de conviction ».

Que ce débat témoigne d'une différence de sensibilité sur les questions religieuses entre pays membres de l'organisation de la conférence islamique (OCI) et pays occidentaux est une évidence. Cela méritait une réflexion sur la sécularisation relative des sociétés concernées et la référence, explicite dans les pays musulmans, à des valeurs religieuses. Mais cette réflexion n'effleura même pas l'esprit de nos intrépides signataires qui, faute d'avoir lu les textes auxquels ils font vaguement allusion, en dénaturent volontairement la signification. Refusant de discuter rationnellement les arguments de l'autre, on préfère le stigmatiser en imaginant une dramaturgie grossière mettant en scène des personnages réels. Ce théâtre de marionnettes, du coup, tient lieu d'argumentaire.

C'est ainsi que nos signataires s'en prennent violemment à Mme Louise Arbour, haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU. «  Elle a participé à une conférence à Téhéran consacrée aux droits de l'homme et à la diversité culturelle, dénoncent-ils. Portant le voile, comme la loi de la république islamique l'exige, la haut-commissaire a été le témoin passif de l'énoncé de principes à venir, ainsi résumés : offense aux valeurs religieuses considérée comme raciste. Bien pire, dès le lendemain de cette visite, vingt et un Iraniens, dont plusieurs mineurs, furent pendus en public. C'est en sa présence que le président Ahmadinejad a renouvelé son appel à la destruction d'Israël ».

Encore une fois, l'art de l'amalgame intellectuel atteint des sommets. Mêlant tout et son contraire, le texte publié par « Le Monde » mise sur la confuse indignation du lecteur en anesthésiant au passage son jugement critique. Louise Arbour portait le voile à Téhéran, soit. Mais aurait-elle pu, en Israël, organiser une réunion pendant le shabbat ? Les régimes religieux ont des exigences que n'ont pas les autres. On peut le déplorer, mais ils sont chez eux. L'offense à la religion, dans certains pays, est considérée comme une forme de racisme. Faut-il que nous allions les convaincre du contraire, et de quelle manière ? La peine de mort, enfin, est cruellement appliquée en Iran. Mais les aspects odieux du régime de Téhéran ne le résument pas pour autant, et le régime saoudien n'a rien à lui envier. Surtout pas l'amitié des Etats-Unis, où un président texan a été élu sur sa réputation d'exécuteur intraitable des criminels supposés. Sans parler d'Israël, seul Etat au monde dont les snipers abattent des fillettes à la sortie des écoles.

Les diatribes iraniennes contre l'Etat hébreu relèvent, elles, d'un affrontement géopolitique dont l'un des principaux paramètres est l'attitude d'Israël lui-même. S'il avait appliqué la peine de mort aux civils palestiniens avec davantage de discernement depuis soixante ans, il n'aurait pas suscité un tel rejet de la part de ses voisins proches ou éloignés. Sous occupation militaire, amputés d'une partie de leur territoire, ou régulièrement bombardés par son aviation, ces derniers ont d'excellentes raisons de le détester. Mais peu importe. Décidés à instruire à charge contre Mme Arbour pour son séjour à Téhéran, nos polémistes incriminent « son silence et sa passivité », qu'elle aurait justifiés par « le respect de la loi iranienne et le souci de ne pas offenser ses hôtes ».

« Charbonnier est maître chez soi, commentent-ils. C'est le docteur Goebbels qui utilisait cet argument d'opportunité, à la tribune de la Société des nations en 1933, pour se soustraire à toute critique d'une institution internationale impuissante ». On croit rêver. Car, analogie pour analogie, frappante est la ressemblance entre le Reich qui s'assied sur la SDN en 1933 et l'Etat hébreu qui bafoue le droit international depuis 1967. Comme son lointain prédécesseur, Israël, lui aussi, se « soustrait à toute critique d'une institution internationale impuissante ». Et s'il le fait, c'est pour mieux conquérir « son espace vital, de la mer au Jourdain », selon la belle formule employée par Effi Eitam, ministre d'Ariel Sharon, en 2002.

« Les grands crimes politiques ont toujours eu besoin de mots pour se légitimer. La parole annonce le passage à l'acte », philosophent nos signataires. Ils n'ont pas tort : le 29 février, le vice-ministre israélien de la Défense Matan Vilnaï a brandi la menace d'une « shoah » contre les Palestiniens avant de lancer à Gaza la sanglante opération qui fit 110 victimes palestiniennes en une semaine. Quitte à enfreindre un tabou religieux, l'Etat hébreu, manifestement, a franchi un cap sémantique avant de déchaîner sa puissance militaire : il est passé « de la parole à l'acte ».

Mais le meilleur a été gardé pour la fin. « Les idéologies totalitaires avaient remplacé les religions. Leurs crimes, les promesses non tenues d'avenir radieux ont ouvert grande la porte au retour de Dieu en politique. Le 11 septembre 2001, quelques jours après la fin de la conférence de Durban, c'est bien au nom de Dieu que le plus grand crime terroriste de l'histoire fut commis ». Lier dans une même trame le 11 septembre 2001 et les résolutions du CDH, il fallait oser. Il est vrai que nous avons affaire à des spécialistes.

