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"Moi je sais comment tu devrais vivre".

Démarré par JacquesL, 19 Février 2007, 03:03:21 PM

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JacquesL

"Moi je sais comment tu devrais vivre."
Écrit par Erotisme. Le 16/01/2001 sur Reseaucontact.com.


Citation de: ErotismeMoi, je sais comment tu devrais vivre...

J'étais assis sur la terrasse de ma villa à Diébougou, Burkina Fasso, avec Dieudonné et Hubert que
j'avais invités à prendre un pot. En fait une grosse Bravolta... presque chaude, (bières)
Pis il y avait aussi Bibiane, je pense que c'est son nom, qui les accompagnait. Bibiane venait du
même village que Dieudonné et Hubert.
Aux travers des discussions, nous en sommes venu à discuter du statut de la femme dans leur pays.
Ça prend un certain temps, un bon bout de temps je dirais, pour un étranger de pouvoir discuter de
certains sujets, sujets reliés aux traditions et aux habitudes sociologiques de ce pays, sans que cela
soit mal perçu, et surtout pour recevoir des réponses à des questions qu'on peut poser. J'étais
parvenu à avoir franchi ce temps, et me faisant confiance, la discussion était franche et ouverte.

Erotisme : Eh vous autres les hommes, comment vous faites pour être à l'aise en voyant une femme
qui fait 20 km le matin avec un bébé dans le dos, un autre sur la poitrine enveloppé avec du tissu, un
fagot de bois sur la tête pis deux contenants plein d'eau accrochés à une tige de bois posée sur ses
épaules, alors que son mari lui marche avec rien dans les mains, 3 ou 4 mètres en avant d'elle ?


Dieudonné : Mais voyons Erotisme, l'homme ne peut pas avoir les mains encombrées, il se doit
d'être prêt à défendre sa femme si des mauvais garnements l'attaquent, me dit-il avec un sourire.


Et Hubert de sourire aussi, et Bibiane de ne rien dire.

Hubert : D'ailleurs Erotisme, c'est comme cela depuis toujours.

Erotisme : Mais voyons donc les gars, c'est plus comme avant, il n'y a plus personne qui attaque les
gens sur les pistes. Les guerres ethniques dans votre pays, ça fait longtemps que c'est fini quand
même. Toi Bibiane, qu'en penses-tu ?


Bibiane, avec sa grosse bière dans les mains, de me faire un rire gêné et vide de sens.

Dieudonné : Tu vois Erotisme, elle n'a pas d'opinion. C'est comme cela les femmes. Il y a bien des
Européennes et des Nord-Américaines qui viennent ici de temps en temps, pour faire tenter de
changer certaines choses par rapport aux femmes vs les hommes, dans le cadre de projets
"humanitaires". Les femmes les écoutent poliment, mais quand les étrangères partent, ben les
femmes rentrent dans les rangs. Elles savent ce qu'elles ont à faire.

Erotisme : Mais voyons Dieudonné, tu es un professeur, tu lis régulièrement toutes sortes de revues,
journaux et magazines européens, tu fais partie de l'élite de ton pays, comment peux-tu ne pas voir
que c'est un manque d'évolution normal que de voir les choses ainsi ? Ne crois-tu pas que le
développement de ton pays devrait entre autres passer par le rehaussement du statut des femmes qui
composent la moitié de votre population ?


Hubert : Erotisme, je ne crois pas que tu aies des leçons à nous donner sur l'évolution et le
développement. Voudrais-tu qu'on commence à traiter nos vieux comme vous autres ?... Vous vous
en débarrassez en les casant dans des maisons où ils attendent la mort, pour vous autres les vieux
sont un fardeau alors que nous, on ne prend aucune décision importante sans les consulter. On
profite de la sagesse qu'ils ont acquis au cours de leur vie pour nous guider dans le futur. Pis on en
prend soin en plus, malgré nos moyens limités par rapport à vous autres.


Dieudonné : Pis regarde ce que tes ancêtres ont fait des premiers habitants de ton pays. La même
chose que les Européens ont tenté de faire avec nous en nous colonisant. Tu crois que vous êtes
meilleurs ?


Oups.... Moi le coopérant qui connaissais tout, ce qui était bon pour eux autres, j'en prenais un coup.
Leçon d'humilité, mets-en.

