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Et la CIA créa Google…

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Par Nafeez Ahmed – 22 janvier 2015 – Sources zeroedge.com via medium.com

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Au cœur du réseau caché derrière la surveillance de masse, les guerres sans fin, et Skynet…

« Insurge Intelligence, un nouveau projet de journalisme d’investigation en financement participatif, révèle en exclusivité les méthodes employées par les agences de renseignement étasuniennes pour financer, couver et incuber Google, dans le dessein de dominer le monde au travers du contrôle de l’information. Google, financée dès le tout début par la NSA et la CIA, ne fut ni la première, ni la dernière jeune pousse du secteur privé à se voir cooptée par les renseignements américains pour maintenir une ‘supériorité informationnelle’.

Les origines de cette stratégie ingénieuse remontent à un groupe secret sponsorisé par le Pentagone, qui a joué le rôle de lien, ces vingt dernières années, entre le gouvernement étasunien et les élites des mondes des affaires ; de l’industrie ; de la finance ; des multinationales ; et des médias. Ce même groupe a permis à des intérêts bien particuliers des grandes sociétés étasuniennes d’éluder systématiquement tout contrôle démocratique et même les lois, afin d’influencer les politiques du gouvernements et de façonner les opinions publiques aux USA et partout dans le monde. Les résultats en sont désastreux : la surveillance de masse exercée par la NSA, un état permanent de guerre mondiale, et des actions récentes visant à transformer l’armée étasunienne en Skynet. »

Nous publions le présent rapport sans restriction, dans l’intérêt général, et rappelons qu’il fut permis par un financement participatif. Je voudrais remercier la communauté fantastique qui m’a soutenu, et sans laquelle ce travail d’enquête en profondeur n’aurait pas pu se tenir. S’il vous plaît, continuez de soutenir les journalistes indépendants dans leurs enquêtes sur les grands sujets qui nous concernent tous.

Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo à Paris, les gouvernements occidentaux se hâtent de légiférer pour attribuer de nouveaux pouvoirs à la surveillance de masse, et au contrôle d’Internet, le tout au nom de la lutte contre le terrorisme.

Les hommes politiques, des deux côtés de l’Atlantique, ont appelé à protéger l’espionnage type NSA, et à faire progresser les possibilités d’entraver la vie privée sur internet, en rendant le chiffrement illégal. Une idée qui se répand consiste à vouloir, via un partenariat avec les télécoms, effacer unilatéralement tout contenu considéré comme « propageant la haine et la violence », dans des situations considérés comme « appropriées ». Des discussions énergiques sont en cours dans les gouvernements et les parlements, pour rompre le principe de confidentialité des échanges entre l’avocat et son client.

Il paraît bien mystérieux de se figurer en quoi l’une ou l’autre de ces actions aurait pu empêcher les attentats de Charlie Hebdo, d’autant plus qu’il est établi que les terroristes étaient connus des services de renseignement français depuis une dizaine d’années.

En fait, il n’y a rien de bien nouveau jusqu’ici. Les atrocités du 11 septembre furent le début d’une longue série d’attentats terroristes, à chaque fois suivis par des extensions incroyables des pouvoirs des États, au détriment des libertés publiques, sur fond d’envoi de troupes dans les régions considérées comme des points chauds hébergeant des terroristes. À ce stade, aucune indication n’incite à penser que cette formule, pourtant tant employée, ait fait baisser les niveaux de danger. En revanche, il apparaît que nous nous enfermons dans une spirale infernale de violence, sans réelle possibilité d’en sortir.

Alors que nos gouvernements maintiennent la pression pour gagner en pouvoir, Insurge intelligence peut à présent révéler l’étendue de l’implication de la communauté du renseignement étasunienne dans la couvaison des plate-formes web que nous connaissons aujourd’hui, dans le but précis d’utiliser la technologie comme mécanisme de combat dans une « guerre de l’information » mondiale, visant à faire apparaître comme légitime le pouvoir de quelques-uns sur nous tous. Le pilier de cette étude est l’entreprise qui définit le XXIème siècle à de multiples égards, de par son omniprésence imperceptible : Google.

Google se pare des atours d’une société technologique amicale, branchée, simple à utiliser, ayant bâti son succès par une combinaison de talent, de chance et d’innovation authentique. Et toutes ces facettes sont réelles. Mais elles ne constituent qu’un fragment de l’histoire. Dans la réalité, Google est un écran de fumée, derrière lequel évoluent les acteurs du complexe militaro-industriel étasunien.

L’histoire racontée de l’intérieur de la montée de Google, révélée pour la première fois par ces lignes, dévoile une pieuvre dont les tentacules vont bien plus loin que Google ; de manière inattendue, elle dévoile l’existence d’un réseau parasite, qui conduit les évolutions de l’appareil de sécurité nationale étasunien, et tire des profits obscènes de son fonctionnement.

Le réseau caché

Depuis une vingtaine d’années, les stratégies étasuniennes en matière de politique étrangère et de renseignement ont amené à une « guerre contre la terreur » mondiale, constituée d’invasions militaires prolongées dans le monde musulman et d’une surveillance totale des populations civiles. Ces stratégies ont été incubées, pour ne pas dire imposées, par un réseau caché, qui prend ses racines au Pentagone, mais s’est développé également en dehors.

Ce réseau bip-artisan – mis en place sous l’administration Clinton, consolidé sous Bush, et fermement enraciné depuis Obama, et composé surtout d’idéologues néo-conservateurs – a scellé sa domination sur le département de la défense étasunien (le DoD) début 2015, par l’intervention d’une obscure entité privée distincte du Pentagone, mais pilotée par le Pentagone.

En 1999, la CIA créait sa propre société d’investissement en capital risque, In-Q-Tel, pour financer les jeunes pousses prometteuses, qui pourraient créer des technologies intéressant les agences de renseignement. Mais l’inspiration derrière In-Q-Tel en était antérieure ; elle remonte au moment où le Pentagone créa ses propres émanations privées.

Connu sous le nom de « Highlands Forum » [littéralement « Forum des hauts-plateaux », NdT], ce réseau privé a opéré comme lien entre le Pentagone et les puissantes élites étasuniennes extérieures à l’appareil militaire, depuis le milieu des années 1990. Au gré des changements survenus dans les administrations civiles, le réseau autour du Highlands Forum a réussi à accroître avec le temps sa main-mise sur la politique de défense étasunienne.

Les gigantesques fournisseurs privés de la défense, comme Booz Allen Hamilton et Science Applications International Corporation sont parfois appelés « communauté cachée du renseignement » en raison des porosités qui existent entre eux-mêmes et le gouvernement, et de par leur capacité à influencer et en même temps tirer profit de la politique de défense. Ces fournisseurs sont en concurrence entre eux pour le pouvoir et pour l’argent, mais ils savent également collaborer entre eux quand il le faut. Depuis 20 ans, le Highlands Forum constitue un espace de rencontre discret entre certains des plus puissants  membres de la communauté cachée du renseignement, avec des officiels du gouvernement étasunien, ainsi que d’autres dirigeants d’industries choisies.

J’ai été confronté pour la première fois à l’existence de ce réseau en novembre 2014, alors que je travaillais sur un article pour Motherboard [un journal en ligne édité par VICE, NdT]. J’avais alors été amené à signaler que le secrétaire étasunien à la défense, Chuck Hagel, venait d’annoncer que la « Defense Innovation Initiative » visait à construire Skynet – ou quelque chose qui lui ressemblerait, dans le but suprême de dominer l’ère naissante de la guerre par robots automatisée.

Cet article se basait sur un « livre blanc » obscur, financé par le Pentagone, publié deux mois auparavant par la National Defense University (NDU) de Washington DC, une institution importante de l’appareil militaire étasunien, qui, parmi d’autres choses, produit des recherches visant à développer la politique de défense étasunienne aux plus hauts niveaux. Le livre blanc clarifiait les idées qui sous-tendaient cette nouvelle initiative, ainsi que les développements scientifiques et technologiques révolutionnaires sur lesquels il espérait capitaliser.

Le Highlands Forum

L’un des auteurs de ce livre blanc du NDU est Linton Wells, un ancien dirigeant militaire étasunien, qui avait tenu le poste de directeur des systèmes d’information du Pentagone sous l’administration Bush, parmi ses fonctions, il supervisait la National Security Agency (NSA) ainsi que d’autres agences d’espionnage. Il dispose encore d’habilitations de sécurité au niveau top-secret, et si l’on en croit un article du journal Government Executive, il présidaen 2006 le Highlands Forum, fondé par le Pentagone en 1994.

Linton Wells II (à droite), ancien DSI du Pentagone et assistant du secrétaire de la défense pour les réseaux, lors d’une session récente du Highlands Forum au Pentagone. Rosemary Wenchel, une dirigeante du département étasunien de la sécurité intérieure, est assise à ses cotés.

 

Le journal New Scientist (article à accès payant) a comparé le Highlands Forum à une réunion d’élites semblable à « Davos, Ditchley et Aspen », avec ceci de plus qu’il est « beaucoup moins connu du public, mais tout aussi influent ». Les sessions du Forumrassemblent « des personnalités innovantes pour décrire les interactions entre le monde politique et la technologie. Ses plus grands succès résident dans le développement de la guerre en réseau de haute technologie ».

Au vu du rôle joué par Wells dans un tel Forum, il n’était peut-être pas surprenant que son livre blanc sur la transformation de la défense ait un impact aussi profond sur les politiques décidées par le Pentagone. Mais si tel fut le cas, pourquoi personne ne s’en est-il rendu compte ?

Bien qu’il soit soutenu par le Pentagone, je n’ai pas réussi à trouver la moindre page officielle sur le site internet du DoD qui fasse référence au Highlands Forum. Mes sources au sein de l’armée et des renseignements, actives ou retraitées, n’avaient jamais entendu parler de ce Forum, pas plus qu’aucun journaliste spécialisé sur les sujets de sécurité nationale. J’étais déconcerté.

La société de capital risque intellectuel du Pentagone

Dans le prologue de son livre de 2007, dont le titre est Une foule d’individus : l’avenir de l’identité individuelle, [titre original : A Crowd of One : The Future of Individual Identity, NdT], John Clippinger, un scientifique du MIT membre du Media Lab Human Dynamics Group, décrivait sa participation à une rencontre du Highlands Forum, une « instance réservée aux personnes invitées, financée par le département de la défense et présidée par l’assistant aux réseaux et à l’intégration de l’information ». Il s’agissait d’un poste de haute direction du DoD, supervisant les opérations et les politiques des agences d’espionnage les plus puissantes du Pentagone, parmi lesquelles, entre autres, la NSA ou la Defense Intelligence Agency (DIA). À partir de 2003, ce poste se transforma en ce qu’on appelle aujourd’hui « sous-secrétaire à la défense pour le renseignement ». Le Highlands Forum, écrit Clippinger, fut fondé par Dick O’Neill, un capitaine de l’US Navy à la retraite. On trouve parmi ses membres des haut gradés de l’armée étasunienne et de nombreuses agences et divisions – « des capitaines ; des contre-amiraux ; des généraux ; des colonels ; des majors et des commandants » ainsi que des « membres de la direction du DoD ».

Sur ce qui au départ pouvait passer pour le site web principal du Forum [qui a cessé de répondre après la parution de l’article, on vous met ici un lien où il a été archivé, NdT], on trouvait une description de Highlands sous les termes d’« un réseau informel multi-disciplinaire, soutenu par le gouvernement fédéral », s’intéressant principalement à « l’information, la science et la technologie ». Avec bien peu d’explications, à part un simple logo Département de la Défense.

Mais Highlands dispose également d’un autre site web [même remarque que la précédente note, NdT], qui se décrivait comme « société de capital-risque intellectuel », disposant d’une « grande expérience aux côtés des dirigeants de sociétés, des organisations et du gouvernement ». La société propose un « large panel de services, parmi lesquels : projection stratégique, création de scénarios et mise en situation pour l’extension des marchés mondiaux », ainsi que « des travaux menés avec des clients pour établir des stratégies de direction ». Selon le site web, The Highlands Group Inc. organise toute une gamme de forums sur ces sujets.

Par exemple, outre le Highlands Forum, le groupe anime depuis le 11 septembre le Island Forum, un événement de portée internationale, tenu conjointement avec le ministère de la défense de Singapour, et chapeauté par O’Neill sous le titre de « consultant principal ». Le site web du ministère de la défense de Singapour décrit le Island Forum comme « calqué sur le Highlands Forum [à Singapour également, les sites internet cessent de répondre… même note que les deux précédentes, NdT], qui est organisé par le département étasunien de la défense ». Des documents fuités grâce à Edward Snowden, le lanceur d’alertes de la NSA, sont venus confirmer que Singapour jouait un rôle clé dans l’espionnage de données par les USA et l’Australie sur les câbles sous-marins, aux fins d’espionner les puissances asiatiques, telle que l’Indonésie et la Malaisie.

Le site web du Highlands Group révèle également que Highlands dispose d’un partenariat avec l’un des fournisseurs privés les plus importants dans le domaine de la défense étasunienne. Highlands est « soutenu par un réseau de sociétés et de chercheurs indépendants », parmi lesquels « notre partenaire du SAIC dans le cadre du Highlands Forum depuis 10 ans ; ainsi que le vaste réseau de participants au Highlands Forum ».

SAIC est l’acronyme d’une société de défense étasunienne, la Science Applications International Corporation, qui s’est vue renommée en Leidos en 2013, et donc SAIC constitue désormais une filiale. SAIC/Leidos figure au top 10 des plus grands fournisseurs de la défense étasunienne, et travaille main dans la main avec la communauté du renseignement étasunienne, en particulier avec la NSA. Selon le journaliste d’investigation Tim Shorrock, qui fut le premier à lever le voile sur les immenses privatisations des renseignements étasuniens dans son livre Spies for Hire, (Espions à louer), la SAIC a une « relation symbiotique avec la NSA : l’agence constitue le principal client de la société, et la SAIC est le principal fournisseur de la NSA ».

Richard ‘Dick’ Patrick O’Neill, président fondateur du Highlands Forum pour le Pentagone

 

Le nom complet du Capitaine « Dick » O’Neill, le président fondateur du Highlands Forum,est Richard Patrick O’Neill ; il quitta la Navy pour rejoindre le DoD. Son dernier poste en date, avant qu’il crée le Highlands Forum, y fut : Adjoint à la stratégie et aux politiques, pour le bureau du secrétaire adjoint de la défense aux renseignements, commandes, contrôle et communications, [deputy for strategy and policy in the Office of the Assistant Secretary for Defense for Command, Control, Communications and Intelligence, NdT].

Le Club de Yoda

Mais Clippinger révèle qu’il n’est pas le seul personnage mystérieux adulé par les membres du Forum :

Il restait assis au fond de la salle, son visage restant un masque sans expression, derrière des lunettes bordées de noir. Je ne l’ai jamais entendu prononcer un seul mot… Andrew (Andy) Marshall est une icône au sein du DoD. Certains l’appellent même Yoda, ce qui illustre son statut mythique et impénétrable… Il a tenu des postes dans de nombreuses administrations, et est largement considéré comme au-dessus des politiques partisanes. Il soutint le Highlands Forum et y participa régulièrement dès sa création.

Marshall dirige depuis 1973 l’une des agences les plus puissantes du Pentagone : l’Office of Net Assessment (ONA), le « laboratoire d’idées » interne du département de la défense étasunien, connu pour avoir mené des recherches et des projets hautement confidentiels pour la politique de défense étasunienne, reliant l’armée et la communauté de renseignement du pays. L’ONA a joué un rôle clé dans les projets stratégiques majeurs du Pentagone, parmi lesquels la stratégie maritime, l’initiative de défense stratégique, l’initiative des stratégies compétitives, et la révolution des affaires militaires [respectivement, Maritime Strategy, Strategic Defense Initiative, Competitive Strategies Initiative et Revolution in Military Affairs, NdT].

Andrew ‘Yoda’ Marshall, directeur de l’Office of Net Assessment (ONA) au sein du Pentagone, et co-dirigeant du Highlands Forum, lors de l’une des premières rencontres du Highlands en 1996 au Santa Fe Institute. Marshall est en retraite depuis janvier 2015.

 

Dans un rare portrait établi en 2002 pour Wired, le journaliste Douglas McGray décrivait Andrew Marshall, maintenant âgé de plus de 95 ans, comme « parmi les plus insaisissables » mais « parmi les plus influents » des dirigeants du DoD. McGray ajoutait que « le Vice Président Dick Cheney, le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, ainsi que le Secrétaire adjoint Paul Wolfowitz », largement reconnus comme les faucons du mouvement politique néo-conservateur étasunien, figuraient parmi les « principaux protégés » de Marshall.

Le président fondateur du Highlands Forum, s’exprimant quelques mois après le 11 septembre dans un séminaire discret tenu par l’université de Harvard, décrivit Marshall comme bien plus qu’un « participant régulier » au forum. « Andy Marshall est notre vice-président, si bien que de manière indirecte, tout ce que nous faisons repasse dans les tuyaux d’Andy », affirma-t-il à l’auditoire. « Les gens qui participent au forum peuvent revenir directement soumettre des rapports à Andy sur toute la gamme de sujets, pour les synthétiser ». Il avait également ajouté que le Forum disposait d’un troisième vice-président en la personne d’Anthony J. Tether, directeur de l’Agence des projets et recherches en défense avancée [Defense Advanced Research and Projects Agency, la celèbre DARPA, Ndt], désigné à l’époque par Rumsfeld. Avant de rejoindre la DARPA, Tether fut vice-président de la Branche des hautes technologies de la SAIC.

Anthony J. Tether, directeur de la DARPA, et vice-président du Highlands Forum au sein du Pentagone entre juin 2001 et février 2009

 

L’influence du Highlands Forum sur la politique de défense étasunienne a donc agi suivant trois vecteurs principaux : le soutien que l’organisation reçut de la part du Bureau du secrétaire de la défense (qui, au milieu des années 2000, muta en Bureau du sous-secrétaire à la défense dédié au renseignement, chargé d’administrer les trois principales agences de renseignement) ; ses liens directs avec l’ONA d’Andrew « Yoda » Marshall ; et ses liens directs avec la DARPA.

Une diapositive de la présentation de Richard O’Neill à l’Université de Harvard, en 2001

 

Clippinger, dans Une foule d’individus, explique que « ce qui se produit lors de rencontres informelles comme celles du Highlands Forum, a pu, au fil du temps et en suivant des lignes d’influences inattendues et étranges, avoir un impact immense, pas seulement au sein du DoD, mais dans le monde entier ». Il écrit que les idées du Forum ont changé au fil du temps, « d’hérétiques, elles ont peu à peu conflué dans la pensée dominante. Des idées qui constituaient un anathème en 1999 sont devenues des politiques à peine trois années plus tard ».

Quoique le Forum ne produise pas de « recommandations de consensus », son impact est plus profond que celui de comités consultatifs gouvernementaux traditionnels. « Les idées qui émergent de ces rencontres sont à la disposition des décideurs ainsi que des membres des groupes de réflexion »selon O’Neill :

« Nous invitons des gens de Booz, de la SAIC, de la RAND, et d’autres, à nos rassemblements… Ce genre de sociétés sont les bienvenues, car, pour être honnête, elles sont sérieuses. Elles sont là pour longtemps, et sont en mesure d’influencer les politiques gouvernementales par un vrai travail scientifique… Nous produisons des idées, des interactions et des réseaux pour que ces gens se les approprient et en fassent usage selon leurs besoins. »

Mes demandes répétées auprès d’O’Neill, afin d’en savoir plus sur ses travaux pour le Highlands Forum, sont restées lettre morte. Le département de la Défense n’a pas non plus répondu à mes nombreuses demandes d’information et de commentaires au sujet du Forum.

La guerre de l’information

Le Highlands Forum a tenu lieu de « pont d’influence » bidirectionnel : d’un côté, le réseau obscur de fournisseurs privés l’utilise pour influencer la formulation des politiques d’opération de l’information au sein des renseignements militaires étasuniens ; et dans l’autre sens, le Pentagone l’utilise pour influencer les travaux du secteur privé. La meilleure preuve que l’on peut en donner réside dans le rôle qu’a joué le Forum pour incuber l’idée de surveillance de masse comme outil de domination de l’information à l’échelle mondiale.

En 1989, Richard O’Neill, alors cryptologue pour l’US Navy, avait rédigé un article pour leUS Naval War College : « Vers une méthodologie de la gestion de la perception », [Toward a methodology for perception management, NdT]. Dans son livre Guerres du Futur, [Future Wars, NdT], le colonel John Alexander, alors dirigeant de l‘Intelligence and Security Command (INSCOM, qui relève de l’armée des USA), indique que l’article d’O’Neill est le premier à proposer une stratégie de « gestion de la perception » dans la cadre de la guerre de l’information. La stratégie proposée par O’Neill identifiait trois catégories de cibles pour la guerre de l’information : les adversaires, pour leur faire croire qu’ils sont vulnérables ; les partenaires potentiels« pour qu’ils perçoivent les raisons [de la guerre] comme justes » ; et enfin, les populations civiles et les dirigeants politiques pour qu’ils « perçoivent le coût comme raisonnable ». Un rapport secret, basé sur les travaux d’O’Neill, « fit son chemin jusqu’aux dirigeants » du DoD. « Ils reconnurent la justesse de ses thèses, et lui demandèrent d’enterrer son article ».

Mais le DoD, de son côté, ne l’enterra pas. Vers 1994, le Highlands Group fut fondé par O’Neill, sous le statut de projet officiel du Pentagone, sous la houlette de William Perry, alors secrétaire à la défense de Bill Clinton – il rejoint par la suite le conseil d’administration de la SAIC après sa retraite du gouvernement en 2003.

Selon les propres mots d’O’Neill, le groupe fonctionnait comme « laboratoire d’idées » du Pentagone. Selon Government Executive, des experts militaires et en technologie de l’information allaient se rassembler à la première rencontre du Forum « pour étudier les impacts des technologies de l’information et de la mondialisation sur les USA et sur les techniques de guerre. Comment internet et d’autres technologies en émergence allaient-ils changer le monde ? ». Cette rencontre allait contribuer à implanter l’idée de la « guerre centrée sur le réseau » dans l’esprit des « principaux penseurs militaires de la nation ».

Fermé au public

Les archives officielles du Pentagone confirment que le principal objectif du Highlands Forum était de soutenir les politiques du DoD dans le domaine de prédilection d’O’Neill : la guerre de l’information. Dans le rapport annuel du Pentagone pour le Président et le Congrès de 1997, on trouve une section dont le titre est « Opérations de l’information », qui précise que le Bureau du secrétariat à la défense a autorisé la mise en place du Highlands Group constitué d’experts clés du DoD, de l’industrie, et du domaine académique des opérations de l’information, aux fins de coordonner les opérations de l’information entre les agences de renseignement militaires fédérales.

Le rapport annuel du DoD de l’année suivante répéta l’aspect central du Forum pour les opérations de l’information (OI) : « Le DoD missionne le Highlands Forum pour examiner les sujets d’OI ; le Forum rassemble des professionnels de champs et d’activités divers en provenance du gouvernement, de l’industrie et du monde académique ».

Notez bien qu’en 1998, le Highlands Group devint un Forum. Selon O’Neill, ce changement visait à prévenir que les rencontres du Highlands Forum soient sujettes à des « limitations bureautiques ». Il faisait là référence au Federal Advisory Committee Act (FACA), qui jalonne la manière dont le gouvernement étasunien peut formellement faire appel aux conseils émis par des intérêts particuliers.

Mieux connue sous le terme de loi pour un « gouvernement ouvert », la FACA empêche que les consultations à huis clos ou secrètes – tenues par les dirigeants du gouvernement étasunien en vue d’établir ses politiques – intègrent des personnes non-membres du gouvernement. Chacune de ces consultations doit être tenue au sein de comités consultatifs fédéraux, autorisant le public à y assister. La FACA exige que ces réunions soient tenues en public, annoncées par le Registre fédéral, que les groupes consultatifs soient enregistrés auprès d’un bureau relevant de l’Administration des services généraux,entre autres pré-requis visant à garantir le niveau de transparence, dans l’intérêt général.