« Retour de Dieu en politique », disent-ils. Nos intellectuels savent de quoi ils parlent : Israël n'est-il pas l'Etat confessionnel par excellence ? « Si la revendication d'un coin de terre est légitime, affirmait Theodor Herzl, alors tous les peuples qui croient en la Bible se doivent de reconnaître le droit des juifs ». Bibliquement établie, la légitimité d'un Etat juif en Palestine va de soi : le texte sacré tient lieu de titre de propriété. Pour les sionistes religieux, le retour des juifs en Eretz Israël est inscrit dans le récit de l'Alliance lui-même. Prendre possession de la terre que Dieu a donnée aux juifs fait partie du plan divin, et ce serait le contrarier que de renoncer à cette offrande.

Du coup, aucun compromis n'est possible avec les Arabes. En 1947, le grand rabbin de Palestine martelait le statut théologique du futur Etat juif : « C'est notre forte conviction que personne, ni individu, ni pouvoir institué, n'a le droit d'altérer le statut de la Palestine qui a été établi par droit divin ». Chef du parti national-religieux, le général Effi Eitam expliquait à son tour en 2002 : «  Nous sommes seuls au monde à entretenir un dialogue avec Dieu en tant que peuple. Un Etat réellement juif aura pour fondement le territoire, de la mer au Jourdain, qui constitue l'espace vital du peuple juif ». Au moins, c'est limpide.

Rien d'étonnant, par conséquent, à ce que le lobby pro-israélien exècre l'ONU : son appétence pour le droit international est inversement proportionnelle à son engouement pour le droit divin. Il est vrai que l'un est infiniment plus favorable au Grand Israël que l'autre. Percuter les résolutions de l'ONU avec la Thora relève de l'exploit intellectuel et du prodige politique : Israël l'a fait. Pour nos signataires, « c'est au nom de Dieu que le plus grand crime terroriste de l'histoire fut commis ». Ce n'est pas tout à fait faux, à condition d'inclure dans l'analyse l'Etat hébreu, cet artefact colonial bâti au forceps sur les ruines de la Palestine au nom de la Bible et de la Shoah.

A propos de terrorisme, l'Etat d'Israël, qui plus est, peut se targuer d'un palmarès hors compétition. Les odieux attentats du 11 septembre 2001 ont fait dix fois moins de victimes que le siège de Beyrouh par Tsahal en 1982. Ses admirateurs occidentaux doivent certainement s'extasier sur les prouesses d'une armée capable de tuer aussi aisément des enfants avec des missiles. Ils doivent aussi se confondre d'admiration devant les geôles israéliennes, où grâce à la loi religieuse, on s'interrompt de torturer durant le shabbat. L'Etat hébreu mérite bien ce concert de louanges que les intellectuels organiques lui décernent à longueur de colonnes. Et quelle outrecuidance, de la part de l'ONU, de vouloir fourrer son nez sale dans les affaires intérieures israéliennes !

A l'instar des pires calomnies, les accusations publiées dans « Le Monde » du 27 février se sont répandues sur la toile. Elles suscitent sur certains blogs des commentaires haineux que l'on ose à peine citer. M. Doudou Diène y est qualifié de «  défenseur de la secte du pédophile fou et des adorateurs du caillou ». On y lit que « depuis les invasions musulmanes le croissant fertile est devenu le croissant stérile, et la civilisation a émigré en Occident ». Sur l'ONU, un internaute déchaîné résume à sa façon l'article publié par « Le Monde » : « l'ONU, c'est un ramassis de la racaille islamiste et tiers-mondiste ». Qu'attend-on pour supprimer l'ONU ? Ce sera encore plus simple. Islamophobie déclarée, haine du monde arabe, stupéfiante arrogance occidentale, tout y est. Opération réussie, mesdames et messieurs les intellectuels organiques.
Bruno Guigue

Diplômé de l'Ecole normale supérieure et de l'ENA

Auteur de "Proche-Orient : la guerre des mots", L'Harmattan, 2003
Du même auteur, à lire en ligne sur Oumma.com :

    * Quand le lobby pro-israélien se déchaîne contre l'ONU
    * Israël-Palestine : la géopolitique du divin
    * Irréductible Syrie
    * Stupéfiante indulgence pour un Etat voyou
    * La conférence de Téhéran et les Faurisson pro-israéliens
    * Le Darfour et ses faux amis
    * « Omerta » sur la bombe israélienne
    * George Bush, en lévitation au-dessus d'un champ de ruines
    * La lettre persane de Mahmoud Ahmadinejad
    * Nucléaire iranien : un pavé dans la mare belliciste
    * Mourir pour Israël, ou les impasses de la résolution 1701
    * Moyen-Orient : les deux sources de l'aveuglement occidental
    * Crise iranienne : une expertise « géopolitiquement correcte »
    * Et maintenant, le Hamas
    * Irak : american Chaos
    * « La faute à l'Iran », une fable géopolitique
    * L'héritage empoisonné d'Ariel Sharon
    * L'écran de fumée d'Annapolis