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Corruption politique : Cet homme en savait trop (Alfred Sirven).

Démarré par JacquesL, 07 Janvier 2009, 11:56:52 AM

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JacquesL

Donnons d'abord l'épilogue : il a emporté ses secrets dans sa tombe.

http://www.bienpublic.com/archives/article.php?a=art&num=000003598&aaaammjj=20050214&g
CiterPublié le : lundi 14 février 2005

Il devait comparaître devant la justice le 31 mars prochain
Affaire Elf : Alfred Sirven emporte ses secrets dans la tombe



Alfred Sirven ne se présentera pas devant la justice le 31 mars prochain lorsque la cour d'appel de Paris rendra son arrêt dans le volet principal de l'affaire Elf. « L'homme qui en sait trop » s'est éteint samedi à l'âge de 78 ans en Normandie, emportant avec lui les secrets d'une des plus rocambolesques affaires judiciaires du XXe siècle.
L'ancien directeur des affaires générales d'Elf a été victime d'un malaise cardiaque à son domicile de Deauville (Calvados), selon l'un de ses avocats, Me Pierre Haïk. Me Eric Turcon, autre avocat du défunt, a lui évoqué une rupture d'anévrisme, précisant que le décès de son client avait été constaté samedi peu après 18 heures au CHU de Caen, où il avait été transporté. Alfred Sirven devrait, selon lui, être inhumé d'ici la fin de la semaine à Chantilly (Oise).
Condamné à trois reprises par la justice française, cet homme d'influence et de réseaux était supposé détenir de quoi « faire sauter vingt fois la République ». Un pouvoir dont il n'a pas usé depuis son arrestation aux Philippines et son retour en France en février 2001, puisqu'il a observé un mutisme quasi-complet au cours de l'instruction et des deux procès.
Vaste affaire de pots-de-vin
Né il y a 78 ans à Toulouse, le 6 janvier 1927, l'ancien directeur des affaires générales d'Elf a été résistant puis soldat des bataillons de Corée dans les années 50, avant de connaître une carrière classique de cadre supérieur. C'est au milieu des années 80, chez Rhône-Poulenc, qu'il fait la connaissance du PDG de l'entreprise, Loïk Le Floch-Prigent.
Débarqué de la tête de Rhône-Poulenc à l'arrivée au pouvoir de la droite en 1986, et nommé à la tête d'Elf une fois la gauche revenue au pouvoir, c'est Loïk Le Floch-Prigent qui fait venir Alfred Sirven au sein du groupe pétrolier, en 1989 et lui attribue le titre de « directeur aux affaires générales ».
« La branche Sirven » du groupe Elf, comme l'a qualifiée Roland Dumas au cours de son procès, se trouve alors impliquée dans une vaste affaire de pots-de-vin et de salaires fictifs versés au profit de personnalités proches de certains hommes politiques, comme l'a révélé l'instruction menée depuis 1994 par la juge Eva Joly.
Alfred Sirven gère les caisses noires du groupe, rémunère amis et obligés de tous bords politiques. Nommé directeur d'Elf Aquitaine International en Suisse en 1991, alors qu'il a atteint l'âge de la retraite, Alfred Sirven poursuit ces activités parallèles extrêmement fructueuses.
C'est cet argent qui permettra à Alfred Sirven d'échapper à la justice française pendant près de quatre ans. Parti de Genève dès 1997, il est localisé en 2000 aux Philippines où il sera finalement arrêté le 2 février 2001 pour être extradé vers la France.
Faisant interruption dans le procès de Roland Dumas, il sera condamné aux côtés de l'ancien ministre des Affaires étrangères et de Christine Deviers-Joncour, à quatre ans de prison ferme le 30 mai 2001. Une peine qui sera ramenée à trois ans de prison le 29 janvier 2003, par la cour d'appel de Paris.
Mais la véritable épreuve pour les anciens dirigeants d'Elf sera le procès du volet principal de l'affaire, portant sur plus de 300 millions d'euros de détournements au détriment du groupe pétrolier. Mené au pas de charge par l'énergique président Michel Desplan, il verra perdre Alfred Sirven de sa superbe et de son assurance.
Le 12 novembre 2003, il écopera de cinq ans de prison ferme, sans avoir pour autant livré ses secrets au tribunal. Le parquet de Paris, qui avait réclamé à son encontre une peine de huit ans, fera appel de ce jugement. Le 6 octobre 2004, il comparaîtra, libre cette fois-ci, devant la cour d'appel de Paris.
Alors que ses anciens complices, André Tarallo et Loïk Le Floch-Prigent ont déjà été remis en liberté en 2003 pour des raisons de santé, Alfred Sirven a dû attendre mai 2004 pour bénéficier d'une libération conditionnelle. Si les médecins de la maison d'arrêt de la Santé avaient déjà fait état de problèmes cardiaques, les experts nommés par la justice ont toujours estimé que son état de santé était compatible avec la détention.
Dernier du trio à être libéré, seul à ne pas l'être pour des raisons de santé, Alfred Sirven aura finalement été le premier à mourir. Mais pas sans avoir auparavant épousé sa compagne de longue date, son ancienne gouvernante philippine, Wilma, qui l'aura caché pendant près de quatre ans dans son pays d'origine.


CiterCorruption politique : Cet homme en sait trop

par Gilles Gaetner, Jean-Marie Pontaut

L'Express du 18/03/1999

Alfred Sirven, l'ex-grand argentier d'Elf, a multiplié les largesses envers les élus de tout bord. Itinéraire d'un aventurier recherché aujourd'hui par toutes les polices du monde

Le "06-09-42-44-83" ne répond plus. Ce numéro de téléphone portable était, il y a encore peu, celui de l'homme le plus recherché de France, Alfred Sirven, ex-nº 2 du groupe Elf, aujourd'hui en fuite et traqué par Interpol.

Sirven, c'est surtout celui qui alimentait, sur les fonds d'Elf, les élus, les hommes politiques et les personnalités de tout bord. Avec un objectif: qu'ils deviennent ses obligés pour être redevables à la compagnie. C'est dire que, s'il est retrouvé et s'il parle, ce Méphistophélès des temps modernes, qui savait user tantôt du charme, tantôt de la menace, risque de faire trembler la République. D'autant que la puissance financière d'Elf lui permettait de "corrompre" à sa guise: lors de la présidence de Loïk Le Floch-Prigent, de 1989 à 1993, Sirven a "géré" une manne faramineuse de 3 milliards de francs.

Tout à la fois grand argentier d'Elf, distributeur généreux de commissions, homme de missions secrètes en Afrique, Alfred Sirven, quasi inconnu du grand public, est le personnage central de l'un des plus grands scandales de la Ve République. Derrière le rebondissement du feuilleton sentimentalo-financier entre Roland Dumas et Christine Deviers-Joncour apparaîtrait même la patte d'Alfred : c'est lui, selon certains, qui aurait récemment fait révéler, dans Paris Match et aux juges, l'existence des statuettes offertes - via Elf - par Roland Dumas à son amie Christine. D'où des interrogations: l'ex-nº 2 d'Elf commencerait-il à distiller quelques confidences gênantes? Aussi les juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky sont-elles décidées à tout mettre en oeuvre pour arrêter ce sulfureux personnage.