Mais Governement Executive signale qu’« O’Neill et d’autres croyaient » que ce genre de législations « allaient tarir la libre diffusion d’idées et les discussions sans bornes qu’ils voulaient ». Les avocats du Pentagone avaient émis des réserves sur l’utilisation du mot« groupe », qui pourrait lever certaines obligations ; leur conseil fut que toute l’initiative dans son ensemble soit privée : « C’est ainsi qu’O’Neill renomma son groupe en Highlands Forum, et migra lui-même vers le secteur privé, pour gérer le Forum en tant que consultant du Pentagone ». Le Highlands Forum, émanation du Pentagone, s’est donc opéré sous le couvert de la « société de capital-risque autour du renseignement » d’O’Neill, dont le nom est Highlands Group Inc .

En 1995, un an après que William Perry ait nommé O’Neill à la tête du Highlands Forum, la SAIC – organisation « partenaire » du Forum – lançait un nouveau Centre pour la stratégie et la politique et matière d’information [Center for Information Strategy and Policy, NdT], sous la direction de Jeffrey Cooper, « un membre du Highlands Group conseillant les hauts dirigeants du Département de la défense sur les sujets de guerre de l’information ». Le Centreprésentait exactement les mêmes objectifs que le Forum, à savoir fonctionner comme « chambre de compensation pour rassembler les esprits les plus brillants et les plus vifs travaillant dans le domaine de la guerre de l’information, en soutenant une suite continue de séminaires, d’articles et de symposiums pour explorer en profondeur les implications de la guerre de l’information ». Le but était de « permettre aux dirigeants et aux décideurs politiques travaillant pour le gouvernement, le monde de l’industrie et le monde académique de comprendre les sujets clés autour de la guerre de l’information, pour que les États-Unis se maintiennent au meilleur niveau face à tout ennemi potentiel ».

En dépit des contraintes réglementaires de la loi FACA, les comités consultatifs fédéraux sont déjà lourdement influencés, pour ne pas dire phagocytés, par le pouvoir des sociétés privées. Le Pentagone choisit donc d’outrepasser les règles peu contraignantes de la loi FACA, en excluant toute possibilité d’implication du public.

L’affirmation d’O’Neill, selon qui aucun rapport ni recommandation ne sont produits, n’est pas sincère. Il reconnaît lui-même que, depuis 1994, les consultations secrètes menées par le Pentagone en collaboration avec l’industrie, au travers du Highlands Forum, ont été accompagnées de présentations – habituelles à ce type d’exercice – d’article académiques ou politiques, d’enregistrements et de compte-rendus, ainsi que d’autres formats de documentation, qui ne restent accessibles que par un mécanisme d’authentification verrouillé et réservé uniquement aux participants du Forum. Voilà qui viole l’esprit, sinon la lettre de la loi FACA – dans un processus qui vise de manière patente à contourner tout contrôle démocratique et à passer outre les règles de droit.

Le Highlands Forum n’est pas là pour produire des recommandations de consensus. Son dessein est de mettre à disposition du Pentagone un mécanisme de réseau social pour consolider des relations durables avec les puissantes sociétés privées, et d’identifier les nouveaux talents qui pourront être mis à profit pour ajuster et optimiser les stratégies de guerre de l’information dans le secret le plus absolu.

Le nombre total de participants au Highlands Forum du DoD s’établit au-dessus du millier, même si chaque session, en général, se limite à rassembler au maximum, 25 à 30 personnes ; les membres de l’administration et les experts sont choisis sujet par sujet. Parmi les participants, on a compté des dirigeants de la SAIC et de Booz Allen Hamilton ; la RAND Corp. ; Cisco ; Human Genome Sciences ; eBay ; PayPal ; IBM ; Google ; Microsoft ; AT&T ; la BBC ; Disney ; General Electric ; Enron, et d’innombrables autres : des membres du Congrès et du Sénat tant démocrates que républicains, des dirigeants de l’industrie énergétique étasunienne tel que Daniel Yergin, du IHS Cambridge Energy Research Associates ; ainsi que des personnes clés impliquées dans les deux camps des campagnes présidentielles.

On compte également parmi les participants des professionnels des médias : David Ignatius, directeur adjoint du Washington Post, et à l’époque directeur en chef de l’International Herald Tribune ; Thomas Friedman, chroniqueur de longue date pour le New York Times ; Arnaud de Borchgrave, rédacteur pour le Washington Times et United Press International ; Steven Levy, anciennement rédacteur pour Newsweek, rédacteur principal pour Wired et actuellement rédacteur en chef technique pour Medium ; Lawrence Wright, rédacteur attitré pour le New Yorker ; Noah Shachtmann, directeur en chef du Daily Beast ; Rebecca McKinnon, cofondatrice de Global Voices Online ; Nik Gowing de la BBC ; et John Markoff du New York Times.

Vu le soutien dont il bénéficie encore à ce jour de la part du sous-secrétaire à la défense dédié aux renseignements de l’OSD, le Forum dispose d’accès internes aux directeurs des principales agences de renseignement et de reconnaissance, ainsi qu’aux directeurs des agences de recherche du DoD, de la DARPA à l’ONA – et à leurs assistants. Il en résulte que le Forum est également intimement relié aux groupes de travail de recherche du Pentagone.

Google : une jeune pousse plantée par le Pentagone

En 1994 – l’année-même de fondation du Highlands Forum sous le patronage du Bureau du secrétaire de la défense, de l’ONA et de la DARPA – Sergey Brin et Larry Page, deux jeunes étudiants en doctorat de l’université de Stanford, firent leur percée en codant la toute première application parcourant le web de manière automatisée et en réalisant un classement. Cette application reste à ce jour le composant principal de ce qui finit par devenir le moteur de recherche Google. Brin et Page avaient travaillé sur financement de la Digital Library Initiative (DLI), un programme trans-agences de la National Science Foundation (NSF), de la NASA et de la DARPA.

Mais cela n’est qu’un des côtés de la médaille

Au fur et à mesure qu’il développait le moteur de recherche, Sergey Brin émettait des rapports réguliers et directs à deux personnes qui n’appartenaient à la faculté de Stanford ni de près ni de loin : le Dr. Bhavani Thuraisingham et le Dr. Rick Steinheiser. Ces deux personnages étaient les représentants d’un programme de recherche confidentiel de la communauté du renseignement étasunienne, qui s’intéressait à la sécurité de l’information et à l’exploration de données [data mining, NdT].

Thuraisingham est actuellement professeur émérite et directeur associé de l’Institut de recherche en cyber sécurité [Cyber Security Research Institute, NdT] pour l’université du Texas, à Dallas. Elle fait partie des experts les plus recherchés en exploration de données, en gestion de données et en sécurité des systèmes d’information. Mais dans les années 90, elle travaillait pour la MITRE Corp., l’un des fournisseurs principaux de la défense étasunienne, pour laquelle elle dirigeait le projet Systèmes de données numériques massives [Massive Digital Data Systems, MDDS, NdT], un projet soutenu par la NSA, la CIA, et le directeur des renseignement centraux, visant à encourager les recherches en innovation dans le domaine des technologies de l’information.

« Nous avons à l’époque financé l’université de Stanford, au travers de l’informaticien Jeffrey Ullman, qui disposait de plusieurs étudiants doctorants prometteurs, dans un grand nombre de domaines passionnants », m’a dit le professeur Thuraisingham. « Parmi eux, il y avait Sergey Brin, fondateur de Google. Le programme MDDS, de la communauté du renseignement, accorda surtout à Brin des fonds d’amorçage, lesquels furent également abondés par nombre d’autres sources, y compris dans le privé ».

Ce type de financement est tout sauf inhabituel, et le fait que Sergey Brin en ait bénéficié en tant qu’étudiant à Stanford apparaît comme accessoire. On trouvait le Pentagone partout dans le domaine des recherches en sciences de l’information à l’époque. Mais cela illustre les imbrications entre la culture de la Silicon Valley et les valeurs de la communauté de renseignement étasunienne.

Dans un document extraordinaire que l’on peut trouver sur le site web de l’université du Texas, Thuraisingham relate qu’entre 1993 et 1999, « la Communauté du renseignement [CR] avait lancé un programme dénommé ‘Systèmes de données numériques massives’ [MDDS, voir plus haut pour l’acronyme, NdT]. J’étais responsable de ce programme pour la communauté du renseignement, au moment où je travaillais pour la MITRE Corporation ». Le programme finançait 15 projets de recherche dans diverses universités, parmi lesquelles Stanford. Son objectif était le développement de « technologies de gestion de données entre plusieurs téra-octets et plusieurs péta-octets de données », y compris pour « réaliser des requêtes de recherche, gérer les méta-données, gérer le stockage, et intégrer les données ».

À l’époque, Thuraisingham était responsable scientifique pour la gestion des données et de l’information pour la MITRE, pour le compte de laquelle elle dirigeait les projets de recherche et développement auprès de la NSA, de la CIA, du laboratoire de recherche de l’US Air Force, ainsi que pour le Commandement des systèmes de guerre spatiale et navale de la marine américaine (SPAWAR) et le Communications et commande électronique (CECOM). Elle animait également des formations auxquelles assistaient des agents du gouvernement étasunien et des fournisseurs privés de la défense, sur l’exploration de données dans le domaine du contre-terrorisme.

Dans son article disponible sur le site de l’université du Texas, elle joint la copie d’un résumé du programme MDDS de la communauté du renseignement étasunien, qui fut présenté au Symposium annuel de la collectivité du renseignement de 1995. Ce résumé expose que les principaux soutiens du programme MDDS étaient les trois agences : la NSA, le bureau de R&D de la CIA, et le personnel de gestion communautaire (CMS) de la communauté du renseignement, qui travaille sous l’égide du directeur des renseignements centraux. Les administrateurs du programme – qui attribue des financements de l’ordre de 3 à 4 millions de dollars par tranche de 3 à 4 ans – étaient identifiés comme Hal Curran (NSA) ; Robert Kluttz (CMS) ; Dr. Claudia Pierce (NSA) ; Dr. Rick Steinheiser (ORD – Le bureau de R&D de la CIA), et le docteur Thuraisingham elle-même.

Thuraisingham poursuit son article en répétant que le programme conjoint CIA-NSA finançait en partie Sergey Brin pour le développement du cœur de Google, au travers d’une dotation à Stanford, gérée par le superviseur de Brin, le Professeur Jeffrey D. Ullman :

En réalité, M. Sergey Brin, le fondateur de Google, a été financé en partie par ce programme, alors qu’il était étudiant doctorant à Stanford. Avec les conseils de son Professeur Jeffrey Ullman, et de mon collègue de la MITRE, le Dr. Chris Clifton [le responsable scientifique en technologie de l’information pour la MITRE], il a développé le Query Flocks System, qui apportait des solutions pour miner de grands volumes de données stockées en base. Je me souviens avoir visité Stanford avec le Dr. Rick Steinheiser de la Communauté du renseignement, et M. Brin arrivait en trombe sur des rollers, réalisait sa présentation, et repartait aussi vite qu’il était venu. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, en septembre 1998, M. Brin nous a présenté son moteur de recherche, qui peu après devint Google.

Brin et Page enregistrèrent Google comme société en septembre 1998, le même mois de leur dernière présentation à Thuraisingham et à Steinheiser. Query Flocks figurait également dans le système de recherche « PageRank », breveté par Google, que Brin avait développé à Stanford dans le cadre du programme CIA-NSA-MDDS, et financé également par la NSF, IBM et Hitachi. Cette année-là, le Dr. Chris Clifton, qui travaillait sous la supervision de Thuraisingham pour développer le système Query Flocks, cosigna un papier de recherche avec le professeur Ullma, superviseur de Brin, et avec Rick Steinheiser de la CIA. Ce papier fut présenté à une conférence académique sous le titre « Découverte de connaissances dans un texte ». (« Knowledge Discovery in Text »)

‘Le financement du MDDS qui soutenait Brin était substantiel en terme de recherche de fonds, mais il restait sans doute en dessous d’autres sources de financement’, ajoute Thuraisingham. ‘La durée du financement de Brin fut de 2 années environ. Sur cette période de temps, mes collègues du MDDS et moi-même visitions Stanford pour rencontrer Brin et suivre ses progrès une fois par trimestre environ. Nous ne le supervisions pas vraiment, mais nous voulions suivre ses progrès, mettre le doigt sur les problèmes possibles, et lui apporter des suggestions. Lors de ces rencontres, Brin nous présentait l’état des recherches sur Query Flocks, et nous faisait des démonstrations du moteur de recherche Google’.

Il est donc établi que Brin faisait régulièrement état de ses travaux à Thuraisingham et à Steinheiser en développant Google.


MISE À JOUR du 2 février 2015 – 14h05 GMT :

« Depuis la publication du présent article, le Professeur Thuraisingham a modifié son article, référencé ci-avant. La version modifiée par elle intègre une déclaration modifiée, suivie d’une copie de la version originale de sa description du MDDS. Dans cette version modifiée, Thuraisingham rejette l’idée selon laquelle la CIA aurait financé Google. Elle déclare à la place :

‘En réalité, le Professeur Jeffrey Ullman (de Stanford), mon collègue de la MITRE le Dr. Chris Clifton, accompagnés d’autres, développèrent le Query Flocks System, dans le cadre du MDDS, ce qui produisit des solutions pour miner de gros volumes de données stockées en base. En outre, M. Sergey Brin, co-fondateur de Google, faisait partie du groupe de recherche du professeur Ullman à l’époque. Je me souviens m’être déplacée de manière régulière à Stanford, en compagnie du Dr. Rick Steinheiser, de la Communauté du renseignement, et M. Brin arrivait en trombe sur des rollers, réalisait sa présentation, et repartait aussi vite qu’il était venu. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, en septembre 1998, M. Brin nous a présenté son moteur de recherche, qui peu après devint Google…’

On trouve également plusieurs inexactitudes dans l’article du Dr Ahmed (en date du janvier 2015) [il s’agit du présent article, NdT]. Par exemple, le programme MDDS ne constituait pas un programme ‘confidentiel’ comme le déclare le Dr. Ahmed ; il s’agissait d’un programme non classifié, qui apportait des financements à des universités étasuniennes. En outre, Sergey Brin ne faisait de compte rendu ni à moi, ni au Dr. Rick Steinheiser ; il nous faisait uniquement des présentations lors de nos déplacements au Département de sciences de l’information à Stanford au cours des années 1990. Autre point, le MDDS n’a jamais financé Google ; il a financé l’Université de Stanford’.

Voilà, pas de différence factuelle substantielle entre les deux récits de Thuraisingham, si l’on met de côté son affirmation selon laquelle associer Sergey Brin au développement de Query Flocks est une erreur. Il est significatif que cette mention ne soit pas dérivée de ses propres connaissances, mais précisément du présent article citant un commentaire émis par un porte-parole de Google.

Mais quoi qu’il en soit, cette tentative étrange de dissocier Google du programme MDDS rate sa cible. Tout d’abord, le MDDS n’a jamais financé Google, pour la simple et bonne raison qu’au cours des développements des composants au cœur du moteur de recherche de Google, aucune société n’était enregistrée sous ce nom. La subvention fut accordée au lieu de cela à l’université de Stanford, par l’entremise du Professeur Ullman, au travers duquel des fonds servirent à soutenir Brin alors qu’il co-développait Google. Deuxièmement, Thuraisingham ajoute que Brin ne lui a jamais ‘fait de rapport’, ni à Steinheiser pour la CIA, mais elle reconnaît qu’il ‘nous faisait des présentations lors de nos déplacements au Département de sciences de l’information à Stanford au cours des années 1990’. Mais la frontière est floue, quant à savoir la différence entre ‘faire des rapports’ et réaliser une présentation détaillée – dans un cas comme dans l’autre, Thuraisingham confirme son intérêt poussé ainsi que celui de la CIA pour le développement de Google par Brin. Troisièmement, Thuraisingham décrit le programme MDDS comme ‘non classifié’, mais cela ne contredit en rien sa nature ‘confidentielle’. Ayant travaillé plusieurs décennies comme fournisseur et conseillère en renseignement, Thuraisingham ne peut pas ignorer que les moyens sont nombreux pour catégoriser les renseignements, et notamment ‘confidentiel mais non classifié’. De nombreux anciens fonctionnaires du renseignement étasunien à qui j’ai parlé m’ont déclaré que le manque presque total d’information publique au sujet du programme MDDS de la CIA et de la NSA indique que, quoique le programme ne soit pas classifié, il est probable que son contenu ait été considéré comme confidentiel, ce qui expliquerait les initiatives prises pour réduire la transparence du programme ainsi que son utilisation en retour dans le cadre des développements d’outils pour la communauté du renseignement étasunienne. Quatrième et dernier point, il importe de souligner que le résumé du MDDS, intégré par Thuraisingham dans son document du Texas, stipule clairement non seulement que le directeur du CMS du renseignement centralisé, la CIA et la NSA constituaient les surveillants du programme MDDS, mais aussi que les clients envisagés pour ce projet étaient ‘le DoD, la Communauté du renseignement, et d’autres organisations gouvernementales’ : le Pentagone, la communauté du renseignement étasunienne, et d’autres agences du gouvernement étasunien apparentées.

En d’autres termes, la dotation de fonds du MDDS à Brin au travers d’Ullman, sous la supervision de Thuraisingham et de Steinheiser, exista principalement en raison de leur reconnaissance de l’utilité potentielle des travaux de développement de Google par Brin pour le Pentagone, la communauté du renseignement, et le gouvernement fédéral en général. »

FIN de la mise à jour du 2 février 2015


De fait, le programme MDDS est référencé dans plusieurs articles co-signés par Brin et Page lors de leurs études à Stanford, soulignant précisément le rôle du programme en soutien à Brin dans le développement de Google. Dans leur papier de 1998, publié dans le bulletin du Comité technique de la société informatique sur l’ingénierie des données de l’IEEE, ils décrivent l’automatisation des méthodes d’extraction d’informations en provenance du web via la Dual Iterative Pattern Relation Extraction [extraction double et itérative de la relation entre motifs, NdT], le développement d’« un classement mondial des pages web appelé PageRank », ainsi que l’utilisation de PageRank « pour développer un nouveau moteur de recherche appelé Google ». Dans une note de bas de page en ouverture, Sergey Brin confirme avoir été « partiellement soutenu par le Programme de systèmes de données numériques massifs du Personnel de gestion communautaire,  dotation NSF IRI-96–31952 » – ce qui confirme bien que les travaux de développement de Google par Brin étaient bien en partie financés par le programme CIA-NSA-MDDS.

Cette dotation du NSF identifiait le MDDS en marge : le résumé du projet liste bien Brinparmi les étudiants soutenus (sans mention du MDDS). La dotation du NSF à Larry Page était différente : elle mentionnait le financement par la DARPA et la NASA. Le rapport du projet, dont l’auteur était le Professeur Ullman, superviseur de Brin, poursuit dans la section « Indicateurs de succès » qu’« il y a de nouvelles informations sur des jeunes pousses basées sur des recherches soutenues par le NSF ». Dans la section « Impact du projet », le rapport signale : « En fin de compte, le projet google est devenu commercial, sous le nom Google.com ».

Ce qu’en relate Thuraisingham, y compris dans sa version modifiée, démontre donc que le programme CIA-NSA-MDDS ne faisait pas que financer en partie Brin au travers de ses travaux de développement avec Larry Page pour développer Google, mais que des représentants des directions des renseignements étasuniens, parmi lesquels un fonctionnaire de la CIA, supervisaient l’évolution de Google tout au long de sa phase de pré-lancement, jusqu’à ce que la société soit prête à être créée officiellement. Google, dès lors, avait été rendu possible grâce à un montant « significatif » de financement de démarrage, et à la supervision du Pentagone : nommément, la CIA, la NSA, et la DARPA.

Le DoD n’a pas souhaité apporter de commentaires, malgré nos demandes.

Quand j’ai demandé au professeur Ullman de confirmer si oui ou non Brin avait été en partie financé par le programme MDDS émis par la communauté du renseignement, et si Ullman était au courant du fait que Brin informait régulièrement Rick Steinheiser, de la CIA, des progrès du développement du moteur de recherche Google, les réponses d’Ullman se firent évasives : « Puis-je vous demander qui vous représentez et pourquoi vous vous intéressez à ces sujets ? Qui sont vos ‘sources’ ? ». Il a également nié que Brin ait joué un rôle significatif dans le développement du systèmes Query Flocks, malgré la clarté du fait, établie par les articles de Brin, que ce dernier avait travaillé là-dessus lors du co-développement avec Page du système PageRank.

Quand j’ai demandé à Ullman s’il niait le rôle de la communauté du renseignement étasunien dans le soutien de Brin lors du développement de Google, il a répondu : « Je n’ai pas l’intention de donner de l’importance à ces foutaises en les niant. Si vous ne m’exposez pas votre théorie, et ce que vous essayez de prouver, je n’ai pas la moindre intention de vous aider ».

Le résumé du MDDS, publié sur le site de l’université du Texas, confirme que la justification du projet conjoint CIA-NSA était d’« offrir des financements à des technologies de gestion de données à haut risque et à haut rendement », parmi lesquelles des techniques de « requêtage, navigation, et filtrage ; de traitement de transactions ; de méthodes et d’indexation des accès ; de gestion de méta-données et de modélisation de données ; et d’intégration de bases de données hétérogènes ; ainsi que du développement des architectures appropriées ». La vision ultime du programme était de « proposer un accès intégré et une fusion de gros volumes de données, d’informations et de connaissances, dans un environnement hétérogène et temps réel », pour que le Pentagone, la communauté du renseignement et potentiellement d’autres pans du gouvernement puissent l’utiliser.

Ces révélations se corrèlent aux affirmations de Robert Steele, ancien dirigeant de la CIA, et l’un des directeurs adjoints civils co-fondateurs du Marine Corps Intelligence Activity, (Activité de renseignement du Corps des Marines), que j’avais interviewé pour The Guardianl’année derrière au sujet des renseignements open source. Citant des sources de la CIA, Steele avait déclaré en 2006 que Steinheiser, un de ses collègues de longue date, constituait le lien principal entre la CIA et Google, et avait oeuvré aux premiers financements de la société informatique innovante. À l’époque, le fondateur de Wired, John Batelle, avait reçu cette dénégation de la part d’un porte-parole de Google, en réponse aux déclarations de Steele :

Les affirmations concernant Google sont totalement fausses.

Cette fois-ci, malgré de nombreuses demandes et de nombreuses conversations, aucun porte-parole de Google n’a souhaité apporter de commentaire.


MISE À JOUR du 22 janvier 2015 – 17h41 GMT : le directeur de la communication de Google, m’a contacté, et m’a demandé d’insérer la déclaration qui suit :

« Sergey Brin ne faisait pas partie du Programme Query Flocks à Stanford, et aucun de ses projets n’a jamais été financé par des organes de renseignement étasuniens ».

Voici ce que j’ai répondu :

« Ma réponse à votre déclaration serait la suivante : Brin lui-même, dans son propre papier, reconnaît un financement de la part du Community Management Staff du projet Massive Digital Data Systems (MDDS), financement qui fut octroyé au travers du NSF. Le MDDS constituait un programme de la communauté de renseignement établi par la CIA et la NSA. Je dispose également des propos du professeur Thuraisingham de l’université du Texas, enregistrés, comme je le précise dans mon article, où elle déclare avoir dirigé le programme MDDS pour le compte de la communauté du renseignement étasunienne ; elle précise également qu’elle-même ainsi que Rick Steinheiser de la CIA ont rencontré Brin tous les trois mois environ, sur une période de deux ans, pour qu’il leur fasse un suivi sur ses progrès dans le développement de Google et de PageRank. Que Brin ait travaillé sur Query Flocks ou non n’a rien à y voir.

Dans ce contexte, peut-être que vous souhaiterez examiner les questions qui suivent :

1) Google nie-t-elle que les travaux de Brin aient été en partie financés par le MDDS, au travers d’une dotation du NSF ?

