Enseigner à des BTS...

[JacquesL]

Voici la question initiale posée par leur professeur de physique. Le malheureux ! Il se fiait au programme, aux inspecteurs et au Bulletin Officiel, comme guides scientifiques et didactiques :

Quelle loi nous permet d'affirmer que la durée du trajet d'une molécule d'air sur l'extrados d'une aile d'avion et égale à la durée du trajet sous l'intrados (ce qui nous permet, par la suite, d'en déduire une vitesse d'écoulement d'air supérieure sur l'extrados que sur l'intrados, d'où la présence d'une dépression au niveau de l'extrados, conséquence de l'équation de Bernoulli) ?

Première réponse, sans appel :

C'est un vieux canard ça, hélas enseigné mais... faux : sinon comment un avion pourrait voler sur le dos ?
cf. http://users.skynet.be/vdp3f/portance.htm

(Photo Cessna)

"> C'est un vieux canard ça, hélas enseigné mais... faux : sinon comment un
> > avion pourrait voler sur le dos ?

Oui...mais ça me pose problème car je dois enseigner ça à des BTS, en application de l'équation de Bernoulli. Or l'explication est simple si l'on "oublie" ce que tu as dis...et il ne faut pas oublier que la moitié d'une classe de BTS actuelle ne sait pas simplifier la fraction x/(x + x)...il faut rester à un niveau très faible...

Bonjour Tatoche,

Le B.O. t'impose-t-il d'enseigner que la présence d'une portance s'explique par l'équation de Bernouilli ?

Je ne suis ni un grand physicien, ni ingénieur en mécanique des fluides mais je crois savoir que cette théorie n'est pas une simplification de la réalité mais carrément une explication FAUSSE...

Pour liquider rapidement la question scientifique initiale, qui n'est pas le but de ce fil de discussion, on aborde à plusieurs les questions de déviation du vent incident, par un profil porteur (air ou eau, aile ou voile, ou aileron de quille), de l'épaisseur d'air déviée par une aile, sans commune mesure avec l'épaisseur de l'aile (de l'ordre de deux fois 5 à 6 mètres pour un Cessna), en comparaison avec les théories plus savantes et moins parlantes de la circulation (ou vorticité stable) autour du profil porteur en incidence.

Tatoche a écrit :

> ... il explique la différence de vitesse par la présence
> d'écoulement turbulent (tourbillon) qui entoure l'aile dans le sens horaire
> (si l'avion progresse de la droite vers la gauche), l'écoulement laminaire +
> l'écoulement turbulent donne les lignes d'écoulement réelles (comme l'effet
> Magnus) :

Confusion sévère : une circulation non nulle autour de l'aile (ou d'un cylindre de Magnus), ce n'est pas la turbulence !

Bien qu'une circulation non nulle, obtenue par accroissement de vitesse pour passer du régime purement visqueux à celui à R élevé, et présence de turbulence dans le sillage, ne s'obtient que par détachements de petits tourbillons au bord de fuite, donc en présence de turbulence, qui n'intervient pourtant pas dans la modélisation de la portance.

robby a écrit :
> Tatoche a écrit :
>> Je comprends donc, "qu'une circulation non nulle [...] ne s'obtient que par détachement de petits tourbillons"  []
>  > Ca veut bien dire qu'une turbulence est nécessaire pour créer
>  > une circulation non nulle...
>
> tu veux dire, pour la portance, ou en general dans les fluides ?
>
> - "en general": c'est faux
> - "pour la portance": je pense pas, mais faudrait que je révise.
>

Ce doit être un théorème de Joukowski. Voir de près les hypothèses de validité. (1)

Sauf bien sûr au vent arrière, où c'est la traînée seule que l'on utilise, voire que l'on maximise, tant qu'on tient la toile.


(1) Confirmé. Pages 260 à 272 du Landau & Lifchitz, tome 6 : Mécanique des fluides. Edition 1989.

Voir aussi p 418 du Strelkov, Mécanique, éditions Mir.

Le théorème de Joukowski lie la portance à la circulation. Formules trop complexes pour qu'on tente de les écrire avec les moyens usenet.

