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Todd : « Kouchner est passé de Médecins du monde à Militaires sans frontières »

Démarré par JacquesL, 19 Septembre 2007, 05:46:13 AM

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JacquesL

Emmanuel Todd : « Kouchner est passé de Médecins du monde à Militaires sans frontières »

http://www.marianne2.fr/Emmanuel-Todd-Kouchner-est-passe-de-Medecins-du-monde-a-Militaires-sans-frontieres-_a78787.html


Emmanuel Todd vient de publier, avec Youssef Courbage, un ouvrage, Le rendez-vous des civilisations (1), qui tord le cou à la thèse du choc des civilisations. Pour ces deux démographes, la montée de l'islam radical n'est que l'un des signes, nombreux, de la modernisation du monde musulman dont l'aspect démographique est d'ailleurs le plus éclatant. Les sociétés du monde musulman sont entrées dans une transition démographique qui voit progresser l'alphabétisation des hommes puis des femmes, avant que le nombre d'enfants par femme se rapproche de celui de l'occident. Tout cela évoque selon eux une montée de l'individualisme dans ces sociétés. L'analyse démographique les conduit ainsi à rejeter l'idée d'une différence de nature entre les sociétés anciennement chrétiennes et les sociétés musulmanes.




Que penser de la déclaration musclée de Bernard Kouchner sur l'Iran?
Emmnuel Todd : Son intervention ravive une interrogation personnelle qui date de la guerre d'Irak, où il s'était déjà prononcé en faveur de l'intervention américaine : quelle peut être la psychologie d'un médecin qui manifeste une préférence stable pour la guerre ? Nous passons trop vite de Médecins du monde à « Militaires sans frontières ».
Plus sérieusement Bernard Kouchner n'a fait qu'exprimer maladroitement la ligne Sarkozy, qui de fait est la ligne de Washington. Avant la présidentielle, j'avais suggéré que les Américains attendaient l'élection de Nicolas Sarkozy pour s'attaquer à l'Iran.

Le Quai d'Orsay propose une autre lecture de cette déclaration : il ne s'agirait pas, en fait, de menacer l'Iran mais de montrer à ses dirigeants actuels le coup économique de leur refus d'obtempérer aux recommandations de la communauté internationale.
On peut dire ce qu'on veut, mais le mot guerre a été prononcé, et le Quai d'Orsay apprendra d'autres nouvelles par la presse.

L'Iran inquiète davantage certains observateurs que l'Irak avant l'intervention américaine.
La question de l'Iran se présente sous la forme d'un flot d'images et de faits difficiles à interpréter vu de France. Il y a les propos absurdes du président Ahmadinejad, les images de femmes couvertes de noir, et l'islamophobie ambiante. Tout cela masque la réalité profonde de l'Iran : une société en développement culturel rapide, dans laquelle les femmes sont plus nombreuses que les hommes à l'université, un pays dans lequel la révolution démographique a ramené le nombre d'enfants par femme à deux, comme en France ou aux Etats-unis. L'Iran est en train de donner naissance à une démocratie pluraliste. C'est un pays où, certes, tout le monde ne peut pas se présenter aux élections, mais où l'on vote régulièrement et où les basculements d'opinion et de majorité sont fréquents. Comme la France, l'Angleterre ou les Etats-unis, l'Iran a vécu une révolution qui se stabilise et où un tempérament démocratique s'épanouit.
Tout cela est à mettre en rapport avec une matrice religieuse dans laquelle la variante chiite de l'islam valorise l'interprétation, le débat et, éventuellement, la révolte.

Pour un simple observateur occidental, l'assimilation du chiisme au protestantisme n'est pas une évidence qui tombe sous le sens.
Il serait absurde de pousser à l'extrême la comparaison. Mais il est clair que de même que le protestantisme a été, dans l'histoire européenne, un accélérateur de progrès et le catholicisme un frein, le chiisme apporte aujourd'hui une contribution positive au développement, notamment dans le domaine du contrôle des naissances : l'Azerbaïdjan, certes postcommuniste, mais également chiite, est à 1,7 de taux de fécondité, les régions alaouites de Syrie rattachées au chiisme, ont terminé leur transition démographique contrairement aux régions majoritairement sunnites. Au Liban, la communauté chiite, base sociale du Hezbollah, était en retard sur le plan éducatif et social, mais elle est en train de rattraper les autres communautés, comme on le voit dans l'évolution du taux de fécondité.
L'Iran est aussi une très grande nation qui manifeste une conscience réaliste de ses intérêts stratégiques dans une région où la majorité de ses voisins possède l'arme nucléaire : le Pakistan, l'Irak et l'Afganistan (via la présence de l'armée américaine), Isräel. Dans ce contexte, l'attitude européenne raisonnable serait d'accompagner l'Iran dans sa transition libérale et démocratique et de comprendre ses préoccupations de sécurité.

