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Bonnes à vendre

Démarré par JacquesL, 19 Octobre 2007, 01:13:11 AM

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JacquesL

Bonnes à vendre

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3218,50-965267,0.html

CiterBonnes à vendre
LE MONDE | 10.10.07 | 16h33  •  Mis à jour le 10.10.07 | 16h33

Bienvenue à l'aéroport Rafic-Hariri", susurre une voix féminine tous les quarts d'heure. 7 h 30 du matin, le hall est vide. Seule une salle d'attente est noire de monde. Sur le mur, un panneau indique "zone de réception pour les bonnes". Des chrétiens, des musulmans, des couples, des familles entières, arrivent. Parmi eux, M. Hadj, un médecin franco-libanais. Il est pressé, le travail à l'hôpital l'attend : "Les agences s'occupent de tout, explique-t-il, mais il faut venir soi-même pour la livraison de la bonne." "En 2002, j'ai littéralement sauvé de la famine une Togolaise en la prenant chez moi, raconte une dame en jeans. Je l'ai d'abord payée 50 dollars (35 euros) par mois, mais au bout de six mois, comme elle travaillait très bien, je l'ai augmentée à 75 dollars (53 euros)."

Depuis des années, des jeunes filles d'une trentaine de pays pauvres viennent se placer comme domestiques au Liban. Aujourd'hui, elles sont plus de 90 000 Sri-Lankaises, 30 000 Ethiopiennes, 40 000 Philippines, sans parler des autres nationalités, dont beaucoup de Burundaises et de Malgaches. Une personne sur seize vivant au Liban est une domestique étrangère, selon le quotidien anglophone Daily Star. Ces domestiques sont payées 200 dollars par mois pour les Philippines (les plus éduquées), 150 dollars pour les Ethiopiennes, 100 dollars pour les Sri-Lankaises - moins de 20 centimes d'euro de l'heure. L'employeur peut à tout moment "rendre" la bonne, qui, elle, n'a pas le droit de partir.

Ce matin, les futurs employeurs attendent les passagères de l'avion d'Ethiopian Airlines arrivé à 2 heures du matin : 200 jeunes filles pour l'heure parquées sous douane, accroupies les unes contre les autres. Pas de boissons, pas de nourriture, pas de toilettes. Comme l'exige la sûreté nationale, leur passeport transitera directement des mains du policier des frontières à celles de l'employeur.

La jeune Ethiopienne qui foule pour la première fois le sol libanais ignore que son passeport ne lui sera rendu que le jour de son départ. Elle ne se doute pas qu'à cet instant elle vient de perdre sa liberté. Le docteur Hadj vérifie d'un coup d'oeil que le nom correspond à celui que lui a donné l'agence, fait, d'un geste du bras, "yalah", sans parole ni sourire. Son maigre bagage à la main, la jeune fille tente de le suivre en jetant des regards terrorisés de tous côtés. Ils doivent se rendre à l'agence de placement. Là, elle va probablement signer un nouveau contrat, en arabe, avec des conditions qui n'auront plus rien à voir avec les engagements pris dans son pays. Son salaire risque de diminuer. Selon l'ambassade des Philippines, certaines jeunes filles travaillent gratis les trois premiers mois, voient la durée du séjour obligatoire passer de deux ans à trois ans et sont privées de toute liberté : interdiction de sortir seule de la maison, de correspondre avec sa famille et de communiquer avec l'extérieur. Sans parler de la chambre promise qui risque d'être un balcon, voire la cuisine ! Refuser de signer ? Trop tard. Sans argent, sans passeport, elles voient le piège se refermer.

Le jour de la signature du contrat, l'agence se verse entre dix et quinze fois le premier salaire de la domestique. Une jeune Ethiopienne revient au total à 2 400 dollars à l'employeur (billet, visa, visite médicale, contrat chez le notaire, etc.). Une somme importante, dont 60 % reviennent à l'agence. A Beyrouth, 380 agences de placement de personnel de maison officielles envahissent le paysage d'affiches publicitaires. Il y a quelques années, l'une d'entre elles avait même proposé des soldes de Sri-Lankaises !