L'Express retrace l'itinéraire de cet aventurier baroudeur qui, de son bureau, au 41e étage de la tour Elf, croyait pouvoir être le maître du monde.

Originaire de Toulouse, Alfred Sirven naît le 6 janvier 1927 d'un père imprimeur, Gaston, et d'une mère d'origine kirghize, Jeanne-Marie-Louise Dumas. Le petit "Fred" fréquente, au début des années 30, l'école communale de Castelnaudary. Gr,ce à son bagou, à son exubérance et à son accent rocailleux, il séduit ses camarades de classe. Puis il va au lycée. Mais ses études sont vite interrompues, car Sirven s'engage dans la Résistance, plus précisément dans les FFI (Forces françaises de l'intérieur). La raison en est simple : "J'étais gaulliste, dira-t-il, et je le suis toujours." A cette époque, il lutte contre le fascisme espagnol et noue des liens avec certains dirigeants du Parti communiste, dont l'ancien trésorier, Georges Gosnat.

Ce goût du risque ne le quittera jamais. En juin 1951, alors qu'il vient d'épouser Jeanne Verrié en premières noces, il s'engage dans les bataillons français de Corée, où il côtoie une autre "grande gueule", plus tard ministre du général de Gaulle, Robert-André Vivien. Il se comporte avec bravoure, ce qui lui vaut d'être décoré de la Croix de guerre avec quatre citations...

Pourtant, Sirven, un tantinet tête brûlée, commet, le 24 avril 1952, à Tokyo, alors qu'il est en permission, un énorme faux pas : il attaque une banque pour l'amour d'une jeune Japonaise, à laquelle il souhaitait offrir, avec son butin, quelques cadeaux. Déjà ! Sirven sera condamné à un an de prison par le tribunal militaire de Saigon. Un séjour particulièrement pénible, qui l'obsédera longtemps. Lui pourtant si discret sur son passé confiera à l'un de ses proches, quelques jours avant son départ de France, à l'automne 1997: "Au début de mon existence, j'ai connu la violence. Je ne souhaite pas la retrouver à la fin de ma vie." De l'expérience de la guerre il conserve une auréole de héros et un parfum nostalgique de soldat perdu. Rapatrié en France en 1954, Sirven entame des études de droit et renoue avec sa famille, liée aux célèbres Cachous Lajaunie et à l'imprimeur de La Dépêche du Midi.
Le retour sur les terres de son enfance se révèle difficile. Le séjour en Corée a distendu les liens entre Sirven et son épouse. Le couple se sépare officiellement le 20 février 1957.

Quelques mois plus tard, Sirven tombe amoureux d'une jeune femme distinguée, grande amatrice d'art. Orpheline, elle a été recueillie par la mère d'Alfred... Jolie histoire. Le 10 septembre 1959, Evelyne Chazarein, descendante, dit-on, d'une grande famille de diplomates du XVIIIe siècle, épouse Alfred Sirven à la mairie de Gaillac (Lot).
Après une jeunesse mouvementée, Sirven songe enfin, en 1959, à son avenir professionnel et à celui de ses trois filles, dont l'une, Hélène, dirigera un magasin de prêt-à-porter, et une autre, Claude, deviendra gynécologue dans une ville huppée de la région parisienne. Grâce à quelques camarades de combat rencontrés en Corée, il entre chez Mobil Oil. Déjà, le monde du pétrole l'attire. Son premier poste, il l'obtient à la raffinerie de Frontignan (Hérault). C'est là qu'il s'initie à la franc-maçonnerie, pour rejoindre le Grand Orient de France. Il est ensuite nommé en Normandie, à la raffinerie de Notre-Dame-de-Gravenchon, dans la Seine-Maritime. Un poste subalterne, dévolu aux anciens militaires, qu'il juge étriqué eu égard à ses ambitions.

Cet homme à poigne, qui comprend très vite l'importance des réseaux, gravit les échelons au sein de Mobil Oil : il y est nommé, en 1964, directeur des relations sociales. Gr,ce à ses nouvelles fonctions, Alfred Sirven se lie d'amitié avec le directeur général du groupe, Roland Rieutort, qui devient son mentor.

Au cours de ces années, Sirven comprend que l'autre clef du succès passe par de bonnes relations avec le monde politique. Autrement dit, les hommes de pouvoir. Une règle qu'il appliquera toute sa vie. Ainsi, il fréquente un élu qui monte, en Normandie : Michel d'Ornano, futur maire de Deauville.

Après quinze ans de bons et loyaux services au sein de Mobil Oil, Sirven rejoint le groupe Avon, puis Bendix, avant d'être promu, en 1978, directeur des relations humaines de Moulinex. Une t,che difficile l'attend en raison de la multiplication des conflits sociaux dans l'entreprise. Gr,ce à son entregent et à sa capacité de dialoguer avec les syndicats, Sirven parvient, en partie, à y rétablir la paix sociale. A cette époque, il noue des contacts cordiaux avec le secrétaire général de FO, André Bergeron, le délégué général de l'UIMM (Union des industries métallurgiques et minières), Pierre Guillen, et André Sainjon, secrétaire général de la fédération CGT des métaux. Sirven, il est vrai, sait se montrer chaleureux. Mais qu'on ne s'y trompe pas : derrière une faconde toute joviale se cache un goût prononcé pour le secret et le renseignement. Ainsi, l'un de ses interlocuteurs d'alors confesse qu'il ne connaissait rien de la vie personnelle de Sirven. Il n'a qu'une passion, qui tourne à l'obsession : le travail, toujours le travail. Et, pour avancer, les réseaux. François d'Aubert, député maire de Laval (Mayenne), se souvient de Sirven comme d'un personnage "culotté, peu impressionnable, très sympathique". Ainsi, il n'hésitait pas à informer les élus locaux de la situation sociale existant chez Moulinex. Tout comme il n'hésitait pas à offrir, chaque veille de NoÎl, des cadeaux Moulinex aux employés de la ville de Laval.

En 1982, Sirven prend une tout autre dimension. Le nouveau PDG de Rhône-Poulenc, Loïk Le Floch-Prigent, recherche un "poids lourd" pour diriger les relations sociales de l'entreprise nouvellement nationalisée. Deux candidats se présentent: un de chez Michelin, et Sirven, de chez Moulinex. Lequel prendre ? Serge Tchuruk, directeur général adjoint de Rhône-Poulenc, qui connaît Sirven depuis Mobil Oil, appuie sa candidature. Le Floch accepte. Sirven, qui emporte le morceau, n'oubliera pas le geste de Tchuruk. Aussi, en 1986, lorsque la droite revient au pouvoir, c'est lui, Sirven, plus homme de lobbying que jamais, qui pousse la candidature de Tchuruk auprès du ministère de l'Industrie pour le poste de président de CDF chimie (la branche chimique de Charbonnages de France). Mission réussie. Sirven rejoint Tchuruk chez CDF chimie. Il y reste jusqu'en 1989, date à laquelle il se choisit, selon sa propre expression, un autre "canasson" : un patron atypique comme lui - ni énarque ni polytechnicien - qui ne fait pas partie de l'establishment, Loïk Le Floch-Prigent, tout juste nommé président du groupe Elf. Un poste prestigieux qui fait de Le Floch-Prigent le véritable ministre du pétrole en France. Sirven, dans son sillage, devient son éminence grise, son homme à tout faire et, surtout, le généreux distributeur de commissions. Révolu le temps où Sirven habitait un studio à Neuilly et percevait un salaire de cadre supérieur. Car, désormais - officiellement directeur des affaires générales d'Elf - il gagne 200 000 francs par mois payés en Suisse, et dispose d'un duplex - dont le loyer est réglé par la compagnie - au 4, rue Robert-Estienne, à Paris-VIIIe.