2) Google nie-t-elle que Brin ait fait état régulièrement de ses travaux à Thuraisingham et Steinheiser, à peu près depuis 1996 et jusqu’en septembre 1998, moment où il leur a présenté le moteur de recherche Google ? »

Prise de conscience totale de l’information

Le 3 novembre 1993, un appel à articles fut émis pour le MDDS, par le dirigeant des renseignements étasuniens Davia Charvoniai, directeur du bureau de coordination de la recherche et développement du CMS, sur une liste d’envoi par email. La réaction de Tatu Ylonen (inventeur illustre du protocole de protection de données SSH (Secure Shell)) à ses collègues de la mailing-list fut de répondre : « L’intérêt du chiffrement? De quoi réfléchir à protéger vos données ». Le courriel en question confirme également que la SAIC, fournisseur de défense et partenaire du Highlands Forumgérait le processus de soumission du MDDS, ce dernier exigeant en effet que les résumés soient envoyés à Jackie Booth, du bureau de R&D de la CIA, via une adresse email appartenant à la SAIC.

En 1997, nous révèle Thuraisingham, peu de temps avant que Google ne devienne une société enregistrée, et alors qu’elle supervisait encore le développement du logiciel du moteur de recherche à Stanford, ses pensées se tournèrent vers les applications à la sécurité nationale du programme MDDS. Dans les remerciements de son livre Web Data Mining and Applications in Business Intelligence and Counter-Terrorism (Exploration de données Web et applications en intelligence d’affaires et contre-terrorisme, 2003), Thuraisingham écrit qu’elle-même ainsi que le « Dr. Rick Steinheiser de la CIA, avons commencé à discuter avec l’agence des projets de recherche avancée pour la défense sur l’application du ‘data-mining’ au contre-terrorisme », une idée résultant directement du programme MDDS qui avait financé en partie Google. « Ces discussions finirent par se concrétiser avec le programme EELD (Evidence Extraction and Link Detection) [Extraction de preuves et détection de liens, NdT] en cours à la DARPA ».

Ainsi donc, les mêmes personnes, dirigeant de la CIA pour l’un et fournisseur de la CIA et de la NSA pour l’autre, impliquées dans le financement d’amorçage de Google, examinaient au même moment le rôle du « data mining », (exploration de données), à des fins de contre-terrorisme, et développaient des idées d’outils concrétisés factuellement par la DARPA.

À ce jour, comme l’illustre son éditorial récent dans le New York Times, Thuraisingham reste l’une des plus ardentes parmi les défenseurs des techniques de « data-mining » à des fins de contre-terrorisme, mais insiste également sur le fait que ces méthodes doivent être développées par le gouvernement en coopération avec des avocats en libertés publiques et des défenseurs de la vie privée, pour garantir que des procédures robustes seront en place, empêchant tout abus potentiel. Elle souligne, de manière accablante, qu’avec les quantités d’informations collectées à ce jour, le risque de faux positifs est élevé.

En 1993, alors que le programme MDDS se voyait lancé et géré par la société MITRE pour le compte de la communauté du renseignement étasunienne, le Dr. Anita K. Jones, informaticienne de l’Université de Virginie – sous mandat de la MITRE – fut admise au poste de directeur de la DARPA et responsable des recherches et de l’ingénierie pour le Pentagone. Elle avait figuré au conseil d’administration de la MITRE depuis 1988. De 1987 à 1993, Jones avait également figuré au conseil d’administration de la SAIC. En tant que nouvelle directrice de la DARPA de 1993, elle co-dirigeait également le Highlands Forumpour le compte du Pentagone, au moment du développement avant lancement de Google à Stanford sous le programme MDDS.

Ainsi, au moment où Thuraisingham et Steinheiser discutaient avec la DARPA des applications en contre-terrorisme des recherches du MDDS, Jones était donc directrice de la DARPA et co-présidente du Highlands Forum. Cette même année, Jones mit fin à ses fonctions à la DARPA pour retourner prendre son poste à l’université de Virginie. L’année suivante, elle rejoint le conseil d’administration de la National Science Foundation, qui venait bien sûr de financer Brin et Page, et elle était également revenue au conseil d’administration de la SAIC. Quand elle quitta le DoD, le sénateur Chuck Robb fit à Jones l’éloge qui suit : « Elle a rassemblé les communautés de la technologie et celles des opérations militaires, pour projeter dans le détail le maintien de la dominance étasunienne sur le champ de bataille du siècle à venir ».

Le Dr. Anita Jones, directrice de la DARPA de 1993 à 1997, et coprésidente du Highlands Forum pour le Pentagone de 1995 à 1997, période au cours de laquelle des fonctionnaires du programme CIA-NSA-MDSS finançaient Google, et époque des discussions avec la DARPA sur le sujet du data-mining à des fins contre-terroristes.

 

Richard N. Zare figurait au conseil d’administration de la National Science Foundation de 1992 à 1998 (y compris une courte période en tant que président à partir de 1996). C’était le moment où la NSF soutenait Sergey Brin et Larry Page en association avec la DARPA. En juin 1994, le professeur Zare, chimiste à Stanford, participa avec le professeur Jeffrey Ullman (superviseur des recherches de Sergey Brin), à un groupe soutenu par Stanford et par la National Research Concil, (Conseil national de recherche), dont les discussions ciblaient le besoin pour les scientifiques de montrer les « liens [de leurs travaux] avec les besoins nationaux ». Le groupe rassemblait des scientifiques et des décideurs politiques, y compris des « initiés de Washington ».

Le programme EELD de la DARPA, inspiré par les travaux de Thuraisingham et Steinheiser sous la supervision de Jones, fut rapidement adapté et intégré à une suite d’outils servant à conduire une surveillance exhaustive sous l’administration Bush.

Selon le fonctionnaire Ted Senator de la DARPA, qui dirigea le programme EELD pour l’éphémère Bureau de sensibilisation à l’information de l’agence, EELD figurait parmi un panel de « techniques prometteuses » en préparation pour se voir intégrer « dans le prototype de Système TIA ». TIA était l’acronyme de Total Information Awareness[Sensibilisation totale à l’information, NdT], et constituait le programme mondial principal d’espionnage et de « data mining » déployé par l’administration Bush après le 11 septembre. TIA avait été monté par l’amiral John Poindexter, le conspirateur du dossier Iran-Contra, qui fut nommé en 2002 par Bush pour diriger le nouveau Bureau de sensibilisation à l’information, rattaché à la DARPA.

Le Xerox Palo Alto Research Center, [Centre de recherche ‘Xerox Palo Alto’, ND]), (PARC) figurait parmi les 26 sociétés (aux côtés de la SAIC) qui se sont vues octroyer des contrats en millions de dollars de la DARPA (les montants exacts de ces contrats restent à ce jour une information classifiée) sous Poindexter, afin de poursuivre le programme de surveillance TIA au delà de 2002. La recherche comprenait du « profilage comportemental », les « détections, identifications et suivis » d’activités terroriste, parmi d’autres projets d’analyse de données. À l’époque, c’est John Seely Brown qui était le directeur du PARC et son responsable scientifique. Brown comme Poindexter étaient des participants du Highlands Forum – Brown a continué d’y participer de manière soutenue jusqu’à il y a peu.

Le programme TIA fut soi-disant arrêté en 2003, par suite d’une opposition publique, après qu’il a été exposé dans les médias, mais l’année suivante, Poindexter participa à une session du Highlands Group à Singapour, avec des fonctionnaires en défense et en sécurité du monde entier. Cependant, Ted Senator continua de gérer le programme EELD ainsi que d’autres projets de « data-mining » et d’analyses pour la DARPA jusqu’en 2006, année où il quitta la DARPA pour devenir vice-président de la SAIC. Il est à présent expert technique pour la SAIC/Leidos.

Google, la DARPA, et le chemin suivi par l’argent

Longtemps avant que n’apparaissent Sergey Brin et Larry Page, le département informatique de l’université de Stanford disposait déjà d’une relation de travail étroite avec les renseignements militaires étasuniens. En atteste une lettre en date du 5 novembre 1984, adressée par le professeur Edward Feigenbaum, expert membre du bureau d’intelligence artificielle si réputé, à Rick Steinheiser, qui précise les dernière directions prises par le projet de programmation heuristique de Stanford, et qui décrit Steinheiser comme membre du « comité de direction en intelligence artificielle ». À la même époque, une liste de participants à une conférence organisée par un sous-traitant, et soutenue par le Bureau de la recherche navale, (ONR), du Pentagone, voit figurer le nom de Steinheiser comme participant sous la désignation « OPNAV Op-115 » – ce qui désigne le programme du Bureau du Chef des opérations navales, en disponibilité opérationnelle ; cette instance a joué un rôle majeur dans le déploiement de systèmes numériques pour l’armée.

Depuis les années 1970, le professeur Feigenbaum et ses collègues ont assuré le fonctionnement du projet de programmation heuristique de Stanford sous contrat de la DARPA, et cela s’est poursuivi dans les années 1990. Feigenbaum a lui seul a touché plus de 7 millions de dollars en contrepartie de ses travaux pour DARPA, sans compter les fonds provenant du NSF, de la NASA ou de l’ONR.

Le professeur Jeffrey Ullman, responsable de Brin à Stanford, travaillait en 1996 pour un projet financé notamment par l‘Intelligent Integration of Information Program, (Programme d’intégration intelligente de l’information) de la DARPA. Cette même année, Ullman co-présidait également des rencontres soutenues par la DARPA sur le sujet des échanges de données entre systèmes multiples.

En septembre 1998, le mois même où Sergey Brin informait Steinheiser et Thuraisingham – représentants des renseignements étasuniens – les entrepreneurs en technologie, Andreas Bechtolsheim et David Cheriton investissaient chacun 100 000 dollars dans Google. Chacun de ces deux investisseurs avait des liens avec la DARPA.

Bechtolsheim, étudiant doctorant en génie électrique à Stanford dans les années 1980, avait vu son projet innovant de station de travail SUN financé par la DARPA et par le département informatique de Stanford – cette recherche constitua le socle sur lequel Bechtolsheim bâtit Sun Microsystems, qu’il cofonda avec William Joy.

Quant au second investisseur de Google, David Cheriton, il s’agit d’un professeur d’informatique de Stanford, en poste depuis longtemps, qui présente des relations encore plus étroites avec la DARPA. Sa biographie, disponible auprès de l’université d’Alberta – qui lui a décerné en novembre 2014 un doctorat honorifique en science – mentionne que « les recherches [de Cheriton] ont été soutenues par l’agence américaine pour les projets de recherche avancée en matière de défense (DARPA), depuis plus de 20 ans ».

Dans l’intervale, Bechtolsheim avait quitté Sun Microsystems en 1995, pour fonder Granite Systems conjointement avec Cheriton, son co-investisseur dans Google. Ils ont revendu Granite à Cisco Systems en 1996, tout en conservant des parts importantes de la société Granite, et en prenant des postes de direction chez Cisco.

Un courriel obtenu dans le Corpus Enron (il s’agit d’une base de données de 600 000 courriels, récupérée par la Commission fédérale de régulation de l’énergie, et ouverte à l’accès public), qui invite des dirigeants d’Enron à participer au Highlands Forum, révèle que les dirigeants de Cisco et de Granite sont intimement connectés au Pentagone. Le courriel révèle qu’en mai 2000, William Joy, partenaire de Bechtolsheim et co-fondateur de Sun Microsystems – et qui était alors responsable scientifique et PDG de la société – avait participé au Forum pour discuter d’informatique moléculaire et nanotechnologie.

En 1999, Joy avait également co-présidé le Comité consultatif aux technologies de l’information auprès du président, supervisant la rédaction d’un rapport qui relatait que la DARPA avait :

… revu ses priorités dans les années 90, afin que l’ensemble des financements informatiques soit évalué selon le critère du bénéfice que pouvait en tirer le combattant [warfighter, NdT].

Puis, au fil des années 1990, les financements de la DARPA vers Stanford, y compris celui de Google, concernaient explicitement des technologies qui pouvaient renforcer les opérations de renseignement militaires du Pentagone sur les théâtres de guerre.

Le rapport présidé par Joy recommanda d’augmenter les financements gouvernementaux émis par le Pentagone, la NASA, et d’autres agences, à destination du secteur informatique. Greg Papadopoulos, un autre collègue de Bechtolsheim, à l’époque directeur technique de Sun Microsystems, avait également assisté à une rencontre du Highlands Forum au Pentagone en septembre 2000.

En novembre, le Highlands Forum invita Sue Bostrom à une session tenue au Pentagone, elle était vice-présidente internet de Cisco, et avait sa place au conseil d’administration aux côtés des co-investisseurs de Google, Bechtolsheim et Cheriton. Le Forum avait également invité Lawrence Zuriff, alors associé directeur chez Granite, qui venait d’être vendu par Bechtolsheim et Cheriton à Cisco. Zuriff, précédemment, avait été embauché par la SAIC de 1993 à 1994, y travaillant avec le Pentagone sur les sujets de sécurité nationale, en particulier avec l’Office of Net Assessment, (Bureau de la mise en recouvrement nette), de Marshall. En 1994, la SAIC et l’ONA étaient, bien entendu, tous les deux impliqués dans la co-constitution du Highlands Forum au Pentagone. Parmi les productions de Zuriff – alors qu’il travaillait pour la SAIC, on trouve un papier dont le titre est « Comprendre la guerre de l’information » [« Understanding Information War », NdT], qui fut présenté à une table ronde de l’armée étasunienne soutenue par la SAIC, dans le cadre de la Révolution des affaires militaires.

Après l’enregistrement comme société de Google, la société reçut 25 millions de dollars en fonds propres en 1999, par Sequoia Capital et Kleiner Perkins Caufield & Byers. Si l’on en croit Homeland Security Today« Certaines des jeunes pousses financées par Sequoia ont obtenu des contrats avec le Département de la défense, surtout après le 11 septembre, quand Mark Kvamme, de Sequoia, rencontra le Secrétaire de la défense Donald Rumsfeld pour discuter l’application des technologies émergentes au combat et à la collecte de renseignements ». De la même manière, Kleiner Perkins avait développé une « relation de proximité » avec In-Q-Tel, la société de capital risque de la CIA qui finance les jeunes pousses « pour faire progresser les technologies ‘prioritaires’ apportant de la valeur » à la communauté du renseignement.

John Doerr, qui géra l’investissement Kleiner Perkins chez Google, et prit une place au conseil d’administration de cette dernière, était l’un des premiers gros investisseurs de la société de Becholshtein, Sun Microsystems, dès son lancement. Lui-même et son épouse Anne sont les deux principaux financeurs du Rice University’s Center for Engineering Leadership (RCEL), qui a reçu en 2009 16 millions de dollars de la DARPA pour son programme de R&D informatique universel platform-aware-compilation-environment,(Environnement de compilation de la plateforme R&D informatique universelle), (PACE). Doerr présente également une relation proche avec l’administration Obama, à qui il a conseillé peu après qu’elle entre en fonction d’accroître les financements du Pentagone à l’industrie technologique. En 2013, à la conférence Fortune Brainstorm TECH, Doerr avait applaudi « la manière dont la DARPA avait financé le GPS [le système de géo-positionnement par satellite, NdT], la CAO [conception assistée par ordinateur, NdT], la plupart des principaux départements en science de l’information, et bien entendu, l’Internet. »

En d’autres termes, dès sa conception, Google fut incubée, couvée et financée par des intérêts directement affiliés ou étroitement alignés avec la communauté du renseignement étasunienne : on en trouve un grand nombre dans le Highlands Forum,émanation du Pentagone.

Google capture le Pentagone

En 2003, Google a commencé à personnaliser son moteur de recherche sous un contrat spécial avec la CIA, pour le Bureau de gestion d’Intelink de cette dernière, « pour superviser des intranets top-secrets ainsi que des intranets secrets et sensibles, mais non classifiés, de la CIA et d’autres agences », selon Homeland Security Today. Cette même année, des financements de la CIA se voyaient également « discrètement » routés au travers de la National Science Foundation, vers des projets qui pourraient aider à créer « de nouvelles capacités de lutte contre le terrorisme, par des technologies avancées ».

L’année suivante, Google racheta la société Keyhole, qui avait au départ été financée par In-Q-Tel. En s’appuyant sur Keyhole, Google commença le développement du logiciel de cartographie satellite derrière Google Earth. Anita Jones, ex directrice de la DARPA et ex-coprésidente du Highlands Forum, figurait au conseil d’administration d’In-Q-Tel à l’époque, et y figure toujours à ce jour.

Puis, en novembre 2005, In-Q-Tel avisa qu’elle vendait pour 2,2 millions de dollars d’actions Google. La relation entre Google et les renseignements étasuniens fut encore plus mise en évidence quand un sous-traitant en informatique déclara – lors d’une conférence à huis clos entre professionnels du renseignement, tenue à Washington DC – en précisant qu’il ne voulait pas que son nom soit cité, qu’au moins une agence de renseignement étasunienne travaillait à « mettre à profit la surveillance des données [des utilisateurs] de Google » dans le cadre de travaux visant à collecter des données dans « l’intérêt des renseignements pour la sécurité nationale ».

Une photo, publiée sur Flickr, et datée du mois de mars 2007, révèle que Peter Norvig, directeur de recherche et expert en intelligence artificielle pour Google, a assisté à une rencontre du Highlands Forum, émanation du Pentagone, cette année-là, à Carmel (Californie). La proximité de la relation entre Norvig et le Forum depuis cette année 2007 est également corroborée par son rôle d’invité à établir la liste de lecture du Forum pour 2007.

La photo ci-après montre Norvig en conversation avec Lewis Shepherd, à l’époque directeur technique de l’agence de renseignements de la défense [Defense Intelligence Agency, NdT]responsable des enquêtes, approbations et de la définition des architectures de « tous les nouveaux systèmes et acquisitions matériels/logiciels pour la Global Defense Intelligence IT Enterprise », y compris les « technologies big data ». Shepherd travaille à présent chez Microsoft. Norvig fut chercheur en informatique à l’université de Stanford en 1991, avant de rejoindre la société de Bechtolsheim, Sun Microsystems, au poste de directeur de recherche, jusqu’en 1994, après quoi il prit la direction de la division des sciences de l’information de la NASA.

Lewis Shepherd (à gauche), alors directeur des technologies de l’agence de renseignement de la Défense, rattachée au Pentagone, en discussion avec Peter Norvig (à droite), expert reconnu en intelligence artificielle et directeur de recherche pour Google. Cette photo provient d’une rencontre du Highlands Forum tenue en 2007.

 

Norvig apparaît sur le profil Google Plus d’O’Neill comme l’un de ses proches contacts. Si l’on parcourt le reste des connections Google Plus d’O’Neill, on peut constater qu’il est directement connecté non seulement à un grand nombre de dirigeants de Google, mais également à certains des plus grands noms de la communauté technologique étasunienne.

Parmi ces contacts, on compte Michele Weslander Quaid, anciennement employée par la CIA et anciennement fonctionnaire du renseignement pour le Pentagone, à présent directrice technologique de Google, pour lequel elle développe les programmes « les mieux adaptés aux besoins des agences gouvernementales » ; Elizabeth Churchill, directrice des expériences utilisateur pour Google ; James Kuffner, expert en robotique humanoïde qui dirige à présent la division robotique de Google et qui a lancé le terme de « robotique du cloud » ;  Mark Drapeau, directeur de l’innovation pour le secteur public pour Microsoft ; Lili Cheng, directeur général aux expériences sociales futures pour Microsoft [Future Social Experiences (FUSE), NdT] ; Jon Udell, « évangéliste » Microsoft ; Cory Ondrejka, vice-président de l’ingénierie pour Facebook ; pour n’en nommer que quelques-uns.

En 2010, Google signait un contrat sans appel d’offre, pour un montant de plusieurs milliards de dollars, avec l’agence soeur de la NSA : la National Geospatial-Intelligence Agency, (Agence nationale du renseignement géospatial) (NGA). Il s’agissait d’utiliser Google Earth à des fins de visualisation pour la NGA. Google avait développé le logiciel derrière Google Earth en achetant Keyhole à In-Q-Tel, société de capital-risque de la CIA.

Puis, l’année suivante, en 2011, Michele Quaid, qui figure également parmi les contacts Google Plus d’O’Neill – qui a occupé des postes de direction à la NGA, au National Reconnaissance Office et à l’Office of the Director of National Intelligence – quitta ses fonctions auprès du gouvernement pour devenir « évangéliste pour l’innovation » de Google et contact principal pour la recherche de contrats avec le gouvernement. Le dernier poste en date de Quaid, avant qu’elle ne rejoigne Google, fut celui de représentant en chef du directeur des renseignements nationaux auprès du groupe de travail du renseignement, de la surveillance et de la reconnaissance, [Intelligence, Surveillance, and Reconnaissance Task Force, NdT], et conseillère en chef au sous-secrétaire à la défense pour le directeur du renseignement auprès de l’organisme de soutien aux forces interarmées et de coalition [Joint and Coalition Warfighter Support (J&CWS), NdT]. Chacun de ces deux postes impliquait, à cœur, des opérations informationnelles. En d’autres termes, avant de passer chez Google, Quaid avait travaillé de manière très proche avec le sous-secrétaire à la défense délégué aux renseignements, dont le Highlands Forum dépend. Quaid elle-même a également participé au Forum, même si je n’ai pas réussi à confirmer dans le détail quand ni à quelle fréquence.

En mars 2012, Regina Dugan, alors directrice de la DARPA – et à ce titre également co-présidente du Highlands Forum – suivit sa collègue Quaid chez Google, et y prit le poste de direction du nouveau groupe aux technologies et projets avancés. Alors qu’elle était en fonction au Pentagone, Dugan travaillait sur les sujets stratégiques de la cyber sécurité et des réseaux sociaux, entre autres choses. Elle était responsable de recentrer « une part croissante » des travaux de la DARPA « vers la recherche de capacités offensives répondant aux besoins spécifiques des armées », garantissant 500 millions de dollars de financements gouvernementaux aux cyber-recherches de la DARPA pour la période 2012-2017.

Regina Dugan, ex-directrice de la DARPA et ex-coprésidente du Highlands Forum, devenue l’une des dirigeantes de Google… faisant de son mieux pour paraître dans le vent

En novembre 2014, James Kuffner, responsable de l’expertise en intelligence artificielle et en robotique pour Google, participait, aux côtés d’O’Neill, aux Highlands Island Forum 2014à Singapour, pour explorer les « avancées en robotique et en intelligence artificielle : implications pour la société, la sécurité et les conflits ». L’événement rassemblait 26 participants en provenance d’Autriche ; d’Israël ; du Japon ; de Singapour ; de Suède ; du Royaume-Uni et des USA, tant du monde de l’industrie que des gouvernements. Mais l’association de Kuffner avec le Pentagone remonte à bien plus loin. En 1997, Kuffner menait des recherches sur un projet de robots mobiles autonomes reliés en réseau, dans le cadre de son doctorat de Stanford, sous financement du Pentagone, et avec le soutien de la DARPA et de l’US Navy.

Rumsfeld et la surveillance permanente

On constate que nombreux sont les hauts dirigeants de Google qui sont affiliés au Highlands Forum, et qu’il s’agit d’une observation répétée et continue tout au long de la croissance de Google sur la décennie passée. L’incubation de Google par la communauté du renseignement étasunienne, depuis sa fondation même, s’est réalisée au travers d’un soutien direct, et au travers de réseaux informels d’influence financière, eux-mêmes fortement alignés sur les intérêts du Pentagone.

Le Highlands Forum lui-même a fait usage de la relation informelle, cultivée dans ces réseaux privés, pour agglomérer les secteurs de la défense et de l’industrie, en permettant la fusion des intérêts privés et des intérêts militaires, par l’expansion de l’appareil de surveillance clandestin, le tout au nom de la sécurité nationale. Le pouvoir exercé par ce réseau obscur représenté dans le Forum peut quand même se mesurer, de par l’impact qu’il eut au cours de l’administration Bush : il joua alors un rôle direct dans l’écriture même des stratégies et doctrines derrière les travaux étasuniens visant à établir « la supériorité de l’information ».

