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L'euro, monnaie de réserve, par Patrick Artus

Démarré par JacquesL, 31 Mai 2008, 08:41:04 PM

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JacquesL

Origine probable : Le Monde, non confirmée.

CiterMême après son petit recul récent, l'euro s'est apprécié de 20 %
vis-à-vis du dollar depuis le début de l'année 2007 ; il est aujourd'hui
surévalué de 30 % environ par rapport à la parité de pouvoir d'achat,
c'est-à-dire par rapport au niveau qui donnerait un niveau de
compétitivité normal à l'industrie européenne.


On critique souvent la Banque centrale européenne (BCE) pour cette
évolution du taux de change de l'euro, mais il faut voir que des taux
d'intérêt plus bas dans la zone euro ne changeraient pas grand-chose à
cette évolution : l'euro s'est fortement apprécié vis-à-vis du dollar en
2006 et au premier semestre 2007 alors que les taux d'intérêt à court
terme sur le dollar étaient beaucoup plus élevés que les taux d'intérêt
sur l'euro (au début de 2006, 4,5 % aux Etats-Unis contre 2,25 % dans la
zone euro), ce qui montre que les niveaux relatifs de taux d'intérêt ne
sont pas les déterminants essentiels de la parité de l'euro.

La cause essentielle de l'appréciation de l'euro est à trouver dans les
flux de capitaux qui se dirigent vers la zone euro : depuis 2002, et de
manière croissante, les investisseurs non européens accroissent leurs
détentions de titres (obligations, actions) en euros, avec des achats
nets annuels de ces titres variant autour de 600 milliards d'euros par
an. Ceci reflète la hausse du rôle de l'euro, au détriment
essentiellement du dollar, comme monnaie internationale de réserve, pour
les investisseurs privés comme pour les investisseurs publics : la part
de l'euro dans les réserves de change des banques centrales est passée
de 14 % en 2002 à 27 % au début de 2008.

Or la zone euro n'a pas besoin de ces financements extérieurs : elle n'a
ni déficit commercial ni dette extérieure, c'est-à-dire qu'elle n'est
pas vendeuse d'actifs au reste du monde, qu'elle n'a pas la nécessité de
s'endetter auprès du reste du monde. Il y a donc une demande croissante
d'actifs en euros de la part des investisseurs non européens, et pas
d'offre correspondante : le rééquilibrage du marché des actifs en euros,
à partir de cette situation initiale d'excès de demande, implique donc
une appréciation de l'euro. L'euro fort vient donc du rôle croissant de
monnaie internationale de réserve de l'euro.

La situation de la zone euro est aussi totalement opposée de celle des
Etats-Unis, or le financement du déficit extérieur (autour de 750
milliards de dollars soit 481 milliards d'euros cette année) implique un
recours massif à la vente d'actifs en dollars aux investisseurs non
américains, c'est-à-dire l'attraction de l'épargne mondiale vers les
Etats-Unis.

Lorsqu'un pays (une région) peut facilement financer un déficit
extérieur en s'endettant (c'est-à-dire en vendant des actifs) auprès du
reste du monde à un taux d'intérêt faible, puisque les actifs de ce pays
sont recherchés, font l'objet d'une forte demande, on dit usuellement
qu'il bénéficie "du privilège exorbitant de la monnaie de réserve",
expression utilisée (avec jalousie de la part des Européens) pour les
Etats-Unis et le dollar dans le passé.

Mais la zone euro bénéficie maintenant aussi du privilège exorbitant de
la monnaie de réserve, avec le poids croissant de l'euro dans les
portefeuilles internationaux. Seulement elle n'en profite pas pour
financer facilement un déficit extérieur, elle subit, à cause de cette
situation, une surévaluation de sa devise.

Il paraît donc normal de suggérer que la zone euro devrait utiliser le
rôle international croissant de l'euro comme monnaie de réserve pour
financer, en émettant sur le marché obligataire international, des
projets utiles à sa croissance. Les Etats-Unis ont commis l'erreur
depuis trente ans d'utiliser le rôle de monnaie de réserve du dollar
pour financer des déficits publics improductifs (baisses d'impôts
directs, dépenses militaires...) puis les achats de logement et la
consommation des ménages. La contrepartie de leur dette extérieure est
donc des dépenses de transferts publics et des dépenses des ménages, pas
du capital productif ou des infrastructures.

L'Europe pourrait éviter ce piège en utilisant sa capacité nouvelle à se
financer à des conditions favorables auprès du reste du monde pour
réaliser des dépenses d'infrastructures publiques, de recherche et
d'éducation supérieure, d'investissements dans le capital de PME
innovantes. Concrètement, ce projet pourrait prendre la forme d'un
programme spécial d'émissions d'obligations en euros de la Banque
européenne d'investissements destinées aux non-résidents, calibré en
fonction de l'excès de demande d'euros vu plus haut, c'est-à-dire de la
hausse observée de la part de l'euro dans les portefeuilles obligataires
des investisseurs non européens (c'est-à-dire 300 à 500 milliards
d'euros par an en ce moment), et dont le produit serait affecté
uniquement à des projets stimulant la croissance à long terme et
sélectionnés au niveau européen, afin d'éviter la dérive vers le
financement de transferts publics, de dépenses courantes.

L'existence de ce programme réduirait les handicaps de la zone euro (il
reste bien sûr à traiter la difficulté du champ : union européenne ou
zone euro puisque ce sont les actifs en euros qui font l'objet d'une
forte demande) dans les domaines cités plus haut (recherche et
développement, enseignement supérieur, espace, transports rapides ou
économies en énergie, absence de croissance des PME...) et, faisant
apparaître une offre de titres en euros en face de la demande pour ces
titres, éviterait l'appréciation tendancielle de l'euro.

Evidemment, cette proposition se heurte au caractère simpliste des
règles budgétaires de la zone : la limite de 3 % du PIB pour le déficit
public du pacte de stabilité ne prend en compte ni la capacité de
financement plus ou moins grande de ce déficit, ni la nature des
investissements publics qu'une hausse des émissions publiques en euros
permettrait de réaliser, ni bien sûr les effets sur le taux de change.
Patrick Artus est membre du Conseil d'analyse économique, directeur de
recherche d'Ixis.