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Chahut traditionnel ou anomique

Démarré par Mateo, 23 Mai 2009, 02:24:42 PM

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Mateo

Extrait de "Autorité ou éducation", de Jean Houssaye, ESF éditeurs, p. 105-106 :

CiterDans un article resté célèbre, Testanière (1967) a distingué le chahut traditionnel et le chahut anomique. (Disponible sur Internet : cliquez ici)

Le premier relève du désordre ; il ne remet pas en cause le savoir et la compétence pédagogique du professeur (idéalement sévère et juste). Le bon élève, lui, doit être bon camarade ; certains vont y ajouter une facette de bon chahuteur. Dans ce cas, l'adhésion à l'ordre pédagogique n'exclut pas les plaisirs que procure le chahut, temps fort de la vie collective, intégrateur du groupe scolaire à qui il donne conscience de son unité. Le chahut traditionnel substitue, pendant un moment, la joie de la fête à l'anxiété de la vie scolaire : "il est à la fois récréation et récréation du groupe pédagogique" (p. 23).

Le chahut anomique, lui, relève de la désintégration. Les sanctions, plutôt plus nombreuses dans ce cas, touchent tout autant la conduite que le travail. Pas de plan prémédité, pas de meneurs, mais des sous-groupes souvent antagonistes, des élèves régulièrement punis pour leur mauvaise conduite comme pour leur relâchement scolaire. Ce désordre généralisé et vécu comme inévitable est attibué à un affaiblissement de la discipline générale ; il ne semble pas lié aux types d'autorité des établissements.

Autant le chahut traditionnel n'est qu'une simple anomalie normale du système pédagogique (il permet à ceux qui sont soumis à l'ordre scolaire d'en intérioriser les valeurs et il assure le fonctionnement harmonieux du système en en réduisant les tensions), autant le chahut anomique se présente comme une anomalie anormale (dans la mesure où les sanctions et les punitions ne parviennent plus à réduire cette résistance permanente, générale, "molle" pour tout dire).

En sociologue, Testanière explique cette substitution du premier par le second : l'évolution de la société fait désormais accéder au second degré des enfants de groupes sociaux poussés par le désir de mobilité sociale, sans qu'ils aient reçu de leur milieu familial une culture et des valeurs qui les prédisposent à une bonne intégration au système pédagogique traditionnel.

C'est ici qu'on retrouve le thème de la résistance socioculturelle de certains jeunes par rapport à l'école. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les jeunes enseignants vivent un véritable "choc culturel" quand ils commencent à enseigner et à s'efforcer d'entrer dans leur rôle. Les anciens vont d'ailleurs exercer sur eux une énorme influence pour qu'ils se conforment au point de vue collectif. Entre une vision de l'élève comme incarnation de l'anti-autorité et celle de l'élève comme fondamentalement bon, le jeune maître va devoir intégrer la norme collective commune à l'établissement où il se trouve.

En tout état de cause, tout enseignant a désormais les plus grandes chances de se trouver face à des résistants permanents, plus ou moins actifs. Un sociologue anglais, Heargreaves (1967) a depuis longtemps distingué quatre catégories d'élèves : ceux qui sont en faveur de la scolarité, ceux qui sont opposés aux agressions physiques mais qui tolèrent d'autres formes d'opposition, ceux qui ont une attitude d'abandon des valeurs sociales et ceux qui sont des anti-scolaires actifs (leur taux d'absentéisme est alors particulièrement élevé).

Mais il n'attribuait pas aux seules réalités sociales et culturelles ces différences. Il affirmait encore que ces points de vue divers étaient aussi un produit de l'école elle-même, qui induit finalement deux sous-cultures chez les élèves : l'une pro-scolaire, l'autre anti-scolaire. On donne les bons maîtres aux premiers par exemple ; on prive les autres d'un statut scolaire. Il se pourrait donc que la culture anti-scolaire soit le résultat de l'échec de l'école elle-même. Auquel cas, la résistance n'est pas vraiment première, elle est le produit du fonctionnement scolaire lui-même. Cette fois, le chahut ne peut plus être interprété comme un signe d'intégration, mais comme le signe de l'abus de l'école elle-même vis-a-vis des élèves. La résistance devient alors en quelque sorte normale, inéluctable.