O’Neill confirma en décembre 2001 que les discussions stratégiques au Highlands Forumservaient directement à alimenter la revue stratégique d’Andrew Marshall pour le DoD, qui avait été demandée par le président Bush et par Donald Rumsfeld, pour mettre à jour les armées, intégrer la revue de défense quadriennale – et lors de quelques-unes des premières sessions du Forum on avait « été amené à écrire des politiques, des stratégies et des doctrines au nom du DoD, à destination des services de guerre de l’information ». Ce processus d’« écriture » des politiques de guerre de l’information du Pentagone « fut réalisé en collaboration avec les personnes qui avaient une compréhension différente de l’environnement – pas uniquement des citoyens étasuniens, mais également des citoyens étrangers, et des personnes qui développaient des systèmes d’information en entreprise ».

Les doctrines de guerre de l’information post 11 septembre du Pentagone furent, on le voit, écrites non seulement par des fonctionnaires de la sécurité nationale étasunienne et par des étrangers, mais également par des entités privées puissantes, établies dans les secteurs de la défense et de la technologie.

En avril de la même année, le général James McCarthy terminait sa revue de transformation de la défense demandée par Rumsfeld. Son rapport soulignait de manière répétée le côté indispensable de la surveillance de masse à la transformation du DoD. Quant à Marshall, son rapport complémentaire à destination de Rumsfeld allait développer un schéma directeur définissant l’avenir du Pentagone à l’« âge de l’information ».

O’Neill affirma également qu’afin de développer la doctrine de la guerre de l’information, le Forum avait tenu des discussions complètes sur la surveillance électronique et « ce qui constitue un acte de guerre dans un environnement informationnel ». Des articles sur la politique de défense des Etats-Unis, rédigés à la fin des années 1990 par les consultants John Arquilla et David Rondfeldt, tous deux membres de longue date du RAND Highlands Forum, ont été produits « à la suite de ces réunions », explorant les dilemmes politiques quant à l’objectif de « supériorité de l’information »« Un truc qui choquait le grand public aux États-Unis, c’est que nous n’allions pas nous servir sur les comptes [bancaires, NdT] de Milosevic, alors que techniquement, nous avions la capacité électronique de le faire », commenta O’Neill. [Déclaration « savoureuse » à la lumière du fait que Milosevic ne fut jamais reconnu coupable par la Cour pénale internationale, et de la farce qu’y constitua son acte d’accusation – mais c’est une autre histoire, NdT].

Malgré le fait que le processus de R&D encadrant la stratégie de transformation du Pentagone reste classifié, on peut tout de même glaner la teneur des discussions qui se tenaient à l’époque au DoD en examinant une monographie de recherche de l’Ecole des hautes études militaires de l’armée américaine, (US Army School of Advanced Military Studies), apparaissant dans Military Review, le journal du DoD, et dont l’auteur est un agent du renseignement actif de l’armée.

« L’idée d’une surveillance permanente en tant que possibilité de transformation a circulé dans la communauté du renseignement nationale et au Département de la défense (DoD) depuis au moins trois ans », dit le papier, en référence à l’étude de transformation mandatée par Rumsfeld.

Le papier de l’armée poursuivait en passant en revue une suite de documents militaires officiels de haut niveau, parmi lesquels un document émis par le Bureau du président des chefs d’État-Major interarmées, [Office of the Chairman of the Joint Chiefs of Staff, NdT], montrant que la « surveillance permanente » constituait un thème central de la vision centrée sur l’information de la politique de la défense, partout au Pentagone.

Nous savons désormais que deux mois tout juste avant l’allocution d’O’Neill à Harvard en 2001, sous le programme TIA, le président Bush avait autorisé en secret l’espionnage intérieur des habitants étasuniens par la NSA, sans mandat de la Justice, dans ce qui semble avoir constitué une modification hors la loi du projet de « data-mining »ThinThread – comme révélé ultérieurement par William Binney et Thomas Drake, deux lanceurs d’alertes venus de la NSA.

Le noyau espionnage-jeune pousse

À partir d’ici, la SAIC, partenaire du Highlands Forum, joua un rôle clé dès le début du déploiement réalisé par la NSA. Peu après le 11 septembre, Brian Sharkey, responsable technologiques pour l’ELS3 Sector de la SAIC (qui s’intéresse en particulier aux systèmes informatiques de réponse aux urgences), s’est allié avec John Poindexter pour mettre en avant le programme de surveillance TIA. Sharkey, de la SIAC, avait auparavant tenu le poste de directeur adjoint du bureau des systèmes d’information de la DARPA, dans les années 90.

Et à peu près à la même époque, Samuel Visner, vice-président aux développements dédiés aux entreprises de la SAIC, devint le directeur des programmes de renseignement des signaux de la NSA. La SAIC figurait alors au sein d’un consortium qui se vit octroyer un contrat de 200 millions de dollars pour développer l’un des systèmes d’espionnages secrets de la NSA. En 2003, Visner retourna à la SAIC en tant que directeur de planification stratégique et du développement des affaires du groupe de renseignement de la firme.

Toujours la même année, la NSA consolida son programme TIA de surveillance électronique sans mandat, pour garder « la trace des individus » et comprendre « comment ils se comportent selon des modélisations », en établissant des profils à  risque des citoyens étasuniens et étrangers. TIA y parvenait en intégrant des bases de données du domaine de la finance ; du monde du voyage ; des dossiers médicaux ; des dossiers de formations ; et d’autres bases de données encore, agglomérées dans une « immense base de données virtuelle centralisée ».

C’est encore cette même année que l’administration Bush établit sa notoire feuille de route des opérations en information [Information Operations Roadmap, NdT]. Décrivant l’internet comme un « système d’armement vulnérable », cette feuille de route poussée par Rumsfeld plaidait pour que la stratégie du Pentagone « soit fondée sur l’axiome voulant que le Département [de la défense] ‘combattra le net’ de la même manière qu’il combattrait un système d’armement ennemi ». Les USA devaient viser « un contrôle aussi large que possible »du « spectre entier des systèmes de communication en émergence au niveau mondial, ainsi que des capteurs et systèmes d’armement », plaide le document.

L’année suivante, John Poindexter, qui avait proposé et mis en œuvre le programme de surveillance TIA alors qu’il était en poste à la DARPA, assistait à l’instance du Highlands2004 Island Forum à Singapour. On comptait parmi les autres participants Linton Wells, co-président du Highlands Forum et DSI du Pentagone ; John Rendon, le président du bien connu fournisseur du Pentagone en matière de guerre de l’information ; Karl Lowe, directeur du centre de commandement de la division des combats avancés interarmées [Joint Forces Command (JFCOM) Joint Advanced Warfighting Division, NdT] ; le vice-Maréchal de l’armée de l’air Stephen Dalton, en charge des compétences de supériorité informationnelle au ministère anglais de la défense ; le lieutenant général Johan Kihl, chef d’État-Major du commandement suprême des forces armées suédoises ; et d’autres encore.

Depuis 2006, la SAIC s’est vue octroyer un contrat de plusieurs millions de dollars par la NSA, en vue de développer un vaste projet de « data-mining » appelé « ExecuteLocus », malgré l’énorme échec à 1 milliards de dollars de son contrat précédent, « Trailblazer ». Les composants centraux de TIA se sont vus « discrètement prorogés » sous « de nouveaux noms de code », selon Shane Harris du Foreign Policy, mais leur fonctionnement était dissimulé « derrière le voile que constitue la confidentialité des budgets de renseignement ». Le nouveau programme de surveillance, à partir de ce stade, ne dépendait plus de la DARPA mais de la NSA.

Toujours en 2006 se tint à Singapour un autre Island Forum, dirigé par Richard O’Neill, qui y représentait le Pentagone. Cette session reçut comme invités des hauts fonctionnaires des USA, du Royaume-Uni, d’Australie, de France, d’Inde et d’Israël. Parmi les participants, on comptait également des techniciens et ingénieurs de Microsoft, d’IBM, ainsi que Gilman Louie, associé de la société Alsop Louie Partners – spécialisée en investissements technologiques.

Gilman Louie est un ancien PDG d’In-Q-Tel – la société de la CIA qui investit surtout dans des jeunes pousses développant une technologie de « data-mining ». In-Q-Tel se vit fondée en 1999 par la direction de la CIA aux sciences et technologies, dont dépendait le Bureau de R&D (l’ORD) – que l’on retrouvait, souvenez-vous, derrière le programme MDDS qui finança Google. L’idée en était à ce stade de remplacer les fonctions jusqu’alors gérées par l’ORD, en activant le secteur privé, afin qu’il développe les solutions informatiques pour la communauté du renseignement dans son ensemble.

Louie avait dirigé In-Q-Tel de 1999 à janvier 2006 – il occupait donc ce poste quand Google acheta Keyhole, le logiciel de cartographie satellite financé par In-Q-Tel. On trouvait au conseil d’administration d’In-Q-Tel à cette même époque Anita Jones, ancienne directrice de la DARPA et co-présidente du Highlands Forum (jusqu’à ce jour) ; William Perry, membre fondateur du conseil d’administration : l’homme qui avait mandaté O’Neill pour monter le Highlands Forum au tout début. Aux côtés de Perry, John Seely Brown, travaillant également pour In-Q-Tel et également membre fondateur du conseil d’administration – il était à l’époque directeur scientifique chez Xerox Corp et directeur du Palo Alto Research Center (PARC) (une division de Xerox) entre 1999 et 2002 : ce dernier personnage constitue également un membre haut-placé du Highlands Forum, et ce depuis son lancement.

Derrière In-Q-Tel, on trouve donc la CIA, mais également le FBI, la NGA, ainsi que l’agence de renseignements de la défense, parmi d’autres agences. Plus de 60% des investissements réalisés par In-Q-Tel sous le mandat de Louie furent alloués à « des sociétés spécialisées dans la collecte automatisée, et à la classification d’océans de données », si l’on en croit News21, de la Medill School of Journalism. Cette dernière a également noté que Louie en personne a reconnu qu’il n’était pas possible d’établir « que les libertés publiques et privées soient protégées » avec ces données utilisées par le gouvernement « à des fins de sécurité nationale ».

La retranscription faite par Richard O’Neill du séminaire, tenu fin 2001 à Harvard, établit que le Highlands Forum, affilié au Pentagone, avait embauché Gilman Louie bien avant que le Island Forum n’en fasse autant. De fait, Louie rejoignit le premier juste après le 11 septembre, pour explorer « ce qui se passait avec In-Q-Tel ». Cette session du Forum s’était intéressée aux méthodes permettant de « tirer bénéfice de la rapidité du marché commercial, jusqu’à présent absente de la communauté scientifique et technologique de Washington » et d’en comprendre « les implications pour le DoD en terme de revue stratégique, ainsi que pour le QDR, les décisions du Congrès, et les autres parties prenantes ». On comptait parmi les participants à cette session « des dirigeants militaires » ; des commandants des forces combattantes ;  des officier généraux supérieurs ; des gens de l’industrie de la défense et divers représentants des USA, parmi lesquels un membre républicain du Congrès William Mac Thornberry et le sénateur Joseph Lieberman.

Thornberry comme Lieberman constituent des ardents soutiens à la surveillance de la NSA, et ont constamment œuvré à mobiliser des soutiens aux lois pro-guerre et pro-surveillance. Les commentaires d’O’Neill indiquent que le rôle du Forum ne se limite pas à « uniquement » permettre aux sous-traitants privés d’écrire les politiques du Pentagone ; il s’agit également de mobiliser un soutien politique aux politiques gouvernementales adoptées au travers du réseautage informel fantôme que permet le Forum.

O’Neill a dit et répété devant son public à Harvard que son travail en tant que président du Forum était de cadrer des études de cas provenant de sociétés du secteur privé, comme eBay et Human Genome Sciences, pour établir les fondements de la « supériorité de l’information » étasunienne – « comment dominer » le marché de l’information – et utiliser ces travaux comme leviers pour « faire ce que le président et le secrétaire de la défense veulent afin de transformer le DoD et la revue stratégique ».

En 2007, un an après la rencontre du Island Forum à laquelle assistait Gilman Louie, Facebook recevait son deuxième tour de table, établi à 12,7 millions de dollars, de la part d’Accel Partners. Accel était dirigé par James Breyer, ancien président de la National Venture Capital Association (NVCA) [association nationale de capital risque, NdT], au conseil d’administration duquel figure également Louie en plus de ses fonctions à In-Q-Tel. Louie comme Breyer avaient également tous les deux figuré au conseil d’administration de BBN Technologies – qui avait recruté Anita Jones, l’ex-dirigeante de la DARPA et mandataire d’In-Q-Tel.

Le tour de table de Facebook de 2008 fut dirigé par Greylock Venture Capital, qui apporta 27,5 millions de dollars. Parmi les associés dirigeants de cette société, on trouve Howard Cox, qui fut lui aussi président de la NVCA, et qui a sa place au conseil d’administration d’In-Q-Tel. Outre Breyer et Zuckerberg, le seul autre membre du conseil d’administration est Peter Thiel, cofondateur de Palantir, sous-traitant en défense, qui vend toute une gamme de technologies de « data-mining » et de visualisation au gouvernement étasunien, aux agences militaires et de renseignement, y compris la NSA et le FBI, et qui fut elle-même biberonnée par les membres du Highlands Forum jusqu’à devenir viable financièrement.

Thiel et Alex Karp, les co-fondateurs de Palantir, firent connaissance de John Poindexter en 2004, selon Wired, la même année que celle où Poindexter participa au Highlands Island Forum à Singapour. Ils se rencontrèrent au domicile de Richard Perle, un autre acolyte d’Andrew Marshall. Poindexter ouvrit des portes à Palantir, et contribua à assembler « une légion de défenseurs en provenance des strates les plus influentes du gouvernement ». Thiel avait également rencontré Gilman Louie d’In-Q-Tel, pour s’assurer du soutien de la CIA lors de cette phase préparatoire.

Et la boucle est bouclée. Des programmes de « data-mining » comme ExecuteLocus et des projets qui lui sont reliés, développés au cours de cette période, constituèrent manifestement le socle des nouveaux programmes finalement dévoilés par Edward Snowden. Au moment où Facebook recevait ses financements de Greylock Venture Capital, en 2008, les documents et le témoignage du lanceur d’alerte confirmaient que la NSA était en train de ressusciter le projet TIA, avec un centrage sur le « data-mining »d’Internet, réalisé par une supervision totale des e-mails, des messages textes et de la navigation web.

Nous savons également, grâce à Snowden, que le système d’exploitation « Digital Network Intelligence » XKeyscore, de la NSA, a été conçu pour permettre aux analystes de rechercher non seulement dans les bases de données internet comme les emails, les messageries instantanées et les historiques de navigation, mais également dans les services téléphoniques, les conversations vocales, les transactions financières et les communications mondiales de transport aérien – en réalité, l’ensemble de la grille de télécommunication mondiale. La SAIC, partenaire du Highlands Forum, a joué un rôle clé, parmi d’autres sous-traitants, dans la production et l’administration du système XKeyscore de la NSA : on l’a trouvée récemment impliquée dans le piratage par la NSA du réseau privé Tor.

Le Highlands Forum, émanation du Pentagone, fut donc intimement impliqué dans toutes ces réalisations, non seulement en tant que réseau, mais aussi de manière très directe. Le DSI du Pentagone, Linton Wells, alors vice-président du Forum, déclara en 2009 au magazine FedTech qu’il avait supervisé le déploiement par la NSA « l’été précédent, d’une architecture à long terme, impressionnante, qui allait apportait un niveau de sécurité de plus en plus évolué jusqu’en 2015 environ », ce qui vient confirmer son rôle central dans l’expansion de l’appareil de surveillance mondiale tenu par les USA.

La connexion à Goldman Sachs

Quand j’ai questionné Wells quant au rôle d’influence du Forum sur la surveillance de masse des USA, il m’a uniquement répondu ne pas souhaiter faire de commentaires, et ne plus diriger le groupe.

Wells ne figurant plus au gouvernement, on pouvait s’y attendre – mais ses connections au Highlands ne se sont pas dénouées. Depuis septembre 2014, après avoir livré son décisif  livre blanc sur la transformation du Pentagone, il a rejoint la Cyber Security Initiative (CySec) du Monterey Institute for International Studies, (Institut d’études internationales de Monterey), (MIIS), sous le titre d’agrégé de recherche [distinguished senior fellow, NdT].

Tristement, ce ne fut pas une simple manière de s’occuper pendant sa retraite. Sa nouvelle nomination souligna la nouvelle conception de la guerre de l’information par le Pentagone : il ne s’agit plus uniquement de surveillance, il s’agit d’exploiter la surveillance pour influencer le gouvernement d’un côté, et l’opinion publique de l’autre.

L’initiative CySec du MIIS est à présent officiellement partenaire [l’information a disparu de leur site, mais reste disponible en archive, NdT] du Highlands Forum, au travers d’un Mémorandum de compréhension [Même chose, la référence a disparu de leur site, mais reste disponible en archive, NdT] signé par le Dr Amy Sands, la doyenne du MIIS, qui siège également à l‘International Security Advisory Board [conseil consultatif à la sécurité internationale, NdT] du secrétaire d’État. Le site web du CySec affirme que le Mémorandum en question, signé avec Richard O’Neill :

… ouvre la voie vers des sessions conjointes entre le MIIS CySec et le Highlands Group à l’avenir, qui permettront d’envisager les impacts de la technologie sur la sécurité, la paix et le combat informationnel. Depuis presque 20 ans, le Highlands Group a intégré des dirigeants du secteur privé et du gouvernement, parmi lesquels des dirigeants des renseignements nationaux, de la DARPA, du bureau du Secrétaire à la défense, du Bureau du secrétaire à la sécurité intérieure, et du ministre singapourien de la défense, lors de discussions créatives définissant les nouveaux cadres de recherche technologique et des nouvelles politiques.

Qui est le bénéficiaire financier de la nouvelle initiative conjointe entre le Highlands et la MIIS CySec ? Selon le site web de la MIIS CySec, l’initiative fut lancée « grâce à un généreux financement d’amorçage de la part de George Lee ». George C. Lee est l’un des associés dirigeants de Goldman Sachs, où il tient le poste de DSI d’une division d’investissement bancaire, et il préside également le groupe mondial Technology, Media and Telecom (TMT).

Mais c’est là qu’est l’os. En 2011, c’est Lee qui s’était occupé d’évaluer la valorisation de Facebook à 50 milliards de dollars, et il avait auparavant géré des affaires pour d’autres géants technologiques connectés au Highlands, comme Google, Microsoft et eBay. Le patron de Lee de l’époque, Stephen Friedman, ancien PDG de Goldman Sachs, et ensuite associé dirigeant du conseil d’administration de la société, fut également l’un des fondateurs du conseil d’In-Q-Tel aux côtés de William Perry, « suzerain » du Highlands Forum, et de John Seely Brown, membre du Forum.

En 2001, Bush nomma Stephen Friedman au conseil consultatif des renseignements auprès du président, et il en vint à présider ce conseil de 2005 à 2009. Friedman avait auparavant été en poste auprès de Paul Wolfowitz et d’autres dans la commission d’enquête de 1995-1996 sur les capacités de renseignements étasuniennes, puis en 1996 dans le Panel Jeremiah, qui produisit un rapport destiné au directeur du bureau de reconnaissance nationale [National Reconnaisance Office (NRO), NdT] – l’une des agences de renseignements branchées sur le Highlands Forum. Friedman figurait dans le Panel Jeremiah avec Martin Faga, alors vice-président et directeur général du Center for Integrated Intelligence Systems de la MITRE – centre où Thuraisingham, qui assura la direction du programme conjoint CIA-NSA-MDDS qui inspira le « data-mining » de contre-terrorisme de la DARPA, fut également ingénieur en chef.

Dans les notes de bas de page d’un chapitre du livre Cyberspace and National Security(édité par Georgetown University Press), Jeff Cooper, dirigeant de la SAIC/Leidos, révèle que Philip J.M. Venables, qui, à titre de chef de la gestion des risques liés à l’information, dirige les programmes de sécurité de l’information du cabinet, a fait une présentation au Highlands Forum en 2008 dans le cadre de ce qu’on a appelé une « séance d’enrichissement de la dissuasion ». Le chapitre de Cooper s’inspire de la présentation de Venables aux Highlands « avec sa permission ». En 2010, Venables a participé avec son ancien patron Friedman à une réunion de l’Aspen Institute sur l’économie mondiale. Au cours des dernières années, Venables a également siégé à divers comités d’examen des prix de la NSA en matière de cybersécurité.

En résumé, derrière la création des fortunes se comptant en milliards de dollars derrières les grandes sociétés technologiques du XXIème siècle, de Google à Facebook, on trouve, responsable de leur création même, une société d’investissement intimement liée à la communauté du renseignement étasunien ; avec Venables, Lee et Friedman, ou bien directement connectés au Highlands Forum, ou bien membres dirigeants du Forum.

Combattre la terreur par la terreur

La convergence de ces puissants intérêts financiers et militaires autour du Highlands Forum est en soi révélatrice, comme l’est le soutien qu’apporte George Lee à l’initiative MIIS Cysec, nouvelle partenaire du Forum.

Le Dr Itamara Lochard, directrice en poste du MIIS Cysec, a longtemps fait partie du Highlands Forum. Il arrive fréquemment qu’elle « présente les recherches à jour sur les groupes non étatiques, la gouvernance, la technologie et le conflit devant le Bureau étasunien du Secrétaire à la Défense dans le cadre du Highlands Forum », selon sa biographie sur le site de l’université de Tufts. Elle « conseille également régulièrement les commandants de combattants étasuniens » et se spécialise dans l’étude de l’utilisation des technologies de l’information par « des groupes infra-étatiques violents et non violents ».

Le Dr Itamara Lochard est un membre dirigeant du Highlands Forum et une experte des opérations informationnelles auprès du Pentagone. Elle dirige l’initiative du MIIS CyberSec qui soutient désormais le Highlands Forum par des financements de George Lee, un associé de Goldman Sachs, qui avait dirigeait les évaluations des valorisations des sociétés Facebook et Google.

 

Le Dr Lochard maintient également une base de données exhaustive de 1700 groupes non étatiques, comprenant « des insurgés ; des milices ; des terroristes ; des organisations criminelles complexes ; des gangs organisés ; des cyber-acteurs malveillants ainsi que des acteurs non-violents stratégiques », pour analyser leurs « motifs d’organisation, zones de coopération, stratégies et tactiques ». Notez bien, ici, la mention d’« acteurs stratégiques non-violents » – qui peut couvrir des ONGs et d’autres groupes ou organisations engagés dans des activités sociales politiques ou des campagnes, si l’on en juge le focus d’autresprogrammes de recherche du DoD.

Depuis 2008, Lochard est professeur-adjoint à l’université interarmées étasunienne des opérations spéciales, où elle inculque un cours avancé top secret en « guerre clandestine », qu’elle destine aux hauts-dirigeants des forces spéciales étasuniennes. Elle a auparavant enseigné un cours de « guerre interne » aux hauts « dirigeants politico-militaires » de divers régimes du Golfe.

Ses points de vue révèlent donc beaucoup d’informations sur ce que le Highlands Forum a nourri au fil des années. En 2004, Lochard co-signait une étude pour lInstitute for National Security Studies, (Institut d’études sur la sécurité nationale),  (rattaché à l’US Air Force), au sujet de la stratégie étasunienne envers les « groupes armés non-étatiques ». Cette étude, d’un côté, avançait la thèse selon laquelle des groupes armés non-étatiques devraient de manière urgente se voir reconnus comme « priorité de sécurité de premier niveau », et d’un autre côté, arguait que la prolifération de groupes armés « ouvre des opportunités stratégiques qui peuvent être exploitées pour contribuer à atteindre d’autres buts politiques. Il y a eu et il y aura encore des instances où les États-Unis peuvent considérer qu’une collaboration avec des groupes armés répond à leurs intérêts stratégiques ». Mais des « outils sophistiqués » doivent être développés pour classifier ces différents groupes, comprendre leurs dynamiques, et déterminer lesquels garder, et lesquels pourraient être exploités dans l’intérêt des USA. « Les profils de groupes armés peuvent, de la même manière, être utilisé pour identifier les manières dont les États-Unis pourront assister certains groupes armés dont le succès leur apportera des avancées en politique étrangère ».