En ce mois de juin 1989, Sirven, parvenu au sommet de sa carrière, donne toute la mesure de son talent. Au 41e étage de la tour Elf, où il a son bureau, sa présence ne passe pas inaperçue. Sa porte est toujours ouverte. Aussi l'entend-on pester contre tel ou tel, quand il ne pousse pas des coups de gueule retentissants contre ses collaborateurs.

Mais Sirven travaille. Beaucoup. Dans les premiers mois, il s'occupe exclusivement des relations sociales du groupe. A cet effet, il gère une caisse noire de 10 millions de francs, destinée à "préserver" la paix sociale. Sirven "subventionne" à sa façon les syndicats, ici en plaçant des encarts publicitaires dans leurs revues, là, en réservant un stand à la fête de L'Humanité.
Très vite, ce petit jeu le lasse. Car Sirven est frappé d'une mégalomanie galopante à la mesure de la puissance d'Elf. L'ancien chef du personnel de Moulinex a dorénavant une vision planétaire du monde : l'Afrique ; les réseaux de l'ombre ; le financement des élus, des amis ; les grands contrats à négocier.
Pour devenir un authentique vice-roi, il quitte, au bout de six mois, la tour Elf, et s'installe sur son territoire : les locaux de la fondation Elf, rue Christophe-Colomb, à Paris.

En 1990, il intervient pour un contrat de prospection pétrolière au Venezuela et perçoit une commission de 5 millions de dollars. Et puis, surtout, pour tenter de supplanter l'influence du "M. Afrique" d'Elf, André Tarallo, il se met à voyager. Enormément. Il rencontre, notamment, le président Bongo, au Gabon, le président Lissouba, au Congo, et le président de la République du Cameroun, Paul Biya... Astucieux, pour s'offrir leurs bonnes grâces, il aide - financièrement - leurs proches. Edith Sassou N'Guesso, épouse d'Omar Bongo, en sait quelque chose : Sirven lui alloue une rente mensuelle de 30 000 francs. Le nº 2 du régime gabonais, Georges Rawiri, n'est pas oublié : il reçoit, lui, 60 000 francs par mois...

Toujours en 1990, Sirven n'hésite pas non plus à se rendre en Angola, en compagnie d'un député du Parti républicain, pour convaincre les opposants de l'Unita de ne pas saboter les installations pétrolières d'Elf. Au cours de ce voyage, il risquera sa vie et sera à deux doigts d'être fait prisonnier. Il sera sauvé, confiera-t-il à l'un de ses amis, gr,ce à l'intervention du général israélien Ariel Sharon.
Pour ses missions en Afrique, Sirven fait appel à des policiers et à des hommes de terrain. Ainsi, il engage, en 1990, François Antona, un policier en disponibilité, pour sonder la crédibilité de tel ou tel leader africain. Antona effectuera, par exemple, deux missions aux Seychelles pour savoir si un opposant local possédait quelque chance de parvenir au pouvoir.

François Antona, rétribué 30 000 francs par mois en France et 15 000 francs pour ses frais en Suisse, figure sur une liste de 44 bénéficiaires des largesses de Sirven. Des élus de droite et l'ancien ministre de l'Outre-Mer Jean-Jacques de Peretti y sont également mentionnés. Tout comme des personnalités de gauche liées à François Mitterrand. Tel est le cas du publicitaire André Magnus, un ami de longue date de l'ancien chef de l'Etat. Tel est le cas également du Dr Laurent Raillard, compagnon de golf de François Mitterrand. Mais cette liste, envoyée anonymement à la juge Joly, en avril 1997, n'est pas exhaustive. L'expéditeur, visiblement bien renseigné, a omis plusieurs dizaines de noms, dont certains anciens ministres importants de droite et de gauche. On comprend pourquoi, un jour de 1994, au moment où l'affaire Elf démarre, Sirven déclare "pouvoir faire sauter vingt fois la République".

Une certitude : Sirven, tel un authentique agent de renseignement, prenait un malin plaisir à détecter les faiblesses de ses interlocuteurs pour mieux les utiliser. Exemplaire à cet égard sera le rôle qu'il confiera à Christine Deviers-Joncour. Sirven comprend parfaitement l'intérêt qu'il y a à placer sous sa coupe, en 1991, l'amie de Roland Dumas, à l'époque ministre des Affaires étrangères. Pour ce faire, le nº 2 d'Elf ne lésine pas sur les moyens, offrant à Christine de sacrés avantages : un salaire coquet chez Elf (50 000 francs par mois). Une carte American Express, qu'elle peut utiliser sans compter. Enfin, il l'installe dans un appartement situé dans le même immeuble que lui, au 4, rue Robert-Estienne... Avant de lui en offrir un autre - toujours sur les fonds d'Elf - 19, rue de Lille, dans le VIIe arrondissement de Paris.

L'objectif de Sirven est clair : que Christine Deviers-Joncour influe sur Roland Dumas et obtienne son feu vert pour la fameuse vente des frégates à Taïwan, par Thomson, en 1991. Un marché de 16 milliards de francs : Sirven a proposé à Thomson d'utiliser les réseaux d'Elf en Extrême-Orient pour convaincre la Chine communiste, opposée à ce contrat, de revenir sur sa position. Le ministre français des Affaires étrangères défend le point de vue de Pékin. Il faut donc le persuader de changer d'avis. Sirven, véritable mentor de Christine, ne ménage ni son temps ni sa peine pour que l'amie de Dumas réussisse. N'hésitant pas, par exemple, tôt le matin, à venir frapper à sa porte, en robe de chambre, pour lui prodiguer des conseils. Cette pression pèsera sur Christine. Laquelle reconnaît pourtant aujourd'hui que "Sirven était un seigneur, travaillant pour l'Etat et la France. Il a joué, comme beaucoup d'autres avant lui, ajoute-t-elle, le rôle de porteur de valises pour des partis politiques"...

Quoi qu'il en soit, Christine Deviers-Joncour - elle l'affirme - ne parviendra pas à convaincre Dumas. Bon prince, Sirven lui versera tout de même une commission de 45 millions de francs.

