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Pourtant, ces premières préoccupations sur les vaccins continuent de faire sentir ci et là leur présence, et il y a quelques mois, j'ai reçu un livre précisément consacré à ce sujet au sens large, publié sous les auspices de l'organisation Robert F. Kennedy Jr.'s Children's Health Defense. Il avait été publié originellement en 2019, bien avant que quiconque ait entendu parler du Covid ou de Wuhan, et il n'avait rien à voir avec ces sujets, mais traitait de la controverse originelle sur les vaccins. Les auteurs en sont anonymes — on peut penser qu'il s'agit d'un couple de médecins israéliens — et leurs travaux avaient au départ été publiés dans leur pays, mais ils sont désormais disponibles en langue anglaise. Outre quelques graphiques, le contenu est exclusivement constitué de texte, et le titre est intriguant : Turtles All the Way Down.
CiterJ'ai vraiment été impressionné. La plupart des anti-vaccins Covid que j'avais croisés sur l'Internet se laissaient emporter à prononcer des accusations débridées et très douteuses, faisaient mention de morts en grands nombres, mais je n'ai guère trouvé de grandiosité de cette nature dans la discussion extrêmement sobre étalée sur les 500 pages de cet ouvrage.
Bien que le style et les affirmations factuelles soient de fait relativement contraints, le livre constitue à de nombreux égards un critique bien plus radical envers les vaccins que tout ce que j'avais pu trouver jusqu'alors, et il pratique une attaque frontale contre le rôle traditionnel des vaccins dans la médecine moderne. Turtles vise à renverser ce que la plupart d'entre nous ont cru savoir sur ces mesures établies de santé publique, et je n'ai guère été surpris que les auteurs aient préféré tenir secrète leur identité, par crainte de représailles professionnelles. Selon l'avant-propos de l'édition étasunienne du livre, quelques mois après sa publication originelle, le livre avait reçu une critique des plus favorables au sein du premier journal médical israélien, mais les universitaires d'expérience qui en avaient fait l'éloge se sont ensuite fait incendier par un establishment médical qui n'était pas prêt à remettre en question directement la substance du texte de l'ouvrage. La couverture du livre est garnie des longues recommandations écrites par une dizaine de professionnels de la santé et autres universitaires, un soutien qui me suffit largement pour prendre le livre au sérieux et lui accorder une certaine attention. Il y a à peine plus d'un an, j'avais été stupéfié par le contenu du best-seller écrit par Kennedy, numéro un sur Amazon, et depuis lors j'ai fait preuve de bien plus de prudence avant d'accepter la sagesse conventionnelle de l'establishment médical.
Turtles livre quelque 1200 références, qui remplissent les 273 pages d'un document en ligne mais, comme pour le livre de Kennedy, je n'ai pas essayé d'en vérifier un seul, en partie parce que je ne dispose pas de l'expertise technique pour le faire correctement. Selon les éditeurs, les affirmations produites par les auteurs n'ont pas été réfutées facilement au cours des trois années écoulées depuis sa publication. Sans prendre la moindre position sur les sujets abordés, je vais faire de mon mieux pour résumer certains de leurs arguments centraux, et j'encourage le lecteur intéressé à lire le livre et à se forger sa propre opinion.
Un thème central des antivax est que nombre des vaccins qu'ils critiquent ont de fait présenté de graves effets indésirables, provoquant parfois davantage de dégâts que de bénéfices, et j'avais toujours été très sceptique face à cette affirmation. Après tout, je savais qu'avant leur mise à disposition auprès du grand public, les nouveaux vaccins doivent normalement traverser une longue période d'essais cliniques, qui les soumet à des tests randomisés, en double-aveugle, face à des placebos. Mais le tout premier chapitre de Turtles affirme que ce point est un mythe et une tromperie.
Selon les auteurs, ces essais menés sur les vaccins sont menés non pas face à de véritables placebos comme des solutions salines, mais uniquement face aux vaccins précédemment approuvés. Aussi, un nouveau traitement est considéré comme sûr si son taux d'effets indésirables n'est pas pire que celui des versions précédemment approuvées, mais n'est pas qualifié face à une absence totale de traitement, une approche illogique qui ne semble guère présenter de sens. Ainsi, l'efficacité et la sûreté supposées des vaccins actuels ne sont établies que relativement à une longue suite de vaccins les ayant précédés, qui s'étale souvent sur des décennies, et c'est cela qui constitue la métaphore « Turtles All the Way Down /
Les tortues, jusqu'au bout de la nuit« présentée dans le titre de l'ouvrage. Ce type d'affirmation très simple et factuelle semble peu propice à être affirmé s'il n'est pas factuellement vérifié.
Chose assez surprenante, le taux de tests d'effets indésirables est parfois tout à fait significatif. Par exemple, durant les essais cliniques du vaccin Prevnar, l'état d'environ 6 % des 17 000 nourrissons qui ont subi le test a nécessité des visites médicales d'urgence, et celui de 3 % d'entre eux a exigé une hospitalisation. Mais comme le vaccin précédent utilisé pour établir la comparaison présentait des taux tout aussi élevés d'effets indésirables, Prevnar a été considéré comme sûr et efficace, un verdict choquant.
Il est également arrivé qu'aucune version approuvée du vaccin n'ait été disponible pour servir de base à un test par comparaison, et l'on pourrait naturellement supposer que le seul choix possible serait d'utiliser un vrai placebo comme une solution saline. Mais Turtles révèle que dans cette situation, une version délibérément dégradée du même vaccin est administrée à l'autre moitié de la population qui subit le test, c'est-à-dire un produit qui n'apporte aucun des bénéfices attendus, mais contient sans doute les mêmes effets indésirables. La justification la plus plausible de cette étrange méthodologie serait de masquer l'existence de ces effets indésirables, et d'ainsi s'assurer que le vaccin soit approuvé.
Turtles résume cette situation révoltante en affirmant que chaque année, des dizaines de millions de doses de vaccins sont administrés à des nourrissons et à des bébés aux États-Unis, et que pas un seul de ces produits n'a jamais été testé lors d'essais cliniques face à un placebo inerte. Rien de tout ceci n'établit que l'un ou l'autre de ces vaccins soit dangereux, mais cela en soulève sans aucun doute la possibilité de manière très sérieuse. Un aveugle peut piloter un avion sans forcément l'écraser au sol, mais il a sans doute de bien plus grandes chances de s'écraser qu'une personne disposant du sens de la vue.
Après qu'un vaccin a réussi ses essais cliniques et a été approuvé pour l'utilisation dans la population générale, tout problème qui pourrait apparaître est supposé être géré par le VAERS, le « Vaccine Adverse Events Reporting System », dont le nom implique qu'il joue un rôle pour alerter l'attention des autorités de santé publique sur tout problème de cette nature. Turtles consacre un chapitre entier à ce système, que les auteurs décrivent comme très mal conçu et tout à fait indigne de confiance.
En particulier, le système de signalement est complètement basé sur le volontariat, si bien que les professionnels de la santé ne sont pas obligés de remplir des rapports au sujet des effets indésirables qu'ils ont pu croiser, même ceux qui impliquent les réactions les plus graves. Ce point suggère que les signalements sont possiblement largement en sous-nombre par rapport aux problèmes rencontrés, et dans le même temps, n'importe qui peut produire des rapports faux ou trompeurs, sans le moindre processus de vérification.
Il s'ensuit que les données récoltées par VAERS sont statistiquement douteuses, et sans doute très peu fiables, et les auteurs expriment leur méfiance vis-à-vis des raisons pour lesquelles des défauts aussi énormes, au sein d'un système apparemment aussi vital, ont pu rester irrésolues durant des décennies. Ils soupçonnent que ces failles sont peut-être délibérées, et visent à dissimuler les dangers des vaccins que le système est supposé surveiller.
Les auteurs admettent que le lecteur sceptique peut trouver difficile à croire que les effets indésirables d'un produit aussi largement distribué que les vaccins puissent être restés dissimulés durant des décennies, et ils s'autorisent par conséquent à plonger dans l'histoire passée de l'épidémiologie. Ils notent que le cancer du poumon, jadis extrêmement rare, est apparu subitement au début du XXème siècle à peu près en même temps que fumer la cigarette s'est répandu, et que ce phénomène s'est reproduit dans de nombreuses populations. Mais quoique les scientifiques se missent à pointer du doigt la connexion possible et les preuves statistiques qui soutenaient le lien entre les deux phénomènes, la relation de causalité est restée l'objet d'un âpre combat durant des décennies, en partie à cause de la puissance et de la richesse de l'industrie du tabac. Turtles suggère qu'il faut conserver à l'esprit cette histoire tragique, qui a amené à la mort prématurée de millions de victimes du cancer du poumon, lorsque l'on examine le sujet de la sûreté des vaccins.
À la fin des années 1990, de nouvelles questions sur la sûreté des vaccins se mirent à apparaître dans la littérature scientifique, notablement la publication, en 1998, d'une étude extrêmement controversée au sujet de la sûreté des vaccins ROR (rougeole, oreillons et rubéole), réalisée par le docteur Andrew Wakefield et ses collègues du Lancet, un journal médical de premier plan. En outre, l'apparition de l'Internet avait permis pour la première fois à des personnes ordinaires de partager leurs vécus et leurs préoccupations, et de s'organiser pour enquêter sur ces sujets.
Mais selon Turtles, la réponse de l'establishment des vaccins a été de publier une suite d'études pour mettre de côté ces préoccupations, des études dont les auteurs affirment qu'elles étaient gravement percluses de défauts, de biais, et peut-être même écrites sous le joug de la corruption, mais qui n'en furent pas moins lourdement promues par l'establishment médical et ses serviles alliés dans les médias. Ils consacrent la plus grande partie d'un long chapitre à l'analyse de cinq de ces études majeures avec moult détails, et notent que certaines des études les plus influentes contiennent des erreurs qui semblent grièvement mettre en doute leur crédibilité. Chose tout à fait remarquable, les données brutes présentées dans l'une des études les plus importantes, l'étude Madsen de 2002 sur les enfants danois, semblait de fait soutenir la conclusion opposée, suggérant que le vaccin présentait bel et bien des effets indésirables dangereux, mais divers « ajustements » statistiques douteux avaient été employés pour produire le résultat rassurant désiré.
À ce stade, les auteurs soulèvent une question extrêmement simple. Le moyen le plus facile et le plus convaincant de démontrer que les vaccins sont bel et bien sûrs et bénéfiques, et ne présentent que de rares effets secondaires indésirables, serait évidemment de mener une vaste étude d'essais randomisés, comparant le total des conséquences sur la santé de personnes vaccinées, et non vaccinées, chose qu'ils appellent une étude « Vaccinated vs. Unvaccinated » (VU). Pourtant, selon Turtles, aucune étude de cette sorte n'a jamais été menée : « Il semble inexplicable qu'aucune étude VU n'ait été lancée par l'establishment vaccinal durant autant d'années. »
De fait, il existe des populations significatives, comme les Amish, qui ont renoncé aux vaccinations, et dont on pourrait facilement comparer les résultats de santé par rapport à un groupe type de la population publique vaccinée, et Turtles note des remarques plutôt gênantes à cet égard. Une enquête journalistique a établi que le taux d'autisme parmi les Amish ne constituait qu'une toute petite fraction de celle de la population générale, et l'on retrouve la même absence d'autisme parmi les enfants vivant en Israël mais nés en Éthiopie, et non-vaccinés, alors que leurs frères et sœurs nés en Israël sont affectés par un taux d'autisme normal. Un schéma semblable se présente avec les familles d'immigrés somaliens dans le Minnesota ainsi qu'en Suède. Étant donné que ces préoccupations sur l'autisme provoqué par vaccin constituent depuis des années un point de rupture parmi les activistes opposés aux vaccins, il apparaît comme très douteux que les autorités de santé publique n'aient pas voulu répondre par une vaste étude VU pour régler ce sujet une bonne fois pour toutes.
On a demandé de manière répétée des études VU de cette nature, mais la réponse habituelle de l'establishment médical a été de balayer la proposition en la qualifiant de non-éthique, en affirmant que cela reviendrait à refuser à un vaste groupe d'enfants l'accès aux bénéfices de la vaccination ; mais cela constitue une absurdité évidente. Une étude non-randomisée pourrait être basée sur des groupes non-vaccinés, ou une étude rétrospective pourrait s'appuyer sur les historiques de santé des grands nombres d'enfants qui n'ont pas été vaccinés par le passé. Turtles note que 0,8 % de tous les enfants étasuniens sont aujourd'hui totalement non-vaccinés, ce qui constitue une population de 30 000 sujets potentiels pour chaque année de naissance, et il note qu'en Australie ce pourcentage s'établit à 1,5 %. Ces données livreraient évidemment des nombres tout à fait suffisants pour déterminer avec certitude les bénéfices pour la santé des vaccinations. Mais d'autres excuses troubles ou totalement douteuses continuent d'être émises pour ne pas les mener.
Pourquoi donc trouve-t-on une opposition aussi forte à la tenue d'une vaste étude VU ? Turtles propose une réponse simple à cette interrogation.CiterIl ne peut exister qu'une seule explication : les résultats seraient fortement marqués en faveur des non-vaccinés.
(le texte est en gras dans l'ouvrage). Les auteurs avancent que des études de ce type ont presque certainement été menées, probablement à de multiples reprises, mais que les résultats n'en ont jamais été divulgués au public, car ils étaient orientés dans la mauvaise direction. Après tout, les données sont accessibles depuis de nombreuses années aux autorités gouvernementales, et il semble inconcevable qu'aucune analyse n'ait jamais été menée, il semble bien plus probable que les résultats n'en aient jamais été publiés. Je ne peux pas me prononcer avec certitude sur l'idée que les auteurs ont raison sur ce point, mais je pense que leurs doutes très profonds sont à tout le moins extrêmement fondés.
CiterLa deuxième moitié du livre adopte une perspective historique plus large, et s'intéresse à ce que les auteurs décrivent comme les « mythes fondateurs » de la santé publique, avec principalement le rôle supposé crucial joué par des innovations médicales comme les vaccins pour nous libérer des maladies mortelles du passé. Durant presque toute ma vie, j'avais toujours vaguement accepté ces idées, et je ne les avais jamais remises en cause sérieusement.
Les auteurs relatent une histoire très différente. Ils expliquent qu'à partir du début des années 1960, le Dr. Thomas McKeown, un médecin britannique et chercheur universitaire de premier plan, ainsi que ses collègues, avaient publié une suite d'articles révolutionnaires qui parvenaient à faire peser le doute sur ces hypothèses, et notaient que les immenses réductions de la mortalité des maladies infectieuses en Grande-Bretagne avait en réalité précédé depuis longtemps l'introduction des vaccins ou d'autres traitements médicaux comme les antibiotiques. Plutôt que cela, les réductions brutales de mortalité par maladie ont en très grande partie découlé des améliorations très importantes en matière d'hygiène publique et privée, une conclusion surprenante confirmée ensuite également aux États-Unis. Ils illustrent ces faits par plusieurs graphiques des plus éloquents.
Mortalité pour cause de coqueluche, diphtérie et de rougeole, États-Unis, 1900-1996
Entre autres facteurs, les changements en matière de technologie de transport, comme le remplacement du cheval par l'automobile, ont eu un impact considérable, un cheval produisant en moyenne 11 kilogrammes de crottin par jour, dont une grande partie se trouvait épandue dans les rues des villes. La dépendance qui existait dans les villes envers le cheval produisait d'autres dangers : la ville de New York dut pour la seule année 1880 évacuer 15 000 carcasses de chevaux de ses rues. Dans le même temps, la réfrigération a fortement réduit la consommation de nourriture pourrie ou avariée, et les avancées en matière de nutrition ont amélioré la santé des gens.