21 juin 2007. Anlyn Sayson, une jolie Philippine de 21 ans, arrive au Liban. Le 29 juin, elle meurt, en se jetant d'un balcon du cinquième étage d'un appartement de Beyrouth. Que s'est-il passé durant cette semaine pour pousser une jeune fille sans histoires à se suicider ? Selon la police libanaise, la jeune domestique aurait fait une crise de nerfs chez ses employeurs à Tripoli, dans le nord du pays. Ceux-ci l'auraient illico ramenée à l'agence de placement NK Contrat, à Beyrouth. Le patron de l'agence, Negib Khazaal, raconte que la jeune fille était très excitée et que l'un de ses employés lui aurait donné des calmants avant de la laisser seule dans l'appartement. A 3 heures du matin, les voisins ont entendu des cris. Ils ont trouvé le corps fracassé de la jeune fille gisant sur le trottoir. Résultats de l'autopsie : il y avait des doses massives de méthanol, une substance neurotoxique particulièrement dangereuse, dans l'estomac d'Anlyn Sayson.

Si sa mort a donné lieu à quelques lignes dans la presse locale, la plupart de ces suicides ont lieu dans l'indifférence totale. Pourtant, le nombre de suicides de domestiques ne cesse d'augmenter : 45 Philippines, 50 Sri-Lankaises et 105 Ethiopiennes se sont suicidées ces quatre dernières années. "Dans de nombreux cas, raconte Sami Kawa, médecin légiste, les mortes sont couvertes d'ecchymoses, de morsures ou de brûlures."

Tout un système d'exploitation est en place où chacun, Etat, agences, employeurs, joue sa partition, souvent avec la complicité des pays d'origine. Depuis 1973, le Liban "importe" des domestiques étrangères qui ne sont protégées par aucun texte de loi : le code du travail ne s'applique pas à elles. Et selon les associations caritatives, leur situation ne cesse d'empirer. "Depuis quelques années, nous enregistrons une augmentation des actes de violence et de viols", explique-t-on à Caritas.

"A ma connaissance, il n'y a pas eu au Liban une seule condamnation pour crime ni pour viol en trente ans, seulement quelques rares et faibles condamnations au pénal pour coups et blessures", souligne Me Roland Tawk, qui défend les domestiques depuis plus de dix ans. La plupart des affaires se traitent à la libanaise : comme la majorité des cas de maltraitance s'accompagnent de non-paiement de salaire, la victime laisse tomber sa plainte pour viol contre le versement de son salaire, ou bien le salaire est totalement oublié, mais elle récupère enfin son passeport. La violence n'est pas l'apanage des employeurs. Ici, on peut faire corriger une bonne par la police ou, plus fréquemment, par les agences de placement.

Le résultat d'un sondage effectué par l'association Caritas en 2007 auprès de 600 employeurs est édifiant. Plus de 91 % des sondés confisquent le passeport de l'employée, 71 % ne la laissent pas sortir seule, plus de 31 % avouent la battre, 33 % limitent sa nourriture, 73 % surveillent ses fréquentations et 34 % la punissent comme un enfant.

Elles sont quarante, cachées au sous-sol de l'ambassade des Philippines. Trente à l'ambassade du Sri Lanka. Autant dans une annexe de l'ambassade d'Ethiopie. Toutes veulent rentrer au pays mais n'ont pas touché leur salaire depuis des mois voire des années. Les journaux publient les noms et souvent les photos de celles qui sont en fuite, et la police est chargée de ramener les fuyardes à l'employeur de gré ou de force.

A l'ambassade d'Ethiopie, Yeftusran, 22 ans, est prostrée sur une chaise depuis le matin. Elle a un bras cassé. L'assistante sociale de l'ambassade, Lina, Libanaise compatissante, tente de comprendre son histoire, mais Yeftusran est mutique, hormis quelques mots qu'elle répète en boucle : "Je veux rentrer à Addis-Abeba." Ses yeux sont vides, sa détermination est terrifiante. Au bout de plusieurs heures, la jeune femme lâche par bribes son histoire. Depuis quatre ans, elle vit dans une famille de campagnards, dans le nord du pays. Le fils de 22 ans lui a cassé le bras parce qu'elle n'avait pu - ou su - ramasser la grand-mère impotente qui gisait au sol. Yeftusran ne veut ni voir un médecin ni en dire plus. Le lendemain, l'ambassade fera chercher ses affaires personnelles pour l'expédier à Addis-Abeba. "Nous avons eu trois suicides cette semaine, j'ai peur pour celle-ci, murmure Lina. Une Ethiopienne arrivée il y a deux jours est à l'hôpital. Elle serait tombée d'un balcon", poursuit l'assistante sociale en levant les yeux au ciel.