Erotisme : Oui je sais, mais les femmes ? dis-je tentant de ramener le sujet sur quelque chose de
moins gênant pour moi. Allez-vous faire quelque chose ?

Dieudonné : Tu sais Erotisme, les gens qui viennent ici pour nous aider, on les apprécie comme t'as
pas idée. On a besoin de vous autres. Mais on se dit des fois aussi, que tout en appréciant l'aide
fournie, nourriture, travaux d'infrastructure ( puits, route etc..,), et éducation, ben on aimerait des
fois qu'ils cessent de vouloir importer leur modèle de société chez nous. Aidez-nous en nous
fournissant l'encadrement, mais laissez-nous évoluer vers des modèles de société qui nous seront
propres, en continuité avec nos traditions et notre histoire. Et oui en temps et lieu, des choses
comme la place des femmes dans notre société vont se développer en temps et lieu, et de façon
durable, mais en continuité avec les modèles que nous pourrons développer.



C'est depuis ce jour là que j'ai compris que l'aide internationale était souvent de la bullshit. Oui pour
l'aide humanitaire lors de famine ou de cataclysme naturel, ça c'est du straight forward (nourriture
etc..)
Mais le reste, souvent des coups d'épée dans l'eau. Les gens sont polis parce qu'ils sont en besoin, ils
font semblant de t'écouter parce qu'ils ne veulent pas perdre l'aide que tu leur apportes. Mais ils
refusent les modèles que tu tentes d'implanter à grands coups de dollars. Il faut le comprendre.
Pis y a pas que les Américains qui sont comme cela, les Canadiens aussi, nous autres aussi.
Et surtout, ce jour là, le respect que j'avais pour les gens du Burkina Fasso a grimpé d'un cran
énorme... et le reste de mon mandat là bas a gagné en qualité et en réalisme,
Et enfin, j'ai appris...

Erotisme

J'ai depuis longtemps ce texte dans mes archives, et je l'estime toujours autant. Je n'ai demandé aucune autorisation à son auteur, car je ne sais comment le joindre.

JacquesL

Cessez de vouloir "sauver" l'Afrique !
LE MONDE | 28.07.07 | 13h49  •  Mis à jour le 28.07.07 | 14h02

A l'automne 2006, peu après mon retour du Nigeria, je fus interpellé par une blonde et guillerette étudiante dont les yeux bleus paraissaient assortis aux perles du bracelet "africain" qu'elle portait au poignet. "Sauvez le Darfour !", criait-elle derrière une table couverte de brochures exhortant les étudiants à "agir tout de suite !", à "arrêter le génocide au Darfour !". Mon aversion à l'égard de ces étudiants qui s'impliquent à corps perdu dans des causes à la mode faillit me faire tourner les talons, mais le cri qu'elle jeta ensuite m'immobilisa.

"Vous ne voulez donc pas nous aider à sauver l'Afrique ?", hurla-t-elle. Il semblerait que depuis quelque temps, rongé de culpabilité par la crise humanitaire qu'il a provoquée au Moyen-Orient, l'Occident se tourne vers l'Afrique pour y chercher la rédemption. Des étudiants idéalistes, des célébrités comme Bob Geldof et des politiciens comme Tony Blair se sont fixé pour mission d'apporter la lumière au continent noir. Ils arrivent en avion pour effectuer un internat ou participer à une mission d'enquête, ou encore pour adopter un enfant, un peu comme mes amis et moi, à New York, prenons le métro pour aller adopter un chien abandonné à la fourrière.

C'est la nouvelle image que veut se donner l'Occident : une génération sexy et politiquement active dont la méthode préférée pour faire passer son message est de publier de pleines pages de magazines avec des célébrités au premier plan et de pauvres Africains déshérités derrière. Et tant pis si bien souvent les stars dépêchées pour secourir les indigènes ont un air délibérément aussi émacié que ceux qu'elles veulent aider.

Mais ce qui est peut-être plus intéressant encore, c'est le langage employé pour décrire l'Afrique que l'on entend sauver. Par exemple, la campagne lancée par l'association Save the Children, intitulée "I am African", présente des portraits de célébrités occidentales majoritairement blanches avec des "marques tribales" peintes sur le visage au-dessus du slogan I am African imprimé en grosses capitales. Dessous, en lettres plus petites, apparaît la phrase : "Aidez-nous à arrêter l'hécatombe."