Les auteurs soulignent que quarante ans après que McKeown et ses alliés produisirent cette « révolution conceptuelle », les autorités sanitaires de premier plan ont pleinement reconnu l'importance relative de ces divers facteurs. Un rapport produit par l'American Institute of Medicine affirme queCiterle nombre d'infections empêchées par l'immunisation est en fait très faible en comparaison du nombre total d'infections empêchées par d'autres interventions hygiéniques comme l'eau propre, la nourriture saine, et les conditions de vie assainies.
Mais bien que la communauté académique ait absorbé ces faits, ils n'ont toujours pas été répandus largement, et on ne leur a pas accordé l'attention qu'ils méritent. Par exemple, la plupart des publications du CDC (« Center for Disease Control ») continuent d'insister lourdement sur le rôle central de la vaccination, ce qui conduit à une ignorance importante au sein du grand public. Selon Turtles,Citerle consensus scientifique au sujet du rôle mineur joué par les vaccins pour réduire la charge des maladies infectieuses s'est transformé en une sorte de « secret public » dans les cercles scientifiques et médicaux : chacun connaît la vérité, mais nul ne daigne la partager avec le public.
Turtles reconnaît librement que certaines maladies majeures ont été en grande partie éliminées par les vaccins, notablement la variole, et également le fait que les vaccins ont joué un rôle important pour réduire la morbidité d'autres maux très répandus comme la rougeole, voire leur mortalité.
Morbidité et mortalité de la rougeole en Grande-Bretagne (1940-2010)
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Incidence rapportée de la rougeole, des oreillons, de la rubéole, et de la varicelle aux États-Unis (1960-1979)
Mais ces exemples de réussites peuvent également soulever des questions compliquées et cachées. Au moment même où l'inoculation à grande échelle de vaccins a permis d'éliminer divers maladies infantiles contagieuses mais non mortelles, d'autres changements importants se sont produits en matière de santé publique, parfois très négatifs. Par exemple, des maladies chroniques et incurables, comme l'asthme, l'autisme, et le Trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) se sont mis à apparaître pour la première fois en nombres importants, ou en présentant une forte croissance, avec un impact négatif dépassant bientôt largement la diminution des maladies infectieuses. Malgré cela, la plupart de ces maladies chroniques n'ont guère fait l'objet d'attention de la part du CDC ou d'autres organisations de santé orientées vers les maladies infectieuses, qui préfèrent continuer de garder leur attention sur l'éclat atténué de la rougeole ou des oreillons, alors que les millions d'enfants qui souffrent désormais de maladies chroniques reçoivent nettement moins d'attention. Turtles émet le doute très gênant qui suit : ces deux tendances divergentes sont peut-être bien directement reliées, ce qui suggère une fois de plus que des études à vaste portée devraient explorer les liens possibles entre ces nouvelles maladies chroniques et les vaccins qui ont été introduits au cours de la même période.
CiterTurtles présente l'ensemble de ces sujets de vaccination et de santé publique d'une manière relativement prudente, et quoique j'ai trouvé une grande partie des informations tout à fait surprenantes, presque aucune d'entre elles n'a suscité de ma part le moindre sentiment d'incrédulité. Cependant, l'avant-dernier chapitre du livre est de loin le plus conséquent, puisqu'il occupe presque le quart de l'ensemble de l'ouvrage, et son contenu est nettement plus choquant. Je soupçonne que l'auteur l'a volontairement positionné près de la fin afin que les premiers chapitres aient déjà adouci le scepticisme du lecteur, dans l'objectif de limiter la probabilité que ces éléments explosifs soient simplement écartés sans examen. Le titre de ce chapitre est « Les Mystères de la Polio », et la première phrase décrit l'édifice démesuré sur le point d'être attaqué avec témérité :CiterLe récit épique de la victoire de la science sur la polio —- davantage que tout autre récit d'une lutte contre la maladie, même le récit digne d'une fable d'Edward Jenner et de son vaccin pour la variole — est le mythe fondateur de la vaccination.Comme les auteurs le suggèrent, la réussite de l'utilisation du vaccin de la polio pour éliminer cette maladie effroyable a constitué le plus grand triomphe des années 1950 en matière de santé publique, un triomphe qui a sauvé d'innombrables enfants d'une paralysie handicapante et a supprimé le poids d'un règne de terreur qui hantait les familles étasuniennes, tout en élevant le Dr. Jonas Salk et son vaccin à un statut de sainteté profane. L'histoire de cette maladie terrifiante et du vaccin qui l'a éradiquée semble aussi solidement établie que tout ce qui peut l'être en matière de médecine, et la page Wikipédia dépasse les 11 000 mots et comprend presque 150 références.
Pourtant, de manière tout à fait remarquable, Turtles s'emploie à retourner totalement ce récit établi de longue date, et affirme que les faits scientifiques sont en réalité bien plus complexes et ambigus que moi-même ou que la plupart des autres lecteurs auraient jamais pu l'imaginer. Si pour ma part ce long récit ne suffit pas en soi à dépasser les hypothèses considérables en faveur d'une histoire médicale apparemment bien documentée, il a néanmoins soulevé de nombreux autres sujets majeurs dont je n'avais précédemment jamais eu connaissance, et je vais me contenter de présenter les arguments qu'il avance, et exhorter le lecteur intéressé à lire le livre et à se forger sa propre opinion.
Les auteurs commencent en résumant brièvement l'histoire habituelle de la polio, expliquent que la maladie est provoquée par une infection virale qui peut produire des symptômes semblables à ceux d'une grippe, mais que dans moins de 1 % des cas, elle peut également endommager les cellules nerveuses et créer une paralysie sur le long terme. La Polio semble avoir hanté l'humanité durant des milliers d'années, les premiers cas établis semblant illustrés par une stèle égyptienne remontant à 1500 avant Jésus-Christ, et montrant un jeune homme avec une jambe atrophiée, soutenu par une béquille, et la première description médicale de la maladie est apparue dans un livre écrit par un médecin en 1789. Mais la maladie restait extrêmement rare, ne provoqua pas d'épidémie connue, si bien qu'elle ne fit l'objet que d'une faible attention jusqu'à la fin du XIXᵉ siècle, lorsque des épidémies de polio se mirent à éclore en Europe et aux États-Unis. Elles se multiplièrent bientôt en taille, provoquant la paralysie de 9000 victimes dans la ville de New York en 1916, et l'épidémie de polio se mit à venir puis repartir sans que l'on comprenne comment ni pourquoi, avec une augmentation après la seconde guerre mondiale, jusqu'à atteindre un pic au début des années 1950.
Le mystère de la maladie fut résolu en 1908, lorsque le virus responsable de la maladie fut isolé, puis avec le soutien de Franklin Delano Roosevelt, lui-même victime de paralysies conséquentes à la polio, d'immenses sommes d'argent furent investies pour étudier la maladie et rechercher un remède. Cela finit par culminer avec les vaccins Salk et Sabin au début des années 1950, ce qui a conduit à la disparition de la maladie dans le monde industrialisé des années 1960 et 1970, puis sa quasi-éradication du reste du monde pour la fin du XXème siècle.
Pourtant, les auteurs indiquent que ce récit apparemment simple, que j'avais tranquillement considéré comme acquis au fil des années, et que je n'avais jamais remis en question, cache en fait de nombreuses anomalies étranges, des mystères qui ont toujours été connus des cercles scientifiques mais jamais portés à la connaissance du public. On n'a aucune explication sur la raison pour laquelle l'épidémie de polio commença vers la fin du XIXᵉ siècle, ni sur la raison pour laquelle cette épidémie resta totalement confinée aux pays industrialisés, et pourquoi les cas étaient bien plus graves en été et au début de l'automne. La Polio se répandait et s'intensifiait exactement en même temps que les autres maladies infectieuses déclinaient brutalement, la plupart des victimes n'avaient aucun contact identifié avec d'autres personnes infectées, et aucune explication n'était disponible pour comprendre pourquoi le virus ne s'attaquait que si rarement au système nerveux. Il s'avéra impossible d'infecter des animaux de laboratoire par voie orale, alors que c'était la manière suivant laquelle les humains étaient supposés être infectés.
Et de manière étrange, bien que cette maladie elle-même ait supposément été vaincue et quasiment éradiquée par la science médicale, tous ces mystères continuent de rester sans explication de nos jours, malgré plus d'un siècle de recherche, et certains d'entre eux sont même devenus encore plus intrigants.
Comme le soulignent les auteurs, « la polio est l'une des quelques maladies qui sont devenues une menace majeure pour la santé publique au cours des temps modernes », et le registre bien documenté de ses apparitions suit un schéma très étrange. Les premières épidémies en Europe et en Amérique du Nord furent assez visibles pour qu'en sorte un nouveau phénomène clairement représenté, mais nous ne savons toujours pas pourquoi elles sont apparues subitement. Ces épidémies restèrent presque totalement confinées aux pays industrialisés, et dans les rares occurrences où elles se répandirent dans d'autres parties du monde, la maladie resta presque toujours cantonnée aux Occidentaux, et n'affecta que rarement les résidents locaux. Les soldats étasuniens établis dans une base aux Philippines attrapaient la polio, mais les Philippins locaux ne la contractaient pas, et de même en Chine et au Japon. Les soldats étasuniens stationnés dans le Moyen-Orient attrapaient la polio dix fois plus fréquemment que leurs homologues restés aux États-Unis, mais les résidents locaux semblaient presque immunisés. Au début des années 1940, les cas de polio étaient cinq fois plus fréquents parmi les officiers britanniques en poste en Inde que parmi les hommes du rang britanniques, et 120 fois plus fréquents que pour les soldats indiens locaux. De même, les officiers britanniques établis en Afrique du Nord et en Italie avaient presque dix fois plus de chances de contracter la polio que les soldats qu'ils commandaient. On a enregistré de nombreuses autres occurrences semblables à celles-ci, établissant d'étranges schémas d'infection, qui frappaient de manière disproportionnée les personnes d'un statut social plus élevé.
Aussi, durant la période précise au cours de laquelle une amélioration de l'assainissement, des conditions d'hygiène et du régime alimentaire avaient provoqué le déclin rapide d'autres maladies infectieuses au sein des pays industrialisés, la polio commença à monter et à inquiéter. À la fin des années 1940, la tendance frappante qu'avait la polio à frapper les Occidentaux plutôt que les locaux fit monter la théorie selon laquelle « une amélioration de l'hygiène » constituait d'une manière ou d'une autre un facteur important contribuant aux infections, une conclusion largement acceptée par de nombreux experts de premier plan de la polio. On formulait des hypothèses scientifiques pour expliquer cela, mais les recherches empiriques les contredisaient aussitôt.
Cependant, comme les auteurs le notent, les premières épidémies de polio aux États-Unis avaient en fait suivi le schéma exactement opposé, concentrées dans les bourbiers urbains les plus sales et les moins exposés à l'hygiène, ce qui avait amené à penser que la polio était une maladie de la pauvreté. Mais après que la polio faiblit, puis finit par disparaître dans le monde industrialisé au cours des années 1960 et 1970, elle refit subitement apparition dans les pays du Tiers Monde, à un taux semblable au pic des années 1950 en Occident. Aussi, en une ou deux générations, une maladie dont on estimait largement qu'elle était provoquée par la pauvreté et par le manque d'hygiène s'était transformée en maladie associée à l'opulence et à un excès d'hygiène, puis était retournée à ses racines de pauvreté et de saleté. Selon Turtles, ces hypothèses totalement contradictoires étaient parfois acceptées ensemble simultanément par des chercheurs de premier plan sur la polio. Ce très étrange schéma d'infection de la polio soulève la possibilité évidente que la véritable nature de la maladie ait été mal comprise d'une manière tout à fait fondamentale.
Un point central soulevé par Turtles est que contrairement aux perceptions répandues parmi le grand public, les caractéristiques de paralysie flasque de la polio peuvent en réalité présenter un très grand nombre de causes différentes, peut-être jusque 200 selon la littérature médicale, et la plupart de ces causes relèvent de l'empoisonnement ou de l'exposition à des produits chimiques toxiques. Mais au cours des premières décennies du XXème siècle, le profil très élevé de la polio impliquait qu'on apposait l'étiquette « polio » sur toute maladie physique s'y apparentant. Dans certains cas importants, on découvrit ensuite qu'un mauvais diagnostic avait été posé, mais les auteurs se demandent si ce phénomène n'aurait pas pu être plus répandu qu'on ne le comprit à l'époque.
Comme ils l'indiquent, une chose vraiment dramatique à dû se produire à la fin du XIXᵉ siècle pour produire la montée remarquable de l'incidence de la polio paralytique, et ils notent que cette même période a vu l'introduction à une vaste échelle des nouveaux colorants et des pesticides basés sur l'arsenic, le plomb, et d'autres produits chimiques potentiellement toxiques.
Pour exemple suspect, ils expliquent que les exploitants agricoles du Nord-Est des États-Unis se mirent à appliquer de l'arséniate de plomb sur leurs pommiers en 1892, et que l'année suivante, on assista à une forte montée des cas de polio — une augmentation du nombre de cas supérieure à un facteur quatre — dans la région de Boston. Qui plus est, ces cas se présentèrent surtout durant la saison de cueillette des pommes, et la plupart des victimes provenaient des régions rurales autour de Boston, plutôt que de la ville elle-même. Des décennies plus tard, les experts médicaux soulignaient qu'il restait très difficile de distinguer la paralysie induite par la polio de la maladie nerveuse provoquée par un empoisonnement au plomb, et que les erreurs de diagnostics étaient répandues. Les auteurs notent que la montée des cas apparents de polio, passant d'une poignée de cas à des centaines d'entre eux, semble avoir correspondu étroitement à l'utilisation à vaste échelle d'arséniate de plomb, qui n'était pas uniquement bien plus dangereux que les autres pesticides chimiques, mais restait également bien plus longtemps sur le fruit.
À ce stade, Turtles emploie un vocabulaire soigneusement choisi pour proposer une hypothèse remarquablement explosive :CiterL'hypothèse selon laquelle la polio est une maladie infectieuse et contagieuse — c'est-à-dire, qu'elle est provoquée par un organisme vivant (typiquement une bactérie ou un virus) et est transmise d'une personne à l'autre — n'a pas été remise en question dans les cercles scientifiques depuis des décennies. La version institutionnelle de l'histoire de la polio a coulé une épaisse couche de béton autour de cette hypothèse, et tout scientifique qui oserait la remettre en question se verrait sans doute ignoré ou moqué. La maladie, « comme chacun sait », est provoquée par le virus de la polio — un virus hautement contagieux qui pénètre le corps par la bouche et en ressort par les excréments. Mais la polio est-elle réellement une maladie infectieuse et contagieuse ? Fouiller dans les débuts de l'histoire de cette maladie suggère que la réponse à cette question n'est pas aussi évidente ou univoque que le récit officiel de la polio voudrait nous le faire croire.
Au cours des premières années de la montée de la polio, la nature de la maladie fit l'objet de nombreux débats, et les critiques de la théorie infectieuse soulignaient ne pouvoir trouver aucun exemple de transmission d'une personne à l'autre. De fait, les cas étaient tellement dispersés géographiquement que presque aucune des victimes n'avait pu être en contact avec une autre. Parmi 1400 cas passés en revue, moins de 3% impliquaient plus d'un patient par famille.
Dans le même temps, on trouvait de nombreuses autres instances à grande échelle de paralysie semblable provoquée par des aliments empoisonnés. À Manchester, en Angleterre, une épidémie mystérieuse éclata en 1900, qui paralysa des milliers de personnes et en tua plusieurs dizaines, et que l'on finit par attribuer à de hautes teneurs en arsenic dans l'acide sulfurique utilisé pour traiter le sucre dans les brasseries de bière locale. On détermina par la suite qu'un problème similaire, à des niveaux plus faibles, avait produit des dizaines de cas de paralysie mystérieuse chaque année dans le Nord-Ouest de l'Angleterre à la fin du XIXᵉ siècle. En 1930, 50 000 Étasuniens furent frappées de paralysie dans les régions du Sud et du centre après avoir bu un remède médical breveté contaminé par un produit chimique toxique, et en général, dix jours s'étaient écoulés entre la consommation du produit et les premiers symptômes, ce qui avait totalement masqué la cause véritable des paralysies.