En 2008, Wikileaks publia un manuel d’opérations secret réservé aux Opérations spéciales de l’armée des USA, qui démontre que le modèle de pensée que propose les gens comme l’experte Lochard du Highlands Forum a bel et bien été adopté par les forces spéciales étasuniennes.

Les travaux de Lochard démontrent donc que le Highlands Forum a été positionné à l’intersection entre la stratégie avancée de surveillance du Pentagone, les opérations clandestines et la guerre non conventionnelle : mobilisation de la surveillance de masse pour développer des informations précises sur les groupes violents et non-violents perçus comme potentiellement menaçants envers les intérêts étasuniens, ou proposer des opportunités d’exploitation, en lien direct avec les opérations clandestines étasuniennes.

Voilà, en fin de compte, pourquoi la CIA, la NSA, le Pentagone lancèrent Google. Pour pouvoir mener leurs guerres sales clandestines avec plus d’efficacité que jamais auparavant.

Un second article suivra, sous le titre : « … et Google créa la NSA »

Nafeez Ahmed

Liens

Google : un simple moteur de recherche, ou un membre de l’État profond?

Les fausses bannières dans l’histoire moderne

 

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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Dans les profondeurs historiques de l’État profond étasunien


Par Jada Thacker – Le 23 juin 2017 – Source Consortium News
http://lesakerfrancophone.fr/dans-les-profondeurs-historiques-de-letat-profond-etasunien


Deep state

Il semble que tout le monde parle de l’État profond de nos jours. Bien que le terme semble avoir pénétré le langage commun à la fin des années 1990, pendant des années il ne faisait référence qu’à des gouvernements de l’ombre étrangers, sûrement pas à notre propre « nation indispensable ».

Est-ce que la présence soudaine d’un État profond américain – grossièrement définie comme une élite non élue qui manipule le gouvernement élu pour servir ses propres intérêts – constitue une menace nouvelle, voire existentielle, pour la démocratie ?

Pas vraiment. La menace semble assez réelle, mais elle n’est pas nouvelle. Considérez ces faits : il y a 230 ans, un groupe non élu d’élites américaines a tenu une réunion secrète avec un ordre du jour non divulgué. Leur but n’était pas seulement de manipuler un gouvernement légitime dans leur propre intérêt, mais de l’abolir complètement. À sa place, ils installeraient un gouvernement radicalement non démocratique – un gouvernement « plus parfait », ont-ils déclaré – disons mieux adapté à leurs portefeuilles d’investissement.

L’histoire n’appelle pas ces conspirateurs l’État profond. Elle les appelle les Fondateurs. Les Fondateurs ne se considéraient pas eux-mêmes comme des conspirateurs, mais comme des « républicains » – non pas en référence à un parti politique, mais plutôt à leur position économique dans la société. Mais leur dévouement au « républicanisme » était visiblement intéressé. Un texte courant de l’université, « The American Journey : A History of the United States », révèle, sans l’expliquer, « l’idéologie républicaine » :

« Leur principal rempart contre la tyrannie était la liberté civile, ou le maintien du droit des gens à participer au gouvernement. Les gens qui le faisaient devaient, par contre, démontrer leur vertu. Pour les républicains du dix-huitième siècle, les citoyens vertueux étaient ceux qui ne se concentraient pas sur leurs intérêts privés, mais plutôt sur ce qui était bon pour le public dans son ensemble.

Ils étaient forcément des propriétaires, puisque seuls ces individus pouvaient exercer une indépendance de jugement, impossible pour ceux qui dépendent d’un employeur, de propriétaires fonciers, de maîtres ou (dans le cas des femmes et des enfants) d’un mari et d’un père. »

Le républicanisme était une idée intéressante si vous étiez un maître ou propriétaire, qui étaient les seules personnes que cette idéologie considérait comme assez « vertueuses »pour voter ou occuper un poste politique. Ainsi, le « républicanisme » – pratiquement indiscernable du « néolibéralisme » d’aujourd’hui – a créé l’État profond original à l’image du système économique qu’il était conçu pour perpétuer.

La façon dont cela a été accompli n’est pas un récit réconfortant. Mais il ne peut être relié au présent ni compris sans apprécier le contexte historique dans lequel il s’est déroulé.

Maîtres et serviteurs

L’Amérique postcoloniale était principalement agraire, et environ 90% de la population était agricultrice. (La plus grande ville, en 1790, était New York et son énorme population de 33 000 habitants.) Il y avait une petite classe moyenne d’artisans, de commerçants et même une poignée d’ouvriers, mais les gens politiquement et économiquement puissants étaient relativement peu nombreux – des gros commerçants et des propriétaires fonciers – qui faisaient également fonction de banquiers.

Le gouverneur Morris, délégué à la Convention constitutionnelle

L’Amérique n’était pas vraiment une société féodale, mais elle y ressemblait. Les gens du commun ne passaient pas par la porte principale des riches mais étaient reçus par celle de derrière. La plupart des États avaient des religions officielles, certaines avec fréquentation obligatoire de l’église et amendes en cas d’absence. L’échange était la monnaie courante de la grande majorité. Les endettés étaient emprisonnés. Les parents vendaient leurs enfants en servitude. Ce n’est pourtant pas ce à quoi pensent la plupart des gens quand ils entendent « Yankee Doodle Dandy ».

Dans tous les États le vote était restreint aux hommes qui possédaient une quantité requise de biens, alors que la majorité, les femmes non veuves, les serviteurs et les locataires ne possédaient aucun bien. En outre, la plupart des États avaient des exigences de propriété pour être éligible, et dans certains les fonctions supérieures étaient réservées à ceux qui possédaient le plus de biens. De telles restrictions ont discriminé la sous-classe urbaine et les agriculteurs depuis le début de la colonisation américaine.

Personne à cette époque ne qualifiait de « démocratie » cette terre de maîtres et de serviteurs. En effet, la classe dirigeante considérait la « démocratie » comme un synonyme de « maitrise de la foule ». Mais tout le monde n’était pas heureux de cette « vertu républicaine » dans l’Amérique de l’après-révolution, encore moins les esclaves des « vertueux ».

La révolution a bien provoqué des envies de liberté sociale et économique parmi la classe inférieure, mais lorsque la guerre a pris fin, rien n’a changé. En fait, cette guerre s’est révélée ne pas être une révolution, mais une simple alternance entre des seigneurs britanniques et des seigneurs américains. Edmund Morgan, considéré comme le doyen de l’histoire américaine à l’époque coloniale, a caractérisé la « guerre non révolutionnaire »de cette façon :

« Le fait que les rangs inférieurs étaient impliqués dans le combat ne devrait pas obscurcir l’autre fait que cette guerre était surtout une lutte pour le pouvoir et les hautes fonctions politiques entre des membres de la classe supérieure : la nouvelle contre celle établie. »

Environ 1 % de la population américaine est morte dans cette guerre menée, leur a-t-on dit, pour la « liberté ». (Comparez : si les États-Unis perdaient la même proportion de sa population dans une guerre aujourd’hui, le résultat serait de plus de trois millions de morts américains.) Pourtant, après la guerre, la liberté économique n’était nulle part en vue.

De plus, le concept même de « liberté » signifiait une chose pour un fermier et autre chose pour son riche propriétaire ou un commerçant. La liberté pour le fermier – qui était généralement un agriculteur de subsistance ne cultivant pas pour faire de l’argent, mais plutôt pour nourrir sa famille – signifiait rester hors de toute dette. La liberté pour les commerçants et les propriétaires – pour qui il s’agissait de faire des bénéfices financiers – signifiait conserver la capacité de prêter ou de louer à d’autres et d’accéder au pouvoir gouvernemental afin de faire respecter les remboursements des débiteurs et les loyers des locataires.

Tout comme les Indiens d’Amérique qui possédaient auparavant la terre occupée maintenant par les agriculteurs de subsistance américains, les fermiers endettés faisaient face à la perspective impensable de perdre leur capacité à nourrir leurs familles (et leur droit de voter) si leurs terres étaient confisquées pour des impôts ou des dettes non payés. [Voir Consortiumnews.com, Comment la dette a conquis l’Amérique.]

La perte de ses terres condamnait un propriétaire à une vie de locataire. Et la servitude des locataires et des esclaves n’était surtout qu’une question de fer ou de papier : les esclaves étaient enchainés par le fer, les locataires étaient enchainés par les dettes. Mais le fer comme le papier étaient tous deux soutenus par la loi.

À la fin de la guerre révolutionnaire, près d’un tiers des fermiers américains possédaient leur propre terre. Lorsque les élites urbaines ont commencé à faire payer les dettes et à augmenter les impôts des agriculteurs de subsistance – dont beaucoup avaient combattu une longue et terrible guerre pour assurer leur « liberté » – cela constitua un assaut direct contre le dernier bastion de l’indépendance économique des Américains.

La première grande récession

Après la guerre, les commerçants et les banques britanniques ne faisaient plus crédit aux Américains. En outre, la Grande-Bretagne a refusé d’autoriser les Américains à commercer avec leurs colonies des Indes occidentales. Et, pour aggraver les choses, la marine britannique ne protégeait plus les navires américains des pirates nord-africains, leur interdisant effectivement le commerce méditerranéen. Parallèlement, la marine américaine ne pouvait pas protéger les convois maritimes américains, en Méditerranée ou ailleurs, parce que l’Amérique ne possédait pas de marine militaire.

Dans le passé, les marchands américains commerçaient avec leurs fournisseurs britanniques en bénéficiant de délais de paiement. Trop d’Américains ayant refusé de payer leurs traites après la Révolution, les Britanniques ont donc demandé « à être payés au comptoir », avec pièces d’or et d’argent, avant que leurs marchandises ne soient livrées en Amérique.

Comme toujours, les Américains avaient un nombre de pièces limité pour payer ces achats. Au fur et à mesure que la crise du crédit a pris de l’ampleur, les grossistes ont exigé un paiement en espèces auprès des détaillants, les détaillants ont demandé la même chose à leurs clients. Les commerçants ont commencé à récupérer leurs prêts qu’ils avaient consentis aux fermiers, remboursables en pièces de monnaie. Les fermiers sans pièces de monnaie ont été forcés de vendre leurs biens, leur bétail ou leurs terres durement gagnés pour réunir l’argent afin d’éviter une saisie imposée par le tribunal, qui comprenait non seulement la saisie et la vente de leurs biens, mais aussi un emprisonnement pour dettes non payées.

Le président George Washington

Le résultat le plus visible de la guerre américaine pour la « liberté » s’est avéré être une récession économique qui a duré une décennie. Malgré cela, la récession n’aurait pas posé de problème pour les agriculteurs de subsistance qui possédaient des terres, qui vivaient dans des sociétés rurales et autonomes, matériellement autosuffisantes. Mais lorsque les gouvernements des États ont commencé à augmenter les taxes sur les fermiers, taxes payables seulement en pièces d’or et d’argent, fort peu disponibles, même les agriculteurs « autosuffisants » se sont retrouvés soumis au risque de perdre la capacité de nourrir leurs familles.

Dette, spéculation et l’État profond

Le Congrès a bien tenté de payer sa guerre contre la Grande-Bretagne en imprimant du papier-monnaie. Les Britanniques ont affaibli ces dollars « continentaux », non seulement en poussant les marchands américains à payer en or et en argent, mais aussi en imprimant des millions de faux dollars continentaux et en les mettant en circulation. Le résultat global a été une dévaluation catastrophique du dollar continental, qui, à la fin de la guerre, était sans valeur.

En attendant, le Congrès et les gouvernements des États avaient emprunté pour payer leur « liberté ». À la fin de la guerre, la dette s’élevait à 73 millions de dollars, dont 60 millions étaient dus aux créanciers nationaux. C’était une somme d’argent énorme. Dans son chef-d’œuvre consciencieusement ignoré, « An Economic Interpretation of the Constitution of the United States », l’historien Charles A. Beard a montré que la dette de guerre détenue à l’étranger équivalait à 10% de la valeur de toutes les exploitations recensées (y compris les maisons) dans tous les États-Unis de l’époque.

Il fallait aussi, bien sûr, payer les intérêts de cette dette ; ce qui pose problème si vous êtes endetté, mais est une bonne chose si elle vous est due. Non seulement la « liberté n’était pas gratuite », mais elle fut accompagnée de dividendes pour les investisseurs de l’État profond. Cela devrait vous paraitre au moins vaguement familier de nos jours.

Comme le papier-monnaie continental avait perdu de sa valeur, le Congrès et les gouvernements des États ont continué à payer pour leur « liberté » avec des pièces empruntées avec intérêts. Quand elles ont manqué, le gouvernement n’a payé qu’avec des promesses de paiement à une date ultérieure – de simples morceaux de papier promettant de payer en pièces de monnaie (ou en terre) à un moment indéterminé après que la guerre serait gagnée.

C’est ainsi que le gouvernement a approvisionné les troupes (chaque fois qu’il a pu le faire) et qu’il a payé ses salaires. Dans la pratique, cependant, le Congrès ne payait souvent rien aux troupes, même pas avec des promesses de papier, n’offrant que la promesse verbale de les payer à la fin de la guerre.

Mais la guerre n’est jamais une entreprise lucrative pour un gouvernement, et lorsqu’elle s’est terminée, les finances du gouvernement étaient encore plus à sec que jamais. Alors, il a écrit ses promesses verbales sur des morceaux de papier et les a remis à ses troupes démobilisées avec un chaleureux « bonne chance avec ça ! ». Même ainsi, le Congrès a payé les soldats avec des obligations qui ne payaient qu’une fraction du temps que la plupart avaient servi, promettant (encore !) de payer le solde plus tard – ce qu’il ne fit jamais.

Des milliers de soldats ont été abandonnés de cette façon. La plupart n’ont pas été payés avant des années (quand ils l’ont été), et beaucoup étaient à des centaines de kilomètres de leurs maisons – malades, blessés et affamés – comme ils l’étaient depuis des mois et des années. D’autres étaient habillés uniquement de chiffons. Certains portaient des promesses en papier pour être payés en argent, d’autres en terres géographiquement éloignées – dont aucune ne serait disponible avant des années, voire pas du tout.

L’ancien combattant de la guerre révolutionnaire de sept ans, Philip Mead, a décrit son sort dans des mémoires amères intitulées « A Narrative of Some of the Adventures, Dangers and Sufferings of a Revolutionary Soldier » (Le récit de quelques aventures, dangers et souffrances d’un soldat révolutionnaire) :

« Nous étions absolument affamés. Je déclare solennellement que je n’ai pas mis un seul morceau de nourriture dans ma bouche pendant quatre jours et autant de nuits, à l’exception d’une petite écorce de boule noire que j’ai obtenu en mâchant un bâton de bois, si on peut appeler cela de la nourriture. J’ai vu plusieurs hommes rôtir leurs vieilles chaussures et les manger … .

Quand le pays a pressé la dernière goutte de travail qu’il pouvait obtenir des pauvres soldats, ils étaient laissé à la dérive comme de vieux chevaux fatigués, et rien n’était dit au sujet des terres qu’ils pourraient cultiver. »

C’était cela la liberté ? Pour les anciens combattants appauvris, la « liberté » semblait sinistre, en effet. Pour les spéculateurs sur les obligations d’État, la liberté prenait l’apparence d’une opportunité en or, littéralement parlant.

Les vautours possédaient des pièces de monnaie et achetaient des obligations d’État valant un dollar, pour juste un nickel. Les spéculateurs se sont enrichis non seulement grâce aux promesses faites aux anciens combattants désespérés (dont beaucoup ont vendu leurs promesses simplement pour obtenir de la nourriture et des vêtements sur leur longue route de retour à la maison), mais aussi à celles d’une foule de personnes dont les biens ou les services avaient été payés avec des lettres de créance.

Les spéculateurs optimistes s’accaparaient des obligations des spéculateurs pessimistes. Plus les gens devenaient désespérés pendant la récession, plus ils vendaient leurs promesses à bas prix à ceux qui ne l’étaient pas.

Les spéculateurs s’attendaient à ce que leurs investissements, même ceux consistant en du papier-monnaie sans valeur, soient payés en pièces d’or ou d’argent. De plus, les « initiés » s’attendaient à ce que toutes ces promesses gouvernementales soient éventuellement converties – discrètement si possible – en des emprunts avec intérêt, grâce à une autorité fiscale unique et puissante. Tout l’État profond avait besoin maintenant d’un gouvernement national pour sécuriser ce plan d’investissement. Un homme nommé Daniel Shays a involontairement aidé à répondre à ce besoin.

Rébellion et répression

Thomas Jefferson a écrit la phrase célèbre : « L’arbre de la liberté doit être rafraîchi de temps en temps avec le sang des patriotes et des tyrans. » Il ne faisait pas référence à d’héroïques patriotes américains chargeant Bunker Hill contre les baïonnettes britanniques. Il se référait plutôt aux fermiers américains – dont beaucoup avaient été les soldats affamés dans cette guerre pour une liberté illusoire – prenant leur vie en main pour s’opposer aux politiques fiscales du gouvernement du Massachusetts en 1787. Le principal chef de cette révolte était un fermier et vétéran de guerre, Daniel Shays.

Le général Benjamin Lincoln, qui a dirigé les forces chargées de mâter la rébellion de Shays dans l’ouest du Massachusets

En un sens, l’aspect le plus intéressant dans la rébellion de Shays est que ce n’était pas un événement unique.

Le premier exemple notable de révolte agraire a été la Rébellion de Bacon, en 1676 en Virginie, lorsque les agriculteurs ont marché vers les riches demeures des propriétaires de plantations de Jamestown, les ont complètement brûlées, ont publié leur « Déclaration du Peuple » démocratique et ont menacé de pendre chaque tyran inscrit sur leur liste d’élites – certains étant les ancêtres des Pères Fondateurs de l’Amérique.

L’historien Gary Nash nous rappelle que la Rébellion de Bacon a eu des échos dans l’histoire américaine : « Des explosions de désordre ont marqué le dernier quart du XVIIe siècle, renversant les gouvernements établis dans le Massachusetts, New York, le Maryland, la Virginie et la Caroline du Nord. » Jimmy Carter, dans « The Hornet’s Nest » (La boite de Pandore), le seul roman jamais publié par un président américain, raconte l’histoire similaire de l’agonie des agriculteurs dépossédés en Géorgie, un siècle plus tard.

D’autres fermiers se sont rebellés dans le New Jersey dans les années 1740 ; dans la guerre des loyers de la New York Hudson Valley, dans les années 1750 et 1760, et simultanément au Vermont par les Green Mountain Boys d’Ethan Allen ; pendant une décennie, en Caroline du Nord, dans les années 1760, où des vigiles, appelés Régulateurs, ont lutté contre le gouvernement de l’élite urbaine ; et en Virginie dans les années 1770. De même, les villes américaines ont connu des scènes d’émeutes de travailleurs, de manifestations et de grèves pendant un siècle. La lutte des classes américaine, apparemment inconnue de la plupart des professeurs d’histoire américains, était plutôt la règle que l’exception.

La victoire dans la guerre contre l’Angleterre n’a fait qu’intensifier le conflit entre ceux qui considéraient la « liberté » comme une condition nécessaire pour vivre sans dettes et ceux qui considéraient que la « liberté » était leur privilège de classe de s’enrichir des dettes que les autres leur devaient. Howard Zinn, dans son ouvrage, « A People’s History of the United States », décrit les réalités économiques de l’Amérique du XVIIIe siècle :

« Les colonies, en revanche, étaient des sociétés de classes en lutte – un fait obscurci par l’emphase mise, dans l’histoire traditionnelle, sur la lutte contre l’ennemi extérieur qu’était l’Angleterre et l’unité des colons dans la Révolution. Le pays n’était donc pas ‘né libre’ mais né esclave/libre, serviteur/maître, locataire/propriétaire, pauvre/riche. »

Bien que la rébellion de Shays n’a pas été unique, il s’agissait d’un événement énorme qui arriva à un moment où les riches devaient recevoir beaucoup d’argent de la part des gouvernements appauvris. Pressuré par les riches détenteurs d’obligations et les spéculateurs, le gouvernement du Massachusetts a dûment augmenté les taxes sur les fermiers. Pour rendre les choses encore pires, les taxes ne pouvaient être payées qu’en or ou en argent – ce qui était complètement hors de question pour la plupart des fermiers, qui n’avaient aucun moyen d’obtenir de l’argent métal.

Lorsque ceux-ci se sont plaints, leurs doléances ont été ignorées. Lorsque qu’ils ont demandé au gouvernement d’émettre du papier-monnaie et de l’accepter comme paiement des dettes et taxes, le gouvernement a refusé leur demande. Lorsque qu’ils ont plaidé pour l’adoption de « lois sur les devises à cours légal » qui leur permettraient de régler leurs dettes ou leurs impôts avec leur travail, ils ont été repoussés.

Et lorsque les fermiers ne pouvaient pas payer ce qu’ils n’avaient pas, les tribunaux du Massachusetts ordonnaient la saisie de leurs terres et leur mise aux enchères. Finalement, les fermiers ont compris l’effet pratique, sinon l’intention spécifique, de la taxe : la confiscation de leurs biens et leur transfert aux riches, à qui le gouvernement devait sa dette et les intérêts. Le gouvernement était devenu une agence de recouvrement armée.

Au grand désarroi des anciens fiers patriotes anti-impôts, les fermiers se sont mis aussi à se rebeller. Les rebelles Shaysites ont fermé de force les tribunaux fiscaux qui les condamnaient à la servitude. Les riches ont répondu en prêtant plus d’argent au gouvernement démuni (avec intérêt) afin qu’il puisse payer une milice suffisante pour s’opposer aux rebelles.

À ce stade, les rebelles anti-impôt ont abandonné les demandes de réforme pour une révolution radicale et, en un écho retentissant de la centenaire « Declaration of the People » de Nathaniel Bacon, ont promis de marcher sur Boston et de raser la ville. Ce n’était pas du vandalisme à la Tea Party, géré par des Bostoniens aisés comme Samuel Adams. C’était la révolution agraire, populaire et explosive, du siècle à venir.

La classe marchande urbaine et possédant les obligations, de Boston et d’ailleurs, commença à paniquer. Et personne ne panique plus qu’un spéculateur sur les obligations qui comprend intimement que les rebelles sont en train de menacer leur « vertueuse liberté » républicaine de tirer profit des autres. L’historien Woody Holton expose l’étonnante insensibilité de l’un des principaux détenteurs d’obligations américain dans son écrit nationalement applaudi « Unruly Americans and the Origin of the Constitution »(Les Américains indisciplinés et l’origine de la Constitution) :

« En tant que détenteur d’obligations, Abigail Adams profiterait énormément si ses compatriotes du Massachusetts (payaient la taxe) prélevée par la législature en mars 1786, mais elle considérait que s’y conformer était un devoir sacré. Si les contribuables du Massachusetts avaient ‘plus de difficultés à payer les charges publiques qu’autrefois, a-t-elle écrit, ils devraient considérer cela comme étant le prix de leur liberté’. »

Cette future Première Dame, Abigail Adams, n’était pas seule à penser que la liberté venait avec des dividendes payables sur son compte. L’historien David Szatmary nous rappelle dans son « Shays Rebellion ; the Makings of an Agrarian Insurrection » que l’ancienne direction patriote, en particulier les membres de la classe marchande, a été parmi les premiers à défendre l’utilisation de la violence contre cette rébellion démocratique.

On lit dans un texte publié à l’époque : « Lorsque nous avions d’autres dirigeants, les comités et les conventions du peuple étaient licites, ils étaient alors nécessaires. Mais depuis que je suis devenu moi-même souverain, ils cessent d’être licites, les gens n’ont aucun droit d’examiner ma conduite. »

Le patriote et spéculateur en obligations Samuel Adams – ancien maitre d’œuvre du Boston Tea Party et propagandiste contre les injustes impôts britanniques (ainsi que le cousin du mari d’Abigail, John Adams) – ont parrainé une loi du Massachusetts qui autorisait les shérifs à tuer les manifestants anti impôts.