Les hypothèses simplificatrices utilisées, ne font pas de place à la viscosité ni à la turbulence. Elles se placent d'emblée en un Reynolds assez élevé pour que ce soit l'inertie du fluide qui domine largement sur sa viscosité. L'inévitable turbulence du sillage, supposé mince, ne rentre pas dans le calcul. La couche-limite est aussi négligée dans le calcul. On se contente de la partie approximable par un écoulement irrotationnel de fluide incompressible parfait.

L'inconvénient très sérieux de ce genre de calcul théorique, est qu'il  oublie de renseigner le lecteur sur l'ampleur de la perturbation à distance, que le profil impose au vent incident. Les photos spectaculaires dans le document http://users.skynet.be/vdp3f/portance.htm donnent une idée de l'énormité de cet oubli.
Les jardiniers des Eglantiers, jardins ouvriers sur le flanc NW de la colline de Fourvière, ne sont pas près d'oublier les ravages faits par le souffle de l'hélico de la Protection Civile, venu les inspecter d'un peu près... Les arbres, les toits, les plantations, les clôtures, les tonnelles, tout a dérouillé !

On a aussi vu de petits avions chavirés en vol, parce qu'ils avaient tenté de se poser trop peu de temps après un Jumbo.

C'est sur le plan concret de l'établissement du régime inertiel par augmentation de vitesse depuis l'arrêt - où la circulation aussi est nulle -, qu'un commencement de turbulence se venge du dédain où la théorie la tient : détachement d'assez de tourbillons d'arrière d'extrados, jusqu'à ce que le bord de fuite soit aussi ligne de fuite.
Chacun de ces tourbillons emporte de la circulation, ce qui laisse la circulation opposée autour du profil. C'est celle-là qui génère la portance.

"Turbulence" est un seul mot, qui recouvre pèle-mêle tant et tant de régimes et de variétés distincts : le vocabulaire est très en deçà des besoins en concepts distincts.

Voir aussi le document pédagogique NASA :
http://www.grc.nasa.gov/WWW/K-12/airplane/wrong1.html

Passons à la partie qui nous intéresse dans cette rubrique : le comportement des élèves de BTS :

... puisque Jospin avait demandé 80% de réussite au bac...on y est maintenant et il ne vaut plus grand chose (mais chut, 'faut pas le dire'). Les inspecteurs donnent leurs consignes : moins de théorie, plus de description. Les sujets d'examen s'allègent...(mes élèves actuels sont incapables de faire le moindre sujet antérieur à 2003-2204). Ces inspecteurs  reçoivent leurs consignes du recteur qui lui même les prend du gouvernement.
Attention, je ne parle pas des *programmes* (très jolis sur papier") mais bien du niveau réel acquis par les étudiants.

> > 2 - l'évolution des technique nécessite d'ajouter des choses au programme,
> > faut-il augmenter les horaires ou en supprimer d'autres ?

Ça ne sert à rien si les élèves ne sont pas motivés. Et on en vient au point suivant  :-)

> > Mon problème avec mes BTS, c'est pas tellement leur niveau de départ,
> > certes bas, c'est plutôt leur manque de motivation...