En ces années 1991-1992, Sirven est donc au faîte de sa puissance. Expert en manipulations et en paiement de bakchichs. Pour cela, il bénéficie d'un levier extraordinaire qui lui permet de jongler avec des dizaines et des dizaines de millions d'Elf : la filiale suisse de l'entreprise, installée à Genève - Elf Aquitaine International (EAI) - dont il est président. Cette structure va servir de pompe à finances pour les amis politiques et les amis tout court. C'est à partir d'EAI que Sirven met en place toute une constellation de comptes dans divers établissements bancaires : au Crédit suisse, au Credito privato commerciale, à l'Union de banques suisses, etc. Chaque compte a un nom de code: Nersiv (anagramme de Sirven), Sissi, Mineral, Vegetal, Aston, etc. Et, pour brouiller les pistes, Sirven multiplie les mouvements sur ses 300 comptes. Selon le juge genevois Paul Perraudin, 3 milliards de francs y auraient transité. Le magistrat aurait désormais en sa possession une liste de 166 bénéficiaires correspondant à ces 300 comptes. Cette liste explosive devrait atterrir sur le bureau des deux juges françaises.

Avec une telle manne, Sirven était naturellement sollicité par beaucoup de monde : élus, hommes d'affaires, amis se bousculent pour le rencontrer. Sirven sait soigner ses hôtes, choisissant toujours les meilleures tables de Paris : Jamin, Taillevent, Laurent, etc. A la fin du repas, l'invité a droit à un cigare, dont Sirven raffole. Un de ses plaisirs, avec le vin et les chevaux. Sirven, en effet, dès qu'il a un moment de libre, va jouer aux courses à Chantilly, où il possède un superbe appartement.

Bref, en ces années-là, c'est l'opulence pour l'homme fort d'Elf. A l'intérieur du groupe, il a de plus en plus de poids. Il joue l'un de ses plus gros coups : le rachat, en 1992, de la raffinerie de Leuna, dans l'ex-Allemagne de l'Est. Avec l'un de ses adjoints, Hubert Le Blanc-Bellevaux, il participe au montage qui aurait permis à l'aile bavaroise de la CDU, la CSU, d'obtenir une commission de 256 millions de francs. A cette occasion, Sirven aura comme interlocuteur un ancien des services secrets allemands, Hans Dieter Holzer. Un personnage dont nous reparlerons.

Sur le plan personnel, les choses vont bien pour Alfred Sirven. Et même très bien. En 1991-1992, il achète - via EAI - pour 32 millions de francs de bijoux chez Cartier. Une partie sera offerte aux épouses et amies de chefs d'Etat et de ses protégés. Jamais à court d'argent, Sirven commence ses emplettes chez un célèbre antiquaire parisien. En quatre ans, il acquiert pour 78 677 400 francs de marchandises : tapis, meubles signés, bibelots en tout genre. Quelques exemples : un bureau Louis XVI, raflé pour 1,6 million de francs; un tapis Louis XV, emporté pour 2,5 millions; une bibliothèque, pour 3,4 millions. Les bénéficiaires ? Vraisemblablement Sirven et son épouse, pour décorer leur gentilhommière. L'autre partie étant destinée à l'un de ses amis, un richissime homme d'affaires irakien. Sirven, qui veut, coûte que coûte, garder ses transactions secrètes, demande que les factures soient adressées à des noms d'emprunt : M. Tirden, M. Saven, M. et Mme Savom ou encore M. et Mme Simson.

Toujours en 1991, Sirven cède sa maison de L'Aigle, dans l'Orne, où Le Floch-Prigent passait ses week-ends. Il s'installe dans le superbe domaine de Tilly (en Touraine), agrémenté d'un jardin de 1 000 roses et d'une piste d'atterrissage pour hélicoptères. C'est là, tel un gentleman-farmer, qu'il reçoit bon nombre d'élus et de proches, devenus depuis "amnésiques". Mais les meilleures choses ont une fin. Un an plus tard, la dolce vita s'arrête. Brutalement. La droite vient de remporter les élections législatives, au printemps 1993. Les jours de Loïk Le Floch-Prigent à la tête d'Elf sont comptés. Sirven, en fidèle serviteur, tente désespérément de sauver la tête de Le Floch auprès du ministre de l'Industrie, Gérard Longuet, qui lui remettra la Légion d'honneur, le 14 juillet 1993. Il fait jouer tous ses réseaux. Sans succès...

Début août, Le Floch est limogé. Un balladurien lui succède : Philippe Jaffré, qui n'aura de cesse de faire tomber - judiciairement - son prédécesseur.
Dans la foulée, Sirven quitte le groupe Elf pour fonder, à Genève, une société de conseil, Interénergie. Sa vie trépidante s'arrête. Bien qu'il ait accumulé, pour lui-même, un trésor considérable (600 millions de francs environ), Sirven est amer. Il supporte difficilement le lâchage de ses anciens amis qu'il a arrosés copieusement. Il laisse souvent tomber quelques remarques désabusées et dangereuses. Mais le pire reste à venir. La tempête se profile à la suite d'un rapport de la COB (Commission des opérations de Bourse). La justice s'intéresse, en 1994, aux conditions dans lesquelles Elf a subventionné le groupe textile Bidermann à hauteur de 787 millions de francs. En pure perte.

Août 1995. Philippe Jaffré porte plainte et se constitue partie civile. L'affaire Elf démarre. Elle ne s'arrêtera plus.
Sirven, inquiet, suit, de Genève, l'instruction conduite au pas de charge par Eva Joly. Première alerte : le 5 juillet 1996, Le Floch-Prigent, fraîchement nommé président de la SNCF, est contre toute attente incarcéré. Il passe près de six mois à la Santé. Nous sommes au coeur d'un scandale d'Etat. Au début de 1997, nouvelle alerte : l'affaire des frégates vendues à Taïwan est révélée au grand jour. Instruite par les juges Joly et Vichnievsky, elle est mise sur la place publique.

Cette fois, Sirven comprend qu'il va se retrouver en première ligne. Les noms défilent dans son esprit : Dumas, Deviers-Joncour... Deviers-Joncour, Dumas... Il n'oublie pas avoir rencontré, en tête à tête, une demi-douzaine de fois l'ancien ministre des Affaires étrangères. Sirven prend peur. La brigade financière vient de le convoquer. Prudent, il ne s'y rend pas. Dès lors, une seule solution : quitter la France et se préparer un point de chute. Il n'a plus rien à perdre. Plus rien ne le retient. En effet, depuis janvier 1995, Sirven est seul : il a perdu sa seconde épouse, Evelyne, malade depuis plusieurs années, qu'il adorait et dont il s'est occupé avec dévouement.

A l'automne 1997, sa décision est prise : il part. Non sans avoir pris d'ultimes dispositions. D'abord, il voit ses filles et leur signe une procuration sur son compte au Crédit lyonnais, à Deauville, où il possède un studio dans les marinas. Ensuite, il informe ses rares amis de son projet. Craignant aussi peut-être pour sa vie, il choisit la clandestinité. Entre-temps, Eva Joly et Laurence Vichnievsky déploient leurs filets, mais, semble-t-il, un peu tard. Certes, dès le 5 mai 1997, elles ont lancé contre lui un mandat d'arrêt. Suivi d'un autre, le 13 juin, et d'un troisième, le 30 mars 1998. Mais, bizarrement, ces mandats tardent à être exécutés. Jusqu'à ce que Le Monde, en décembre 1998, révèle que l'ex-n 2 d'Elf ne fait l'objet d'aucune recherche d'Interpol. En clair, Sirven n'est traqué qu'en Suisse et en Europe. Emoi au palais de justice de Paris. Pourquoi ce cafouillage ? Simple erreur technique ou "manip" pour le protéger ? En tout cas, Eva Joly et Laurence Vichnievsky sont furieuses. Elles le font savoir, le 5 janvier dernier, dans un rapport adressé au chef de la deuxième section du parquet, qui centralise les mandats d'arrêt.