Un autre riche titulaire d’obligations, un ex-guerrier de la révolution, le général Henry Knox (l’homonyme de Fort Knox, le fameux dépôt de lingots d’or) a écrit une lettre d’alarme à son ancien commandant, George Washington, accusant les rebelles Shays d’être des « levelers » (ce qui était le terme, alors existant, le plus proche de communistes). Il a informé Washington que le pays avait besoin d’un gouvernement beaucoup plus fort (et militaire) pour empêcher tout défi grave à l’élite. Son message n’a pas été boudé par le général Washington, le propriétaire d’esclaves le plus riche d’Amérique.

En fin de compte, le Congrès, en vertu des articles de la Confédération, ne pouvait pas utiliser l’argent des États pour fournir une armée, mais la milice à but lucratif, à financement privé, a vaincu avec succès les rebelles Shays. Mais la peur, quasi hystérique, d’une révolution économique démocratique avait été instillée dans l’esprit des maîtres. La Révolte de Shays s’est révélée être la dernière goutte pour les spéculateurs en obligations dont les profits pouvaient être compromis par la démocratie.

Pire encore, les gouvernements de nombreux autres États commençaient à plier sous la forte pression démocratique des débiteurs rebelles. Certains États ont même pensé à des lois qui empêcheraient la saisie de biens pour dette ; D’autres à créer du papier-monnaie afin de briser le monopole de l’or et de l’argent. Rhode Island a non seulement voté pour un système de monnaie, mais a aussi menacé de socialiser toutes les entreprises commerciales de l’État.

En réponse à la menace du populisme, l’élite « vertueuse » a réagi de manière décisive – pas pour remédier au sort des débiteurs, bien sûr – mais pour en tirer profit. En conséquence, en 1786, cinq États ont envoyé des délégués pour se réunir à Annapolis, dans le Maryland, alors que la révolte de Shays tournait à la révolution. Cette minorité non élue a demandé au Congrès d’autoriser qu’une convention se tienne à Philadelphie l’année suivante « dans la seule et urgente intention de réviser des articles de loi de la Confédération ». Les articles ne seront jamais « révisés ». Ils seront tout simplement retirés par l’État profond.

L’État profond conspire

Grâce au livre de Charles A. Beard, « An Economic Interpretation of the Constitution of the United States », nous en savons beaucoup sur le statut des 55 hommes qui ont conspiré pour rédiger la Constitution. Mais la première chose que nous devons savoir, c’est qu’ils n’étaient pas autorisés par « Nous le peuple » simplement parce que personne n’avait voté pour eux ; Tous étaient des suppléants politiques.

Ce n’était même pas un échantillon représentatif du peuple. Aucune personne dans la salle de la Convention ne « travaillait pour gagner sa vie », pas de femme, ni de personne de couleur. Un seul prétendait être un « fermier », l’occupation d’environ 90% de la population de l’époque. La plupart étaient des avocats. Vous imaginez.

Si ces délégués représentaient quelqu’un, c’était l’élite économique : 80% étaient des détenteurs d’obligations ; 44 % des prêteurs d’argent ; 27% des propriétaires d’esclaves ; et 25 % des spéculateurs immobiliers. Sur le plan démographique, les 39 qui ont finalement signé le projet final de Constitution constituaient 0,001% de la population américaine déclarée au recensement de 1790. George Washington, qui la présidait, était probablement l’homme le plus riche du pays. Tous des joueurs de l’État profond.

Et les enjeux étaient élevés. Rappelons que la valeur nominale des obligations d’État en vigueur en 1787 était de 60 millions de dollars, ce qui équivalait à 10 % de la valeur totale des terres du pays. Mais ces obligations, pour la plupart, avaient été obtenues par les spéculateurs à une fraction de leur valeur nominale. Beard a estimé très prudemment que le profit des spéculateurs – si l’obligation était rachetée à sa valeur nominale – aurait été d’environ 40 millions de dollars. Exprimé en proportion de la valeur totale des terres au moment des Fondateurs, le bénéfice estimé des emprunts d’État détenus serait égal à au moins 3 mille milliards de dollars d’aujourd’hui. Sans impôts.

Nous ne savons toujours pas tout ce qui s’est passé à la convention. Personne n’a été chargé de garder un compte rendu de ce qui a été discuté. Selon les informations, même les fenêtres de la salle de réunion ont été clouées pour empêcher les écoutes – bien qu’il y ait eu des « fuites ». En raison de son secret et de sa nature non autorisée, certains historiens ont appelé cette convention « la deuxième Révolution américaine ». Mais les révolutions sont des évènements publics, extrêmement participatifs. C’était plutôt un coup d’État perpétré à l’abri de portes verrouillées.

La plupart des délégués ont vraisemblablement compris que le but non divulgué de cette convention était de jeter l’ensemble du système confédéré (qui avait coûté 25 000 vies américaines à sécuriser) à la poubelle. Ils n’avaient manifestement pas l’intention d’obéir à leurs instructions « de simplement réviser » certains articles puisqu’un certain nombre d’entre eux se sont présentés à la convention avec des projets déjà en main pour une nouvelle Constitution.

Le but ultime des conspirateurs était de remplacer la Confédération par ce qu’ils ont ensuite évoqué comme « une union plus parfaite » – conçue dès le départ pour protéger leurs intérêts de classe et pour s’assurer que le nouveau gouvernement possédait tout le pouvoir nécessaire pour perpétuer l’oligarchie existante.

À la Convention, Alexander Hamilton a capté le sentiment dominant : « Toutes les communautés se divisent entre quelques-uns d’un côté et la masse de l’autre. Les premiers sont les riches et les biens nés ; les autres, la masse des gens […] turbulente et changeante, qui juge ou analyse rarement bien. Il faut donc donner à la haute classe une part distincte et permanente dans le gouvernement. […] Seul un corps permanent peut compenser l’imprudence de la démocratie. »

Hamilton a en outre proposé que le Président et le Sénat soient nommés (non élus) à vie. Sa vision n’était qu’une sorte de monarchie. Bien qu’il ne soit pas un délégué à la Convention, John Jay, l’allié politique de Hamilton, propriétaire d’esclaves et premier juge à la Cour suprême, a annoncé l’objectif du « républicanisme » avec une franchise brutale : « Les gens qui possèdent le pays doivent le gouverner. »

Les Fondateurs n’avaient jamais envisagé de « gouvernement limité », à moins que ce soit dans le sens où le pouvoir du gouvernement soit limité à leur propre classe économique. [Voir Consortiumnews.com The Right’s Made-up Constitution].

Dans son livre intitulé « Towards an American Revolution : Exposing the Constitution & Other Illusions », l’historien Jerry Fresia résume succinctement le point de vues des Fondateurs : « La vision des Fondateurs, même celle de Franklin et Jefferson qui craignaient moins la politique des gens ordinaires que la plupart, était celle d’un État central fort, une nation dont le commerce s’étendrait de par le monde. En un mot, la vision était celle d’un empire où les propriétaires terriens se gouverneraient eux-mêmes. »

Un gouvernement par, et pour le peuple devait rester définitivement hors de question. L’État profond devait se gouverner lui-même. « Nous, le peuple », une phrase hypocritement lancée par l’ultra-aristocrate Gouverneur Morris, digne d’un canular orwellien.

La tâche délicate des délégués soigneusement sélectionnés était de produire un nouveau système de gouvernement radical qui ressemblerait superficiellement à une république démocratique, mais qui fonctionnerait comme une oligarchie.

L’excellent livre « Founding Finance » de William Hogeland, raconte la véhémence antidémocratique exprimée à la Convention : Le premier jour de cette réunion qui deviendra connue sous le nom de Convention constitutionnelle des États-Unis, Edmund Randolph, de Virginie, a entamé la procédure […] « Notre principal danger, a déclaré Randolph, vient des chapitres démocratiques de notre constitution. […] Aucune de nos constitutions – il veut dire celles des différents États – n’a fourni de contrôles suffisants face à la démocratie. »

Pas étonnant qu’ils se soient réunis en secret. Il n’est pas surprenant non plus que le mot « démocratie » n’apparaisse pas une seule fois dans l’intégralité de la Constitution des États-Unis ou l’une de ses modifications, y compris le Bill of Rights. En conséquence, la Constitution ne se réfère jamais non plus au vote populaire et n’a pas garanti le droit de vote jusqu’à l’adoption du 15e amendement en 1870, plus de 80 ans après la ratification. Le Préambule mis à part, les Fondateurs n’ont utilisé l’expression « le Peuple » qu’une seule fois (dans l’article premier, section 2).

Il a été suggéré que le mot « démocratie » pouvait avoir une signification différente de ce qu’elle est maintenant. Ce n’est pas le cas. Pour les délégués de la Convention le mot « démocratie » signifiait la même chose qu’aujourd’hui : « gouverné par le peuple ». C’est pourquoi ils détestaient ce concept. Les délégués se considéraient comme les patriarches du « républicanisme », l’idéologie qui a rejeté la participation au gouvernement par des gens comme les femmes, les serviteurs, les locataires, les esclaves et toutes classes inférieures non propriétaires. Sans aucun doute, les délégués étaient en désaccord sur de nombreuses choses, mais la « peur et le dégoût » de la démocratie les réunissait. À l’époque comme maintenant.

Les objectifs spécifiques de l’État profond

Intégré dans l’agenda largement antidémocratique des Fondateurs, on discerne quatre objectifs spécifiques. Il ne s’agissait pas d’une liste d’éléments annoncés à l’avance, mais ils ont été obtenus par consensus de groupe et reconnus comme étant les exigences minimales nécessaires pour atteindre l’objectif ultime de l’État profond.

Pour camoufler le nationalisme oligarchique flagrant que ces mesures visaient, les Fondateurs se sont hypocritement qualifiés de « fédéralistes ». Mais aucune de ces mesures ne concernait une « fédération » d’États souverains ; prises ensemble, elles étaient destinés à démolir la confédération existante « perpétuelle », pas à en recréer une plus efficace.

Un gouvernement national avec une participation citoyenne limitée. De toutes les mesures nécessaires pour parvenir à une oligarchie nationale, c’était la plus redoutable. Elle a été réalisée grâce à un large éventail de décisions.

Le Collège électoral. Le président et le vice-président ne sont pas élus par un vote populaire, mais par des Grands électeurs, à l’époque comme maintenant. Par exemple, lorsque George Washington a été élu président, la population américaine était de 3,9 millions. Combien de ces personnes ont pu voter pour George ? Exactement 69 personnes – c’était le nombre total de grands électeurs votant à l’époque. (Art. I, section 3)

Un Congrès Bicaméral. Le congrès est bicaméral, composé de deux « chambres » – la Chambre des représentants et le Sénat. En vertu de la Constitution originelle, les députés de la Chambre représentent les personnes qui votent pour eux, alors que le Sénat représente les États et non les personnes, et n’est donc pas un organe démocratique. On s’attend généralement à ce que le Sénat « vérifie » le vote démocratique de la Chambre des représentants. En effet, c’est l’unique objectif du bicaméralisme partout où il existe. (Article premier, articles 1 et 2).

Nomination des sénateurs par l’État. Les sénateurs étaient, à l’origine, nommés par les législatures des États (jusqu’au 17e amendement en 1913). On s’attendait à ce que le Sénat fonctionne au Congrès comme la Chambre des Lords fonctionnait au Parlement anglais : la voix de l’aristocratie. Bien que les sénateurs soient maintenant élus par le peuple, il est toujours difficile de défier un titulaire en raison du coût de campagne prohibitif  à l’échelle d’un État. (Art. I, section 3)

Nomination de la magistrature. Tous les juges fédéraux sont nommés à perpétuité par le président et confirmés par le Sénat (à l’origine antidémocratique). (Article III, section 1).

Pauvreté de représentation. La mesure la plus antidémocratique de toutes était l’extrême faiblesse du nombre total de représentants à la Chambre. À l’origine, la Chambre était composée de seulement 65 membres, soit un membre pour 60 000 personnes. Aujourd’hui, il y a 435 membres, représentant chacun environ 700 000 personnes. Ainsi, la représentation actuelle du public à la Chambre est 12 fois moins démocratique que lorsque la Constitution a été écrite – alors qu’elle était déjà plutôt médiocre.

Comparez : la veille de la ratification de cette Constitution, les peuples des 13 États Unis étaient représentés par environ 2 000 représentants, démocratiquement élus, dans leurs différentes législatures d’État (rapport de 1 :  1950). Le lendemain de la ratification, le même nombre de personnes étaient représenté par seulement 65 représentants au gouvernement national (1 : 60 000). En termes quantitatifs, cela représente une réduction de plus de 3 000 % de la représentation démocratique pour le peuple américain. (Art. I, section 2).

Absence de districts au Congrès. Bien que les députés de la Chambre soient maintenant élus par des circonscriptions de population égale, les districts ont été créés par le Congrès et non par la Constitution. Jusqu’aux années 1960, certains membres de la Chambre ont été élus hors district (comme les sénateurs). Cela favorisait les candidats les plus riches et les plus connus. (Non mentionné dans la Constitution).

Absence de possibilités d’appels, d’initiatives et de référendum. La Constitution ne permet pas aux gens de voter pour destituer un membre du Congrès, de faire des propositions de vote au Congrès (proposer une initiative) ou de voter directement, par référendum, sur n’importe quel problème (démocratie directe). (Non mentionné dans la Constitution).

Absence de processus d’amendement indépendant. L’une des raisons pour lesquelles les Américains ont maintenant des politiciens professionnels est que la Constitution ne permet pas aux « individus » de la modifier sans la coopération requise d’un membre du Congrès en place. Lors de la convention constitutionnelle, Edmund Randolph, de Virginie a (étonnamment) proposé que les gens aient le moyen de modifier la Constitution sans la participation du Congrès. Cette excellente idée, cependant, n’a pas été adoptée. (Article V).

L’Autorité au niveau national d’imposer directement les citoyens. (Article 1, article 8, 16eamendement).

La monopolisation nationale du pouvoir militaire. (Art. I, Sec. 8, articles 12, 13, 14, 15, 16).

Interdiction aux États d’émettre du papier-monnaie ou d’alléger les créances d’un débiteur. (Art. I, Sec. 10, article 1, section 8, article 4).

Toutes ces dispositions étaient complètement nouvelles pour les Américains. Pendant 150 ans ou plus, la participation des citoyens au gouvernement, aux milices indépendantes et à la délivrance de papier-monnaie avait été la prérogative des diverses colonies / États indépendants, et ils résistaient tous de manière vigoureuse contre la taxation directe par l’Angleterre. Lorsque la Couronne britannique avait menacé de réprimer les prérogatives coloniales, les mêmes hommes qui conspirent maintenant pour le pouvoir sur la nation ont alimenté la rébellion armée. L’hypocrisie était étonnante. Et la population le voyait bien.

Le consentement de la minorité

L’un de ceux qui a pris des notes, Robert Yates, un délégué de New York à la Convention, est sorti en signe de protestation. Peu de temps après, Yates (qui ne possédait aucun lien avec le gouvernement) a déclaré son objection à la nouvelle Constitution : « Ce gouvernement va acquérir un pouvoir absolu, incontrôlable, aux niveaux législatif, exécutif et judiciaire qui touchera tous les domaines auxquels il s’étend […] ».

« Le gouvernement, aussi loin qu’il s’étend, est total. […] Il a le pouvoir de faire des lois qui affecteront les vies, la liberté et la propriété de chaque homme aux États-Unis ; ni la constitution ni les lois d’aucun État ne peuvent empêcher ou entraver l’exécution totale et complète de tous ces pouvoirs donnés. »

Cette photographie montre les cicatrices laissées par les coups de fouet sur le dos de cet esclave afro-américain.

Au moins la moitié de la population américaine (appelée collectivement « anti-fédéraliste ») pensait que la Constitution était une très mauvaise idée. Bien sûr, les anti-fédéralistes actifs comme Yates n’étaient pas des fermiers surtaxés, et leurs objections reposaient souvent sur la défense des droits des États et non sur les droits économiques de la population. Cependant, la plupart des anti-fédéralistes semblaient alarmés que la Constitution n’affiche aucune garantie des droits politiques fondamentaux auxquels ils avaient accès sous l’Empire britannique, tels que la liberté d’expression ou un procès tenu par un jury populaire.

Le débat entre les partisans et les critiques de la Constitution a duré pendant un an où les journaux partisans publiaient des articles pour ou contre. Un recueil de 85 articles « pour » est connu maintenant sous le nom de « The Federalist Papers », articles écrits par Alexander Hamilton, James Madison et John Jay. Bien que ces articles aient été étudiés presque comme des reliques religieuses par les historiens, ils ne nous disent pas « ce que signifie vraiment la Constitution ».

La Constitution signifie ce qu’elle dit. Les Federalist Papers sont l’équivalent d’une brochure publicitaire écrit par des avocats qui tentent d’inciter les autres à « acheter » la Constitution. On peut en dire autant sur un recueil similaire d’Anti-federalist Papers d’où la citation de Yates, ci-dessus, a été tirée. En tout état de cause, il appartient aux tribunaux d’interpréter la Constitution, pas à des avocats intéressés.

En temps voulu, les anti-fédéralistes ont glissé leur pied collectif dans la porte. Il n’y aurait eu aucun espoir de ratification sans amendements garantissant des droits politiques fondamentaux – mais pas économiques. Bien que Hamilton ait soutenu qu’une garantie des droits serait « dangereuse », James Madison a convaincu les fédéralistes qu’accepter de garantir une future Bill of Rights serait beaucoup plus sûr que de trop s’ingérer dans le texte du document actuel, ce qui pourrait finir par révéler son agenda nationaliste fondamental et anti-démocratique. Et ainsi, un accord a pu être trouvé.

Malgré cela, la bataille pour la ratification de la Constitution n’a finalement pas été menée par le peuple du pays. Bien que les gens des nombreux États n’aient pas voté pour autoriser la tenue de la Convention, ou le document qui en est sorti, les Fondateurs ont été incroyablement arrogants, voire même sournois. Non seulement ils ont présenté ce document non autorisé aux États comme à prendre ou à laisser (aucune modification permise), mais le document lui-même exigeait que seule une « convention » spéciale puisse le ratifier, et non pas un vote populaire majoritaire.

La ratification par une convention signifiait que les gens voteraient pour les délégués à la convention, qui eux voteraient pour la ratification. Cela équivaut à transformer la ratification en un concours de popularité entre les délégués à la convention, plutôt qu’un vote démocratique direct sur le document lui-même. En outre, la ratification par convention présente la possibilité qu’une minorité de personnes dans un état (ceux en faveur de la Constitution) puisse « bourrer » la convention de délégués qui approuveraient un document établissant un gouvernement pour tous.

Les manipulations électorales n’étaient pas qu’une vision de l’esprit. À Philadelphie, par exemple, une foule a enlevé des législateurs élus qui boycottaient un vote de la convention, les a trainé physiquement jusqu’au parlement et les a ligotés à leurs chaises afin de forcer un vote de la convention. D’autres méthodes de manipulation plus subtiles ont eu lieu ailleurs, notamment la privation du droit de vote de certains électeurs par des combines sur le droit de propriété.

Il y a plus d’une centaine d’années, Charles A. Beard a terminé son étude exhaustive sur la Constitution et a confirmé qu’elle a probablement été ratifiée par la majorité… d’une minorité de personnes.

L’une des conclusions de Beard dit :

« La Constitution a été ratifiée par le vote de probablement un sixième des hommes adultes […] Les dirigeants qui ont soutenu la Constitution dans les conventions de ratification représentaient les mêmes groupes économiques que les membres de la Convention de Philadelphie […] La Constitution n’a pas été créée par ‘l’ensemble du peuple’ comme l’ont dit les juristes [juges] ; ni même créée par ‘les États’, comme l’ont longtemps prétendu les séparatistes Sudistes ; ce fut le travail d’un groupe bien solidaire dont les intérêts ne connaissaient aucune frontière d’État et qui étaient vraiment nationaux dans leur champ d’application. »

L’État profond, en d’autres termes. Il était bien sûr approprié qu’un document dont le but principal était de casser un régime démocratique soit mis en vigueur sans un vote populaire majoritaire.

En 1788, neuf des 13 États de la convention ont ratifié la Constitution (comme spécifié dans l’article VII de la Constitution) et le document est devenu la loi suprême du pays pour ces neuf États. En 1789, même le bastion démocratique du Rhode Island a fini par suivre l’exemple. Et, depuis, les écoliers américains sont amenés à croire que la Constitution est un document sacré, inspiré et ordonné par la bienveillance publique des Pères fondateurs.

Mais cela avait été prédit. C’était une pénible évidence pour Jean-Jacques Rousseau, philosophe politique genevois du XVIIIe siècle, le fait que le gouvernement constitutionnel était une invention de l’État profond, son bénéficiaire désigné.

Débordant de sarcasmes, son virtuose « Discours sur l’origine de l’inégalité » explique :

« [l’homme riche] a finalement conçu le projet le plus profond qui ait pénétré l’esprit humain : il s’agit d’employer en sa faveur les forces mêmes qui l’ont attaqué, de faire des alliés de ses ennemis […]

En un mot, au lieu de retourner nos forces contre nous-mêmes, rassemblons-les en une puissance souveraine, qui peut nous gouverner par des lois sages, protéger et défendre tous les membres de l’association, repousser les ennemis communs et maintenir une concorde perpétuelle et l’harmonie parmi nous. »

Rousseau a écrit ces mots en 1754, 33 ans avant que Gouverneur Morris ne supervise la rédaction du même argument de vente que constitue le Préambule à la Constitution des États-Unis : « Nous, le peuple des États-Unis, afin de former une Union plus parfaite, établir la justice, assurer la tranquillité domestique, prévoir la défense commune, promouvoir le bien-être général et sécuriser les Bénédictions de la Liberté dont nous bénéficions et pour notre postérité, ordonnons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d’Amérique. »

Rousseau conclut : « Tous ont offert leur cou au joug dans l’espoir de garantir leur liberté. Car, bien qu’ils aient eu le bon sens de percevoir les avantages d’une constitution politique, ils n’avaient pas l’expérience pour anticiper les dangers. Ceux qui parmi eux étaient les mieux qualifiés pour prévoir les abus, étaient précisément ceux qui s’attendaient à en bénéficier […]. »

L’État profond pose-t-il aujourd’hui une menace existentielle à la démocratie américaine ? Réalisez, les gars – rien de nouveau sous le soleil.

Jada Thacker est l’auteur de « Dissecting American History : A Theme-Based Narrative ». Il enseigne l’histoire et la politique dans une grande école du Texas

Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone.


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0 Commentaires

A propos du financement de la création de l’Europe par la CIA, Historia censure Historia

par doctorix 

lundi 20 mars 2017

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/a-propos-du-financement-de-la-190880


La réécriture de l'Histoire est à la mode. Je pense que cette auto-censure va faire plus de mal que de bien aux négationnistes de l'origine de l'Europe. Comme dans beaucoup de sujets, nier avec trop de véhémence équivaut à un aveu. Et je ne suis pas mécontent qu'on mette enfin le sujet sur la table. Les Fahrenheit 451 n'ont jamais empêché les livres de circuler sous le boisseau, et bientôt, on nous dira que pffff.... tout le monde le savait, et que cela va sans dire.

Mais tout de même, ça va mieux en le disant tout de suite.


Le ministère de la vérité

- George Orwell - 1984


Par une mise en demeure du 17 mars 2017, l’avocat de Sophia Publications, la société éditrice du magazine Historia, a exigé que nous retirions du site Internet de l’UPR la reproduction de l’article « Quand la CIA finançait la construction européenne » de Rémi Kauffer, figurant dans le numéro 675 (mars 2003), que François Asselineau a montré en direct dans le journal de 20h de TF1 du 13 mars. La loi nous oblige à obtempérer.

Nous signalons que ce texte était vieux de 14 ans (édition de mars 2003) et qu’il figurait depuis plusieurs années sur le site Internet d’Historia, auquel notre article renvoyait.