Les miens sont formés en électrotechnique : combien veulent être techniciens supérieurs en électrotechnique : 2 ou 3 sur une classe de 20. Mes cours se passent très bien car on a un très bon contact, mais ce que j'ai fait la veille, je dois le refaire le jour même. La dernière fois j'ai passé 2h30 à construire la relation F = m.a, (expériences, explication des conséquences, explication d'une accélération, d'une force, d'une masse). Au bout de 2h30 j'envoie un élève au tableau : "rappeler la relation fondamentale de la dynamique, seule formule vue en 2h30"...il est incapable de s'en souvenir.
Bon, c'est un nul (pardon, un "non motivé"), j'en envoie un autre : idem, puis un 3ème...idem ! J'ai donc passé 2h30 à brasser du vent, et puis de toute façon on fait une interro, les élèves se ramassent des tôles, ils sont découragés parce qu'ils ne comprennent rien, qu'il faut bosser alors qu'ils n'ont jamais bossé et que ça s'est toujours bien passé. Et l'inspecteur :
"faut que ça se passe bien avec les élèves"...Alors ça se passe bien. Ils sont contents de venir en cours, je fais mon show, je puise des exemples dans la vie courante (le contexte industriel les emmerde), je parle des émissions télé, je leur montre des films de vulgarisation ("c'est pas sorcier"). Ils n'en retiennent rien, mais "l'important c'est de ne pas les dégoûter" comme disent nos inspecteurs. Alors ils ne sont pas dégoûtés (je fais tout pour) ; ils se prennent des tôles mais l'acceptent bien car ils admettent qu'ils ne travaillent pas. Tout le monde est content. (sauf moi qui doit accepter de brasser du vent, vive l'éolienne, c'est à l'ordre du jour)...promotion suivante SVP !!!
A+

On n'a pas le choix...dans ma région c'est à peu près pareil pour tous les
BTS électrotechnique, électronique et Maintenance.
Ou bien je deviens aigris, ou bien je m'adapte...j'ai choisi la 2ème solution !
Cependant attention, il ne faut pas se tromper : les élèves de 2nde ont, en moyenne, un niveau supérieur aux élèves de BTS (dans nos classes de BTS seuls viennent les élèves qui pensaient ne jamais avoir le bac, vu "qu'ils n'avaient pas bossé et qu'ils étaient nuls toute l'année"). Attention aussi : je ne généralise pas ce constat pour tous les BTS (ce constat n'est fait que pour les BTS électrotechnique, électronique et maintenance industriels...) je connais une personne qui fait un BTS dans l'aide sociale (je ne me rappelle plus l'intitulé exacte) et qui est très motivée.
Se rappeler également que pour redoubler une 1ère année de BTS, il faut le demander : j'ai connu plein d'élèves avec 4/20 de moyenne générale passer en 2nde année...donc forcément ça plombe la classe.

"Christophe Dang Ngoc Chan"
> > Si le programme est inadapté à la réalité de l'entreprise, tu n'auras pas
> > de motivation,

La réalité de l'entreprise, ce n'est pas ça qui motive mes BTS...ce qui les motive ce sont les filles !

Tatoche a écrit :
> "Christophe Dang Ngoc Chan"
>> Si le programme est inadapté à la réalité de l'entreprise, tu n'auras pas de motivation,
>
> La réalité de l'entreprise, ce n'est pas ça qui motive mes BTS...ce qui les motive ce sont les filles !

Aussi (ça et l'alcool).

Mais dans mon cas ce sont des apprentis en alternance, ils sont très motivé dans leur boîte, beaucoup moins sur les bancs...

[JacquesL]

Aérodynamique de la portance :

http://cdn-www.airliners.net/aviation-photos/middle/5/0/1/1091105.jpg


L'image vient de
http://www.airliners.net/photo/British-Airways/Boeing-777-236-ER/1091105/
par Steve Morris

[JacquesL]

Ici une vidéo de rase-motte dont le début met en évidence combien l'avion fait de vent sous lui pour pouvoir voler :
http://www.youtube.com/watch?v=i1bdkb-yK_0
Bernoulli ? Pourquoi ne pas laisser hors du (mauvais) coup ce vénérable défunt ?

[JacquesL]

Là c'est un bombardier russe Tu-95 qui laboure la couche de nuage durant son ascension :

[Serma]

Mieux vaut parler physique qu'enseignement, c'est plus réjouissant.

La pièce jointe est un article de 1972 paru dans la revue de l'association des professeurs de physique américains : http://tpt.aapt.org/.

L'auteur se plaint de l'invocation du théorème de Bernoulli pour expliquer la portance et donne la bonne explication. Il nous parle aussi de l'effet sur la balle de base-ball (à transposer au foot).

Il y a aussi l'excellent http://www.figer.com/publications/betisier.htm#373.

Nota : Impossible d'attacher le fichier pour l'instant. J'essaierai plus tard.

[JacquesL]

Ce bug me résiste.