La notion selon laquelle la paralysie attribuée à la polio pourrait en réalité provenir d'un produit chimique semble tout à fait stupéfiante, elle n'est pas facile à accepter, mais elle pourrait contribuer à expliquer le schéma très étrange de propagation de la maladie et son manque apparent de transmissibilité.
Les auteurs examinent également avec soin les études historiques considérées comme ayant établi la nature contagieuse et infectieuse de la polio, et les trouvent très douteuses et incertaines ; ils indiquent que les critiques scientifiques avaient soulevé à l'époque nombre d'objections semblables. Ils notent que malgré l'échec répété d'établir de manière expérimentale que les infections à la polio étaient uniquement ciblées sur les humains, certains des premiers rapports, dans le cadre des épidémies rurales, avaient mentionné que des formes de paralysie semblable avait également frappé des animaux des fermes locales, comme des chevaux, des chiens et des volailles, ce qui suggère qu'un agent toxique aurait pu être responsable du problème.
Aussi, la question se pose naturellement : pourquoi le rôle possible d'un empoisonnement au plomb ou à l'arsenic a-t-il été ignoré dans ces premières études, qui ont conclu qu'une maladie infectieuse était responsable des problèmes ? Les auteurs suggèrent que cela a fait suite à la forte influence de l'industrie chimique, qui distribuait sur le marché ces produits dangereux comme pesticides pour les exploitants de vergers. À l'époque, le gouvernement étasunien ne limitait absolument pas la distribution de ces produits chimiques, et plusieurs pays européens interdirent les pommes étasuniennes pour cette raison précise.
Les auteurs indiquent que les épidémies de polio dans l'hémisphère nord avaient tendance à se produire surtout durant les mois d'été et d'automne, au cours desquels on consommait davantage de fruits et de légumes, et au cours desquels ces produits étaient intensivement traités aux produits chimiques pour les protéger des parasites. En contraste, les autres maladies infantiles infectieuses avaient beaucoup moins de chances de se produire durant ces mêmes mois, car les écoles n'ouvraient pas leurs portes.
À la fin des années 1930, la paralysie par la polio était devenue une maladie notable aux États-Unis, mais son incidence connut une croissance très rapide après la fin de la seconde guerre mondiale, et des épidémies se mirent à affecter également des pays comme l'Allemagne, le Japon et les Pays-Bas, où la maladie avait jusqu'alors été inconnue. Les premières épidémies en France, en Belgique et en Union soviétique furent enregistrées au cours des années 1950. Les historiens médicaux n'ont aucune explication à ce schéma étrange, qui a vu monter la polio au stade de maladie très crainte alors même que de nombreuses autres maladies étaient désormais sous contrôle et avaient tendance à disparaître.
Les auteurs notent qu'une révolution de pesticides se produisait précisément au même moment, le DDT devenant l'insecticide de choix, un produit peu onéreux, puissant, et durable, qui attaquait le système nerveux des nuisibles agricoles courants. Quoique le produit chimique fût officiellement considéré comme parfaitement sûr, des rapports se mirent rapidement à établir des exemples de toxicité envers les humains, allant jusqu'à intégrer comme symptôme la paralysie. Selon certains critiques médicaux de l'époque, le schéma de développement surprenant des infections à la polio, aussi bien aux États-Unis que dans d'autres pays, semblait dans l'ensemble suivre de près l'utilisation en développement du DDT, mais le Département de l'Agriculture et les autres agences fédérales réfutèrent avec force toute possibilité de lien.
Tous les doutes qui pouvaient rester sur la véritable nature de la polio furent apparemment balayés au moment où le vaccin Salk fut produit, en 1955, suivi par la disparition rapide de la maladie, mais les auteurs soulèvent des doutes importants sur cette relation de cause à effet apparemment immédiate. Ils notent que les cas de polio avaient déjà décliné fortement dans tout le pays depuis plusieurs années, et que cette tendance ne fit que se poursuivre, suivie par une montée mesurable de l'incidence de la polio quelques années plus tard. La trajectoire en Israël était encore plus contradictoire, et le long déclin dans le nombre de cas de polios subit de fait un retournement après le début des vaccinations, avant de redescendre quelques années plus tard.
À en croire les auteurs, au début des années 1950, les agences du gouvernement étasunien avaient commencé sans bruit à faire état de préoccupations au sujet des effets sur la santé du DDT et se mirent à déconseiller son utilisation à grande échelle, surtout dans la préparation d'aliments et au sein des foyers. Les auteurs suggèrent que cela pourrait expliquer le vif déclin du nombre de cas de polio au cours des années ayant précédé l'introduction du vaccin Salk.
Ainsi, pour une combinaison de raisons, la polio avait largement disparu des États-Unis et du reste du monde industrialisé dans les années 1970. Mais dans le même temps, l'utilisation répandue de DDT et d'autres pesticides dans de nombreux pays du Tiers Monde fut rapidement suivie par une montée surprenante d'épidémies de polio, qui étaient jusqu'alors inconnues dans ces régions, ce qui amena au lancement d'une campagne de vaccination globale en 1988 pour éradiquer la polio.
Cette opération massive a semblé couronnée d'un grand succès, et en 2013, le nombre de cas de polio rapportés avait chuté de 99,9 %. Pourtant, les auteurs remettent sérieusement en question ce narratif triomphal, et notent que la montée concurrente, et encore plus rapide, du syndrome de « Paralysie flasque aiguë » (PFA – FPA en anglais et sur les graphes ci-après), un mal physique présentant des caractéristiques similaires mais non attribué au virus de la polio. Si le nombre de personnes gravement paralysées est resté constant, ou a même augmenté nettement, peut-être que la réussite supposée de la campagne de vaccination contre la polio a été obtenue par une simple redéfinition, un tour de passe-passe.
Quoique j'ai trouvé le plus gros des sections précédentes produites par Turtles intéressantes et raisonnablement convaincantes, je ne me sentais guère prêt à l'impact incendiaire de ce très long chapitre consacré à la polio, qui m'a totalement sidéré. La simple possibilité que l'une des maladies historiques les plus connues du XXème siècle ait pu en grande partie relever d'une invention et d'un mauvais diagnostic médical est vraiment frappante pour l'esprit.
Les décès dus à la polio avaient été relativement peu nombreux, mais le nombre d'enfants par elle laissés handicapés à vie l'avait établie comme une maladie particulièrement terrifiante, finalement conquise par la découverte héroïque des Docteurs Jonas Salk et Albert Sabin, chose qui valut au premier un prix Nobel. Comme les auteurs le déclarent, l'éradication de la polio avait constitué une réussite remarquée des campagnes massives de vaccination, qui justifia des mesures de santé publique et une expansion à grande échelle des vaccinations. Mon opinion sur tous ces sujets était toujours restée très conventionnelle, et je n'avais jamais douté de ce que j'en lisais dans les journaux ou les manuels. J'ai donc été stupéfait de parcourir ces 125 pages — écrites avec modération et soigneusement étayées — qui établissent de sérieux doutes sur le fait que la maladie contagieuse ait jamais véritablement existé, et donc la plupart des victimes souffraient en réalité de diverses sortes d'empoisonnements, et non de quelque infection virale.
Je me suis souvenu de la controverse autour de l'utilisation du DDT comme pesticide, et de son interdiction, il y a un demi-siècle, à cause de la menace posée par ce produit sur les animaux sauvages. Mais j'avais accepté les arguments voulant qu'il fût totalement inoffensif pour les humains, et je n'avais jamais entendu parler d'un quelconque lien avec une maladie, et encore moins avec un phénomène aussi connu que la paralysie attribuée à la polio.
Il existe d'évidence une différence colossale entre créer de sérieux doutes au sujet d'un sujet scientifique emblématique, et réussir à l'infirmer. Même si j'étais prêt à vérifier les centaines de références universitaires fournies par Turtles pour soutenir son hypothèse révolutionnaire, je ne posséderais sans doute pas l'expertise technique nécessaire pour les évaluer correctement. La victoire remportée sur la polio figure parmi les triomphes les plus célèbres de la médecine moderne, et il ne fait nul doute que ses légions de défenseurs pourraient produire de longues réfutations aux arguments présentés par ces auteurs anonymes, des réfutations que les personnes disposant du niveau d'expertise adéquat devraient soigneusement soupeser. Revenir sur notre compréhension établie de la polio est le type de prouesse monumentale qui demanderait un débat professionnel tout aussi monumental. Mais de mon point de vue, le simple fait de soulever des doutes significatifs au sujet d'un élément apparemment aussi central de l'histoire médical justifie pleinement la lecture du livre produit par ces auteurs courageux.
CiterPour le décrire en peu de mots, l'effet d'amnésie de Gell-Mann est le suivant. En ouvrant le journal, vous tombez sur un article traitant d'un sujet que vous connaissez bien. Dans le cas de Murray, la physique. Dans mon cas, le show business. Vous lisez l'article, et constatez que le journaliste ne comprend absolument rien des faits ou du sujet traité. Bien souvent, l'article est tellement faux qu'il présente les choses à l'envers — en inversant les causes et les effets. J'appelle ça des articles où « le macadam mouillé provoque la pluie ». Ce type d'article foisonne dans les journaux.
En tous cas, vous lisez avec exaspération, ou avec amusement, les multiples erreurs présentes dans un article, puis passez à la page des affaires nationales ou internationales, et vous lisez cela comme si le reste du journal était, on ne sait comment, plus précis au sujet de la Palestine que le charabia que vous avez lu juste avant. En tournant la page, vous avez oublié ce que vous veniez de constater.
C'est cela, l'effet d'amnésie de Gell-Mann. Je peux ajouter qu'il ne fonctionne pas dans d'autres pans de votre vie. Dans la vie normale, si quelqu'un exagère sans arrêt ou vous ment, vous allez rapidement rejeter tout ce que cette personne raconte. Au tribunal, on trouve la doctrine juridique du falsus in uno, falsus in omnibus, qui signifie trompeur sur un point, trompeur sur tout. Mais dans la sphère des médias, en dépit des preuves dont nous disposons, nous continuons de croire qu'il est utile de lire les autres pages du journal. Dans la réalité, il est presque sûr que non. La seule explication possible de notre comportement relève de l'amnésie.
CiterJe sais que vous êtes très sceptique vis-à-vis de mon soutien à l'hypothèse de Duesberg sur le VIH et le SIDA [Si vous ne l'avez pas lu, lisez ce livre, NdT], mais voici un autre point intéressant que vous pourriez examiner.
Comme, j'en suis certain, vous ne pouvez manquer de le savoir, les Démocrates ont édifié une attaque tous azimuts féroce au Sénat contre RFK Jr., et emploient tous les moyens à leur portée pour le discréditer et essayer d'empêcher sa confirmation. Ils se sont concentrés sur tous les moyens possibles de le dépeindre comme une personnalité conspirationniste et bernée, entretenant des idées farfelues et qu'ils faudrait donc maintenir à distance de notre système de santé publique...
Ne trouvez-vous pas très étrange que strictement aucune mention du VIH et du SIDA n'ait été faite durant ces auditions ?
Après tout, Kennedy a publié un best-seller, numéro 1 sur Amazon, qui consacre 200 pages (!) à la théorie selon laquelle le VIH serait inoffensif, et le SIDA constituerait une vaste farce.
Évidemment, je ne m'attendrais pas à ce que les sénateurs aient lu ce livre en personne, mais sans doute que de nombreuses personnes dans leurs équipes l'ont fait, et ont tenu des sessions stratégiques pour décider des sujets à soulever contre Kennedy. Ils ont dû consulter des experts scientifiques et médicaux pour les aider à décider sur quels points Kennedy était le plus vulnérable.
N'est-il pas absolument extraordinaire qu'apparemment, pas un seul sénateur n'ait soulevé les opinions absolument hérétiques de Kennedy au sujet du VIH et du SIDA ?
Cela constitue sans doute l'un des cas les plus extrêmes de « chien qui n'aboie pas » de l'histoire connue.
La seule explication à laquelle je peux penser est que les équipes Démocrates ont conclu que soulever le sujet du VIH et du SIDA allait s'avérer désastreux et contre-productif vis-à-vis de leurs tentatives. Cela ne prouve pas que Kennedy et Duesberg aient raison, mais je pense que cela signifie que de très très nombreuses personnes bien informées craignent qu'ils puissent avoir raison.
CiterJe suis d'accord — il est des plus étranges que les sénateurs Démocrates aient laissé passé la chance de s'en prendre à RFK sur le point de ses écrits sur le VIH. Je souscris à votre logique selon laquelle quelque chose a dû alerter les équipes Démocrates et leur faire éviter le sujet.
CiterComme nous l'avons tous appris dans les médias, le SIDA est une malade auto-immune mortelle, qui fut diagnostiquée pour la première fois au début des années 1980, affectant principalement les hommes gays et les consommateurs de drogues par voie intraveineuse. Transmise par les fluides corporels, la maladie se propageait le plus souvent par voie sexuelle, transfusion sanguine, ou partage d'aiguilles, et le VIH, le virus responsable, fut finalement découvert en 1984. Au fil des années, toute une gamme de traitements médicaux a été développée, pour la plupart inefficaces au départ, mais plus récemment, tellement efficaces que bien que le statut de séropositif impliquât jadis une sentence de mort, l'infection est désormais devenue une pathologie chronique mais contrôlable. La page Wikipédia actuelle sur le VIH et le SIDA s'étend sur plus de 20000 mots, et comprend plus de 300 références.
Pourtant, selon les informations fournies par le best-seller de Kennedy, premier des ventes sur Amazon, cette image bien connue et solidement établie, que je n'avais jamais remise en cause, est presque entièrement fausse et frauduleuse, et relève pour l'essentiel du canular médical médiatique. Loin d'être responsable du SIDA, le virus du VIH est sans doute inoffensif et n'a rien à voir avec la maladie. Mais lorsqu'on a détecté chez certaines personnes une infection au VIH, on leur a administré les premiers médicaments contre le SIDA, extrêmement lucratifs, qui se sont avérés en réalité des produits mortels et qui ont souvent tué les patients. Les premiers cas de SIDA furent pour la plupart provoqués par l'utilisation massive de ces médicaments interdits, et l'affirmation selon laquelle le VIH serait responsable de ces morts relevait en réalité du mauvais diagnostic. Mais comme Fauci et les entreprises de médicaments avides de profits ont rapidement édifié d'énormes empires sur ce faux diagnostic, ils ont lutté très dur, durant plus de 35 années, pour maintenir et protéger ce faux diagnostic, exerçant toute leur influence pour bannir la vérité des médias, tout en détruisant la carrière de tout chercheur honnête remettant cette fraude en question. Dans le même temps, le SIDA en Afrique était une toute autre maladie, sans doute provoquée principalement par la malnutrition et d'autres pathologies locales.
J'ai trouvé le récit proposé par Kennedy plus choquant que toute autre chose que j'aie jamais eu à lire.
CiterMalgré tout, le premier soutien, en quatrième de couverture, est celui du professeur Luc Montagnier, le chercheur en médecine qui a remporté un prix Nobel pour la découverte du virus du VIH en 1984, et il écrit : « De manière tragique pour l'humanité, il existe de très très nombreuses contrevérités émanant de Fauci et de ses larbins. RFK Junior présente les décennies de mensonges ». Qui plus est, on nous indique que dès la Conférence Internationale de San Francisco sur le SIDA du mois de juin 1990, Montagnier avait publiquement déclaré que « le virus VIH est inoffensif et passif, c'est un virus bénin. »
Peut-être que ce lauréat du prix Nobel aura soutenu ce livre pour d'autres raisons, et peut-être que le sens de son affirmation frappante de 1990 a été mal interprétée. Mais sans doute que le point de vue d'un chercheur ayant remporté un prix Nobel pour la découverte du virus VIH ne devrait pas rester totalement ignoré lorsque l'on évalue son rôle possible.