Démentant implicitement toute bienveillance à l'égard de Sirven, les deux magistrates écrivent : "La presse se fait l'écho d'une diffusion restreinte des mandats d'arrêt [que nous avons délivrés] à l'encontre de M. Alfred Sirven. Nous en sommes surprises dans la mesure où aucune restriction de diffusion n'accompagnait la transmission de ces mandats à votre service [le parquet]. [...] Si le mandat rectificatif du 13 juin 1997, délivré dans le dossier 29/94, était accompagné d'un mot transmis faisant état d'une résidence en Espagne (Ibiza). Il s'agissait d'une indication sur un domicile possible de l'intéressé et non une demande de diffusion restreinte. Au demeurant, le mandat originel du 5 mai 1997 ne comportait aucune restriction de zones [...]. Nous observons, par ailleurs, que le mandat délivré le 30 mars 1998, dans le dossier 16/97, n'a pas davantage été accompagné de demande de restriction de zones. Dans ces conditions, nous vous serions obligées de bien vouloir nous assurer, dans les plus brefs délais, que les diffusions [des mandats d'arrêt] ont bien été effectuées conformément aux demandes formalisées à nos dossiers." En janvier dernier, enfin, Interpol alerte les polices du monde entier. Plus aucune trace d'Alfred.

Cette fois, pour bien montrer qu'elles veulent vraiment retrouver Sirven, Eva Joly et Laurence Vichnievsky décident, le 26 janvier, de perquisitionner le cabinet d'Eric Turcon, avocat de Sirven et de ses deux filles. Leur objectif est clair : elles veulent savoir si Me Turcon détient des documents conduisant à la piste de Sirven. La perquisition est menée tambour battant. Une fouille en profondeur du cabinet de l'avocat a lieu. Les deux juges passent au peigne fin les disques durs des ordinateurs d'Eric Turcon, épluchent ses carnets d'adresses, recherchent les numéros de téléphone utilisés à partir de son téléphone mobile, demandent à voir son passeport, scrutent le cahier des messages téléphoniques. Sans succès. Eric Turcon est furieux. Aussi a-t-il, aujourd'hui, l'intention de déposer plainte pour violation du secret professionnel et atteinte au secret de correspondance. Une plainte qui, si elle est effectivement déposée, risque de faire du bruit.

Pour l'heure, Sirven, omniprésent dans le dossier Elf, demeure introuvable, telle l'Arlésienne de la corruption politique. Il est en compagnie, dit-on, de sa fidèle gouvernante, une Philippine dénommée Wilma. Reste qu'il a préparé son départ en vrai professionnel.

Qu'a-t-il choisi comme refuge ? A Paris, diverses hypothèses courent. On le dit tantôt au Congo, tantôt au Cameroun, en possession d'un passeport diplomatique. On le dit aussi aux îles Sao Tomé et Principe, à quelques encablures du Gabon. Certains jurent l'avoir aperçu, en octobre ou novembre 1998, dans un hôtel de Johannesburg, en Afrique du Sud, où il aurait été pris en main par les services secrets israéliens. D'autres encore affirment qu'il aurait été aidé, lors de son départ de France, par l'ancien membre des services secrets allemands Hans Dieter Holzer, l'homme rencontré, en 1992, dans le cadre du contrat Leuna. Plus prosaïquement, certains pensent qu'il se trouverait à Nyon, sur les bords du lac Léman. Tandis que d'autres sont persuadés qu'il est mort en Espagne il y a peu... Une seule certitude: à part les juges Joly et Vichnievsky, beaucoup souhaitent ne jamais le revoir. Pour tout ce qu'il sait, Alfred Sirven fait peur.

http://www.fsa.ulaval.ca/personnel/vernag/EH/F/ethique/lectures/Sirven.html

JacquesL

http://www.observatoirecitoyen.be/article.php3?id_article=665


Eva Joly, une résistante dans le no man's land de la mondialisation
19 février 2008 par Anne-Marie ROVIELLO - Rubrique:CRIME ORGANISE
« Je ne saurais donner de justification à cette confiance dans l'avenir de l'homme qui m'habite. Il est possible qu'elle ne soit pas rationnelle. Mais le désespoir, lui, est irrationnel : il ne résout aucun problème, il en crée même de nouveaux et il est par nature une souffrance. Il est vrai que certains de mes récits finissent par des catastrophes ; mais si nous y prenons garde à temps, nous avons les moyens, l'intelligence et la force d'y pourvoir ». (Primo Levi, cité par Eva Joly en exergue à son ouvrage Est ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?)

Le 21 février 2008, Eva Joly, invitée dans le cadre des Grandes Conférences liégeoises, fera une conférence intitulée Justice et coulisses de la corruption financière mondiale : où en sommes-nous ?
A cette occasion, nous voulons rendre hommage à celle qui est devenue, par son héroïque pouvoir de résistance, un modèle pour tous les institutionnels qui refusent de se plier à la règle de l'omertà.

Les trois ouvrages publiés par Eva Joly aux Arènes, une maison d'édition qui se distingue par son courage et son intelligence civiques, sont de véritables petits traités d'énergie [1]. Durant les années où elle a mené l'instruction de l'affaire Elf, clôturée en 2002, l'ancienne juge d'instruction, chargée à présent, par la Norvège, son pays d'origine, d'une mission anti-corruption, avait pourtant pu entrevoir un monde souterrain effrayant, et ce ne sont pas les pressions, les intimidations et autres coups bas contre elle qui ont manqué.


De l'autre côté du monde

Le dossier Elf [2] a permis à Eva Joly d'approcher les pouvoirs parallèles de la République, des pouvoirs si bien organisés qu'elle y voit une véritable république occulte. Elf n'est que la pointe de l'iceberg, qui a fait entrevoir à l'ancienne magistrate, « l'autre côté du monde », un monde aussi vrai, et bien plus puissant, que le monde des apparences officielles, un monde logé au cœur même des pouvoirs officiels, un univers où se retrouvent des hommes politiques de premier plan et des personnalités de la haute finance [3], pour qui la légalité démocratique est seulement un obstacle encombrant qu'il convient d'écarter comme une mouche agaçante, à moins qu'elle puisse leur offrir les armes qu'ils retourneront contre elle.


