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"Aux cabinets, citoyens !" (Philippe Pouletty)

Démarré par JacquesL, 06 Mars 2007, 03:43:45 PM

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JacquesL

Voir le blog de Philippe Pouletty :
http://philippepouletty.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/03/05/bayrou-et-s%C3%A9go-au-secours-des-incomp%C3%A9tents.html

Citation de: PoulettyLe succès initial de Ségolène Royal et le succès actuel de François Bayrou ont une cause commune: leur mise en lumière de l'incompétence chronique des gouvernements successifs à diagnostiquer, expliquer et résoudre les grands problèmes de la France. Leur solution manque la véritable cible: les cabinets ministériels. Ségolène Royal prétend traiter le problème en encadrant les incompétents par les citoyens via les débats participatifs et les jurys populaires. François Bayrou veut transcender les clivages gauche-droite pour recruter les meilleurs ministres. Le constat global est juste: les gouvernements de gauche comme de droite depuis 20 ou 30 ans n'ont pas fait les grandes réformes nécessaires, n'ont pas eu une politique économique, budgétaire, industrielle, fiscale, sociale, de la recherche, de la santé et de l'éducation cohérente, visionnaire et courageuse. Ils laissent la France dans un état précaire et frileux par rapport aux pays qui avaient des difficultés à surmonter autrement plus importantes tels l'Allemagne avec la réunification, l'Espagne avec la sortie de dictature, l'Irlande avec une pauvreté endémique... Ces pays, devant des enjeux plus mobilisateurs que nos petites histoires de RTT, d'ISF, de RMI, de CSG, de TIPP, de PACS, de PAC, de CPE, ont su séparer l'essentiel de l'accessoire et rassembler leurs médias et leur électorat en faveur de projets difficiles mais enthousiasmants. Faute de grands objectifs de dimension historique et convaincus que la France était un pays difficile à réformer, nos politiques alliés à des médias peu critiques ou pédagogues se sont contentés de gérer "pépère" en privilégiant les prochaines élections (3 ans) au moyen et long terme (10 à 20 ans).

Ségolène Royal et François Bayrou font donc un juste constat : les gouvernements ont été incompétents et il faut changer de méthode. Plutôt que de garder les même "cancres" mais de les guider et surveiller par des électeurs-maîtres d'écoles (Ségolène Royal) ou d'aller chercher à gauche et à droite quelques ministres "stars" collectionneurs de portefeuilles (François Bayrou), proposons une solution réaliste beaucoup plus efficace. Recrutons les meilleurs aux véritables niveaux de pouvoir de l'Etat: les cabinets ministériels. Comme le savent tous nos candidats, ce ne sont pas les ministres (avec quelques exceptions trop rares tels un DSK ou un Borloo) qui gouvernent la France 365 jours par an, ce sont leurs directeurs de cabinet et leurs jeunes conseillers techniques. Pendant que leurs patrons courent d'inaugurations en remises de rubans en plateaux de télévision en visites dans leur circonscription en questions à l'assemblée en salons de l'agriculture... et n'ont plus que quelques heures par mois pour bûcher les dossiers, réfléchir, décider, mettre en oeuvre, évaluer leurs réformes, les conseillers sélectionnent, instruisent ou enterrent les dossiers, décident ou freinent la décision politique. Nulle part ailleurs dans le monde démocratique, un pays n'est gouverné par une population aussi monolithique de brillants décideurs formés sur le même moule quel que soit le gouvernement. A de rares exceptions, les directeurs de cabinet et conseillers techniques se recrutent à la sortie des mêmes grandes écoles, ENA, X-mines... avec parfois un Normalien ou un préfet égaré et jouent aux chaises musicales à chaque remaniement. Individuellement, ces jeunes hauts fonctionnaires sont intelligents et souhaitent bien servir l'Etat, avant de vite rejoindre, en disponibilité protectrice de la fonction publique, le Parlement ou un grand groupe para-étatique. Certains sont d'excellents conseillers et compensent parfois l'insuffisance criante de leur ministre. Malheureusement, le poids de la responsabilité, le goût précoce pour le pouvoir excessivement délégué par leur ministre au nom duquel ils finissent par décider sans même l'avoir consulté, la peur de prendre des décisions novatrices, l'absence d'expérience de terrain, professionnelle ou internationale (hormis le stage de 6 mois à la préfecture de Bourges ou à l'Ambassade de Washington), la prédilection pour les raisonnements théoriques (surtout en matière économique et fiscale...) plutôt que la consultation des acteurs concernés, l'évaluation expérimentale ou la comparaison internationale, la focalisation sur l'unique raison de ne rien faire même lorsque dix bonnes raisons poussent à agir, les parties de ping-pong inter-ministérielles déresponsabilisantes pour rechercher le plus petit dénominateur commun, les liaisons incestueuses entre le Parlement, les cabinets, les grandes entreprises constituent le terreau de la non-réforme et de l'échec du politique. La politique étrangère échappe à ces vices car le Président gouverne en ce domaine sans ministre ni cabinet.

La réforme possible du mauvais management gouvernemental ? Ne pas supprimer l'Ena comme le proposent certains, car les énarques font d'excellents secrétaires généraux et relais administratifs. Ouvrir largement les cabinets ministériels et le Parlement aux hommes et aux femmes les plus compétents, expérimentés et courageux tout en réduisant la main mise de quelques réseaux claniques sur les politiques industrielles et sociales. La "société civile" peut apporter beaucoup de compétences et 60 millions de Français et d'immigrés abritent une richesse d'expériences bien supérieure à celle de quelques centaines de jeunes cooptés. Les gouvernements seront plus efficaces à deux conditions: que les ministres disposent d'un budget adéquat pour recruter et payer les membres de leurs cabinets « au prix du marché » (les ministères recrutent quasi-exclusivement de jeunes fonctionnaires qui n'ont pas besoin d'être rémunérés, sont corvéables à merci et virables ad nutum); de ne pas se contenter d'ouvertures "gadgets" à la société civile telles les Jupettes choisies naguère par Alain Juppé pour leur sourire ou les ethno-associatifs mis en avant par Jospin-Raffarin-Villepin dans des secrétariats d'Etat sans administration ni pouvoir. Ajoutons à cette réforme une interdiction de la mise en disponibilité chronique de la fonction publique en cas d'élection au Parlement et une véritable gouvernance des grandes entreprises évitant les échanges gracieux d'administrateurs amis ou issus des cabinets ministériels... la face du politique en sera bouleversée et la société sera peut-être réconciliée avec ses gouvernants.