CiterEn 1985, on a découvert que l'AZT, un produit qui existait déjà, tuait le virus VIH dans des tests réalisés en laboratoire. Fauci a alors mené des efforts considérables pour accélérer les essais cliniques sur ce produit, en vue d'en faire un traitement adapté aux personnes séropositives et en bonne santé, et l'approbation de la FDA a fini par être accordée en 1987, ce qui a provoqué le premier moment de triomphe pour Fauci. Vendu à 10000 $ par an et par patient, l'AZT constituait l'un des médicaments les plus chers de l'histoire, et comme les coûts de ce traitement étaient couverts par les assurances santé et les subsides du gouvernement, il constitua une aubaine financière sans précédent pour son fabricant.
Kennedy consacre un chapitre entier à l'histoire de l'AZT, et le récit qu'il dépeint est digne de Kafka, ou peut-être des Monty Python. Apparemment, Fauci avait subi une pression colossale pour produire une percée médicale justifiant ses énormes budgets, si bien qu'il a manipulé les essais cliniques menés sur l'AZT pour dissimuler la nature extrêmement toxique du produit, qui tua rapidement de nombreux patients se le voyant administré, cependant qu'on attribuait leurs symptômes au SIDA. Aussi, à l'issue de l'approbation par la FDA en 1987, des centaines de milliers de personnes en parfaite santé, dès lors qu'ils se sont avérés être séropositifs, ont été placés sous AZT, et le grand nombre de décès qui s'en est suivi a été attribué à tort au virus, et non à la substance anti-virale. Selon les experts scientifiques cités dans le livre, la vaste majorité des « morts du SIDA » après 1987 furent en réalité des victimes de l'AZT.
L'un des grands héros scientifiques du récit proposé par Kennedy est le professeur Peter H. Duesberg, de Berkely. Durant les années 1970 et 1980, Duesberg était largement considéré comme figurant parmi les virologues les plus éminents au monde, et il a été élu au sein de la prestigieuse Académie des Sciences à l'âge de 50 ans, ce qui a fait de lui l'un des plus jeunes membres de l'histoire de cette vénérable institution. Dès 1987, il a commencé à soulever de sérieux doutes vis-à-vis de l'hypothèse VIH/SIDA, et à souligner les dangers de l'AZT, et a fini par publier une suite d'articles dans des journaux sur le sujet, qui ont peu à peu convaincu d'autres acteurs, comme Montagnier. En 1996, il a publié L'invention du virus du SIDA, un ouvrage massif de 712 pages présentant sa thèse, et dont l'avant-propos était écrit par le prix Nobel Kary Mullis, le célèbre inventeur de la technologie PCR, lui-même critique éminent de l'hypothèse VIH/SIDA. Duesberg était tellement certain de la pertinence de ses doutes vis-à-vis du VIH qu'il a été jusqu'à proposer de se faire injecter du sang infecté par le VIH.
Mais plutôt que de débattre ouvertement face à un opposant scientifique de cette force, Fauci et ses alliés ont mis Duesberg sur liste noire, lui coupant tout financement de la part du gouvernement, et ruinant ainsi sa carrière de chercheur, tout en le diabolisant et en faisant pression sur leurs pairs pour qu'ils en fassent autant. Selon des collègues chercheurs cités par Kennedy, Duesberg a vu sa carrière détruite en guise d'avertissement et d'exemple aux autres. Dans le même temps, Fauci a déployé son influence pour empêcher ses critiques d'apparaître dans les grands médias nationaux, ce qui l'assura qu'en dehors d'un étroit segment de la communauté scientifique, peu de gens connussent même l'existence de la controverse en cours.
CiterL'une des affirmations centrales de Duesberg était que la maladie connue sous le nom de « SIDA » ne présentait pas d'existence réelle, mais constituait purement et simplement l'étiquette officielle attachée à un groupe de plus d'une vingtaine de maladies différentes les unes des autres, qui présentaient toutes une variété de causes différentes, dont seulement certaines étaient des agents infectieux. De fait, la plupart de ces maladies étaient connues et traitée depuis des décennies, mais on ne les désignait comme « SIDA » que si la victime s'avérait également séropositive au virus VIH, qui n'avait sans doute rien à voir avec ladite maladie.
En soutien à leur position contraire, les auteurs notent que les divers groupes à hauts risques de « SIDA » avaient tendance à ne développer que certaines versions particulières de la maladie, le « SIDA » des hémophiles se montrant le plus souvent très différent du « SIDA » du villageois africain, et n'ayant que peu de points communs avec les maladies développées par les hommes gays ou les toxicomanes à des drogues administrées par intraveineuse. De fait, le schéma du « SIDA » en Afrique semblait extrêmement différent de celui que l'on trouvait dans le monde développé. Mais si toutes ces diverses maladies étaient en réalité provoquées par un seul virus VIH, des syndromes aussi totalement disparates sautaient aux yeux comme des anomalies dérangeants, difficiles à expliquer d'un point de vue scientifique.
CiterLe Lancet est l'un des principaux journaux médicaux au monde, et en 1996, l'année suivant sa prise de poste d'éditeur en chef au sein de ce journal, Richard Horton produisit à destination des pages du prestigieux New York Review of Books une discussion en 10000 mots des théories de Duesberg, comme décrites dans trois ouvrages et divers articles récemment écrits par le chercheur. Horton faisait de toute évidence partie des personnalités les plus respectables de le l'establishment, mais bien qu'il se montrât surtout favorable au consensus orthodoxe VIH/SIDA, il présenta la perspective totalement contraire de Duesberg de manière équitable et avec respect, mais non sans critiques.
Pourtant, j'ai été frappé par le récit de Horton, en ce qu'il apparaissait comme horrifié par le traitement infligé à Duesberg par le complexe médico-industrial en place aux États-Unis, comme le suggère son titre : « Vérité et Hérésie au sujet du SIDA ».
La toute première phrase de son long article de critique fait mention de la « vaste industrie académique et commerciale établie autour... du VIH » ainsi que du défi fondamental posé par Duesberg à ses bases scientifiques. Pour conséquence, le « brillant virologue » était sujet à des « attaques violentes. » Les principaux journaux scientifiques professionnels avaient affiché une « attitude inéquitable et alarmante, » et en conséquence partielle, d'autres dissidents potentiels s'étaient vus dissuadés d'explorer leurs théories alternatives.
Selon Horton, des considérations financières s'étaient établies comme élément central du processus scientifique, et il notait avec horreur qu'une conférence de presse sur la recherche, mettant en question l'efficacité d'une substance anti-SIDA particulière, était de fait menée par des journalistes financiers, centrés sur les tentatives menées par les dirigeants d'entreprises à détruire la crédibilité d'une étude qu'ils avaient eux-mêmes contribué à construire, mais qui s'était retournée contre leur produit.
CiterL'un des aspects les plus perturbants du différend entre Duesberg et l'establishment du SIDA est la manière selon laquelle Duesberg s'est vu refuser la possibilité de tester ses hypothèses. Dans une discipline gouvernée par les affirmations empiriques vers la vérité, les preuves expérimentales devraient constituer la manière évidente de confirmer ou de réfuter les affirmations avancées par Duesberg. Mais Duesberg a constaté que les portes de l'establishment scientifique restaient fermées à ses fréquents appels à tests...
Duesberg mérite qu'on l'écoute, et l'assassinat idéologique qu'il a subi restera comme un testament embarrassant des tendances réactionnaires de la science moderne... À une époque où l'on recherche désespérément des idées fraîches et de nouvelles voies d'investigation, comment la communauté du SIDA peut-elle se permettre de ne pas financer les recherches de Duesberg ?
CiterChacun d'entre nous se spécialise nécessairement en certains domaines, et jusqu'à tout récemment, je n'avais jamais prêté beaucoup d'attention aux questions de santé publique, supposant naïvement que celles-ci étaient entre les mains de fonctionnaires raisonnablement compétents et raisonnablement honnêtes, surveillés par des journalistes et des universitaires aussi fiables.
Pour beaucoup d'entre nous, moi y compris, une fissure importante dans cette hypothèse s'est produite en 2015, lorsque les pages du New York Times et d'autres grands journaux ont été remplies d'articles sur une nouvelle étude choquante menée par Anne Case et Angus Deaton, un couple marié d'éminents économistes, la carrière de Deaton ayant été couronnée quelques semaines plus tôt par l'obtention du prix Nobel dans sa discipline.
Leur remarquable conclusion est que, au cours des 15 dernières années, la santé et les taux de survie des Américains blancs d'âge moyen ont connu un rapide déclin, rompant complètement avec le modèle des groupes américains non blancs ou avec les Blancs vivant dans d'autres pays développés. De plus, cette chute brutale du bien-être physique représentait une rupture radicale avec les tendances du demi-siècle précédent, et était presque sans précédent dans l'histoire occidentale moderne.
Bien que leur court article n'occupait qu'une demi-douzaine de pages dans les Actes de l'Académie nationale des sciences, il a rapidement été approuvé par un grand nombre d'éminents experts en santé publique et d'autres chercheurs, qui ont souligné le caractère spectaculaire de la découverte. Un couple de professeurs de Dartmouth a déclaré au Times : « Il est difficile de trouver des contextes modernes présentant des pertes de survie de cette ampleur », tandis qu'un expert des courbes de mortalité s'est exclamé « Wow ». Leurs résultats frappants étaient illustrés par de nombreux graphiques simples basés sur des statistiques gouvernementales faciles à obtenir.
Les deux auteurs sont des économistes, dont le travail habituel est éloigné des questions de santé publique, et selon leur récit, ils sont tombés sur ces résultats remarquables tout à fait par hasard, en explorant un autre sujet. La question qui m'est naturellement venue à l'esprit était de savoir comment une calamité aussi importante, touchant une grande partie de la population américaine, avait pu être totalement ignorée pendant si longtemps par tous les universitaires et chercheurs travaillant, eux, dans le domaine de la santé publique. Une courte courbe, sur trois ou quatre ans, aurait peut-être pu passer inaperçue, mais quinze ans d'un déclin national aussi meurtrier ?
En outre, la source de ce renversement radical des courbes de mortalité à long terme est étroitement confinée à quelques catégories particulières. Chez les Américains blancs âgés de 45 à 54 ans, les décès dus aux surdoses de drogues et autres empoisonnements ont été multipliés par près de 10 au cours de la période en question, dépassant largement le cancer du poumon pour devenir la première cause de décès.Mortalité par cause, blancs non hispaniques âgés de 45 à 54 ans (PNAS)
Avec la forte augmentation des suicides et de l'alcoolisme chronique, les décès dus aux drogue sont à l'origine de la grande variation de l'espérance de vie. Cette situation est particulièrement aiguë pour la classe ouvrière, le taux de mortalité ayant fait un bond remarquable de 22 % chez les Américains blancs n'ayant pas fait d'études supérieures.
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Case et Deaton ont regroupé les surdoses de drogue, les suicides et l'alcoolisme chronique sous le terme de « morts de désespoir » et, en 2020, ils ont étendu leur étude révolutionnaire à un livre portant ce titre, qui a été largement discuté et salué. Leur sous-titre mettait l'accent sur « l'avenir du capitalisme » et ils soutenaient que la cause centrale de la situation mortelle de l'Amérique était l'épidémie de médicaments opioïdes sur ordonnance, produite par l'approbation, en 1996, par la FDA de l'OxyContin, un produit addictif, et sa commercialisation massive ultérieure par Purdue Pharmaceutical. Sous la pression du lobbying d'entreprises, notre gouvernement a « essentiellement légalisé l'héroïne », les conséquences étant exactement celles auxquelles on pouvait s'attendre. En 2015, 98 millions d'Américains – plus d'un tiers de tous les adultes – s'étaient vu prescrire des opioïdes et, en 2017, le nombre d'overdoses et autres décès par désespoir atteignait 158 000.
CiterEn septembre 2004, Merck, l'une des plus grandes sociétés pharmaceutiques américaines, a soudainement annoncé qu'elle rappelait volontairement le Vioxx, son populaire médicament anti-douleur largement utilisé pour traiter les affections liées à l'arthrite. Ce rappel abrupt est intervenu quelques jours seulement après que Merck eut découvert qu'une revue médicale de premier plan était sur le point de publier une vaste étude réalisée par un enquêteur de la FDA indiquant que le médicament en question augmentait considérablement le risque de crises cardiaques et d'accidents vasculaires cérébraux mortels et qu'il avait probablement été responsable d'au moins 55 000 décès américains pendant les cinq années où il avait été commercialisé.
Quelques semaines après le rappel, les journalistes ont découvert que Merck avait trouvé des preuves solides des effets secondaires potentiellement mortels de ce médicament avant même son introduction initiale en 1999, mais qu'elle avait ignoré ces indicateurs inquiétants et évité de procéder à des tests supplémentaires, tout en étouffant les inquiétudes de ses propres scientifiques. Stimulé par un budget publicitaire télévisé d'une centaine de millions de dollars par an, le Vioxx est rapidement devenu l'un des produits les plus lucratifs de Merck, générant plus de 2 milliards de dollars de revenus annuels. Merck avait également secrètement rédigé des dizaines d'études publiées soulignant les aspects bénéfiques du médicament et encourageant les médecins à le prescrire largement, transformant ainsi la science en support marketing. Vingt-cinq millions d'Américains se sont finalement vu prescrire du Vioxx, un substitut de l'aspirine censé entraîner moins de complications.
CiterCette histoire de graves malversations d'entreprises largement pardonnées et oubliées par le gouvernement et les médias est assez déprimante, mais elle passe sous silence un détail factuel crucial qui semble avoir presque totalement échappé à l'attention du public. L'année qui a suivi le retrait du Vioxx du marché, le New York Times et d'autres grands médias ont publié un article mineur, généralement enterré au bas de leurs dernières pages, qui indiquait que les taux de mortalité américains avaient soudainement connu une baisse frappante et totalement inattendue.
CiterUn examen rapide des 15 dernières années de données sur la mortalité nationale fournies sur le site Web des Centers for Disease Control and Prevention [centres de contrôle et de prévention des maladies] offre quelques indices intrigants sur ce mystère. Nous constatons que la plus forte hausse des taux de mortalité américains s'est produite en 1999, année de l'introduction du Vioxx, tandis que la plus forte baisse s'est produite en 2004, année de son retrait. Le Vioxx était presque entièrement commercialisé auprès des personnes âgées, et ces changements substantiels dans le taux de mortalité national étaient entièrement concentrés dans la population des 65 ans et plus. Les études de la FDA prouvaient que l'utilisation du Vioxx entraînait des décès dus à des maladies cardiovasculaires telles que les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux, et ce sont précisément ces facteurs qui ont entraîné les changements dans les taux de mortalité nationaux.
CiterSelon des études menées par des chercheurs, 74 % des adultes étasuniens sont désormais en surpoids, et presque 42 % de ces adultes souffrent d'obésité clinique, ainsi que presque 15 millions d'adolescents et enfants. Ces taux ont grimpé en flèche au cours des dernières cinquante années.
Nos chiffres d'obésité nationale ne sont pas seulement plus élevés que ceux de toute autre nation développée, mais ils s'établissent quasiment au double de ceux de l'Allemagne, et à quatre fois ceux de la France.