Testanière J. (1967) : Chahut traditionnel et chahut anomique dans l'enseignement du second degré", Revue française de sociologie, numéro spécial. (Disponible sur Internet : cliquez ici)
Mateo.

JacquesL

#1
Citation de: Mateo le 23 Mai 2009, 02:24:42 PM
Extrait de "Autorité ou éducation", de Jean Houssaye, ESF éditeurs, p. 105-106 :

Dans un article resté célèbre, Testanière (1967) a distingué le chahut traditionnel et le chahut anomique.

Le premier relève du désordre ...

Le chahut anomique, lui, relève de la désintégration. ...

Il affirmait encore que ces points de vue divers étaient aussi un produit de l'école elle-même, qui induit finalement deux sous-cultures chez les élèves : l'une pro-scolaire, l'autre anti-scolaire. On donne les bons maîtres aux premiers par exemple ; on prive les autres d'un statut scolaire. Il se pourrait donc que la culture anti-scolaire soit le résultat de l'échec de l'école elle-même. Auquel cas, la résistance n'est pas vraiment première, elle est le produit du fonctionnement scolaire lui-même. Cette fois, le chahut ne peut plus être interprété comme un signe d'intégration, mais comme le signe de l'abus de l'école elle-même vis-a-vis des élèves. La résistance devient alors en quelque sorte normale, inéluctable.

Testanière J. (1967) : Chahut traditionnel et chahut anomique dans l'enseignement du second degré", Revue française de sociologie, numéro spécial.

Affinons l'analyse psychosociale : l'école est ici présentée comme une entité, ce qui est trompeur, quoique cohérent dans la pensée immature de l'enfant puis adolescent. L'école est traversée de contradictions, gouvernée à son insu par la stratégie des classes sociales les plus averties et les plus influentes, disons pour abréger "la bourgeoisie". En sorte que les bonnes intentions affichées sont systématiquement sabotées, au profit des enfants des classes sociales les plus puissantes et influentes, les plus magouilleuses.

La conclusion aussi me laisse sur ma faim ; j'ai une plus haute idée du fardeau social de l'opposant. Il ne suffit pas d'être en opposition pour être automatiquement bon, justifié, honnête, porteur d'avenir, digne de recevoir des espoirs messianiques. Si c'était ainsi, les fardeaux qui pèsent sur l'enseignant et la hiérarchie de l'Education Nationale, et sur les épaules des élèves, seraient drôlement simplifiés et allégés.
La boutade d'Igor Strawinski "Il ne suffit pas de violer Euterpe, il faut lui faire un enfant" s'applique ici aussi.
Nos cancres en agression permanente contre leurs collègues et contre la scolarité se contentent de violer l'école.

Prenons une citation récente :
CiterJ'ai eu pendant toute ma jeunesse un vélo allemand et j'adorais le freinage par rétropédalage : jamais en panne, fonctionne même jante mouillée/boueuse et personne a l'école n'a pu me faire le gag de couvrir les patins de freinage de graisse, on était taquin en ce temps là !

Pourtant...
Article 223-1 NCP : de la mise en danger d'autrui.

Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende.

Art. 121-4 : Est auteur de l'infraction la personne qui :

1)      Commet les faits incriminés

2)      Tente de commettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit.

Art. 121-5 : La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur.

Là dans cette école, les adultes ont été en dessous de leur mission, incapables d'empêcher de multiples mises en danger de la vie d'autrui, par leurs élèves. Mais les élèves aussi ont été en dessous de tout : incapables de demander aux adultes d'intervenir pour tâcher de prévenir d'autres récidives tout aussi dangereuses et criminelles.

Donc l'éducation donnée par leurs parents était carencée elle aussi, pas seulement celle reçue par le principal du collège.