Il n'y a pas de lutte contre la pauvreté sans lutte contre la corruption

A travers l'affaire Elf, Eva Joly découvre donc l'existence de « vastes réseaux de corruption institutionnalisés, en relation directe avec l'Elysée » [4]. Par ces réseaux de corruption, la France, comme d'autres démocraties occidentales, protège, surtout en Afrique, la fortune et l'influence de tyrans qu'elle a placés elle-même au pouvoir ; « en échange, ils veillent sur les intérêts et les ressources des entreprises françaises venues creuser le sol. Tout ce beau monde a intérêt à ce que rien, jamais, ne stimule ni les institutions ni l'économie des pays » [5].
Dès lors, lutter contre la corruption à grande échelle, ce n'est pas « simplement » une affaire de morale, c'est la voie obligée pour une lutte efficace contre la misère. Dans cette immense économie grise « circule tout l'argent qui manque cruellement de l'autre côte de la porte, de ce côté-ci du monde » [6].

On ne peut traiter le problème de la grande corruption comme une simple question de mauvaises mœurs qui ne concerneraient que les marges de la société. Déjà avant la mondialisation, mais encore bien plus avec elle, la corruption a changé de dimension, tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. Elle est devenue une question sociale-politique majeure. Elle représente, en réalité, un véritable système mondialisé de pillage du bien commun, en même temps qu'elle détruit les principes mêmes de la négociation internationale.
Eva Joly n'hésite pas à établir une analogie structurelle entre la question de la grande corruption à échelle internationale et la question sociale telle qu'elle se posait à la fin du XIXe siècle avec l'essor de l'industrie lourde.

Ce sont les plus grandes banques qui participent activement au système : la Deutsche Bank, la BNP Paribas, la Bank of New york, la City de Londres, le Crédit suisse [7].

Eva Joly décrit dans un raccourci saisissant le fonctionnement de ce système favorisé par les fameux hedge funds, ces fonds spéculatifs soumis à aucun contrôle, véritables « usines à blanchiment » [8]. « Ce que les pays riches accordent d'une main hésitante, les grandes entreprises, les banques, les intermédiaires, les experts et les fonctionnaires internationaux le reprennent de l'autre, beaucoup plus fermement. Pour un euro donné, les pays étrangers en retirent deux de la terre africaine » [9].
Exemples à l'appui, Eva Joly montre que la prospérité de la France « est nourrie des richesses qu'elle détourne » [10].

Face à ces réseaux, qui violent systématiquement la légalité démocratique, partis politiques, journalistes, ONG pratiquent un même et désolant aveuglement volontaire.

Sens des procédures ou recours frivole et dilatoire ?

« Signe des temps : les protecteurs de la délinquance transfrontalière ont renversé les rôles et les mots » [11]. Dans la démocratie des droits de l'homme, l'invocation abusive des grands principes et autres règles procédurales paraît être devenue le sport préféré des avocats de la défense de la grande criminalité ; ils sont souvent suivis par les medias et intellectuels qui ne paraissent pas prendre la peine d'aller examiner les faits de plus près ; on reprochera à la juge Joly une attaque à la présomption d'innocence, aux droits de la défense, aux droits de l'homme...
Sous l'invocation incantatoire des grands principes, des droits de l'homme et des concepts juridiques destinés à en garantir la protection, peuvent se cacher des pratiques d'intimidation pure et simple et d'omertà. Les règles juridiques et judiciaires destinées à garantir que justice soit faite peuvent devenir de redoutables armes d'intimidation, voire de destruction, retournées contre ceux-là mêmes qui s'efforcent de les faire appliquer.

« Le dossier est devenu une pieuvre qui occupe des rayons entiers de la bibliothèque. Les chausse-trappes et les manipulations peuvent nous faire trébucher à tout instant. Dans une procédure comme Elf, mobilisant des cabinets d'avocats aguerris, chaque acte judiciaire est passé au crible, voire à la moulinette, de professionnels rémunérés pour traquer les vices de procédure et utiliser toutes les voies de recours. C'est la règle du jeu. Des pans entiers de l'instruction sont contestés, parfois plusieurs fois, devant la chambre d'accusation et jusqu'en Cour de cassation. Au final, l'instruction aura été validée plus de dix fois, ce qui constitue une sorte de record » [12].
« La procédure Elf a connu plus de vingt recours auprès de la chambre de l'instruction. Les dernières demandes de nullité n'ont été jugées qu'au bout de dix-huit mois » [13].

Cette inversion perverse du sens des procédures mériterait que l'on songe enfin à introduire contre ces abus de très sérieux garde-fous, en commençant par la lourde pénalisation des abuseurs avérés. Des abus qui représentent aussi une gabegie insupportable ; c'est l'argent du citoyen qui s'engouffre dans cette pratique ubuesque d'une justice dont on déplore, par ailleurs, depuis des décennies, l'absence de moyens.

Bien d'autres juges témoignent de pratiques identiques. Bernard Bertossa, ancien procureur suisse, Eric Halphen, ancien juge d'instruction dans l'affaire des HLM de Paris [14], passaient eux aussi la moitié de leur temps à gérer les recours et autres procédures dilatoires.

Les exemples ne manquent pas, également dans d'autres pays. Citons l'un des plus scandaleux, relaté par Eva Joly : « la Cour européenne (...) regroupe des pays de l'Union européenne mais aussi des pays de l'est, membres du Conseil de l'Europe » Azerbaidjan, Bulgarie, Roumanie (...) « Il peut donc arriver que trois juges qui sont certainement de grands juges mais dont on ne connaît pas vraiment la culture, manière très diplomatique de dire que leur culture pourrait être un peu mafieuse, condamnent les grandes démocraties occidentales pour non respect des droits de l'homme (...) Ils ont ainsi condamné l'Italie pour l'affaire Gelli (...) le patron de la Loge maçonnique P2 » [15].
On a donc ici un inculpé, Lucio Gelli, dont la culpabilité est établie par la justice, on a un dossier dans lequel il y a eu assassinat, 40 mises en examen, mais voilà : Gelli a pris la fuite pendant deux ans... et l'Italie sera donc, très logiquement, condamnée à lui verser un dédommagement pour avoir bafoué ses droits humains fondamentaux en ne respectant pas le délai raisonnable d'ouverture du procès ! Le coupable, pire le criminel, devient la victime, et une justice qui tente tant bien que mal de faire son boulot devient la grande coupable.
Eva Joly précise encore à ce propos que si les magistrats sont mis sous le contrôle d'une justice supranationale, ce qui est tout à fait justifié, le crime organisé internationalement, lui, ne l'est pas. A cette occasion, elle met clairement en garde contre l'intégration dans la communauté européenne de certains pays de l'Europe de l'est tant que cette question de la criminalité infiltrée dans les différents lieux de pouvoirs n'est pas résolue. Une mise en garde qui n'aura pas été entendue...

La justice, une grande dame au-delà de tout soupçon ou une institution soumise ?

« L'imposante bâtisse de la justice, naguère si vaste, si méprisante, et autoritaire pour qui comme moi n'était pas du sérail, me paraît soudain poussiéreuse, toute petite et sans armes face à la délinquance financière depuis longtemps mondialisée. Son parquet est vieux. Il craque. Son prestige se lézarde. Son protocole entretenu à coups de grades et de notes n'est que la devanture d'une institution soumise, qu'on somme aujourd'hui de condamner quand la jeunesse s'échauffe, mais qu'on somme de se taire quand elle ébranle les hautes sphères de la République.... Une institution où il vaut mieux fuir les élévations et les honneurs ... si l'on veut tenter d'agir encore sur le réel. Je sais que derrière ces murs de cette justice il y a des gens bien et déterminés, de vraies piles d'énergie, condamnés pourtant à un mouvement contradictoire : faire vivre et combattre l'institution » [16].