L'obésité est étroitement associée au diabète, et presque 40 millions d'Étasuniens souffrent désormais de cette grave pathologie, cependant que 115 millions d'autres présentent un pré-diabète. Des dizaines de millions d'Étasuniens présentent de l'hypertension et d'autres maladies liées. Ici encore, ces taux ont augmenté de manière spectaculaire sur une ou deux générations.
Ces chiffres sont énormes, et présentent des conséquences sanitaires massives. À lui seul, le diabète se classe comme huitième cause de décès, qui tue annuellement plus de 100 000 Étasuniens, tout en constituant un facteur contributif à 300 000 décès supplémentaires. En contraste, le total combiné de tous les décès par overdose de drogues dépasse tout juste les 100 000.
Une étude réalisée l'an passé indique que l'obésité faisait croître de façon considérable le risque de décès, potentiellement jusqu'à 91 %, et avec des dizaines de millions d'Étasuniens souffrant de cet état, l'impact sur la mortalité ne peut être qu'énorme. En conséquence, notamment, de ces tendances très négatives, nous dépensons beaucoup plus en frais de santé que toute autre nation développée, et pourtant notre espérance de vie reste dans l'ensemble nettement plus basse, et stagne au lieu de croître.
CiterAussi loin que remonte ma mémoire, les experts sanitaires du gouvernement et les médias relayant leurs avertissements nous informaient de la sorte : manger des nourritures grasses est mauvais pour la santé, et produit des risques très accrus de crises cardiaques, d'AVC, et de nombreux autres maux. Bien que je n'aie jamais prêté beaucoup d'attention à ces sujets, j'avais, à l'instar de la plupart des Étasuniens, toujours supposé que ces faits étaient avérés.
Des décennies de messages médiatiques de cette trempe nous ont affirmé que le petit-déjeuner étasunien traditionnel, constitué de bacon, saucisses et œufs, souvent servi avec des mottes de beurre — un repas croulant sous le gras et faisant donc grossir — était à remplacer par des mets plus sains, comme du muesli, des fruits et du yaourt. Une grande partie de la population a fini par respecter ces directives et a agi exactement ainsi.
CiterSelon ce cadre nutritionnel, un régime alimentaire sain dépendait d'une composante fondamentale de nourriture à base de céréales, comme le pain, le riz, les pâtes, complétée par des quantités substantielles de fruits et légumes, et consommés ensemble, ces glucides à base de plantes devaient apporter le plus gros des calories nécessaires à tout un chacun. Les produits animaux, comme le lait, le fromage, la viande, le poisson et les œufs présentaient une forte teneur en protéines, et des doses conséquentes de graisses, et ne devaient être consommés qu'avec modération, alors que les portions de nourritures grasses ou sucrées étaient à minimiser. Nombre d'entre nous peinaient à adhérer à ces lignes directrices, mais elles représentaient le fil directeur du mode de vie sain que nous étions tous encouragés à poursuivre.
Mais selon l'article à succès de Taubes, tout ceci n'avait constitué qu'« un bon gros mensonge. » Selon son récit, les nourritures grasses seraient saines, et en consommer constituerait la meilleure manière de maintenir la ligne, alors que les fruits et les yaourts allégés en graisses seraient exactement le type de nourriture dangereuse promulguant l'obésité. Je suis certain que pour quiconque aura suivi ces sujets de près dans la durée, ces affirmations stupéfiantes ont dû ressembler à un article expliquant que la gravité était inversée et que les cailloux tombaient vers le haut.
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Durant toute ma vie, les médias dominants m'avaient toujours informé que les nourritures grasses présentaient une forte teneur d'une chose du nom de cholestérol, qui faisait fortement monter les risques de subir des crises cardiaques et des AVC, et faute d'entretenir le moindre intérêt ou la moindre expertise dans ces domaines, j'avais naturellement supposé que cela était vrai. Mais Taubes expose de manière très convaincante que cette conclusion était fondée sur des éléments scientifiques extrêmement légers, et pouvait s'avérer totalement fausse ; des montagnes de couverture médiatique avaient été produites sur la base de l'équivalent d'un timbre poste d'éléments scientifiques plutôt douteux...
Le même grave déséquilibre entre des éléments factuels minimalistes et les croyances largement répandues se présentait également sur le sujet du lien supposé entre la consommation de sel et la pression sanguine, les régimes alimentaires à base de fibres et le cancer du côlon, et diverses autres pathologies. Mais la mythologie au sujet du régime alimentaire et l'obésité en constituait le pire exemple.
Selon la documentation établie par Taubes, entre les premiers jours de la science nutritionnelle du XIXᵉ siècle, et durant des générations, on avait toujours très largement accepté que les régimes riches en hydrates de carbone comme les pâtes, le pain, les pommes de terre, et surtout le sucre, provoquaient l'accumulation de graisse pour qui en consommait, et que la meilleure manière de perdre du poids était de renoncer à en consommer. Pourtant, dans l'ère de l'après-guerre, des éléments scientifiques maigres ou mal interprétés ont convaincu des nutritionnistes étasuniens énergiques à développer une compréhension totalement différente de l'obésité, fondée sur l'hypothèse que les calories étaient fondamentalement interchangeables, et comme les nourritures à forte teneur en graisse présentaient un contenu calorique nettement plus dense que les hydrates de carbone ou les protéines, il convenait de les éviter pour perdre du poids. Comme Taubes l'évoque de manière évocatrice, leur argument revenait au dogme selon lequel l'obésité était provoquée par les deux pêchés traditionnels de la gourmandise — trop manger — et de la paresse — pratiquer trop peu d'exercice. Cela m'était toujours intuitivement apparu comme plausible, et j'avais accepté cette théorie comme vraie durant toute ma vie.
Mais Taubes affirme que cela ignorait totalement les faits endocrinologiques sous-jacents et que ceux-ci sont nettement plus complexes. Selon ses explications, les gens deviennent gros parce que leurs cellules de graisse prennent de plus en plus de place, en accumulant davantage de molécules de graisses qu'elles n'en libèrent pour le reste du corps, un processus qui est régulé par diverses hormones, avec l'insuline en première place. Lorsque les hydrates de carbone comme les féculents ou les sucres sont ingérés, de l'insuline est libérée dans le sang, ce qui amène les cellules de graisse à absorber les graisses au lieu de les libérer, cependant que le foie convertit le sucre en excès dans le sang en molécules de graisses pour qu'il soit ainsi stocké. Mais manger des nourritures grasses ou des protéines ne produit pas cet impact sur la libération d'insuline dans le sang, ce qui contribue à expliquer la sagesse populaire selon laquelle les hydrates de carbone font grossir.
La notion simpliste selon laquelle toutes les calories sont équivalentes vis-à-vis du contrôle du poids ne considèrent pas ces facteurs hormonaux centraux. Alors que la consommation de graisses ou de protéines apaise notre sensation de faim, la consommation d'hydrates de carbone et surtout de sucre stimule la libération d'insuline, qui peut de fait provoquer des sensations de faim, et amener à trop manger.
CiterTaubes avait manifestement investi beaucoup de temps à étudier l'histoire sanitaire scientifique et publique qui avait produit nos politiques en place, et un aspect surprenant de son récit réside dans le caractère fortuit qui semble avoir marqué de nombreux tournants décisifs en la matière.
Par exemple, au milieu des années 1970, le combat pour établir si le régime gras était gravement dommageable faisait rage depuis quelques décennies, et d'éminents experts universitaires en nutrition des deux bords gagnaient tour à tour du terrain, mais sans que cela fût jamais décisif. De fait, selon Taubes, une grande partie du soutien croissant pour l'hypothèse opposée aux graisses n'avait absolument rien à voir avec les recherches ou même les sujets sanitaires, mais était en partie portée par les préoccupations croissantes selon lesquelles la surpopulation allait mener le monde à la famine, sauf si les régimes alimentaires des pays développés passaient de la viande à des produits végétaux beaucoup plus faciles à produire, tout ceci s'étant déroulé avant que la Révolution Verte de l'agronome Norman Borlaug vienne balayer la menace de la famine mondiale. Ainsi, après que le régime étasunien traditionnel, riche en viande, est devenu « politiquement incorrect » pour des raisons géopolitiques totalement différentes, a émergé une tendance à conclure que ce régime était également malsain, alors même que les éléments soutenant cette thèse étaient tout à fait maigres et ambigus.
Taubes expose la journée qui a joué le rôle le plus important dans l'établissement de la politique nutritionnelle des États-Unis et entérinant le dogme opposé aux graisses. Un comité du Sénat sur la nutrition avait été établi en 1968 par le Sénateur George McGovern, dans le but d'éliminer la malnutrition provoquée par la pauvreté, et le vendredi 14 janvier 1977, il avait produit des directives nutritionnelles fédérales déclarant que les Étasuniens pouvaient améliorer leur santé en consommant moins de gras. L'auteur note que les membres du comité ayant convenu de cette décision étaient presque totalement ignorants du débat scientifique sous-jacent, et dans une longue note de bas de page, il évoque même la possibilité dérangeante qu'ils ont été amenés à prendre cette décision par crainte que le comité fût rapidement dissout à moins de s'attirer de la publicité en produisant une déclaration publique spectaculaire.
Une fois adoptée cette position par le gouvernement, le verdict a naturellement influencé les recherches postérieures menées par des enquêteurs de la FDA ou par des universitaires dépendants des financements fédéraux, si bien qu'à certains égards, la doctrine anti-graisses est ainsi devenu une prophétie scientifique auto-réalisatrice. Et après qu'une génération de chercheurs ait investi leur carrière en mettant en avant le rôle néfaste des graisses dans l'alimentation, ils sont sans doute devenus très réticents à reconnaître par la suite qu'ils avaient pu se tromper.
CiterCe n'est que dans les années 1970 que le gouvernement des États-Unis a estampillé officiellement et avec vigueur son approbation sur le remplacement des nourritures riches en graisses par des hydrates de carbone dans nos régimes, en favorisant surtout ceux relevant de la catégorie « nourriture saine » comme les mueslis, fruits, et les pains complets. On s'est clairement éloigné du bacon, de la saucisse et du beurre pour passer au yaourt, aux jus de fruits et l'on s'est mis à privilégier les pièces de viande maigre par rapport aux viandes grasses. Dans le même temps, de plus en plus d'Étasuniens se sont mis à pratiquer des exercices quotidiens, comme le jogging ou les exercices de gymnastique, des activités inconnues par le passé voire considérées comme néfastes. Cette combinaison de nourriture moins grasse et d'augmentation des exercices réguliers aurait donc dû être suivie par des changements très remarquables dans le poids et les problèmes de santé des Étasuniens. Et de fait, des changements remarquables ont été observés, mais dans l'autre direction de celle prédite par le cadre nutritionnel promu par le gouvernement et les médias.
L'obésité avait toujours constitué un problème très mineur dans la société étasunienne, mais voici qu'elle explosait subitement. La fraction obèse de la population des États-Unis était restée relativement stable, établie à une personne sur huit ou neuf, mais durant les trente années qui ont suivi, voici qu'elle s'élevait désormais à plus d'une personne sur trois. Dans le même temps, le nombre d'Étasuniens affectés de diabète montait encore plus rapidement, avec un accroissement de presque 300%.
CiterMais ces préoccupations générales concernant les hydrates de carbone sont très fortement amplifiées dans le cas du sucre, qui n'est que très récemment entré massivement dans notre régime alimentaire. Bien que le sucre soit connu depuis des milliers d'années, il n'était par le passé, jusqu'à il y a quelques siècles avec la création de grandes plantations sucrières sous les tropiques, disponible que pour les plus riches et en quantités très limitées, et on le considérait souvent comme un composé médicinal voire presque magique, doté de puissantes propriétés. Aussi, il ne serait guère surprenant que le système digestif ainsi que le métabolisme du corps humain aient des difficultés à traiter le sucre dans les grandes quantités que nous consommons, et Taubes a produit un grand nombre d'éléments scientifiques qui étayent cette possibilité préoccupante.
Taubes a discuté de ces préoccupations au sujet du sucre dans ses deux livres, mais un an après la publication du second, il a publié un article majeur dans Times, totalement consacré à ce sujet, sous un titre explosif.
- Le sucre est-il toxique ?
Gary Taubes • The New York Times Sunday Magazine • 13 avril 2011 • 6,500 mots
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Au cours des quelques siècles passés, le sucre est devenu l'un des composants les plus omniprésents de notre régime alimentaire ordinaire, et on le trouve en grandes quantités dans une énorme gamme de produits, allant des cookies aux boissons sportives, en passant par le ketchup, et la notion qu'il puisse en réalité être une toxine dommageable pour l'humain apparaît comme une sorte de « théorie du complot » nutritionniste, du genre de celles que l'on ne trouve que dans des coins isolés de l'Internet, et incantées par des excentriques paranoïaques obsédés par le sujet de la santé. Pourtant, cette thèse a bel et bien été énoncée par l'un de nos auteurs scientifiques les plus distingués, dans un long article paru en première page du New York Times Sunday Magazine, et il a ensuite développé cette thèse en un livre très documenté de 350 pages, The Case Against Sugar, également publié par Knopf en 2017.
CiterMais le fructose s'apparente à une catégorie totalement différente, et il n'est métabolisable que par le foie. Taubes souligne que contraindre cet organe à traiter de trop grandes quantités de fructose peut produire des dégâts à long terme dans les tissus de cet organe, tout comme boire trop d'alcool peut découler sur une cirrhose du foie.
Il affirme en outre que les dégâts provoqués au foie par ce traitement du fructose peut découler sur une montée de la résistance à l'insuline, dont il suggère que cela peut constituer le facteur majeur de l'obésité et du diabète. L'ingestion de grandes quantités de sucre produit donc sans doute un impact sur l'obésité nettement plus important que les simples calories supplémentaires ainsi apportées. Il avance même l'hypothèse que la surproduction d'insuline qui en résulte peut faire croître les risques de cancer, une maladie souvent associée à l'obésité et au diabète.
Lorsque les préoccupations de l'opinion publique, au cours des années 1970, concernant les fortes quantités de sucre contenues dans nos boissons et autres aliments, l'industrie a réagi à ces pressions en remplaçant ce sucre ordinaire par du sirop de maïs à haute teneur en fructose, un composé supposément naturel qui apparaissait comme relativement anodin, présentait la même douceur au goût, et disposait de l'avantage supplémentaire d'être encore moins cher à produire. Pourtant, chose ironique, le sirop de maïs à haute teneur en fructose contient en réalité environ 55 % de fructose et 45 % de glucose, et cette substitution a donc pu être encore plus dommageable pour le foie et d'autres organes internes. Et, peut-être par le fruit d'une coïncidence, les courbes en montée lente de l'obésité et du diabète ont connu un nouveau point d'inflexion peu de temps après, et se sont mises à monter plus rapidement.
CiterUne fois que nous reconnaissons que le sucre — ou plutôt le fructose, l'un de ses composants — constitue notre principal problème diététique, notre évaluation des diverses nourritures et boissons s'en trouve totalement transformée.
Par exemple, on a longtemps compris que les boissons très sucrées étaient mauvaises pour la santé, et au cours des dernières années, les médias ont souvent dépeint Coca Cola et ses rivaux comme une source majeure de nos problèmes d'obésité. Mais je dirais qu'au moins 98 % du public considère les jus de fruits naturels comme une alternative idéale, leur consommation étant encouragée par les programmes nutritionnels du gouvernement.
Cependant, Lustig indique qu'il s'agit d'une absurdité totale. Même si rien ne peut apparaître plus sain qu'un jus d'oranges fraîchement pressées, la vérité malheureuse est que si l'on compte les calories, le jus de fruit contient de fait davantage de fructose dangereux que les sodas sucrés, et s'avère par conséquent pire pour notre santé...
