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Eugen Fried, chargé par Staline de «bolcheviser» les communistes français.

Démarré par JacquesL, 01 Octobre 2015, 11:08:36 AM

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JacquesL

La biographie d'Eugen Fried, chargé par Staline de «bolcheviser» les communistes français

http://www.liberation.fr/tribune/1997/02/10/livre-la-biographie-d-eugen-fried-charge-par-staline-de-bolcheviser-les-communistes-francais-ecrite-_197452

Citer
Analyse
Livre. La biographie d'Eugen Fried ­ chargé par Staline de «bolcheviser» les communistes français ­ écrite par deux historiens grâce aux archives du Komintern.L'agent qui «purgea» le PCF. Eugen Fried, le grand secret du PCF. Annie Kriegel et Stéphane Courtois. Ed. Le Seuil, 448 pp., 160 F.
Par Jacques AMALRIC — 10 février 1997 à 21:50


Beaucoup d'initiés connaissaient l'existence de son cadavre mais bien peu imaginaient l'ampleur du rôle qu'Eugen Fried avait joué pendant plus de dix ans ­ de 1930 à 1943 ­ dans la vie du PCF. Moins nombreux encore étaient ceux qui avaient une idée de l'homme qui se cachait derrière ce tuteur inflexible de Maurice Thorez et de quelques autres. D'où venait-il? Comment exerçait-il son influence? Qui était-il? Avait-il d'autres goûts, d'autres passions que celle de servir le «Centre», c'est-à-dire Staline?

Grâce au travail consciencieux d'Annie Kriegel ­ emportée par la maladie en août 1996 ­ et de Stéphane Courtois, nous disposons enfin de la plupart des réponses à ces interrogations. Le retour dans l'Histoire du «camarade Clément» n'aura pas été tâche facile; c'est au début des années 80, que Kriegel et Courtois ont eu l'idée de se consacrer à l'entreprise mais ils durent bien vite déchanter, faute de sources accessibles. L'ouverture des archives du Komintern, en 1992 à Moscou, leur permit finalement de mener à bien leur projet, Annie Kriegel se consacrant aux années 1900-1935, et Courtois couvrant la période 1935-1943 tout en revoyant la première moitié du manuscrit, après la mort de son coauteur, pour tenir compte des derniers documents mis à jour.

On comprend sans peine, en refermant ce livre dense (peut être trop, car le scrupule des historiens n'en facilite pas la lecture), pourquoi tous les dirigeants communistes ont été atteints d'amnésie aiguë à propos d'Eugen Fried, dès le lendemain de la guerre. Agir autrement eût été reconnaître que le PCF n'avait été et n'était encore ­ malgré la dissolution toute formelle du Komintern en 1943 ­ que la section française de l'Internationale, au service du parti-Etat soviétique et de ses intérêts. Pas étonnant donc que Thorez n'ait pas un mot pour Fried dans les deux éditions de son autobiographie et qu'il faille attendre 1969 pour qu'Aragon évoque le personnage dans Les Lettres françaises et que Duclos lui rende un hommage convenu dans les Cahiers de l'Institut Maurice-Thorez.

Mais qui donc était Eugen Fried? Tout comme Thorez, il naît en 1900, mais là s'arrête l'analogie. Il est originaire d'une modeste famille juive de la Slovaquie orientale, alors sous influence hongroise. L'enfant est doué, il accède au lycée et entame des études de chimie à l'université de Budapest. Mais il ne les finira jamais; à l'effondrement de l'Empire austro-hongrois, en 1918, il choisit, comme beaucoup de jeunes juifs d'Europe centrale et orientale, le bolchevisme et s'engage dans la révolution de Béla Kun. Kun échoue, se réfugie à Moscou et Fried effectue son premier séjour en prison. Lorsqu'il en sort, il se retrouve de nationalité tchécoslovaque et entame une carrière de propagandiste au sein du parti communiste. Elle lui vaudra un deuxième emprisonnement, de 1925 à 1927, puis des ennuis avec le Komintern, qui le soupçonne de gauchisme (ce sera bien la dernière fois!). Une autocritique suffit à le remettre en grâce; il est d'ailleurs appelé à Moscou et c'est de là, formé au «travail conspiratif» préconisé par Lénine, qu'il sera envoyé en France comme représentant du Komintern auprès d'un PCF alors en pleine déconfiture.

