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Les travaux d'Hercule et la tunique de Nessus, selon Besdine et Anzieu

Démarré par JacquesL, 15 Février 2007, 11:00:11 AM

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JacquesL

Désolé, ce sera encore une copie d'une page de livre, ici de Didier Anzieu. Auteur difficile, j'ai tardé à l'ouvrir.
Ici, c'est un extrait des pages 62 et 63 du Corps de l'oeuvre, chez Gallimard. un classique dont ils font grand cas, à Lyon, et ils n'ont pas tort.
Ici Anzieu emprunte à Matthew Besdine son analyse du mythe des douze travaux d'Héraklès, et de la tunique de Nessus. L'article original était paru sous le titre "Complexe de Jocaste, maternage et génie", 1968-69, traduction française in "D. Anzieu et al., Psychanalyse du génie créateur, pp 168-208, Dunod 1974.
CiterBesdine étudie longuement chez le génie créateur l'identification non seulement héroïque, mais, complète-t-il judicieusement « héroïque-masochiste ». Le besoin de se faire souffrir en se tuant à la tâche est en même temps une façon de se racheter, par l'excès de travail, de l'excès d'une faute ancienne — souvent plus ancienne que soi —, grave et, à la limite, irréparable. La mythologie gréco-latine a décrit cette dynamique psychique portée à son comble dans les travaux infligés à Héraklès (Hercule) par la haine de la déesse Héra (Junon), jalouse de cet enfant doublement adultérin que Zeus (Jupiter) son époux avait conçu avec la plus noble des mortelles, Alcmène, femme d'Amphitryon. La vie d'Héraklès (ce nom étymo­logiquement veut dire : à la gloire d'Héra) ne fut, avant, pendant et après les douze travaux, qu'une longue épreuve pour expier interminablement le plaisir joyeux qui lui avait donné naissance et la destinée glorieuse à laquelle son illustre père le vouait. Après sa mort tragique sur le bûcher, le héros Héraklès, monté au ciel et réconcilié avec Héra, connaît enfin son triomphe et son apothéose. Le cercle héroïque-masochiste, où le sujet, dès qu'il occupe un des deux pôles, est renvoyé à l'autre dans une escalade circulaire qui s'entretient elle-même, est ici remarquablement illustré. La recherche de l'exploit transforme le coupable en héros. Mais le besoin de punition fait retour, l'échec ou une haine extérieure vient interdire ou contrebalancer l'exploit et le héros est à nouveau trans­formé en coupable.
Chez Freud, j'ai déjà montré l'importance des identifications héroïques. Il convient maintenant de souligner combien, chez l'inventeur de la psychanalyse, l'identification à la victime est constan­te : identification au paralytique général, victime de fautes sexuelles de ses parents ; identification au névrosé, particulièrement aux jeunes femmes ou jeunes filles hystériques, victimes des erreurs éducatives de leur famille et des préjugés de leur entourage ; identi­fication à Jacob Freud, le père humilié dont un chrétien a précipité le bonnet de fourrure dans un caniveau ; à Hannibal, le sémite valeureux qui fit trembler Rome mais dont la téméraire provoca­tion entraîna la ruine de sa patrie ; à Masséna, le général supposé juif de Napoléon, l'enfant chéri de la victoire pendant les premières campagnes et finalement le grand vaincu du siège de Lisbonne et de la retraite d'Espagne, anticipation de la retraite de Russie et de la chute finale de l'Empereur ; à bien d'autres encore qui, comme Moise, ont eu le temps d'accomplir leur œuvre et d'édicter les tables d'une loi, mais sont morts avant de savourer le fruit de leur réussite.
Plutôt que les bienfaits de la sollicitude maternelle pour le corps de son enfant, la légende d'Héraklès enseigne la nécessité de s'en dégager (en s'appuyant sur la figure du père idéal) et la difficulté spécifique d'y parvenir : cet amour intensément corporel d'une mère passionnelle colle autour de tout le corps de l'enfant comme une seconde peau, étriquante, étouffante, asphyxiante, qui l'empêche de développer un corps indépendant et d'avoir sa vie propre. Déjanire, la dernière femme d'Héraklès, jalouse de l'amour porté par son mari à une captive (cet épisode terminal redouble l'épisode initial de la jalousie d'Héra envers son mari amoureux d'une mortelle), envoie à Héraklès une tunique empoisonnée par le sang d'un centaure qu'il a tué (lui aussi par jalousie) et que Déjanire croit être un philtre de fidélité conjugale : Héraklès s'en revêt et est consumé de brûlures. Ainsi un amour maternel exclusif est-il un stimulant permanent à réaliser de grandes choses et une tunique brûlante comme les flammes dévorantes de cet amour. A lutter contre elle, le héros épuise ses forces (d'où le double sens de consumer qui est à la fois dépérir et brûler). Face aux soins surstimu­lants d'une mère, l'enfant clive ses pulsions : les avantages libidi­naux, il les préserve et les conserve (la symbiose, la toute-puissance narcissique, la sensorialité aiguisée, mises au service du Moi idéal) ; quant à la haine (provoquée par la souffrance et le débordement catastrophique dus à l'excès d'excitation), elle se trouve prise en charge par le Surmoi et retournée contre le Moi.