Selon Lustig, la consommation de la plupart des fruits entiers en soi — qu'il s'agisse d'oranges, de pommes ou de poires — est inoffensif, car leur fructose est entouré d'une épaisse couche de fibres indigestes, qui ralentissent fortement leur digestion et mettent donc une pression beaucoup plus faible sur le foie. Mais utiliser un mixeur pour créer des « smoothies » de fruits tellement adorés de nombreux partisans d'un mode de vie sain cisaille ces fibres de cellulose et permet l'absorption très rapide du fructose. Le résultat est donc tout aussi mauvais que les jus de fruits, et pour des raisons semblables, la compote de pomme relève également de cette même catégorie dangereuse...
Certaines des statistiques citées par Lustig sont des plus remarquables. Il explique qu'en 2012, l'Étasunien moyen ingérait 59 kg de sucre par an, soit plus d'un kilogramme par semaine, contre 18 kg par an dans les années 1980, et que 33 % de ce sucre provenait des boissons, les sodas figurant en première place de cette catégorie.
Lorsque la FDA a commencé à classifier les additifs nutritionnels en 1958, le sucre avait été déclaré tout à fait sûr en raison de ses origines naturelles et du fait qu'on le consommait depuis longtemps, et ce sans mener la moindre analyse scientifique ou le moindre essai, cependant que des pressions politiques assurèrent par la suite que la même désignation « officiellement sûr » s'appliquait au sirop de maïs à haute teneur en fructose (SGHF), là encore sans mener le moindre essai. Il s'en est suivi que ces composés pouvaient être ajoutés en quantités illimitées dans tout produit alimentaire, et comme ils ont généralement tendance à améliorer la sensation de goût, cette pratique s'est tellement généralisée que sur les 600 000 articles alimentaires vendus de nos jours aux États-Unis, 80 % contiennent des sucres ajoutés. Trouver un produit alimentaire sans sucres ajoutés est donc bel et bien chose difficile.
CiterLustig s'est fait connaître pour son étude sur les dangers du sucre, et il note que les fibres diététiques non comestibles jouent un rôle d'atténuation importante, en empêchant l'absorption rapide du sucre, et amortissant de la sorte tout impact potentiellement dangereux sur le foie. Ceci explique que le fructose contenu dans les fruits entiers reste relativement inoffensif par rapport au fructose des jus de fruits.
Il souligne également qu'il est nécessaire de consommer des fibres en quantité suffisante pour maintenir la santé de notre microbiome, les milliers de milliards de bactéries qui coexistent en symbiose dans nos intestins. Il explique que ces micro-organismes se nourrissent normalement des fibres alimentaires que nous ingérons, mais que si nous manquons d'en consommer, ces bactéries peuvent se mettre à digérer la couche de mucine qui protège nos cellules intestinales, ce qui produit de graves problèmes de santé. Les fibres sont donc bénéfiques à deux titres, ce qui explique leur importance dans notre régime alimentaire. Malheureusement, les fibres ont également tendance à compliquer la conservation de la nourriture sur le long terme, et elles sont donc le plus souvent retirées des plats préparés, si bien que de nombreux Étasuniens en consomment nettement trop peu.
Nos médias et promoteurs de la santé dénoncent régulièrement notre régime comme trop riche en « nourriture préparée », mais dans une large mesure, je pense que ce terme revient à une abréviation pour les plats dont les fibres ont été retirées, et auxquels des sucres ont été ajoutés. Ce sont là les problèmes fondamentaux, et embrouiller le sujet en utilisant des termes plus vagues et plus généraux peut produire des conséquences négatives. Par exemple, nul ne décrirait du jus d'orange fraîchement pressé comme un « plat préparé », mais selon Lustig, c'est tout aussi dangereux que le pire des plats préparés.
...Le mantra nutritionnel de Lustig, répété au travers de son livre, est très simple : « Protéger le foie et nourrir l'intestin. » La source principale des problèmes de foie est le composant fructose présent dans le sucre, alors que les fibres alimentaires protègent le foie tout en nourrissant l'intestin, si bien qu'elles semblent constituer le principal élément sur lequel se concentrer, un plan d'action relativement simple à extraire d'un livre de plus de 400 pages et comportant plus de 1000 notes de référence.
CiterLustig explique également le rôle important du lobbying des grandes entreprises et des campagnes de relations publiques sur notre désastre de santé publique. Il établit une analogie claire et convaincante entre les activités néfastes des grosses sociétés du tabac et des grosses sociétés du sucre, et note que contrairement à ce que l'on pourrait supposer, la première a en réalité pris la seconde pour modèle, et non pas l'inverse : l'industrie du tabac a embauché un lobbyiste du sucre de haut niveau pour lancer ses campagnes en 1954.
Alors que montaient les préoccupations concernant une obésité en croissance rapide et les problèmes de santé s'y afférant, l'industrie sucrière a fort bien réussi à détourner les accusations vers toutes sortes d'autres produits, comme les nourritures grasses ou le sel, et ces produits ont été désignés comme les gros méchants des narratifs nutritionnels standards promus par notre gouvernement et nos médias. Des études financées par les sucriers suggéraient que les sodas ou les desserts étaient dépassés par les frites ou les chips comme causes de prise de poids, tout en omettant le fait que le ketchup comme les chips présentaient de fait un fort taux de sucre. De fait, une étude plus réaliste a semblé montrer que sur tous les éléments proposés dans un menu servi chez McDonalds, c'est les boissons sucrées qui présentaient la corrélation la plus étroite avec la prise de poids des clients.
Les chercheurs et les journalistes d'investigation ont fini par déterrer des documents révélant que le lobby sucrier avait passé des décennies à financer silencieusement des chercheurs scientifiques dont les études désignaient toutes sortes de coupables, en dehors de lui-même.
CiterLa Russie est en train de perdre la guerre d'attrition
Les guerres sont rarement gagnées de manière aussi décisive, car l'attrition n'est pas seulement une condition de la guerre, mais un choix stratégique. Les petites puissances peuvent, par une application intelligente de l'attrition, réussir à faire avancer leurs propres objectifs.
Citer... est une stratégie militaire qui consiste pour les belligérants à tenter de gagner une guerre en épuisant l'ennemi, par des pertes continues en personnel, en matériel et en moral, jusqu'à son effondrement Il y a deux camps (ou plus) dans une guerre d'usure. Pour savoir quel camp gagne, il faut évaluer les capacités et les pertes de chaque camp. Le camp qui sera le premier à manquer des ressources nécessaires perdra la compétition.
CiterLes pertes russes n'ont cessé d'augmenter. Selon le ministère britannique de la défense, en décembre 2022, elles s'élevaient à environ 500 par jour ; en décembre 2023, à un peu moins de 1 000 ; et en décembre 2024, à plus de 1 500. Pour la seule année 2024, la Russie compte près de 430 000 tués et blessés, contre un peu plus de 250 000 en 2023.
CiterEn 2024, l'armée ukrainienne a reçu plus de 1,2 million de drones produits par l'Ukraine, soit deux fois que ce que l'Ukraine possédait, sans parler de ce qu'elle produisait, au début de la guerre. Les taux de production ukrainiens continuent d'augmenter ; l'Ukraine vise à produire 4 millions de drones rien que cette année.
CiterLes drones sont essentiels car ils ont remplacé l'artillerie en tant que système le plus efficace sur le champ de bataille. Selon une estimation, les drones sont aujourd'hui à l'origine de 70 % des pertes russes. La solide industrie de défense ukrainienne innove plus rapidement et plus efficacement que celle de la Russie et de ses alliés.
CiterSelon Roman Kostenko, président de la commission de la défense et du renseignement du Parlement ukrainien, les drones, et non les grosses pièces d'artillerie lourde qui faisaient autrefois la réputation de la guerre, infligent environ 70 % de toutes les pertes russes et ukrainiennes. Dans certaines batailles, ils causent encore plus de dégâts – jusqu'à 80 % des morts et des blessés, selon les commandants.
CiterL'Ukraine n'est pas au bord de l'effondrement, et c'est la Russie, et non l'Ukraine, qui est en train de perdre la guerre d'usure, ...
CiterIl y a quelques années, je suis tombé sur un livre qui m'était totalement inconnu, datant de 1951 et intitulé Iron Curtain Over America de John Beaty, un professeur d'université très respecté. Beaty avait passé ses années de guerre dans le renseignement militaire, étant chargé de préparer les rapports de briefing quotidiens distribués à tous les hauts responsables américains résumant les informations de renseignement acquises au cours des 24 heures précédentes, ce qui était évidemment un poste à responsabilité considérable.
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En tant qu'anticommuniste zélé, il considérait une grande partie de la population juive américaine comme profondément impliquée dans des activités subversives, constituant ainsi une menace sérieuse pour les libertés traditionnelles américaines. En particulier, la mainmise juive croissante sur l'édition et les médias rendait de plus en plus difficile pour les points de vue discordants d'atteindre le peuple américain, ce régime de censure constituant le « rideau de fer » décrit dans son titre. Il accusait les intérêts juifs de pousser à une guerre totalement inutile contre l'Allemagne hitlérienne qui cherchait depuis longtemps de bonnes relations avec l'Amérique mais qui avait subi une destruction totale en raison de sa forte opposition à la menace communiste qui était soutenue par les Juifs d'Europe.
CiterÀ l'époque comme aujourd'hui, un livre prenant des positions aussi controversées avait peu de chance de trouver un éditeur new-yorkais, mais il fut quand même publié par une petite entreprise de Dallas, puis remporta un énorme succès, étant réimprimé dix-sept fois au cours des années suivantes. Selon Scott McConnell, le rédacteur en chef fondateur de The American Conservative, le livre de Beaty est devenu le deuxième texte conservateur le plus populaire des années 1950, ne se classant qu'après le classique emblématique de Russell Kirk, The Conservative Mind.
CiterLes livres d'auteurs inconnus qui sont publiés par de minuscules éditeurs se vendent rarement à beaucoup d'exemplaires, mais le travail a attiré l'attention de George E. Stratemeyer, un général à la retraite qui avait été l'un des commandants de Douglas MacArthur, et il a écrit une lettre d'approbation à Beaty. Beaty a commencé à inclure cette lettre dans son matériel promotionnel, suscitant la colère de l'ADL [Anti Defamation League], dont le président national a contacté Stratemeyer, lui demandant de répudier le livre, qui a été décrit comme une « amorce pour les groupes marginaux déments » partout en Amérique. Au lieu de cela, Stratemeyer a donné une réponse cinglante à l'ADL, la dénonçant pour avoir proféré des « menaces voilées » contre « la liberté d'expression et de pensée » et tenté d'établir une répression à la mode soviétique aux États-Unis. Il déclara que tout « citoyen loyal » devrait lire The Iron Curtain Over America, dont les pages révélaient enfin la vérité sur la situation de notre pays, et il commença à promouvoir activement le livre dans tout le pays en attaquant la tentative juive de le faire taire. De nombreux autres généraux et amiraux américains de haut rang se sont rapidement joints à Stratemeyer pour appuyer publiquement le travail, tout comme quelques membres influents du Sénat américain, ce qui a conduit à ses énormes ventes nationales.
CiterLa plus évidente d'entre elles est peut-être la question des véritables origines de la guerre, qui a dévasté une grande partie de l'Europe, tué peut-être cinquante ou soixante millions de personnes et donné naissance à l'ère de la guerre froide qui a suivi, pendant laquelle les régimes communistes ont contrôlé la moitié du continent-monde eurasiatique. Taylor, Irving et bien d'autres ont complètement démystifié la mythologie ridicule selon laquelle la cause réside dans le désir fou d'Hitler de conquérir le monde, mais si le dictateur allemand n'avait manifestement qu'une responsabilité mineure, y avait-il vraiment un vrai coupable ? Ou cette guerre mondiale massivement destructrice s'est-elle produite d'une manière quelque peu similaire à celle la précédant, que nos histoires conventionnelles traitent comme étant principalement due à une série de bévues, de malentendus et d'escalades inconsidérées?
Au cours des années 1930, John T. Flynn était l'un des journalistes progressistes les plus influents d'Amérique, et bien qu'il ait commencé comme un fervent partisan de Roosevelt et de son New Deal, il est progressivement devenu un critique sévère, concluant que les divers plans gouvernementaux de FDR n'avaient pas réussi à relancer l'économie américaine. Puis, en 1937, un nouvel effondrement de l'économie a fait grimper le chômage aux mêmes niveaux que lorsque le président était entré en fonction pour la première fois, confirmant ainsi le verdict sévère de Flynn. Et comme je l'ai écrit l'année dernière :CiterEn réalité, Flynn allègue que fin 1937, FDR s'était orienté vers une politique étrangère agressive visant à impliquer le pays dans une guerre étrangère importante, principalement parce qu'il pensait que c'était le seul moyen de sortir de sa situation économique et politique désespérée, un stratagème qui n'était pas inconnu pour les dirigeants nationaux au cours de l'histoire. Dans sa chronique du 5 janvier 1938 dans The New Républic, il avertit ses lecteurs incrédules de la perspective imminente d'un important renforcement de la marine et des moyens militaires, après qu'un important conseiller de Roosevelt lui aurait vanté, en privé, les mérites d'un grand conflit de « keynesianisme militaire » et d'une guerre majeure qui résoudraient les problèmes économiques apparemment insurmontables du pays. À cette époque, une guerre avec le Japon, qui portait peut-être sur des intérêts en Amérique latine, semblait être l'objectif recherché, mais l'évolution de la situation en Europe a rapidement convaincu FDR que fomenter une guerre générale contre l'Allemagne était la meilleure solution. Les mémoires et autres documents historiques obtenus ultérieurement par des chercheurs semblent généralement soutenir les accusations de Flynn en indiquant que Roosevelt a ordonné à ses diplomates d'exercer une énorme pression sur les gouvernements britannique et polonais pour éviter tout règlement négocié avec l'Allemagne, entraînant ainsi le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939.Ce dernier point est important, car les opinions confidentielles des personnes les plus proches des événements historiques importants devraient avoir une valeur probante considérable. Dans un article récent, John Wear a rassemblé les nombreuses évaluations contemporaines qui impliquaient FDR en tant que figure centrale dans l'orchestration de la guerre mondiale par sa pression constante sur les dirigeants politiques britanniques, une politique au sujet de laquelle il a même admis en privé qu'elle pourrait signifier sa destitution si elle devait être révélée. Entre autres témoignages, nous avons les déclarations des ambassadeurs polonais et britannique à Washington et de l'ambassadeur américain à Londres, qui ont également transmis l'opinion concordante du Premier ministre Chamberlain lui-même. En effet, le vol et la publication par l'Allemagne de documents diplomatiques secrets polonais en 1939 avaient déjà révélé une grande partie de ces informations, et William Henry Chamberlin a confirmé leur authenticité dans son livre de 1950. Mais comme les médias grand public n'ont jamais rapporté aucune de ces informations, ces faits restent encore peu connus aujourd'hui.
CiterAu moins de janvier 1938, j'ai parlé avec l'un des conseillers les plus proches du président. Je lui ai demandé si le président savait que nous étions en dépression. Il m'a répondu qu'évidemment, il le savait. Je lui ai demandé ce que le président se proposait de faire. Il m'a répondu : « reprendre les dépenses. » J'ai alors suggéré qu'il allait trouver difficile de trouver des objets de dépense pour le gouvernement fédéral. Il m'a répondu qu'il était au courant. Alors, ai-je demandé, sur quels postes le président veut-il lancer des dépenses ? Il a ri et a répondu en un seul mot : « des cuirassés. » Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a dit : « Vous savez que nous allons entrer en guerre. » Et lorsque j'ai posé la question de qui serait notre adversaire, il a dit « le Japon », et lorsque je lui ai demandé où et à quel sujet, il a répondu « en Amérique du Sud. » « Eh bien, » ai-je dit, « vous agissez avec logique sur ce sujet. Si votre seul espoir est de dépenser, et que la seule chose à laquelle vous pouvez consacrer des dépenses est la défense nationale, alors il vous faut un ennemi contre lequel nous défendre, et une perspective de guerre. »
Apparemment, le meilleur espoir de guerre absorbable par l'opinion publique du moment était contre les Japonais, qui venaient de couler le Panay, et comme les chances semblaient maigres de motiver le peuple étasunien à se battre contre le Japon, l'Amérique du Sud apparaissait comme un champ de bataille plus probable pour stimuler nos peurs et nos émotions. Il n'y a rien de bien nouveau là dedans. Les rois et les ministres ont joué avec cet instrument depuis des lustres, et se sont convaincus qu'ils agissaient avec sagesse et noblesse.