Environ 400 domestiques croupissent en prison pour des vols imaginaires, affirme Me Roland Tawk. Dès qu'une employée de maison prend la fuite, l'employeur dépose plainte pour vol. Durant l'été 2006, l'attaque israélienne au Liban et le désarroi des Libanais fuyant les bombes ont été largement couverts. Les médias ont évoqué, sans s'attarder sur le sujet, le nombre de 30 000 domestiques abandonnées dans des appartements fermés à clef, souvent avec le chien. A leur retour, les employeurs étaient furieux. La domestique était partie ! "Nous avons eu beaucoup de mal à récupérer leurs passeports, certains employeurs menaçaient d'entamer des procès pour abandon de poste", raconte Annie Israel, assistante sociale à l'ambassade des Philippines.

Le dimanche, les services religieux sont bondés à Beyrouth. Les domestiques qui ont droit au congé hebdomadaire et celles qui sont en fuite se retrouvent. A l'église Saint-Joseph, le Père MacDermott, un Américain de 75 ans installé au Liban depuis trente ans, dénonce chaque dimanche le calvaire des domestiques et souhaite que la hiérarchie chrétienne s'implique. En 2001, les évêques du Moyen-Orient ont publié un rapport sur le calvaire des domestiques, mais il est resté confidentiel.

En 1948, le Liban a signé un traité contre la confiscation des papiers d'identité. En 1991, la Convention des droits de l'homme est devenue partie intégrante de la Constitution libanaise.

Grand reporter à France 2, Dominique Torrès est la fondatrice du Comité contre l'esclavage moderne et l'auteur d'"Esclaves" (éd. Phébus, 1996). Elle a réalisé un reportage, "Liban, le pays des esclaves", qui sera diffusé sur France 2 dans le cadre d'"Envoyé spécial", le jeudi 18 octobre 2007.


JacquesL

Et l'esclavage moderne chez nous :

http://www.secours-catholique.asso.fr/dossier_6.htm
http://www.secours-catholique.asso.fr/action_france/migration_etranger_1092.htm

CiterBonnes à rien     
mise en ligne : 23-01-2007
         

L'esclavage domestique, l'un des multiples visages de l'esclavage contemporain, persiste en France. Des centaines de femmes-enfants, généralement "importées" à cet effet, se retrouvent asservies par des employeurs peu scrupuleux. Les associations spécialisées qui accompagnent ces "petites bonnes" exploitées, maltraitées, humiliées, peinent à faire reconnaître les faits d'esclavage devant les tribunaux, faute d'une réglementation française explicite.

Il y a cinquante-six ans qu'elle a quitté son pays pour la France. Cinquante-six ans à trimer comme nounou et femme de ménage dans des familles de diplomates étrangers. Virginie vient de mourir, oubliée, au bout d'une vie sans répit, en sursis. Une vie hypothéquée au service d'employeurs peu scrupuleux. Laver, récurer, servir. Servir encore, obéir, oublier ses propres besoins, laver... Rattachée à un appartement parisien, héritée de propriétaire en propriétaire, comme un aspirateur, une casserole. Virginie, bonne à tout faire, esclave ordinaire des temps modernes.
Virginie et tous les autres, femmes, hommes et enfants, victimes d'esclavage domestique, l'une des formes de l'esclavage contemporain. De l'appartement du 16e arrondissement de Paris au HLM de Gennevilliers en passant par le pavillon de Cergy, les histoires d'un autre temps se ressemblent tragiquement.
C'est l'histoire de Manja, arrivée mineure de Madagascar dans l'objectif de suivre une formation pour être finalement exploitée pendant deux ans par un couple malgache, elle, d'une grande famille de Tananarive, lui, ingénieur.
« Le vieillissement de la population et la généralisation du travail des femmes dans la société occidentale ont fait naître une demande croissante de services domestiques et de garde d'enfant, commente la juriste Georgina Vaz Cabral. La disponibilité, la flexibilité des migrants et leurs faibles exigences ont fait basculer le marché. »