Nous signalons que ce dossier de Rémi Kauffer n’est plus disponible sur le site d’Historia et cela prétendument « pour des raisons techniques ». Le lien est ici : http://www.historia.fr/parution/mensuel-675 



== HISTORIA CENSURE HISTORIA == La direction du magazine Historia a retiré de son site en ligne le dossier CIA de mars 2003 qui y figurait pourtant depuis des années. Le motif invoqué pour cette soudaine censure est que ce dossier n’est plus disponible « pour des raisons techniques ». La présentation ce dossier encore en ligne continue cependant à préciser que « Entre 1949 et 1959, les États-Unis vont s’efforcer de contrer les Soviétiques en finançant largement la construction européenne »…

 Nous signalons que notre article qui en assurait la promotion et la reproduction figurait sur notre site upr.fr depuis le 13 mars 2014, il y a donc plus de 2 ans.

Si l’avocat de la société éditrice du magazine Historia nous demande soudain de le supprimer après tant d’années de mise en ligne, c’est parce que François Asselineau, alors que démarre la campagne pour l’élection présidentielle, a commencé à faire naître un débat aussi salutaire que nécessaire sur le rôle de la communauté du renseignement américain dans la construction européenne et sur la proximité de certains « pères fondateurs » avec l’administration américaine.

Il mérite d’être précisé ici qu’un « agent de la CIA » n’est pas la même chose qu’un « employé de la CIA » ; certains journalistes ne semblent pas conscients de cette différence.

Dans un éditorial, la rédaction d’Historia a tenu à se désolidariser de façon alambiquée du contenu même du texte de Rémi Kauffer (sans même citer le nom du journaliste).

Nous exprimons notre impatience à connaître sa réaction face à l’article – basé sur des archives déclassifiées – d’Ambrose Evans-Pritchard « Des fédéralistes européens financés par des chefs de l’espionnage américain » (Daily Telegraph, 19 septembre 2000).

Nous continuerons à informer les Français sur ce sujet important, qui permet de comprendre les origines et objectifs de la construction européenne. Nous allons d’ailleurs prochainement publier de nouvelles sources.

Pour finir, il est utile de préciser que le propriétaire de la société Sophia Publications (et donc d’Historia) est, depuis juin 2016, l’industriel et homme de presse Claude Perdriel, soutien officiel de la candidature d’Emmanuel Macron.

(Fawkes : Oser y voir de la malveillance ? Oh le complotiste ! ;)

Bureau National de l’UPR
18 mars 2017

Source : UPR

L'intervenant "Agent Ananas" avait sauvegardé le texte-à-censurer, et nous l'a fait parvenir par morceaux :

N’étant pas personnellement mis en demeure, je me permets à titre personnel de reproduire le texte incriminé que j’avais sauvegardé l’an dernier. A titre d’information, je ne suis pas adhérent de l’UPR (ni d’aucun parti). Mon geste étant avant tout mon grain de sable contre la censure.
Voici la copie de cette excellente enquête de Rémi Kauffer que l’on veut vous cacher. (faites une copie avant qu’elle disparaisse)

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Quand la CIA finançait la construction européenne.

De 1949 à 1959, en pleine guerre froide, les Américains, par l’intermédiaire de leurs services secrets et du Comité pour l’Europe unie, versent l’équivalent de 50 millions de dollars actuels à tous les mouvements pro-européens, parmi lesquels ceux du Britannique Winston Churchill ou du Français Henri Frenay. Leur but, contenir la poussée soviétique…

A 82 ans, Henri Frenay, le pionnier de la Résistance intérieure, fondateur du mouvement Combat, arbore une forme intellectuelle éblouissante malgré sa surdité de l’oreille droite et sa récente opération de l’estomac. Pourtant, il n’a plus que trois mois à vivre. En ces jours de mai 1988, il me parle de l’Europe dans son appartement de Boulogne-sur-Seine. De cette Europe fédérale dont il a révé en vain entre 1948-1954. De la dette aussi que, en cas de succès, le Vieux Continent aurait contracté envers les Américains, ceux notamment du ” Comité “. Et d’insister une fois, deux fois, dix fois, tandis que moi, je m’interroge : pourquoi diable ce mystérieux ” Comité ” revient-il à une telle fréquence dans nos conversations ? Pourquoi ? Mais parce que Frenay me confie, avec il est vrai d’infinies précautions de langage, son ultime secret : l’aide financière occulte de la CIA via l’American Committee for United Europe – le Comité – à l’Union européenne des fédéralistes dont il a été le président. Pour reconstituer cette filière inédite, il me faudra une quinzaine d’années. Un jeu qui en valait la chandelle puisqu’il me permet d’ouvrir, pour les lecteurs d’ Historia, la porte d’un des compartiments les plus secrets de la guerre froide…

Tout commence à l’automne 1948. Déjà coupée en deux, l’Europe vit sous la menace d’une invasion totale par l’armée rouge. Au ” coup de Prague ” en février, vient de succéder en juin le blocus de Berlin. Un petit cénacle de personnalités de l’ombre jette alors les bases de l’American Committee for United Europe, l’ACUE – son existence sera officialisée le 5 janvier 1949 à la maison de la Fondation Woodrow-Wilson de New York. Politiques, juristes, banquiers, syndicalistes vont se méler au sein de son conseil de direction. De hautes figures gouvernementales aussi comme Robert Paterson, le secrétaire à la Guerre ; James Webb, le directeur du budget ; Paul Hoffman, le chef de l’administration du plan Marshall ; ou Lucius Clay, le ” proconsul ” de la zone d’occupation américaine en Allemagne.

Bien tranquilles, ces Américains-là ? Non, car la véritable ossature de l’ACUE est constituée d’hommes des services secrets. Prenez son président, William Donovan. Né en 1883 à Buffalo, cet avocat irlando-américain au physique de bouledogue, surnommé ” Wild Bill ” par ses amis, connaît bien l’Europe. En 1915, il y remplissait déjà une mission humanitaire pour le compte de la Fondation Rockefeller. Deux ans plus tard, Donovan retrouvait le Vieux Continent pour y faire, cette fois, une Grande Guerre magnifique. Redevenu civil, ” Wild Bill ” va se muer en missus dominicus du gouvernement américain. Ses pas d’émissaire officieux le portent vers l’Europe pour des rencontres parfois imprévues. En janvier 1923, alors qu’ils goà »tent un repos bien mérité, sa femme Ruth et lui devront ainsi subir une soirée entière les vociférations d’un autre habitué de la pension Moritz de Berchtesgaden. Dix-sept ans plus tard, l’agité, un certain Adolf Hitler, s’est rendu maître de la partie continentale de l’Europe, et c’est ” Wild Bill ” que Franklin Roosevelt, inquiet, dépéche à Londres s’enquérir auprès de Winston Churchill du potentiel britannique face à l’avancée nazie.


En juin 1942, Donovan, homme de confiance du président démocrate pour les affaires spéciales, crée l’Office of Strategic Services (OSS), le service secret américain du temps de la Seconde Guerre mondiale dont il devient le chef et qu’il quittera à sa dissolution, en septembre 1945, sans perdre le contact avec l’univers du renseignement : ” Wild Bill ” tisse des liens privilégiés avec la Central Intelligence Agency, la CIA, créée officiellement le 15 septembre 1947 par une loi sur la sécurité nationale signée par le successeur de Roosevelt, Harry Truman.

Prenez le vice-président de l’ACUE Walter Bedell Smith, ancien chef d’état-major d’Eisenhower pendant la Seconde Guerre mondiale puis ambassadeur des Etats-Unis à Moscou. A partir d’octobre 1950, celui que ses amis surnomment le ” Scarabée ” ( beetle en anglais) va prendre les commandes de la CIA. 1950, c’est justement l’année o๠des universitaires comme Frederick Burkhardt et surtout William Langer, historien à Harvard, lancent la section culturelle de l’ACUE. Ces deux proches de Donovan ont servi autrefois dans les rangs de l’OSS. Langer en a dirigé le service Recherche et Analyse et, excellent connaisseur de la politique française, a méme commis après-guerre un ouvrage savant qui s’efforçait de dédouaner Le Jeu américain à Vichy (Plon, 1948).

Prenez surtout Allen Dulles. A l’été 1948, c’est lui qui a ” inventé ” le Comité avec Duncan Sandys, le gendre de Churchill, et George Franklin, un diplomate américain. Principal associé du cabinet de juristes Sullivan & Cromwell, Dulles n’impressionne guère de prime abord avec ses fines lunettes, ses éternelles pipes de bruyère et ses vestes en tweed. Sauf qu’avec ce quinquagénaire, un maître espion entre dans la danse.

Retour à la case Seconde Guerre mondiale. Chef de l’OSS à Berne, Dulles noue en février 1943 des contacts avec la délégation de Combat en Suisse. Un temps, il assurera méme le financement du mouvement clandestin. ” Coup de poignard dans le dos du général de Gaulle “, s’insurge Jean Moulin au nom de la France libre. ” Survie de la Résistance intérieure menacée d’étranglement financier “, rétorque Frenay. Pensant d’abord à ses camarades dénués de moyens, aux maquisards en danger, il ne voit pas pourquoi Combat devrait se priver d’un argent allié versé, c’est convenu, sans contrepartie politique. Cette ” affaire suisse ” va empoisonner un peu plus encore ses rapports avec Moulin.

En 1946, Dulles démissionne des services secrets… pour en devenir aussitôt l’éminence grise, prenant une part prépondérante à la rédaction du texte de loi présidentiel sur la sécurité nationale. Cofondateur à ce titre de la CIA (pour les initiés : l’Agence ou mieux, la Compagnie), Dulles pense qu’en matière d’action clandestine, privé et public doivent conjuguer leurs forces. C’est lui qui a déjà inspiré, par l’intermédiaire de ses amis du Brook Club de New York, le versement des subsides de grosses sociétés américaines à la démocratie chrétienne italienne menacée par un parti communiste surpuissant. En 1950, il va reprendre officiellement du service comme bras droit du Scarabée d’abord, comme son successeur à la téte de la CIA ensuite – de février 1953 à septembre 1961. Record de longévité d’autant plus impressionnant que son frère aîné John Forster Dulles, restera, lui, ministre des Affaires étrangères de 1953 à sa mort de maladie en mai 1959.


Etonnant creuset que l’ACUE, o๠des personnalités de la haute société et/ou de la CIA côtoient les dirigeants de la puissante centrale syndicale American Federation of Labor, l’AFL, dont ils partagent l’aversion du communisme. Exemples : David Dubinsky, né en 1892 à Brest-Litovsk, en Russie, dirige le Syndicat international de la confection pour dames (ILGWU) : 45 000 adhérents à son arrivée en 1932, 200 000 à la fin des années 1940 ! Ennemi acharné des nazis hier (les syndicalistes proches de l’ACUE sont presque tous juifs), c’est aux commies , les ” cocos “, qu’il en veut dorénavant. Jay Lovestone aussi. Conseiller politique de l’AFL, ce Lituanien d’origine sait de quoi il parle : avant sa brutale exclusion puis sa lente rupture avec le marxisme, il fut, entre 1925 et 1929, le secrétaire général du PC américain ! Autre recrue de choix du Comité, Arthur Goldberg, le meilleur juriste de l’AFL. Futur secrétaire au Travail du président Kennedy puis juge à la Cour supréme, Goldberg, né en 1908, a dirigé l’aile syndicale de l’OSS. A ce titre, il fut en son temps le supérieur hiérarchique d’Irving Brown, son cadet de deux ans. Brown, représentant de l’AFL pour l’Europe et grand dispensateur de dollars aux syndicalistes modérés du Vieux Continent. Puisant dans les fonds secrets de la toute jeune CIA, laquelle finance depuis 1946 toutes les opérations anticommunistes de l’AFL, ce dur à cuire ne ménage pas, par exemple, son soutien à Force ouvrière, la centrale syndicale née fin 1947 de la scission de la CGT (lire ” Derrière Force ouvrière, Brown, l’ami américain ” dans Historia n° 621 de décembre 1997). Pure et dure, la ligne Brown contraste d’ailleurs avec celle, plus nuancée, de la CIA. A la Compagnie, on aurait préféré que les non-communistes restent dans le giron de la CGT, méme contrôlée par le PCF…

C’est qu’au-delà des hommes, il y a la stratégie d’ensemble. Face à l’Union soviétique, Washington développe deux concepts clés : le containment (l’endiguement) et plan Marshall. L’idée du containment , revient à un diplomate russophone, George Kennan, qui la développe dès juillet 1947 dans un article de la revue Foreign Affairs : ” L’élément majeur de la politique des Etats-Unis en direction de l’Union soviétique doit étre celui d’un endiguement à long terme, patient mais ferme, des tendances expansionnistes russes. “

Le plan Marshall, lui, porte la marque de son inventeur le général George Marshall, chef d’état-major de l’US Army pendant la guerre, et désormais ministre des Affaires étrangères du président Truman. En apportant une aide massive aux pays d’Europe ruinés, les Etats-Unis doivent, selon lui, faire coup double : un, couper l’herbe sous le pied des partis communistes par une hausse rapide du niveau de vie dans les pays concernés ; deux, empécher leur propre industrie de sombrer dans la dépression en lui ouvrant de nouveaux marchés.

Pour le tandem Marshall-Kennan, pas de meilleur outil que la CIA (lire l’interview d’Alexis Debat, page 51). Et c’est naturellement un autre ancien de l’OSS, Franck Wisner Jr, qu’on charge de mettre sur pied un département autonome spécialisé dans la guerre psychologique, intellectuelle et idéologique, l’Office of Policy Coordination ! Si ce bon vieux ” Wiz ” ne fait pas partie du Comité, ses hommes vont lui fournir toute la logistique nécessaire. Mais chut ! c’est top secret…

L’ACUE allie sans complexe une certaine forme de messianisme américain avec le souci de la défense bien comprise des intéréts des Etats-Unis. Messianique, cette volonté bien ancrée de mettre le Vieux Continent à l’école du Nouveau Monde. Phare de la liberté menacée, l’Amérique a trouvé, la première, la voie d’une fédération d’Etats, succès si resplendissant que l’Europe n’a plus qu’à l’imiter… Cet européanisme made in Washington comporte sa part de sincérité : ” Ils m’appellent le père du renseignement centralisé, mais je préférerais qu’on se souvienne de moi à cause de ma contribution à l’unification de l’Europe “, soupire ainsi Donovan en octobre 1952.


De sa part de calcul aussi. Car en décembre 1956, trois mois avant sa mort, le méme Donovan présentera l’Europe unie comme ” un rempart contre les menées agressives du monde communiste “. En d’autres termes, un atout supplémentaire de la stratégie américaine conçue par Marshall, Kennan et leurs successeurs : construire l’Europe, c’est remplir un vide continental qui ne profite qu’à Staline, donc, en dernier ressort, protéger les Etats-Unis.

Ajoutons une troisième dimension. Dans l’esprit des hommes de la Compagnie, rien de plus noble qu’une action clandestine au service de la liberté. Tout officier de la CIA le sait : les Etats-Unis sont nés pour une bonne part du soutien des agents de Louis XVI, Beaumarchais en téte, aux insurgés nord-américains. Ainsi l’opération American Committee, la plus importante, et de loin menée, par l’Agence en Europe pendant la guerre froide, se trouve-t-elle justifiée par l’Histoire.

Pour chaleureuse qu’elle soit, l’amitié franco-américaine ne saurait toutefois distendre le ” lien spécial ” entre Grande-Bretagne et Etats-Unis. En foi de quoi, Comité et Compagnie tournent d’abord leur regard vers Londres. Hélas ! Churchill, battu aux législatives de 1945, ronge ses griffes dans l’opposition. Le nouveau secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, Ernest Bevin, a bien proclamé le 2 janvier 1948 aux Communes : ” Les nations libres d’Europe doivent maintenant se réunir. ” N’empéche que ses collègues du cabinet travailliste et lui repoussent avec horreur la perspective d’une véritable intégration continentale. Non pas que Bevin craigne de s’affronter aux communistes : deux jours après son discours de janvier, il créait un organisme clandestin de guerre idéologique, l’Information Research Department. Ce méme IRD qui, jugeant La Ferme des animaux et 1984 plus efficaces que mille brochures de propagande, va contribuer à diffuser partout dans le monde les oeuvres de George Orwell. Mais la carte Europe unie, alors là , non !

Cette carte, Churchill la joue-t-il de son côté par conviction profonde ou par aversion pour ses rivaux politiques de gauche ? Le fait est que le 19 septembre 1946 à Zurich, le Vieux Lion appelle à un axe anglo-franco-allemand, élément majeur selon lui d’une ” espèce d’Etats unis d’Europe “. Qu’en mai 1948, Duncan Sandys, taille aux mesures de son homme d’Etat de beau-père le Congrès européaniste de La Haye. Qu’en octobre 1948, Churchill crée l’United European Movement – le Mouvement européen. Qu’il en devient président d’honneur aux côtés de deux démocrates-chrétiens, l’Italien Alcide De Gasperi et l’Allemand Konrad Adenauer, et de deux socialistes, le Français Léon Blum et le Belge Paul-Henri Spaak. Malheureusement pour les ” amis américains “, cette tendance ” unioniste ” ne propose, à l’exception notable de Spaak, que des objectifs européens limités. Reconstruction économique et politique sur une base démocratique, d’accord, mais sans transfert, méme partiel, de souveraineté.

Le Comité et la tendance ” fédéraliste “, dont Henri Frenay émerge comme la figure emblématique, veulent, eux, aller beaucoup plus loin. Aux heures les plus noires de la Seconde Guerre mondiale, Frenay, patriote mondialiste, a conçu l’idée d’un Vieux Continent unifié sur une base supranationale. En novembre 1942, révélera quarante ans plus tard Robert Belot dans le remarquable travail sur Frenay qui vient de lui valoir l’habilitation à diriger des recherches à l’Université, le chef de Combat écrivait au général de Gaulle qu’il faudrait dépasser l’idée d’Etat-Nation, se réconcilier avec l’Allemagne après-guerre et construire une Europe fédérale. Logique avec lui-méme, Frenay se jette dès 1946 dans cette croisade européaniste aux côtés d’Alexandre Marc. Né Lipiansky à Odessa en 1904, ce théoricien du fédéralisme a croisé la trajectoire de Frenay à Lyon en 1941, puis après-guerre. A rebours de l’européanisme de droite inspiré des thèses monarchistes maurrassiennes ou du catholicisme social, les deux amis s’efforcent de gauchir le fédéralisme français alors fort de ” plusieurs dizaines de milliers d’adhérents “, ainsi que me l’assurera l’ancien chef de Combat en 1988.

Orientée à gauche, l’Union européenne des fédéralistes, l’UEF, est créée fin 1946. Elle va tenir son propre congrès à Rome en septembre 1948. Frenay en devient le président du bureau exécutif, flanqué de l’ex-communiste italien Altiero Spinelli, prisonnier de Mussolini entre 1927 et 1937 puis assigné à résidence, et de l’Autrichien Eugen Kogon, victime, lui, du système concentrationnaire nazi qu’il décortiquera dans L’Etat SS (Le Seuil, rééd. 1993). A ces trois dirigeants d’atténuer le profond malaise né de la participation de nombreux membres de l’UEF au congrès de La Haye, o๠Churchill et son gendre Sandys les ont littéralement roulés dans leur farine ” unioniste “.


Faut-il choisir entre le Vieux Lion et le pionnier de la Résistance intérieure française à l’internationalisme si radical ? Perplexité au Comité, donc à la CIA. Pour Churchill, sa stature d’homme d’Etat, d’allié de la guerre, sa préférence affichée pour le ” grand large “, les Etats-Unis ; contre, son refus acharné du modèle fédéraliste si cher aux européanistes américains et bientôt, ses violentes querelles avec le très atlantiste Spaak. En mars 1949, Churchill rencontre Donovan à Washington. En juin, il lui écrit pour solliciter le versement de fonds d’urgence (très riche à titre personnel, l’ancien Premier ministre britannique n’entend pas puiser dans sa propre bourse). Quelques jours plus tard, Sandys appuie par courrier la demande de son beau-père : de l’argent, vite, sinon le Mouvement européen de Churchill s’effondre. Comité et CIA, la principale bailleuse de fonds, débloquent alors une première tranche équivalant à un peu moins de 2 millions de nos euros. Elle permettra de ” préparer ” les premières réunions du Conseil de l’Europe de Strasbourg, qui associe une assemblée consultative sans pouvoir réel à un comité des ministres statuant, lui, à l’unanimité.

Pour soutenir leurs partenaires du Vieux Continent, ACUE et CIA montent dès lors des circuits financiers complexes. Les dollars de l’oncle Sam – l’équivalent de 5 millions d’euros entre 1949 et 1951, le méme montant annuel par la suite – proviennent pour l’essentiel de fonds alloués spécialement à la CIA par le Département d’Etat. Ils seront d’abord répartis sous le manteau par les chefs du Mouvement européen : Churchill, son gendre, le secrétaire général Joseph Retinger, et le trésorier Edward Beddington-Behrens. En octobre 1951, le retour de Churchill à Downing Street, résidence des premiers ministres anglais, ne tarira pas ce flot  : entre 1949 et 1953, la CIA va en effet verser aux unionistes l’équivalent de plus de 15 millions d’euros, à charge pour eux d’en redistribuer une partie à leurs rivaux de la Fédération, la tendance de droite du fédéralisme français, laquelle reverse ensuite sa quote-part à l’UEF. Sommes substantielles mais sans commune mesure avec la manne que l’appareil stalinien international, le Kominform, investit au méme moment dans le financement souterrain des PC nationaux et des innombrables ” fronts de masse ” : Fédération syndicale mondiale de Prague, Mouvement de la paix, mouvements de jeunes, d’étudiants, de femmes…

Pour Frenay, c’est clair : l’Europe fédérale constitue désormais le seul bouclier efficace contre l’expansionnisme communiste. Mais comment aller de l’avant quand le nerf de la guerre manque si cruellement ? L’UEF n’est pas riche. Son président encore moins, dont la probité est reconnue de tous – après son passage au ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, Frenay, ancien officier de carrière sans fortune personnelle, a quitté l’armée au titre de la loi Diethelm de dégagement des cadres. Comme au temps de ” l’affaire suisse “, le salut financier viendra-t-il de l’allié américain ? Oui, assurent dès l’été 1950 les hommes de l’ACUE à un représentant français de l’UEF en visite à New York. Conforme à la position officielle du gouvernement américain en faveur de l’intégration européenne, leur aide ne sera soumise à aucune contrepartie politique ou autre, condition sine qua non aux yeux d’Henri Frenay. Et de fait, à partir de novembre 1950, l’ACUE va financer secrètement à hauteur de 600 000 euros l’une des initiatives majeures de Frenay et des fédéralistes de gauche : la création à Strasbourg, en parallèle du très officiel Conseil de l’Europe, d’un Congrès des peuples européens, aussi appelé Comité européen de vigilance.

S’associeront à ce projet des socialistes (Edouard Depreux), des religieux (le père Chaillet, fondateur de Témoignage chrétien ), des syndicalistes, des militants du secteur coopératif, des représentants du patronat et méme… des gaullistes tels Michel Debré ou Jacques Chaban-Delmas. Mal conçue médiatiquement, l’affaire échoue de peu. Raison de plus pour accentuer le soutien financier, oeuvre du secrétaire général de l’ACUE, Thomas Braden. Connu pour ses opinions libérales, cet ami du peintre Jackson Pollock, n’a pas hésité quand Donovan, son ancien patron à l’OSS, lui a demandé de quitter la direction du musée d’Art moderne de New York.


En juillet 1951, Frenay effectue à son tour le voyage des Etats-Unis sous les auspices du Congrès pour la liberté de la culture – une organisation que nous retrouverons bientôt. L’occasion de rencontrer les dirigeants du Comité et ceux de la Fondation Ford (mais pas ceux de la CIA avec lesquels il n’entretiendra jamais de rapports directs) pour leur faire part des besoins matériels des fédéralistes. Message reçu ” 5 sur 5 ” par les Américains…

A cette date, Braden ne figure plus parmi les dirigeants officiels de l’ACUE. En vertu du principe des vases communicants, l’agent secret esthète vient en effet de rejoindre Dulles à la CIA. Les deux hommes partagent cette idée de bon sens : face aux communistes, ce ne sont pas les milieux conservateurs qu’il faut convaincre, mais la gauche antistalinienne européenne, dont Frenay constitue un des meilleurs représentants. Braden va plus loin : ” Comme l’adversaire rassemblé au sein du Kominform, structurons-nous au plan mondial par grands secteurs d’activité : intellectuels, jeunes, syndicalistes réformistes, gauche modérée… “, plaide-t-il. D’accord, répond Dulles. Naît ainsi la Division des organisations internationales de la CIA. Dirigée par Braden, cette direction centralise, entre autres, l’aide de la Compagnie via l’ACUE aux fédéralistes européens. En 1952, l’American Committee for United Europe finance ainsi l’éphémère Comité d’initiative pour l’assemblée constituante européenne, dont Spaak sera président et Frenay, le secrétaire général.