CiterLe 20 mai, le lendemain du discours de Lindbergh sur la défense aérienne, le président prenait son déjeuner avec son secrétaire au trésor, Henry Morgenthau. Après une brève discussion sur cette dernière allocution radiophonique, le président baissa sa fourchette, se tourna vers le collaborateur du Cabinet envers lequel il avait le plus de confiance, et déclara : « Si je devais mourir demain, je veux que vous sachiez ceci. Je suis absolument convaincu que Lindbergh est un nazi. »
Citer« Lorsque j'ai lu le discours de Lindbergh, j'ai ressenti qu'il n'aurait pas pu être mieux rédigé s'il avait été écrit par Goebbels en personne, » écrivit le président à Henry Stimson, un homme politique républicain à qui Roosevelt avait récemment demandé d'accepter le poste de secrétaire à la guerre. « Quelle tristesse que ce jeune ait totalement abandonné toute foi envers notre forme de gouvernement et accepté les méthodes nazies, du fait qu'elles seraient apparemment efficaces. »
CiterLorsque je l'ai entendu prononcer ces mots, je me suis senti — comme chaque Juif des États-Unis — comme si nous avions reçus un coup de pied au ventre.
Citer« Et là, au milieu de nombreux sympathisants explicites du nazisme, se trouvait le héros de mon enfance, Lindy, et ce spectacle m'a littéralement rendu malade, » se souvient-il. « Je me suis senti trahi. » Des millions d'autres avec lui.
CiterL'homme qui avait jadis dominé les gros titres des journaux étasuniens n'apparaissait plus que rarement aux yeux du public. En quelques années, de fait, on ne trouve plus aucune référence à sa personne dans l'index du New York Times.
CiterDes décennies durant, le professeur Stephen Cohen, de l'université de Princeton et de New York, avait été classé parmi l'un des plus éminents spécialistes étasuniens de la Russie, et sans doute le personnage le plus éminent en la matière dans les cercles de la gauche libérale. Dès les années 1970, ses chroniques Sovieticus étaient apparues de manière régulière dans les pages de The Nation, notre premier magazine d'opinion de gauche, et durant l'ère Gorbatchev et l'effondrement de l'URSS qui suivit, je l'avais souvent vu sur l'émission PBS Newshour, débattant de la politique étasunienne envers l'Union soviétique avec ses homologues conservateurs. Dans le même temps, ses nombreux ouvrages universitaires sur l'histoire russe et soviétique étaient commentés avec respect dans les publications tenues par l'élite dominante. Non seulement Cohen était-il le principal expert sur la Russie au sein de la Gauche étasunienne, mais aucun autre nom d'une stature comparable ne venait à l'esprit quand on en cherchait, et son second mariage, en 1988, avec Katrian vanden Heuvel, qui occupa le poste d'éditeur pour the Nation durant presque un quart de siècle, contribua encore davantage à établir l'impression de son influence.
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Cohen avait dévolu l'ensemble de sa carrière à favoriser une relation amiable entre la Russie et les États-Unis. Mais lorsque Victoria Nuland et les autres néo-conservateurs gagnèrent en influence sous l'administration Obama, ils réduisirent ce rêve en morceaux en l'espace d'un instant, en orchestrant début 2014 le violent coup d'État qui a remplacé le gouvernement indépendant de l'Ukraine par un régime de quasi-marionnettes à la solde des États-Unis. Non seulement ce développement a-t-il menacé de faire progresser les limites de l'OTAN jusqu'à la frontière russe, en violation absolue des garanties jadis accordées à Gorbatchev, mais il semblait également que l'Occident s'apprêtait à prendre le contrôle de la Crimée, peuplée de manière écrasante par des Russes, qui héberge la plus importante base navale de la Russie, et seule la réaction rapide de Poutine put contrer ce risque en rattachant la péninsule à son pays au travers d'une annexion. Une guerre civile violente et un mouvement sécessionniste dans le reste de l'Ukraine éclatèrent rapidement, ôtant la vie à des milliers de Russes ethniques au fil des années qui ont suivi, tout en menaçant de manière régulière d'enflammer une guerre à grande échelle entre la Russie et l'Occident.
Malheureusement, les décisions éditoriales du propre magazine de Cohen peuvent avoir considérablement atténué l'impact de son très important message. L'expert avançait que nos lignes médiatiques et politiques faisaient monter le terrible risque d'une guerre contre la Russie nucléarisée, et pourtant je ne me souviens d'aucun article en page de garde de the Nation soulignant ce danger, et bien que son site internet ait hébergé ses podcasts hebdomadaires, et très occasionnellement ses articles, ces éléments restaient en général enterrés dans l'obscurité pour faire l'objet d'une couverture et d'une discussion au niveau le plus bas possible. Bien que cette attitude défensive ait pu s'avérer nécessaire pour éviter un tollé de la part d'abonnés en colère, le résultat évident en a été de minimiser la gravité du message émis par Cohen. Pourquoi les lecteurs de the Nation auraient-ils dû prendre au sérieux ses graves avertissements sur une guerre mondiale, si les éditeurs du même organe ne le faisaient apparemment pas ? De fait, lorsque je me suis arrangé à la fin de l'année 2019 pour commencer à republier et faire reparaître régulièrement les chroniques et les émissions radios de Cohen, ces éléments ont attiré beaucoup plus d'intérêt et de commentaires de soutien sur notre site qu'ils ne l'avaient fait sur le sien, ce qui démontre les lourds obstacles idéologiques auxquels il avait à faire face au sein de sa propre communauté.
Cohen peut avoir ou non été conscient du parallèle mystérieux entre sa propre impasse et une situation similaire qui s'est déroulée au sein de la même publication aux environs de sa date de naissance, en 1938. Entre 1900 et le milieu des années 1930, the Nation avait appartenu et avait vu sa ligne éditoriale gérée par Oswald Garrison Villard, un nom aujourd'hui tombé dans l'oubli, mais qui fut celui de l'un des personnages libéraux les plus en vue de son époque, cofondateur du NAACP et petit-fils du célèbre abolitionniste William Lloyd Garrison, également classé parmi les principaux anti-impérialistes et anti-militaristes étasuniens. Son père était un immigré allemand, et lorsqu'il publia des écrits critiquant l'implication étasunienne dans la première guerre mondiale, son magazine fut supprimé par voie judiciaire par les lois de censure de l'époque, qui en interdirent la distribution par courrier. Mais au milieu des années 1920, la majorité écrasante de l'élite et des Étasuniens ordinaires avait rallié sa position, et conclu que son opposition à la Grande Guerre avait été le positionnement correct depuis le début.
Bien qu'il finît par vendre the Nation en 1935, durant les creux de la Grande Dépression, le magazine qu'il avait géré durant plus de trois décennies continua de faire paraître son commentaire hebdomadaire, soutenant fermement les politiques du New Deal de Franklin D. Roosevelt, et critiquant fortement Hitler et les nazis. Mais en approchant de la fin des années 1930, il s'alarma du fait qu'une autre guerre mondiale se présentait à l'horizon, impliquant une fois de plus les États-Unis, et ses visions anti-guerre se mirent à diverger fortement de celles des autres auteurs, si bien que sa chronique étalée sur des décennies connut un point d'arrêt en 1940. Changer le cours d'une marée montante idéologique s'était avéré tout aussi difficile pour Villard à la fin des années 1930 que cela le fut pour Cohen trois générations plus tard.
CiterFlynn affirme ne pas remettre en question la vérité de ce que j'ai dit à Des Moines, mais estime qu'il n'était pas souhaitable de faire mention du problème juif. Il m'est difficile de comprendre l'attitude de Flynn. Il perçoit aussi bien que moi que les Juifs figurent parmi les principales influences poussant notre pays à la guerre. Il l'a souvent dit, et il le dit encore. Il est tout à fait ouvert à en parler au sein d'un petit groupe privé. Mais apparemment, il préférerait nous voir entrer en guerre que déclarer en public ce que les Juifs sont en train de faire, nonobstant la tolérance et la modération utilisées pour le dire.
CiterPrenons le cas de John T. Flynn, probablement inconnu aujourd'hui de tous les Américains sauf un sur cent, et encore. Suite à mes explorations idéologiques beaucoup plus larges, je l'avais parfois vu être salué comme une figure importante de l'ancienne droite, un des fondateurs de l'American First Committee et ami des sénateurs Joseph McCarthy et de la John Birch Society, bien que faussement diffamé par ses opposants en tant que proto-fasciste ou sympathisant des nazis. Ce genre de description semblait former dans mon esprit une image cohérente, bien que quelque peu contestée.
Alors, imaginez ma surprise de découvrir que, tout au long des années 1930, il avait été l'une des voix libérales les plus influentes de la société américaine, un écrivain en économie et en politique dont le statut aurait pu être, à peu de choses prés, proche de celui de Paul Krugman, mais avec une forte tendance à chercher le scandale. Sa chronique hebdomadaire dans The New Republic lui permit de servir de locomotive pour les élites progressistes américaines, tandis que ses apparitions régulières dans Colliers, hebdomadaire illustré de grande diffusion, atteignant plusieurs millions d'Américains, lui fournissaient une plate-forme comparable à celle d'une personnalité de l'âge d'or des réseaux de télévision.
Dans une certaine mesure, l'importance de Flynn peut être objectivement quantifiée. Il y a quelques années, j'ai eu l'occasion de mentionner son nom devant une libérale cultivée et engagée née dans les années 1930. Sans surprise, elle a séché, mais s'est demandé s'il aurait pu être un peu comme Walter Lippmann, le très célèbre chroniqueur de cette époque. Lorsque j'ai vérifié, j'ai constaté que dans des centaines de périodiques de mon système d'archivage, il n'y avait que 23 articles publiés par Lippmann dans les années 1930 mais 489 par Flynn.
L'importance de Flynn au début de sa carrière vient de son rôle capital au sein de la Commission sénatoriale Pecora en 1932, qui avait mis au pilori les notables de Wall Street pour l'effondrement du marché boursier en 1929 et dont les recommandations avaient finalement abouti à la création de la Securities and Exchange Commission et d'autres réformes financières importantes. Après une carrière impressionnante dans le journalisme de presse écrite, il était devenu chroniqueur hebdomadaire pour The New Republic en 1930. Bien que sympathisant, au départ, avec les objectifs de Franklin Roosevelt, il devint rapidement sceptique quant à l'efficacité de ses méthodes, notant la lenteur de l'expansion des projets de travaux publics et se demandant si la NRA [National Recovery Administration] tant vantée n'était pas, en fait, plus profitable au big business qu'aux travailleurs ordinaires.
Au fil des années, ses critiques à l'encontre de l'administration Roosevelt se firent plus sévères pour des raisons économiques et, finalement, de politique étrangère, ce qui entraîna une très forte hostilité de l'administration. Roosevelt a commencé à envoyer des lettres personnelles à des rédacteurs en chef exigeant que Flynn soit exclu de tout organe de presse américain de premier plan. En conséquence il a peut-être perdu la rubrique qu'il tenait à New Republic, immédiatement après la réélection de FDR en 1940, et son nom a disparu des périodiques grand public. Cependant, au fil des années, il a écrit plusieurs best-sellers qui attaquaient violemment Roosevelt. Après la guerre, sa signature apparaissait parfois dans des publications beaucoup moins influentes et plus traditionnelles. Il y a dix ans, le site libertarien Ludwig von Mises Institute a republié quelques livres de Flynn et une longue introduction du professeur Ralph Raico a esquissé une partie de ce contexte.
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Les adeptes de ma bibliothèque locale à Palo Alto organisent une vente mensuelle de livres, au cours de laquelle les articles sont vendus pour une somme dérisoire. Je passe habituellement voir les rayons par curiosité pour ce que je pourrais trouver. Il y a quelques années, j'ai remarqué l'un des livres de Flynn sur FDR, publié en 1948, et l'ai acheté pour $0.25. Les documents présentés sur les pages jaunies du Mythe Roosevelt m'ont ouvert les yeux [L'ouvrage a été traduit par le Saker francophone, NdT].
N'importe qui peut écrire un livre pour ne rien dire. Si un obscur écrivain de droite formulait des accusations étonnantes contre un président libéral, je ne ferais peut-être pas beaucoup attention. Mais si Paul Krugman avait passé des années à exprimer des doutes croissants sur l'efficacité de la politique de Barack Obama, puis s'était finalement retourné contre lui et avait publié un best-seller national dénonçant son administration, ses opinions auraient certainement beaucoup plus de poids. Il en fut donc ainsi avec les accusations de Flynn contre Roosevelt.
Je ne suis pas expert de l'ère du New Deal, mais le travail de Flynn semblait écrit avec sobriété et persuasion, bien que dans un style journalistique provocateur, et il fait toutes sortes d'affirmations que je n'avais encore jamais vues. Mon système logiciel fournit des critiques de livres croisées et j'en ai lu une douzaine. Quelques-unes de l'époque de la publication du livre étaient extrêmement critiques, dénonçant le contenu du travail de Flynn comme un non-sens total écrit par quelqu'un de notoirement fou « haïssant Roosevelt ». Mais aucune réfutation spécifique n'a été fournie, et le ton général ressemblait beaucoup à celui des nombreux éditoriaux de Wall Street des années 2000, qui ont publié des dénonciations générales de livres écrits par des fous « haïssant Bush ». En fait, toute la revue de 1949 consistait en une phrase unique : «Du pur venin d'un professionnel haïssant FDR». Cependant, d'autres revues plus récentes, certes tirées du camp des libertariens, ont été extrêmement favorables. Comme je n'ai pas une grande expertise, je ne peux pas juger efficacement.
Mais les affirmations de Flynn étaient extrêmement précises, détaillées et spécifiques, y compris de nombreux noms, dates et références. La plus étonnante, accusait les Roosevelt d'avoir manifesté un degré extraordinaire de corruption financière familiale, dont il a affirmé qu'il était peut-être sans précédent dans l'histoire américaine. Apparemment, malgré son passé riche et élitiste, le fils aîné de FDR, Elliott, n'a jamais fréquenté un collège et n'avait pratiquement aucune qualification professionnelle. Mais peu après l'accession à la présidence de son père, il a commencé à solliciter d'importants paiements personnels et des «investissements » auprès de riches hommes d'affaires qui avaient besoin des faveurs du gouvernement fédéral en pleine croissance, ce qui semble avoir été fait avec la pleine connaissance et l'approbation de FDR. La situation ressemblait un peu aux activités notoires de Billy Carter à la fin des années 1970, mais l'argent en jeu s'élevait à $50 millions actuels. Je n'en avais jamais entendu parler.
Le cas de la Première Dame, Eleanor Roosevelt, était encore plus choquant. Elle non plus n'avait jamais été à l'université et n'avait apparemment reçu que peu d'éducation formelle. Peu de temps après l'investiture de FDR, elle a entamé une grande campagne de publicité personnelle très bien payée pour des produits de consommation grand public tels que le savon [on en trouve encore sur youtube, NdT] et a encaissé toutes sortes d'autres paiements importants, au cours des années suivantes, de diverses entreprises, en particulier de celles qui dépendent de manière décisive des décisions réglementaires du gouvernement. Imaginez si de récentes premières dames, telles que Michelle Obama ou Laura Bush, étaient constamment vues dans les publicités télévisées pour des voitures, des couches ou des fast-foods. Les versements qu'Eleanor a personnellement reçus au cours de la douzaine d'années du mandat de FDR auraient atteint $150 millions actuels. C'était aussi quelque chose que je n'avais jamais soupçonné. Et tout cela se passait au plus profond de la Grande Dépression, quand une fraction énorme du pays était désespérément pauvre. Peut-être que Juan et Eva Peron n'ont tout simplement pas embauché les personnes compétentes en relations publiques ou ont simplement visé trop bas.