Une institution qui laisse le champ libre aux délinquants tandis qu'elle se préoccupe de sanctionner les magistrats trop diligents.
Des réseaux bien organisés harcèlent les magistrats, volent des procès-verbaux, cambriolent n'importe quel domicile, et jusqu'aux locaux de la justice, ils détruisent des pièces compromettantes, également jusque dans les locaux de la justice. « Mais le monde tourne à l'envers : les suspects semblent protégés, tandis qu'on se défie des magistrats ».

Un « gouvernement des juges » ou la résistance civique des « petits juges » ?

Eva Joly, Eric Halphen, Eric de Montgolfier, Renaud Van Ruymbeke et d'autres, en France, Ilda Boccassini, Gherardo Colombo, Gianfranco Caselli, et d'autres, en Italie, Jean-Marc Connerotte, Michel Bourlet, en Belgique ont été présentés dans les grands medias comme « des tortionnaires moraux », des Torquemadas, des Robespierres répandant « la grande terreur judiciaire » ; de Montgolfier et ceux qui le soutiennent se sont vus taxés de « talibans de Bengolfier ».

Face à une telle fondamentalisation des jugements, il convient d'aller voir du côté de la vérité factuelle. Elle est bien différente : quasiment tous ces « petits juges » qui ont eu le courage civique de sortir du bois pour lancer leur cri d'alarme dans l'espace public ont été mis sous pression, déplacés, dessaisis, pour certains détruits psychologiquement, victimes de campagnes de diffamation et de procédures disciplinaires.
Les « sept années en apnée » d'Eva Joly furent, comme pour le juge Halphen, sept ans de solitude.

Eva Joly décrit dans ses ouvrages la déstabilisation, le discrédit, les injures, les intimidations, les écoutes téléphoniques sauvages, les « conseils » ouvertement mafieux, les menaces de dessaisissement, les menaces de mort voilées et plus directes. Et la peur en prime. « Madame, je tiens de source incontestable que vous êtes entrée dans une zone d'extrême danger. Ne vous approchez pas des fenêtres... ». Tel est le bon conseil qu'elle reçoit un beau jour du Premier Président de la Cour d'appel [17]. Deux ans après le début de son enquête sur l'affaire Elf, Eva Joly recevra plusieurs menaces de mort directes. Dans une enveloppe collée sur la porte de son bureau, elle découvre un beau matin une liste de noms dont le premier est celui du juge Renaud (exécuté en pleine rue en 1975). Tous sont barrés sauf le sien. Elle apprendra que tous les autres sont des noms de magistrats également assassinés.

Et comme avec Eric Halphen, comme pour d'autres magistrats déstabilisés, intimidés, menacés, non seulement l'institution s'en moque, mais elle ne manifeste que mépris et tourne le dos à ces membres par trop remuants.

Ce n'est pas un hasard si ce sont avant tout les juges qui s'occupent précisément de la grande criminalité financière et du crime organisé, mafieux et terroriste qui entrent en fronde. C'est que là où il y a criminalité organisée, il y a complicités et relais aux différents niveaux du pouvoir étatique, et donc également jusque dans l'institution judiciaire. Quand les recours internes aux institutions ont été épuisés en vain, il ne reste à ces petits juges qu'à pratiquer leur mission en résistants. C'est ce que fait Eva Joly, c'est ce que font d'autres grands-petits juges. A leurs risques et périls. Leur intervention dans l'espace public prend de plus en plus la physionomie d'une véritable action de désobéissance civique. En effet, ils dénoncent rien de moins, en même temps qu'un pillage du bien public, qu'une attaque au « contrat social » lui-même ; la cible des blocages qu'ils ont constatés dans leurs enquêtes est, avec toutes les victimes directes des crimes qu'ils poursuivent, la démocratie elle-même.

Un « hold-up médiatique »

Lors d'une confrontation entre Alfred Sirven et André Tarallo, Sirven profite d'un moment d'interruption pour avoir avec Me Turcon, son avocat, le petit échange suivant :
-  Me Turcon : « Il y a encore un salopard de journaliste pro-juges qui a fait un article contre nous dans Le Point ».
-  Alfred Sirven : « Mais comment se fait-il qu'il y ait encore des journalistes pro-juges ? Je croyais que le problème était réglé... ».
-  Me Turcon : « Ne t'inquiète pas. On s'est occupé de lui. Sa carrière est terminée ».
Voilà une information bien intéressante qui éveillera certainement des échos dans la mémoire de certains journalistes belges « pro-Bourlet-Connerotte ». La conversation a eu lieu à voix haute, avec toute l'arrogance de qui sait que seul importe l'hyperpouvoir qui lui permet de traiter la reprise médiatique de l'affaire comme « une affaire de réseaux et d'intimidations mutuelles » [18].

Eva Joly rappelle encore un autre aspect permettant de comprendre cette auto-censure massive des journalistes : la plupart des grands medias appartiennent précisément à certains de ces grands groupes impliqués dans la grande corruption.

Une perquisition annoncée est une perquisition inutile. La perquisition au domicile et au bureau de Roland Dumas, impliqué dans l'affaire Elf, fut annoncée par des fuites néfastes pour l'enquête, et répercutée à grands renforts de medias.
La scène de l'arrestation de l'ancien président du Conseil Constitutionnel sera photographiée par les nombreux journalistes présents et fera le tour du monde, devenant ainsi le symbole de la justice-spectacle.
Les criminels et leurs défenseurs font ainsi d'une pierre plusieurs coups. Ils inversent la situation : les juges, victimes de la fuite d'information sont pointés du doigt comme « juges médiatiques ». On crée un véritable tumulte médiatique pour ensuite déplorer cette « hypermédiatisation » des juges, et on s'aveugle par là, volontairement ou non, au vrai problème : cette hypermédiatisation permet, précisément, l'hypomédiatisation des faits criminels et de l'implication des pouvoirs financiers et politiques dans cette affaire. Car tout le foin fait autour de la « juge médiatique » permet d'évacuer des medias la vraie question : les raisons de la perquisition, le fond du problème.
Dans une démocratie d'opinion, le travail de sape contre les chercheurs de vérité se fait par le travail de l'opinion et sur les réseaux d'influence. Seront déversés par flots entiers dans les medias et dans les coulisses rumeurs, fausses informations, propos calomniateurs sur la folie des grandeurs, et même sur la folie tout court, d'Eva Joly.

Comment opposer résistance ?
La résistance par la légalité


Eva Joly nous rappelle que des outils juridiques existent déjà pour lutter contre la grande criminalité financière : législation anti-blanchiment, conventions anti-corruption, [19]. La Convention européenne des Droits de l'Homme stipule que tous les Etats membres doivent incriminer la corruption active et passive pour leurs fonctionnaires. La France et la Norvège ont demandé que cela s'applique également aux fonctionnaires appartenant aux organisations internationales « pour qui seule la corruption active est obligatoirement criminalisée,... ce qui permet à certains acteurs publics ou privés d'acheter les faveurs, ou le silence, d'un fonctionnaire de l'OTAN, de l'ONU, du FMI ou de la Banque mondiale, en toute impunité pour les fonctionnaires » [20].