Même bien intentionnées, ces campagnes propagent le stéréotype d'une Afrique qui serait un trou noir de maladie et de mort. Articles et reportages ne cessent d'évoquer les dirigeants africains corrompus, les seigneurs de guerre, les conflits "tribaux", les enfants exploités, les femmes maltraitées et victimes de mutilation génitale. Ces descriptions apparaissent sous des titres tels que "Bono peut-il sauver l'Afrique ?" ou "Les Brangelina parviendront-ils à sauver l'Afrique ?" La relation entre l'Afrique et l'Occident n'est plus fondée sur des préjugés ouvertement racistes, mais de tels articles rappellent les beaux jours du colonialisme européen, quand on envoyait des missionnaires en Afrique pour nous apporter l'éducation, Jésus-Christ et la "civilisation".

Tout Africain, moi compris, ne peut que se réjouir de l'aide que nous apporte le monde, mais cela ne nous empêche pas de nous demander si cette aide est vraiment sincère ou si elle est faite dans l'idée d'affirmer sa supériorité culturelle. Je ressens toujours un certain malaise lorsque, dans une soirée caritative, l'organisateur récite une litanie de désastres africains avant de faire monter sur scène une personne (généralement) riche et blanche qui s'empresse d'exposer ce qu'il ou elle a fait pour les pauvres Africains affamés.

Chaque fois qu'une étudiante pourtant sincère évoque les villageois qui ont dansé pour la remercier de son aide, je fais la grimace. Chaque fois qu'un réalisateur hollywoodien tourne un film sur l'Afrique dont le héros est occidental, je secoue la tête - parce que les Africains, alors que nous sommes des personnes bien réelles, ne font que servir de faire-valoir à l'image fantasmée qu'a l'Occident de lui-même. Et non seulement de telles descriptions ont tendance à ignorer le rôle parfois essentiel qu'a joué l'Occident dans la genèse de nombreuses situations déplorables dont souffre le continent, mais elles ignorent également le travail incroyable qu'ont accompli et que continuent à accomplir les Africains eux-mêmes pour résoudre ces problèmes.

Pourquoi les médias persistent-ils à dire que les pays africains se sont vu "accorder l'indépendance par leurs anciens maîtres coloniaux", et non qu'ils ont combattu et versé leur sang pour obtenir leur liberté ? Pourquoi Angelina Jolie et Bono bénéficient-ils de toute l'attention médiatique pour leur travail en Afrique alors que Nwankwo Kanu ou Dikembe Mutombo, tous deux africains, ne sont pratiquement jamais mentionnés ? Comment se fait-il que l'on s'intéresse plus aux bouffonneries de cow-boy auxquelles se livre un ancien diplomate américain de second rang au Soudan qu'aux nombreux pays africains qui y ont envoyé troupes et vivres et ont consacré d'interminables heures à négocier un règlement entre toutes les parties impliquées dans cette crise ?

Il y a deux ans, j'ai travaillé dans un camp de personnes déplacées au Nigeria, les survivants d'un soulèvement qui avait entraîné la mort de 1 000 personnes et le déplacement de 200 000 autres. Fidèles à leur habitude, les médias occidentaux parlèrent longuement des violences, mais pas du travail humanitaire que les autorités locales et nationales accomplirent - avec très peu d'aide internationale - en faveur des survivants. Des travailleurs sociaux ont consacré leur temps et, dans de nombreux cas, donné leur propre salaire afin de venir en aide à leurs compatriotes. Ce sont eux qui sauvent l'Afrique, et, de même que pour beaucoup d'autres à travers le continent, leur travail ne trouve aucun crédit à l'extérieur.

Le mois dernier, le groupe des huit pays les plus industrialisés s'est réuni en Allemagne avec une brochette de célébrités afin de discuter, entre autres sujets, de la façon de sauver l'Afrique. J'espère qu'avant le prochain sommet du G8 le monde aura enfin compris que l'Afrique ne veut pas être sauvée. L'Afrique veut que le monde reconnaisse qu'au travers de partenariats équitables avec d'autres membres de la communauté internationale elle sera elle-même capable d'une croissance sans précédent.

Traduit de l'anglais par Gilles Berton

© 2007

Uzodinma Iweala est écrivain nigérian


Uzodinma Iweala
http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3232,50-940007,0.html
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-940007@51-647065,0.html