Évidemment, la croissance sans précédent des dépenses et du pouvoir réglementaire du gouvernement fédéral au cours des années du New Deal a accru les possibilités de ce type de corruption personnelle dans des proportions énormes. Mais Flynn note à quel point la situation semblait étrange puisque la fortune héritée de FDR montrait qu'il était entré en fonction en tant que l'un des plus riches présidents des temps modernes. Et pour autant que je sache, son successeur, Harry S. Truman, a quitté la Maison-Blanche à peu près aussi pauvre qu'il y était entré.
Certaines des autres affirmations choquantes de Flynn étaient plus faciles à vérifier. Il fait valoir que le New Deal était en grande partie un échec et, à l'appui de cette affirmation, il note que lorsque FDR est entré en fonction en 1933, il y avait 11 millions de chômeurs et qu'en 1938, après six ans de dépenses et de déficits gouvernementaux énormes et la création de l'imbroglio des programmes du New Deal il y avait... 11 millions de chômeurs. Cette revendication semble être exacte.
CiterUne telle politique étrangère interventionniste aurait représenté un renversement remarquable des promesses de Roosevelt. Tous mes livres d'introduction à l'histoire ont toujours indiqué qu'un Congrès à tendance isolationniste avait adopté diverses lois sur la neutralité au milieu des années 1930, malgré la forte opposition de FDR, et que celles-ci étaient censées le menotter. Mais, selon Flynn, FDR avait non seulement initialement proposé cette législation sur la neutralité à ses alliés du Congrès, mais avait en réalité fait de son plaidoyer et de son soutien personnels pour ces lois l'une des pièces maîtresses de sa campagne de réélection de 1936, lui permettant de gagner le Mid West contre le gouverneur du Kansas, Alf Landon. Une fois encore, Flynn fournit une description très spécifique et détaillée de cette histoire. Sans surprise, Wikipédia fournit un compte-rendu opposé, totalement conventionnel.
Abstraction faite du niveau extraordinaire de corruption financière dans la famille, alléguée par Flynn, son portrait de FDR me rappelle plus le « W » [Bush fils] que tout autre président récent. Nous devons nous rappeler que « W » s'était présenté aux élections en promettant une politique étrangère « humble » et la suppression de divers types de profilage anti-musulman du gouvernement, mais il a rapidement fait volte-face lorsque les attentats du 11 septembre lui ont donné l'occasion d'entrer dans les livres d'histoire en tant que « président de guerre ».
L'arrière-plan de la publication du livre fournit une indication des obstacles à la publication auxquels se heurtent les critiques de la politique gouvernementale. En dépit de la réputation démesurée de Flynn et de ses précédents best-sellers, son manuscrit a été rejeté par pratiquement tous les grands éditeurs et, désespéré, il s'est finalement tourné vers une obscure maison d'édition irano-américaine. Pourtant, malgré un lancement aussi peu propice et son exclusion presque complète des principaux médias, son livre a rapidement atteint le deuxième rang sur la liste du New York Times. À peine une décennie plus tôt, il était au sommet de l'influence américaine et la liste noire des grands médias n'a apparemment pas encore complètement réussi à étouffer sa mémoire.
CiterLe récent 70e anniversaire du début du conflit qui a consumé tant de dizaines de millions de vies a naturellement provoqué de nombreux articles historiques, et la discussion qui en a résulté m'a amené à sortir ma vieille copie du court volume de Taylor, que je relis pour la première fois en près de quarante ans. Je l'ai trouvé aussi magistral et persuasif qu'à l'époque où j'étais dans ma chambre de dortoir à l'université, et les brillants communiqués de presse de la couverture laissaient entrevoir certaines des acclamations que le travail avait immédiatement reçues. Le Washington Post a saluait l'auteur comme l'« le plus éminent historien britannique en vie », World Politics le qualifiait de « puissamment argumenté, brillamment écrit et toujours persuasif », The New Statesman, magazine britannique de gauche, le décrivait comme « un chef-d'œuvre : lucide, compatissant, magnifiquement écrit » et le Times Literary Supplement le caractérisait comme « simple, dévastateur, d'une grande clarté et profondément inquiétant ». En tant que best-seller international, il s'agit certainement du livre le plus célèbre de Taylor, et je peux facilement comprendre pourquoi il figurait encore sur ma liste de lectures obligatoires du collège près de deux décennies après sa publication originale.
Pourtant, en revisitant l'étude révolutionnaire de Taylor, j'ai fait une découverte remarquable. Malgré toutes les ventes internationales et les acclamations de la critique, les conclusions du livre ont vite suscité une grande hostilité dans certains milieux. Les conférences de Taylor à Oxford avaient été extrêmement populaires pendant un quart de siècle, mais comme résultat direct de cette controverse « l'historien vivant le plus éminent de Grande-Bretagne » fut sommairement purgé de la faculté peu de temps après. Au début de son premier chapitre, Taylor avait remarqué à quel point il trouvait étrange que plus de vingt ans après le début de la guerre la plus cataclysmique du monde, aucune histoire sérieuse n'ait été produite pour analyser attentivement ce déclenchement. Peut-être que les représailles qu'il a subies l'ont amené à mieux comprendre une partie de ce casse-tête.
Taylor n'était pas le seul à subir de telles représailles. En effet, comme je l'ai progressivement découvert au cours de la dernière décennie, son sort semble avoir été exceptionnellement doux, sa grande stature existante l'isolant partiellement des contrecoups de son analyse objective des faits historiques. Et ces conséquences professionnelles extrêmement graves étaient particulièrement fréquentes de notre côté de l'Atlantique, où de nombreuses victimes ont perdu leurs positions médiatiques ou académiques de longue date et ont disparu définitivement des yeux du public pendant les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.
CiterImaginez mon étonnement après avoir découvert que Barnes avait été l'un des premiers contributeurs du magazine Foreign Affairs, et le principal relecteur de cette vénérable publication depuis sa fondation en 1922, alors que son statut parmi les universitaires libéraux américains de premier plan se manifestait par ses nombreuses apparitions dans The Nation et The New Republic au cours des années 1920. En effet, on lui attribue un rôle central dans la « révision » de l'histoire de la Première Guerre mondiale, afin d'effacer l'image caricaturale de l'innommable méchanceté allemande, laissée en héritage de la malhonnête propagande de guerre produite par les gouvernements adversaires britannique et étasunien. Et sa stature professionnelle a été démontrée par ses trente-cinq livres ou plus, dont bon nombre d'ouvrages académiques influents, ainsi que par ses nombreux articles dans The American Historical Review, Political Science Quarterly et d'autres revues de premier plan.
Il y a quelques années, j'ai parlé de Barnes à un éminent universitaire américain dont les activités en sciences politiques et en politique étrangère étaient très similaires, et pourtant le nom ne lui disait rien. À la fin des années 1930, Barnes était devenu un critique de premier plan des propositions de participation américaine à la Seconde Guerre mondiale. En conséquence, il avait définitivement « disparu », ignoré par tous les grands médias, alors qu'une importante chaîne de journaux était fortement incitée à mettre fin brutalement, en mai 1940, à sa rubrique nationale publiée de longue date.
CiterPlus d'une douzaine d'années après sa disparition de notre paysage médiatique national, Barnes a réussi à publier La Guerre Perpétuelle pour une Paix Perpétuelle, un long recueil d'essais d'érudits et autres experts traitant des circonstances entourant l'entrée de l'Amérique dans la Seconde Guerre mondiale. Il a été édité et distribué par un petit imprimeur de l'Idaho. Sa propre contribution consistait en un essai de 30 000 mots intitulé « Le révisionnisme et le blackout historique », qui abordait les énormes obstacles rencontrés par les penseurs dissidents de cette période.
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Le livre lui-même était dédié à la mémoire de son ami l'historien Charles A. Beard. Depuis le début du XXe siècle, Beard était une figure intellectuelle de haute stature et d'une très grande influence, cofondateur de The New School à New York et président de l'American Historical Association et de l'American Political Science Association. En tant que principal partisan de la politique économique du New Deal, il a été extrêmement loué pour ses opinions.
Pourtant, après qu'il se retourna contre la politique étrangère belliqueuse de Roosevelt, les éditeurs lui fermèrent leurs portes et seule son amitié personnelle avec le responsable de la presse de l'Université de Yale permit à son volume critique de 1948, Le président Roosevelt, et l'avènement de la guerre, 1941 de paraître. La réputation immense de Beard semble avoir commencé à décliner rapidement à partir de ce moment, de sorte que l'historien Richard Hofstadter pouvait écrire en 1968 : « La réputation de Beard se présente aujourd'hui comme une ruine imposante dans le paysage de l'historiographie américaine. Ce qui était autrefois la plus grande maison du pays est maintenant une survivance ravagée ». En fait, « l'interprétation économique de l'histoire », autrefois dominante, de Beard pourrait presque être considérée comme faisant la promotion de « dangereuses théories du complot », et je suppose que peu de non-historiens ont même entendu parler de lui.
Un autre contributeur majeur au volume de Barnes fut William Henry Chamberlin, qui pendant des décennies avait été classé parmi les principaux journalistes de politique étrangère des États-Unis, avec plus de quinze livres à son actif, la plupart d'entre eux ayant fait l'objet de nombreuses critiques favorables. Pourtant, America's Second Crusade, son analyse critique, publiée en 1950, de l'entrée de l'Amérique dans la Seconde Guerre mondiale, n'a pas réussi à trouver un éditeur traditionnel et a été largement ignorée par les critiques. Avant sa publication, sa signature apparaissait régulièrement dans nos magazines nationaux les plus influents, tels que The Atlantic Monthly et Harpers. Mais par la suite, son activité s'est presque entièrement limitée à des lettres d'information et à des périodiques de faible tirage, appréciés par un public conservateur ou libertarien restreint.
Aujourd'hui, sur internet, chacun peut facilement créer un site Web pour publier son point de vue, le rendant immédiatement accessible à tout le monde. En quelques clics de souris, les médias sociaux tels que Facebook et Twitter peuvent attirer l'attention de millions de personnes sur des documents intéressants ou controversés, en se passant ainsi totalement du soutien des intermédiaires établis. Il est facile pour nous d'oublier à quel point la dissémination d'idées dissidentes était extrêmement ardue à l'époque des rotatives, du papier et de l'encre, et de reconnaître qu'une personne exclue de son média habituel aura peut-être besoin de nombreuses années pour retrouver toute sa place.
CiterL'auteur de Unconditional Hatred [Russell Grenfell, Haine inconditionnelle, ouvrage également traduit par le Saker Francophone, NdT] était le capitaine Russell Grenfell, un officier de marine britannique qui avait servi avec distinction pendant la Première guerre mondiale et qui, plus tard, aida à diriger le Collège d'état-major de la Marine royale, tout en publiant six livres de haut niveau sur la stratégie navale et en servant de correspondant naval au Daily Telegraph. Grenfell reconnaissait que de grandes quantités de mensonges accompagnent presque inévitablement toute guerre importante. Mais alors que plusieurs années s'étaient écoulées depuis la fin des hostilités, il s'inquiétait de plus en plus du fait que le poison persistant de cette propagande du temps de guerre pourrait menacer la paix future de l'Europe si un antidote n'était pas rapidement largement appliqué.
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Sa considérable érudition historique et son ton mesuré brillent dans ce fascinant ouvrage, qui se concentre prioritairement sur les événements de la Seconde guerre mondiale, mais inclut de fréquentes digressions sur les guerres napoléoniennes, voire des conflits plus anciens. Un des plus intrigants aspects de sa présentation est qu'une grande partie de la propagande anti-allemande qu'il essaie de démystifier serait de nos jours perçue comme tellement absurde et ridicule qu'elle a en fait été presque entièrement oubliée, tandis qu'une grande partie de l'image extrêmement hostile que nous avons actuellement de l'Allemagne hitlérienne ne reçoit presque aucune mention, peut-être parce qu'elle n'avait pas encore été implantée, ou était alors considérée comme trop excentrique pour que quiconque la prenne au sérieux. Entre autres, il rapporte avec une désapprobation certaine que les principaux journaux britanniques avaient publié des articles à la une sur les horribles tortures infligées aux prisonniers allemands lors de procès pour crimes de guerre afin de les contraindre à toutes sortes de confessions douteuses.
CiterSur les questions françaises, Grenfell fournit plusieurs références extensives à un livre de 1952 intitulé France : Les Années Tragiques, 1939-1947 par Sisley Huddleston, un auteur totalement inconnu pour moi, ce qui a stimulé ma curiosité. Une des utilités de mon système d'archivage de contenus est de fournir facilement le contexte approprié pour les écrivains oubliés depuis longtemps. Le nombre d'occurrences pour Huddleston dans The Atlantic Monthly, The Nation et dans The New Republic, en plus de ses trente livres de niveau reconnu sur la France, semblent confirmer qu'il a été durant des décennies l'un des principaux spécialistes de la France pour les lecteurs américains et britanniques instruits. En effet, son entretien exclusif avec le Premier ministre britannique Lloyd George à la Conférence de la paix de Paris devint un scoop international. Comme beaucoup d'autres écrivains, après la Seconde guerre mondiale son éditeur américain devint par nécessité Devin-Adair, qui publia une édition posthume de son livre en 1955.
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CiterOn peut facilement imaginer qu'un individu éminent et très respecté au sommet de sa carrière et de son influence publique pourrait soudainement perdre la raison et commencer à promouvoir des théories excentriques et erronées, assurant ainsi sa chute. Dans de telles circonstances, ses affirmations peuvent être traitées avec beaucoup de scepticisme et peut-être tout simplement ignorées.
Mais lorsque le nombre de ces voix très réputées mais contraires devient suffisamment important et que leurs affirmations semblent généralement cohérentes entre elles, nous ne pouvons plus négligemment rejeter leurs critiques. Leur position engagée sur ces questions controversées s'était avérée fatale pour leur réputation publique, et bien qu'ils aient dû reconnaître ces conséquences probables, ils ont néanmoins suivi cette voie, se donnant même la peine d'écrire de longs livres présentant leurs opinions et chercher un éditeur quelque part qui serait prêt à les publier.
John T. Flynn, Harry Elmer Barnes, Charles Beard, William Henry Chamberlin, Russell Grenfell, Sisley Huddleston et de nombreux autres chercheurs et journalistes de haut calibre et de réputation ont tous raconté une histoire assez cohérente de la Seconde Guerre mondiale, mais en totale contradiction avec celle de l'histoire actuelle, et ce, au détriment de leur carrière. Une décennie ou deux plus tard, le célèbre historien A.J.P. Taylor a réaffirmé ce même récit de base et a été purgé d'Oxford en conséquence. Je trouve très difficile d'expliquer le comportement de tous ces individus à moins qu'ils ne présentent un témoignage véridique.
Si un establishment politique au pouvoir et ses organes médiatiques offrent des récompenses somptueuses en termes de financement, de promotion et d'acclamation publique à ceux qui soutiennent sa propagande partisane tout en jetant dans l'obscurité ceux qui sont en désaccord, les déclarations des premiers doivent être considérées avec beaucoup de suspicion. Barnes a popularisé l'expression « historiens de cour » pour décrire ces individus malhonnêtes et opportunistes qui suivent les vents politiques dominants, et il n'y a guère à douter que nos médias contemporains en regorgent.