La réalité d'un phénomène culturel

S'il existe des cas d'esclavage domestique entre Français, il apparaît que le phénomène résulte généralement de l'immigration illégale. « Il y a une dimension culturelle à l'esclavage domestique, constate Zina Rouabah, directrice du CCEM (Comité contre l'esclavage moderne). 56 % des victimes et des employeurs sont des mêmes communautés, en majorité d'Afrique de l'Ouest. Dans ces pays, souvent, les enfants travaillent. Or, un tiers des filles expatriées pour l'esclavage domestique sont mineures. »
Une réalité confirmée par Georgina Vaz Cabral : « Dans certaines sociétés, notamment africaines, à l'âge de la puberté, les filles quittent le foyer pour être mariées ou travailler, le plus souvent en tant que domestiques. Les petites bonnes sont généralement au service d'une grande sœur, d'une tante ou d'un membre lointain de la famille. Le "confiage" ou le "placement d'enfant" est une pratique courante qui appartient au système d'entraide familiale.» Destinée à offrir un avenir meilleur à l'enfant, cette pratique est trop souvent dévoyée en exploitation pure et simple.
Beaucoup arrivent mineures : elles sont ainsi plus faciles à inscrire sur le passeport d'un parent. « Ces petites viennent souvent en contrepartie de promesses : école, santé, formation..., raconte Zina Rouabah. En France, elles se retrouvent totalement isolées de leur communauté. » À peine débarquées, leurs papiers leur sont retirés et elles sont envoyées au travail. Elles survivent dans des conditions indécentes : sans chambre ni intimité, sans suivi médical... Elles y perdent peu à peu leur existence sociale. C'est un phénomène à huis clos, dans des appartements, des familles, des domaines, qui se déroule loin de tous regards.

Briser la volonté

« L'esclavage, maintenant, je connais ce mot, témoigne Zoubida. J'ai été esclave comme un chien : pas le droit de partir, pas le droit de manger, pas le droit de voir un médecin lorsque M. I. m'a cassé les dents. »
Les "employeurs" savent user de tout l'attirail d'asservissement : horaires de travail excessifs, salaires misérables, absence de vie privée et, régulièrement, violences morales ou physiques. « Il n'y a pas de gentils esclavagistes, car il faut sans cesse faire pression, briser la volonté », explique Pierre Dumont, de l'association marseillaise Esclavage tolérance zéro. « Les horaires insupportables, les privations de sommeil, les violences, n'ont pas forcément pour vocation de faire travailler plus, mais d'affaiblir, d'anéantir la personne. Le "maître" prend ainsi une dimension disproportionnée. »
« Il y a une véritable ambiguïté, souligne l'avocate Mathilde de Maillard. Souvent ces personnes ont les clés de la maison, peuvent sortir, ont de l'argent pour les courses et s'occupent des enfants. Mais elles subissent une pression psychologique telle qu'elles n'osent parler. L'employeur brandit la peur de la police : "Si tu parles à quelqu'un, ce sera peut-être un policier en civil qui va t'arrêter et te renvoyer au pays" ».
La jeune femme devient une chose dont les employeurs se considèrent comme les propriétaires. Eux-mêmes n'ont pas toujours conscience de la gravité de leurs actes. Souvent ils tentent d'expliquer que la jeune fille fait partie de la famille, que c'est pour son bien, que l'opportunité de vivre en France vaut bien quelques sacrifices. « Tu crois vraiment que toutes les filles ont la chance d'arriver en France comme toi ? », lance, durant son procès, Mme K. à Éliane qui pendant deux ans a été son esclave, battue et humiliée.

Par Louis Guinamard
CiterEsclavage domestique, bonnes à rien

L'esclavage domestique, l'un des multiples visages de l'esclavage contemporain, persiste en France. Des centaines de femmes-enfants, généralement "importées" à cet effet, se retrouvent asservies par des employeurs peu scrupuleux. Les associations spécialisées qui accompagnent ces "petites bonnes" exploitées, maltraitées, humiliées, peinent à faire reconnaître les faits d'esclavage devant les tribunaux, faute d'une réglementation française explicite.


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