JacquesL

CiterL'analyse de Testanière est intéressante, mais datée (1967)...

Je m'explique : en 67 les courants contestataires de la jeunesse nés au Etats-Unis arrivent à peine en Europe et n'ont pas encore les effets qu'ils auront dans les années 70 et 80. Ils toucheront les étudiants d'abord et préserveront pour un temps les collégiens et lycéens. C'est un point important, surtout pour un sociologue, mais on ne peut pas en vouloir à Testanière de ne pas l'évoquer.

Par ailleurs, et pour des raisons similaires, la famille est vue alors comme inchangée et porte, dans les milieux populaires qui voient accéder leurs enfants pour la première fois au secondaire, des espoirs qui ne sont plus ceux des générations actuelles de parents. Pour une part non négligeable, les adolescents que nous avons dans nos classes sont les enfants de générations déçues à minima, ou rejetées par le secondaire.

Il y a aussi un paramètre que les sociologues ont du mal à intégrer car il relève plus de la psychologie que du social. C'est la déliquescence de l'image symbolique du père dans la société, renforcée par son absence physique de nombreux foyers. De plus en plus souvent les enfants sont élevés par la mère, ce qui en soi peut ne pas poser de problème à la condition que celle-ci entretienne consciemment une image forte du père. Cela suppose qu'elles ne sont pas dans une dynamique de revanche, souvent intégrée par leurs propres mères appartenant à la génération 70 qui se sont "débarrassées" du père pour des raisons trop souvent dictées par l'idéologie de l'époque. De nombreux travaux de psychologie soutiennent cette analyse et les cliniciens sont submergés de cas qui en relèvent.

Cela fait de multiples raisons qui expliquent l'effondrement de l'autorité à l'école et donc la généralisation de ce chahut que Testanière appelle "anomique".

Il faut évidemment y ajouter le fait que les établissements secondaires sont devenus des lieux de vie plus que des lieux d'enseignement et que ce que nous percevons comme du chahut n'est pour l'élève qu'un mode de communication parmi d'autres en ces lieux.

Voir pour cela la magistrale synthèse du film "Entre les murs" qui met en lumière tout ce que nous (certains d'entre nous ?) appelons des dysfonctionnements profonds et qui révèle entre autres, mais ce point est fondamental à mes yeux, le déplacement de la loi du père au profit de la loi du groupe, et donc l'inéluctable violence qui en découle.

Cordialement,
Jean-Jacques

Je ne sais pas très bien qui est Jean-Jacques, je le remercie en tout cas de sa dernière phrase. En quelques mots, il a résumé le plus gros du Net, et l'essentiel du naufrage de l'école.

Ayant des problématiques pour le moins floues, voire inavouables, les groupes anomiques, désoeuvrés et éloignés des contraintes de survie basique, sont des générateurs et des amplificateurs à rumeurs et à délires collectifs. La violence et la cruauté prennent le premier rang pour l'établissement des hiérarchies, puisqu'on n'y a pas l'impératif du réalisme et de la coopération : Pas de dangers de la chasse en compétition avec d'autres prédateurs dangereux, pas de contraintes du travail collectif et coordonné, aucune contrainte réaliste.

Jean-Jacques vient de me préciser aussi pourquoi les pervers histrioniques et les pervers narcissiques prennent de plus en plus de pouvoir, avec les effets désastreux que cela implique.

Sur les pervers histrioniques, et leur joie d'organiser ou de renforcer la violence de meute :
http://debats.caton-censeur.org/index.php?option=com_content&task=view&id=21&Itemid=58
http://jacques.lavau.deonto-ethique.eu/mission_parricide/carrieres_histrioniques_pervers.html

Lire aussi, bien sûr, Marie-France Irigoyen : "Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien". Son premier livre est le meilleur, avant qu'elle aussi ne s'engage dans la violence de meute, dans la propagande "Nous les femmes, qui sommes toutes des victimes et devons toutes nous venger, contre eux les hommes".