La mission de Fried est claire: il doit «bolcheviser» un Parti communiste encore trop marqué par ses origines sociales-démocrates et anarcho-syndicalistes, le protéger de toute contamination trotskiste, mettre fin aux rivalités personnelles, bref arracher les mauvaises herbes grâce à une impitoyable politique des cadres (la commission du même nom sera créée en 1932) et installer à la tête du Parti des hommes avant tout fidèles à Moscou. Le but sera atteint en quelques années par un Fried qui sait aussi bien jouer de son charme persuasif que de la menace faussement contrite. Barbé et Célor, contre lesquels il monte un procès en fractionnisme, en feront les frais au profit du quatuor Thorez, Duclos, Frachon et Marty. En 1934, ce sera au tour de Doriot, coupable d'avoir dénoncé trop tôt aux yeux de Moscou, le danger de la montée du nazisme allemand. Ce qui n'empêchera nullement le PCF de se rallier un an plus tard à la tactique du Front populaire désormais prônée par Staline. Après les élections de1936, cependant, Fried imposera au PCF la politique de soutien sans participation au gouvernement Blum. De la même façon, il vivra sans état d'âme les purges staliniennes qui déciment les rangs de ses amis kominterniens, y allant de ses dénonciations mais échappant de peu à la détestation que lui portait Marty. La signature du pacte germano-soviétique ne lui posera pas plus de problèmes tandis qu'il organise la désertion de Thorez en URSS, via la Belgique, où il s'installe en 1939 pour continuer à tirer les ficelles du PCF. C'est à Bruxelles qu'il sera assassiné en 1943, non par la Guépéou comme on l'avait soupçonné, mais par la Gestapo qui n'a pas su qu'elle venait d'éliminer un des agents les plus efficaces de Staline.

«Conspiratif», mais aussi intellectuel et dandy Tous les témoignages recueillis par Annie Kriegel et Stéphane Courtois permettent de brosser un portrait contrasté de Fried. Ce révolutionnaire professionnel dévoué à Staline était aussi un homme extrêmement cultivé, lisant beaucoup, curieux de tout, courant les théâtres et les galeries de peinture entre deux rendez-vous «conspiratifs». Grand, élégant, séduisant et le sachant, toujours habillé avec recherche, il était d'une extrême courtoisie, élevant rarement la voix même à l'encontre de ceux qu'il avait décidé (ou reçu l'ordre) d'éliminer. Il était aussi très prévenant à l'égard de ses collaborateurs, mais les abandonnait sans hésitation dès qu'ils étaient soupçonnés de quelque déviation par le «Centre». Il parlait couramment (et écrivait avec plus ou moins de bonheur) le hongrois, le tchèque, l'allemand, le français, le yiddish, le russe, l'anglais. Il pouvait aussi s'exprimer en italien, avait appris le turc dans sa jeunesse et étudiait le néerlandais lorsqu'il a été assassiné.

Marié en 1927 avec une jeune militante slovaque, il la quittera deux ans plus tard, lorsqu'il sera appelé au Komintern, par Dimitri Manouilski, qui fut longtemps l'homme de Staline à l'Internationale. En France, Fried aura une liaison avec Ana Pauker, la «pasionaria» roumaine qui avait été envoyée un moment en mission par le Komintern. Une fille, Maria, naîtra à Moscou de cette liaison. Elle sera ramenée en France par Fried et sera élevée d'abord par les parents d'Aurore Memboeuf, la première femme de Thorez, puis par Fried et Aurore, qui vécurent ensemble à partir de 1934, date du divorce de Thorez et d'Aurore. Le couple Fried-Aurore éleva aussi le fils de Thorez et d'Aurore, Maurice Thorez junior.

Jacques AMALRIC