En octobre 1996 est lancé le fameux Appel de Genève [21]. Il est lancé par sept magistrats dont Eva Joly et à l'initiative de Laurent Beccaria et de Denis Robert, ce journaliste courageux qui lui aussi voit les principes de justice démocratique se retourner contre lui.
Plus de dix ans plus tard, force est de reconnaître qu'on n'a pas beaucoup avancé.

Cet appel disait l'urgence d'organiser institutionnellement la libre circulation des informations judiciaires. Depuis, on va plus loin dans les discours, mais pas encore dans les faits : Ferdinando Imposimato, ex-juge italien antimafia, argumente, avec d'autres, en faveur d'un véritable parquet européen.

Eva Joly est également une des initiatrices de la Déclaration de Paris (2005) prônant une lutte sévère contre la grande corruption.

La résistance par la politique

Eva Joly suggère que la Banque mondiale renonce aux paradis fiscaux pour elle-même, ce qui serait le moins, et que soit établie une black list.
Elle suggère encore que soit créé un prix du « tireur d'alarme », attribuable à ceux qui dénoncent les fraudes de l'intérieur du système. Elle rappelle, à ce propos, que la gigantesque escroquerie de la société américaine Enron avait été découverte grâce à sa dénonciation par une employée de la société.
Elle propose encore que soient financées des réformes structurelles touchant au fonctionnement des institutions des pays africains ; elle propose également le financement des ONG qui oeuvrent pour la transparence et la surveillance des élections de ces pays. La Norvège finance déjà, avec d'autres pays, la cellule anticorruption en Zambie [22].

Les perspectives d'action ne manquent donc pas. Les énergies non plus, à l'intérieur comme à l'extérieur des institutions. Manque pour le moment un seul élément, mais il est décisif : ce qui se nomme la volonté politique. Mais, ce que l'éthique ne peut faire, peut-être l'intérêt bien compris le pourra-t-il ?
La corruption était tolérée sans problème par nos pouvoirs démocratiques tant qu'ils maîtrisaient les événements. Avec l'intervention de puissances telles que la Chine ou l'Inde, les pays du Moyen-Orient, la Corée, le Brésil, des puissances immaîtrisables, en particulier parce que, comme le rappelle Eva Joly, non seulement elles tolèrent la corruption, mais elles manifestent une véritable « appétence pour elle », la « liberté d'entreprendre », à laquelle les néo-capitalistes prédateurs et leurs apologues réduisent le beau principe d'autonomie, finit par se retourner contre eux. Et par déstabiliser quelque peu leur triomphalisme.
Il faut, déclare Eva Joly, saisir ce moment de doute et d'insécurité existentielle (lié également à la pression migratoire).

La résistance civique des institutionnels

Eva Joly voit dans la corruption à toute grande échelle le cœur du problème, mais aussi le bon bout par lequel saisir les autres problèmes politiques, et même sociaux, majeurs de notre temps.

Dans le cadre de son mandat comme conseiller des ministres de la justice et des affaires étrangères de Norvège, elle poursuit son formidable combat.
Elle a pu ainsi constituer, telle une petite oasis dans le désert, ou dans le no man's land de la mondialisation, un réseau de résistance avec des sénateurs américains, des ministres, des magistrats africains bien courageux, d'anciens directeurs du trésor, de hauts fonctionnaires.

« L'idée est simple : réunir de manière informelle ceux qui de par le monde sont en charge de difficiles dossiers de corruption, procureurs, enquêteurs, juges, policiers. Il y a partout des énergies comme celle de Léonard, isolées dans leur pays, en butte au système, au pouvoir politique, il faut les relier entre elles, tisser une toile serrée, forger un bouclier. Nous sommes pour l'instant une vingtaine, venus de tous les continents ». Le network est une façon de se rencontrer, d'échanger, c'est un forum d'apprentissage, un outil précieux, qui permet l'entraide et la visibilité [23].

Concluons en citant quelques-uns de ces courageux résistants à la sauvagerie prédatrice de la mondialisation économico-financière d'aujourd'hui :

-  Leonard Mac Carthy, « procureur courageux d'Afrique du sud, qui a mis en examen le vice-président Jacob Zuma, leader très populaire de l'ANC » (pp.21-22).
-  Nuhu Ribadu, chef de la brigade financière du Nigeria, qui « a déjà mis en examen 23 gouverneurs corrompus du pays et saisi cinq millliards de dollars » (p.27).
-  Aron Rhingera, « chef de la brigade financière et de l'unité d'enquête contre la corruption partiellement financée par la Norvège ... ancien président de la Cour suprême de Zambie » (p.28).
-  Morten Eriksen, premier substitut à la brigade financière de Norvège. « Il a conduit en Norvège tous les gros dossiers de fraude fiscale, et s'est régulièrement heurté aux paradis fiscaux » (p.168).
-  Jörn Siljeholm, chercheur et professeur expert en analyse du risque, inspecteur de l'armement en Irak. « En cinq minutes, il me dresse, chiffres à l'appui, la situation mondiale des fonds spéculatifs échappant à toute réglementation boursière. J'ai en face de moi un puits de connaissance » pp.168-169.
-  Carl Levin, sénateur américain, rapporteur de la commission d'enquête permanente. « Il a ainsi montré au monde qu'une grande banque américaine comme Riggs a blanchi les fonds d'Obiang, despote de la Guinée équatoriale » p.170.
-  Puisse ce réseau s'étendre toujours plus, et venir un jour jusqu'à notre petite Belgique. L'y rejoindraient des institutionnels au courage également exceptionnel. Tels le juge Connerotte, ou la diplomate Myrianne Coen, et encore quelques autres.

Anne-Marie ROVIELLO

[1] Je reprends ici le titre de la première partie de son dernier livre La force qui nous manque, Paris, Les Arènes, 2007

[2] Le géant pétrolier a été au centre d'une affaire politico-financière qui a éclaté en 1994.

[3] Ibid., p.50.

[4] Ibid., p.138.

[5] Ibid., p.139.

[6] Ibid., p.134.

[7] Ibid., p.289.

[8] Ibid., p.171 cf. sur ce site Les multinationales de la finance criminelle , 14 septembre 2007.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Eva Joly, avec Laurent Beccaria, Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?, Paris, Les Arènes, 2003, p.319.

[12] Ibid., p.159

[13] Ibid., p.318

[14] Cf. Sept ans de solitude, Paris, Gallimard, 2002

[15] Notre affaire à tous, Paris, Les Arènes, 2000, pp. 95-96

[16] La force qui nous manque, op.cit., p.101.

[17] Ibid., pp.141-142.

[18] La force qui nous manque,op.cit., p.202.

[19] La force qui nous manque, op.cit., p.30.

[20] Ibid., p.85.

[21] cf. sur ce site Les prédateurs ont gagné par Denis Robert.

[22] La force qui nous manque, op.cit.p.150.

[23] La force qui nous manque, p.23.