Brouillés avec la ” Fédération “, leur rivale de droite qui servait jusque-là d’intermédiaire pour le versement des fonds CIA-ACUE par le truchement du mouvement churchillien, les amis de Frenay sont très vite au bord de l’asphyxie. Pour parer à l’urgence, Braden, virtuose du financement souterrain au travers de fondations privées plus ou moins bidon, va, cette fois, mettre en place une procédure de versements directs aux fédéralistes de gauche par des antennes para-gouvernementales américaines. A Paris, plaque tournante des opérations de la CIA en Europe avec Francfort, on opérera par le biais de l’Office of Special Representative, conçu à l’origine pour servir d’interface avec la toute jeune Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), ou de l’US Information Service (USIS). Par la suite, un bureau ACUE proprement dit sera ouvert.

Jean Monnet : des liens troubles avec les services américains

Comme Jean Monnet, président de la Ceca, Frenay caresse, en cette année 1952, l’idée d’une armée européenne, pas décisif vers l’Europe politique selon lui. L’ACUE approuve chaudement. Prévue par le traité de Londres de mars 1952, cette Communauté européenne de défense comprendrait – c’est le point le plus épineux -, des contingents allemands. Reste à faire ratifier le traité par les parlements nationaux. Frenay s’engage avec enthousiasme dans ce nouveau combat. Pour se heurter, une fois encore, à de Gaulle, qui refuse la CED au nom de la souveraineté nationale et, déjà , du projet ultrasecret de force atomique française, ainsi qu’aux communistes, hostiles par principe à tout ce qui contrarie Moscou. D’après les éléments recueillis par Robert Belot – dont la biographie du chef de Combat devrait sortir ce printemps au Seuil -, Frenay demandera méme à l’ACUE de financer l’édition d’une brochure réfutant… les thèses gaullistes sur la CED.



Staline meurt en mars 1953. L’année suivante, Cord Meyer Jr, un proche de la famille Kennedy, remplace Braden à la téte de la Division des organisations internationales de la CIA. Mais 1954 verra surtout cet échec cuisant des européanistes : l’enterrement définitif de la CED. Découragé, Frenay abandonne alors la présidence de l’Union européenne des fédéralistes. A partir d’octobre 1955, les ” amis américains ” reportent donc leurs espoirs sur un nouveau venu, le Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe de Jean Monnet. Lié à Donovan et surtout à l’ambassadeur américain à Paris, David Bruce, un proche de Franck Wisner, Monnet est trop fin connaisseur du monde anglo-saxon pour accepter directement les dollars de la CIA. Compte tenu de sa prudence de Sioux, l’aide américaine à son courant européaniste devra emprunter d’autres voies. En 1956, Monnet se voit ainsi proposer l’équivalent de 150 000 euros par la Fondation Ford. Une offre qu’il décline, préférant que cet argent soit versé au professeur Henri Rieben, un économiste et universitaire suisse pro-européen qui vient d’étre nommé chargé de mission aux Hautes Etudes commerciales de Lausanne. Rieben utilisera ces fonds en toute transparence financière pour créer un Centre de recherches européen.

En 1958, le retour du général de Gaulle, radicalement hostile aux thèses fédéralistes, annihile les derniers espoirs de l’UEF et de ses amis américains. Dissolution de l’ACUE dès mai 1960 puis cessation des

financements occultes par la CIA s’ensuivent. En douze ans, la Compagnie aura quand méme versé aux européanistes de toutes tendances l’équivalent de 50 millions d’euros sans étre jamais prise la main dans le sac ! Mais pourra-t-on préserver longtemps le grand secret ?

La première alerte éclate dès 1962. Trop précise sur les financements américains, une thèse universitaire sur les mouvements européanistes doit étre ” enterrée ” d’urgence en Angleterre. Ce remarquable travail est l’oeuvre du fils d’un camarade de résistance de Frenay, Georges Rebattet, créateur en avril 1943 du Service national maquis. Georges Rebattet, le successeur en 1952 de Joseph Retinger comme secrétaire général d’un Mouvement européen dont il a d’ailleurs assaini pour une bonne part le financement.

Deuxième secousse au milieu des années 1960. L’étau de la presse américaine (le New York Times et la revue gauchiste Ramparts ) se resserre sur une des filiales du ” trust ” Braden-Meyer, le Congrès pour la liberté de la culture o๠se côtoyaient des intellectuels antitotalitaires européens de haute volée – Denis de Rougemont, Manhès Sperber, Franz Borkenau, Ignazio Silone, Arthur Koestler ou, par éclipses, Malraux et Raymond Aron. Financé par la CIA au travers de la Fondation Fairfield, le Congrès édite en français l’une de ses revues les plus prestigieuses, Preuves . Jouant la transparence, Braden jette alors son pavé dans la mare. ” Je suis fier que la CIA soit immorale “, déclare-t-il en 1967 au journal britannique Saturday Evening Post , auquel il confie des révélations sensationnelles sur le financement occulte par la CIA du Congrès pour la liberté et sur le rôle d’Irving Brown dans les milieux syndicaux. Silence radio, en revanche, sur le soutien aux mouvements européanistes, le secret des secrets…

Ultime rebondissement à partir de juin 1970, quand le conservateur anglais pro-européen Edward Heath arrive à Downing Street. A sa demande, l’Information Research Department lance une vaste campagne pour populariser sous le manteau l’européanisme dans les médias et les milieux politiques britanniques. En 1973, l’Angleterre fait son entrée dans le Marché commun ; le 5 juin 1975, 67,2 % des électeurs britanniques ratifient la décision par référendum. Dans ce renversement de tendance en faveur de l’Europe, un homme s’est jeté à corps perdu : nul autre que le chef de la station de la CIA de Londres, Cord Meyer Jr. Ce bon vieux Cord qui remplaçait vingt ans plus tôt son copain Braden à la téte de la Division des organisations internationales de la Compagnie.


Fin de citation.
Un autre intervenant cite une source britannique :

Euro-federalists financed by US spy chiefs.

 

« The Telegraph » 

By Ambrose Evans-Pritchard in Brussels - 19 Sep 2000

 

DECLASSIFIED American government documents show that the US intelligence community ran a campaign in the Fifties and Sixties to build momentum for a united Europe. It funded and directed the European federalist movement. […]

 

The leaders of the European Movement - Retinger, the visionary Robert Schuman and the former Belgian prime minister Paul-Henri Spaak - were all treated as hired hands by their American sponsors. The US role was handled as a covert operation. ACUE’s funding came from the Ford and Rockefeller foundations as well as business groups with close ties to the US government. […] The State Department also played a role.

 

A memo from the European section, dated June 11, 1965, advises the vice-president of the European Economic Community, Robert Marjolin, to pursue monetary union by stealth.

It recommends suppressing debate until the point at which « adoption of such proposals would become virtually inescapable ».


On lui rappelle alors les souces :

. 
A l’UPR nous fournissons toujours les sources de nos informations :
.
Ambrose Evans-Pritchard – Bruxelles
Daily Telegraph, le 19 septembre 2000
Euro-federalists financed by US spy chiefs
http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/1356047/Euro-federalists-financed-by-US-spy-chiefs.html
.
La réunion secrète du 11 juin 1965 au département d’état américain sur l’union monétaire européenne

https://www.upr.fr/wp-content/uploads/dossiers/DEPARTEMENT-D-ETAT-AMERICAIN-Note-du-11-juin-1965-V15.pdf
.
The European Union always was a CIA project, as Brexiteers discover
http://www.telegraph.co.uk/business/2016/04/27/the-european-union-always-was-a-cia-project-as-brexiteers-discov/


Et l'inoxydable Fifi Brind_acier ajoute :

Annie Lacroix Riz a été invitée à une Université de l’ UPR, Asselineau la connaît, je mets souvent en lien deux vidéos.

« Aux origines du carcan européen » 


« Les élites françaises entre 1940 et 1944 »


La revue Historia appartient à Perdriel.

Lequel Perdriel soutient ... Macron !

Lequel Macron s’accroche à l’ UE comme une moule à son rocher ...et propose : « une refondation de l’ Europe » ! 

Dont Asselineau démontre sans cesse l’inanité....

La boucle est bouclée, refaisons vite l’ histoire !


Fin de citations.

Ressentiment personnel : Claude Perdriel dirigeait le NObs du temps que j'y étais abonné, et je ne leur pardonne pas l'intox qu'il nous ont livrée. 
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Paul Gogo, journaliste français au service de Georges Soros

Si vous ne connaissez pas Paul Gogo, l’équipe de DONi a réalisé une enquête sur ce journaliste français, trop souvent à l’assaut du Donbass et au cœur d’une propagande qu’il développe librement dans les plus grandes officines médiatiques de France.

C’est à travers l’analyse complète de son Twitter que nous sommes en mesure de montrer, à travers lui, comment les journalistes français abordent le Donbass et traitent les enjeux de cette guerre. Paul Gogo, caricature à lui seul de toute une profession.

Georges Soros le « philanthrope ».

Au milieu de quantité de déclarations frisant la haine et la russophobie, sans parler de l’annonce de soirées avec bonne pitance et force bières, Paul Gogo a affiché cet article du Monde, pour des raisons bien particulières.

Correspondant « indépendant » travaillant entre autre pour le journal Libération, Gogo s’est attaqué à l’agence DONi, notamment à travers la plate-forme StreetPress, dans des articles mensongers et diffamatoires, pratique hélas répandue dans ce média, sur lequel nous reviendrons bientôt.

Ce média compte parmi ses financiers les plus importants, l’Open Society Foundations (OSF), organisation fondée en 1979, par le milliardaire américain Soros, dont l’objectif est dixit : « de promouvoir la gouvernance démocratique, les droits de l’Homme, et des réformes économiques, sociales et légales ».

Installée après la chute du mur de Berlin dans les pays de l’Est et de l’ancien espace soviétique, Soros n’a jamais caché que l’OSF avait le désir de faire émerger une nouvelle génération de politiciens, en clair, de faire de l’ingérence dans tous les pays du Monde (cf les révolutions colorées).

En qualifiant ce personnage de « philanthrope », le public avisé comprendra bien qui Paul Gogo sert, sans parler de l’utilisation de ce mot dont nous redonnons la définition : « Personne qui œuvre pour le bien de ses semblables, pour l’amélioration de leur sort ». Avec Paul Gogo, la caricature décidément se rencontre à chaque instant.

Soros philantrope

L’affaire Graham Phillips, du mépris à la haine

Correspondant français installé quelques temps à Donetsk avant la guerre, Paul Gogo est un jeune couteau de la presse française. Dans cette nouvelle génération qui n’a pas passé la trentaine, le respect des collègues ou des opinions contraires à leurs pensées, ne fait pas partie des règles évidentes de neutralité, prudence et objectivité.

Dans cette déclaration et d’autres que Paul Gogo a publié, il s’attaque vulgairement au célèbre journaliste britannique Graham Phillips « le tocard en chef ». Nous n’aurons pas la prétention de présenter le travail énorme de Graham dans la réinformation dans le Donbass, son courage également sur le front et les risques importants qu’il prit pour donner un peu de vérité au grand public.

Paul Gogo quant à lui, démontre un glissement de cette nouvelle génération journalistique, prête à toutes les vulgarités, mensonges et manipulations, jusqu’à l’absurdité des insultes. Pétris en principe de Démocratie, ce nouveau style de journalistes débridés monte à l’assaut des lecteurs sans aucune conscience, ni politique, ni morale.

Ceci est bien connu, les insultes sont la force des faibles, lorsqu’à court d’arguments, ils sont incapables de débattre, et démontrent bien jusqu’où va cette « Démocratie » qu’ils défendent.

Insultes de Paul Gogo contre Graham Phillips

Insultes de Paul Gogo

L’affaire Laurent Brayard, comment s’attaquer aux enfants d’un père de famille… pour le faire taire

Laurent Brayard est un collaborateur de l’agence DONi, fondateur du service français, qui a plusieurs reprises a mis en défaut Paul Gogo dans son travail sur l’Ukraine. A son propos, ce dernier déclarait : « il nous a tous insulté ».

Notre journaliste avait mis en exergue ses compromissions avec l’Ukraine brune de Kiev, notamment dans un article de Libération, où il appelait en janvier 2015, à verser de l’aide… humanitaire, à l’armée ukrainienne, en pleine bataille de Debaltsevo : http://www.liberation.fr/planete/2015/01/30/de-donetsk-a-kiev-donnez-pour-l-armee-ukrainienne_1192447 .

Gogo ayant passé la ligne rouge vertement, le journaliste de DONi ne fit que son devoir, notamment parce que Paul Gogo reçu la médaille de la ville de Saint-Lô… dont le dernier récipiendaire fut « un héros de la Seconde Guerre mondiale ». Cocasse situation d’une récompense donnée à un soutien de l’Ukraine fortement entachée de néonazisme, derrière un valeureux combattant qui lutta contre l’Allemagne nazie.

Depuis ce jour, comme dans le cas de Graham Phillips, Paul Gogo n’a cherché qu’une simple vengeance, motivant bientôt une série d’articles diffamatoires présentant Brayard comme « un facho », qui se retrouvèrent bientôt sur la table d’un tribunal de Grande Instance, juge aux affaires familiales.

En effet, en février 2016, alors que les épinglages de Brayard à propos de Paul Gogo étaient déjà publiés, une procédure judiciaire fut lancée en France contre le premier par son ex-femme. L’attaque visait à supprimer l’autorité parentale sur ses enfants, avec suppression de son droit de visite, le doublement de la pension alimentaire, une amende de 2 000 euros, le paiement au dépend de toute la procédure judiciaire.

Cette bataille judiciaire menée notre collaborateur Laurent Brayard s’est déroulée en quatre temps, en mai, septembre, novembre 2016, et février 2017.

Mais donnons-lui la parole : « Ce sont mes parents et ma sœur qui sont venus à mon secours, j’étais dans le Donbass quasiment durant toute la période et sans moyens financiers pour me défendre. Qu’il y ait eut contact direct ou non avec mon ex-épouse, les articles de Paul Gogo, se sont retrouvés, fournis par la partie adverse, sur le bureau du juge, en septembre dernier. Le procès est alors devenu politique, il y était dit que j’étais un richissime agent de la Russie, fasciste notoire et d’autres affabulations. J’ai pris très au sérieux cette attaque, j’étais le seul père de famille français, engagé dans le Donbass, il est logique que je fus attaqué à travers mes enfants, rappelons qu’en France les attaques contre la famille sont à la mode. J’ai décidé de disparaître médiatiquement sous mon nom, ceci explique « ma disparition » contrairement aux affabulations écrites à mon sujet, pour protéger mes enfants et le droit à les voir. Mais je travaille toujours en sous-marin, après avoir fait table rase, je ne cherchais pas la notoriété, ni les honneurs, mes enfants étant dans la balance, je n’ai pas hésité. Paul Gogo s’est simplement un type bête et méchant, comme il s’en trouve tellement dans le milieu du journalisme, je le plains, je suis croyant, la vengeance ne fait pas partie de mes options, son travail a toujours été scandaleux et orienté, j’ai fait mon devoir, je le referai ».

Cette attaque judiciaire s’est soldée par une victoire complète devant le juge aux affaires familiales. Dans l’intérêt des enfants, alors qu’il reste une justice en France, aucune des demandes de la partie adverse ne furent avalisées. Laurent Brayard pourra revoir ses enfants.

Selon ses déclarations, les propos de Paul Gogo et d’autres journalistes ou personnages de la guerre de l’information dans le Donbass à son encontre, étaient si absurdes et si éloignés de la vérité, qu’il n’a pas cru que la justice française puisse le frapper à travers ses enfants.

Il indique qu’il continue anonymement le combat, convaincu par cette procédure d’avoir lutté pour la bonne cause face à un système prêt à tout pour détruire ceux qui se mettent en travers de sa route.

Paul Gogo, l’homme qui s’ostracise lui-même

Dans les plaintes continuelles présentes dans ses déclarations sur son incapacité, lui et ses amis, de venir dans le Donbass, Paul Gogo fait ici preuve d’une grande naïveté et d’une aussi grande mauvaise foi.

Dans un pays en guerre comme le Donbass, lui et d’autres sont venus au début du conflit sur place. Cette situation a duré de 2014 à 2015, ils eurent le loisir de rencontrer les civils dans les caves, d’interviewer les combattants, les survivants des massacres et des tortures des bataillons spéciaux ukrainiens, les évadés ou échangés des prisons politiques du SBU, les témoins des atrocités, des bombardements ciblés de civils.

Bien que se déclarant « neutre », les articles de Paul Gogo prouvent sans ambiguïté, qu’il fait œuvre de propagande contre le Donbass et contre la Russie. Ce journaliste oublie par ailleurs qu’il existe des causes à servir, Gogo ne sert ici que des penchants vengeurs, des opinions extrémistes en flouant au pied la déontologie de sa profession.

Imaginons un journaliste suisse en 1944, ayant des accréditations pour venir faire son métier sur le front, suivant les armées soviétique, américaine, anglaise ou française, puis revenant dans son pays pour défendre dans ses articles l’Allemagne nazie, de l’avis des lecteurs, les pays concernés auraient le devoir de lui redonner la chance de revenir sur le front ? Le parallèle est criant.

Mais donnons la parole encore une fois à Laurent Brayard qu’il accuse de l’ostraciser sur place lui et ses amis : « Du pur Gogo (rires), sa liste noire des journalistes est sortie de son cerveau, il s’oublie ici, car les deux républiques ont compris que ces gens-là sont venus les combattre par la plume. Paul Gogo d’une certaine manière est un criminel de l’information, des gens meurent dans le Donbass de sa propagande, il ne s’agit pas ici de venir faire un reportage animalier dans le Périgord. C’est une guerre ! Paul Gogo n’est pas neutre, il sert l’Ukraine de Kiev, il l’a démontré par ses appels pour l’armée ukrainienne, qu’espère-t-il donc après le mal qu’il fait, en brandissant une liberté de la presse qui n’existe pas en France. Avons nous eu la parole nous chez DONi dans un média français ? Bien sûr que non. Gogo oublie que nous avons fait venir quantité de collègues journalistes européens, des dizaines que nous avons fixés, plusieurs fois pour certains, citons Shaun Walker (The Guardian, GB), Kim Segunpa (indépendant Inde), Philippe Warwick (RFI, France), Stéphane Aubouard (L’Humanité, France), Philippe Migault (ancien du Figaro, Valeurs actuelles France), Guillaume Chauvin (photographe indépendant, prix Paris-Match 2009, France), et je pourrais en citer une bonne quarantaine d’autres, d’Allemagne, de Belgique, de Finlande, d’Espagne, du Pays Basque, des Pays-Bas, d’Italie, la liste est très longue. Il est vrai par contre que selon les règles édictées par les deux républiques elles-mêmes, j’aide à faire le tri, pour que des gens comme Gogo, ne puisse plus dire en étant venu dans le Donbass « j’y étais », puis écrire sans fin des absurdités sur le Donbass, ils ne sont de toute façon pas des journalistes, seulement dirons-nous « des serviteurs ». Ils servent une carrière, ils servent ce que j’appelle le IVe Reich européen, ce sont déjà des hommes du passé, ceux d’une cause perdue, ils seront vaincus et Gogo et bien d’autres diront alors qu’ils ne savaient pas… ».

Paul Gogo insulte Givi

Paul Gogo insulte la Russie

L’affaire Christelle Néant et DONi, comment tenter de faire entrer des pièces incompatibles dans un puzzle bancal

Pour finir une déjà longue enquête, nous évoquerons l’acharnement de Paul Gogo, à travers StreetPress et d’autres plate-formes, à vouloir à tout prix faire des supports français du Donbass « des fachos » (combattants, humanitaires, journalistes).

Le parcours de Brayard a été public, il vient de la CNT, syndicat libertaire de l’extrême-gauche, étant passé à l’UPR parti sans couleur qui prône la sortie de l’UE et de l’Euro. Après sa disparition publique de la scène, Gogo et ses amis, notamment Mathieu Mollard et d’autres, se sont lancés dans une campagne diffamatoire contre Christelle Néant et DONi.

Les accusations, en partie alimentée par la « petite guerre des trolls », sont toujours les mêmes, toute l’équipe de DONi serait fasciste, toutes les personnalités passant par DONi le serait aussi, notamment lors de la venue du groupe Les Brigandes.

Janus Putkonen n’a jamais caché avoir des opinions plutôt communistes, et laissons à Christelle Néant le soin de répondre elle-même : « Sur le plan politique, je suis clairement communiste, et je l'ai explicitement dit à M. Mollard lorsqu'il m'a interviewé pour cet article sur StreetPress (en me cachant d'ailleurs au passage le fait que son article serait fait avec Paul Gogo). Cette partie dérangeait trop dans la narration que Gogo voulait imposer à son article, alors elle a été zappée. Tout comme le fait que je lui avait clairement dit qu'un certain nombre de volontaire français étaient politiquement à gauche, voire très à gauche. C'est cela que lui et M. Mollard appellent être « objectifs ». Si cela ne colle pas à leur accusation, hop on enlève. Ils ont enlevé mes années d'activisme de défense des droits de l'homme quand j'étais en France et en Belgique. Ils n'ont gardé que mon passage à l'Unef-ID en le qualifiant de syndicat de centre-gauche pour essayer d'édulcorer mon engagement politique très à gauche qui ne cadrait pas avec la narration qu'ils voulaient donner à leur article. Le plus incroyable a été leur tentative de m'interviewer une deuxième fois après la venue du groupe de visiteurs français, en envoyant un autre journaliste. Je lui ai demandé s'ils me prenaient pour une idiote après ce qu'ils avaient fait de ma première interview, et s'ils croyaient vraiment que j'allais de nouveau leur en accorder une pour qu'elle soit de nouveau déformée, tronquée, comme le fut la première. Comme le dit le dicton populaire : « Qui me trompe une fois, honte à lui ; qui me trompe deux fois, honte à moi ». Tout comme les républiques populaires, je leur avait accordé une chance de montrer qu'ils étaient des journalistes objectifs, et ils ont montré qu'ils ne sont que des propagandistes qui ne méritent même pas que l'on perde du temps avec eux. »

Paul Gogo insulte Janus

Paul Gogo insulte la DNR

Cette enquête montre hélas l’état piteux et dramatique de la profession de journaliste en France. Si Paul Gogo reste un épouvantail aux travers antidémocratiques qui ne trompent pas, il est l’un des nombreux « journalistes » qui dans le futur dirigeront les plus grands médias français.

Ils seront à la tête des rédactions, ils violent déjà toutes les règles, Paul Gogo n’hésitant pas à déclarer publiquement que pour tromper les populations du Donbass, il avait porté un ruban de Saint-Georges, symbole des patriotes russophones et russes.

Le travail de telles personnes ne tend qu’à tromper le public français, le cocktail étant toujours le même : travaux sur commandes (pas de liberté réelle de publication de leurs articles), écrire dans le sens des puissants, des gouvernants, des lobbyings, mépris du public et des collègues non impliqués dans le système, carrière, jouissances et honneurs (médailles, Légion d’honneur etc.).

L’information entre les mains de personnes comme Paul Gogo, devient un danger pour la Nation française, est partisane mais se cache derrière une neutralité, défend des causes contraires aux intérêts du Peuple et détruit la presse, la liberté de la presse et le peu de démocratie qu’il reste encore dans les mains des populations. Dans l’histoire, que dira-t-on de ces hommes-là ?

Paul Gogo couvre Secteur Droit

L’équipe de DONi Press

https://dnipress.com/fr/posts/paul-gogo-journaliste-francais-au-service-de-georges-soros/ Enregistrer

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