Dans votre livre, vous faites l'hypothèse tout à fait surprenante d'une possible laïcisation des sociétés musulmanes.
Dans la mesure où dans les mondes catholique, protestant, orthodoxe et bouddhiste, la baisse de la fécondité a toujours été précédée d'un affaiblissement de la pratique religieuse, on doit se demander si des pays musulmans dans lesquels le nombre d'enfants par femme est égal ou inférieur à 2 ne sont pas en train de vivre aussi, à notre insu – et peut-être même à l'insu de leurs dirigeants – un processus de laïcisation. C'est le cas de l'Iran.

Pourquoi les Américains et Sarkozy ont-ils adopté cette stratégie de confrontation avec l'Iran ?
Les services diplomatiques américains sont parfaitement au fait de la réalité iranienne, de la montée de la démocratie et de la modernisation du pays. Mais ils veulent abattre une puissance régionale qui menace leur contrôle de la zone pétrolière. C'est un pur cynisme utilisant l'incompréhension actuelle du monde musulman. Dans le cas de Sarkozy, je pencherais plus pour l'idée d'incompétence ou de sincère ignorance, qui le conduit néanmoins à amorcer une politique extérieure contraire à la morale et à l'intérêt de la France. D'éventuelles sanctions économiques françaises contre l'Iran feraient rire les Américains qui n'ont plus d'intérêts dans ce pays, et sourire les Allemands, qui ont comme nous en ont beaucoup, mais semblent pour le moment plus réalistes.

(1) Le rendez-vous des civilisations, Emmanuel Todd et Youssef Courbage, Le Seuil, 2007


Lundi 17 Septembre 2007 - 17:11

JacquesL

Puisqu'il est cité dans les énumérations de l'article qui va suivre...
Le journal Québécois Le Devoir publiait en juin 2006 un article sur les réunions "Bilderberg" qui font fantasmer certains.

http://www.ledevoir.com/2006/06/05/110837.html
CiterPerspectives - Les maîtres du monde

Éric Desrosiers

Édition du lundi 05 juin 2006

On dit qu'ils décideraient de toutes les questions importantes et qu'ils auraient le pouvoir de faire et de défaire les gouvernements. En fait, ils formeraient même le véritable gouvernement qui régit la planète. Si c'était vrai, Ottawa serait la capitale du monde cette semaine. La rumeur court sur Internet depuis quelque temps déjà. Le groupe du Bilderberg tiendrait sa réunion annuelle, cette semaine, au très chic Hôtel Brookstreet, à Kanata, en banlieue d'Ottawa. Club archisélect d'environ 130 personnes censées être les grands des grands de ce monde, le forum se veut une occasion offerte à l'élite politico-économico-médiatico-intellectuelle de discuter en profondeur, et en toute franchise, des principaux enjeux planétaires. Son désir de se garder aussi loin que possible des projecteurs, et sa consigne aux participants de garder le secret sur le contenu de leurs débats, sont autant de preuves supplémentaires, pour ses critiques, du rôle occulte et central qu'il joue dans la gestion des affaires du globe.

Beaucoup moins connu que le G8 ou le Forum économique mondial de Davos, le groupe tire son nom de l'hôtel Bilderberg, à Oosterbeek, aux Pays-Bas, où s'est tenue sa première réunion en mai 1954. Créé, à l'origine, pour entretenir la compréhension et l'amitié entre l'Europe et les États-Unis, le forum s'est graduellement intéressé à tous les grands enjeux géostratégiques, de la question énergétique à la libéralisation des échanges, en passant par la guerre contre le terrorisme et la concurrence asiatique.

Mise à jour chaque année en fonction d'un système de quota par pays, la liste de ses participants est un inventaire des plus grosses pointures du gotha de droite comme de gauche, ou de ceux qui semblent destinés à le devenir. S'y sont retrouvés des têtes couronnées, comme le roi Juan Carlos et la reine Béatrix; des politiciens, comme Henry Kissinger, Tony Blair, Donald Rumsfeld, Angela Merkel et Bernard Kouchner; des hommes d'affaires, comme David Rockefeller, George Soros et Bill Gates; des dirigeants d'institutions internationales, comme Pascal Lamy (OMC), Paul Wolfowitz (Banque mondiale) et Jean-Claude Trichet (Banque centrale européenne); ainsi que des experts, dont des journalistes réputés du Financial Times, du Figaro, de la revue The Economist, de Newsweek... Il arrive que des Canadiens soient invités. Ce fut le cas, entre autres, de Conrad Black, Pierre Trudeau, Jean Chrétien, Stephen Harper, Mike Harris, Frank McKenna et Bernard Lord.

Pour ses fans, le groupe du Bilderberg a su préserver, par sa sélection rigoureuse des participants et la confidentialité de ses discussions, un niveau élevé de débat et donc une véritable occasion de mieux se comprendre entre acteurs centraux. «À Davos, on paie pour voir et se faire voir. Au Bilderberg, on y vient pour entendre sans se faire voir», a expliqué un jour un participant au quotidien Libération. Cela a aussi pour résultat qu'on y est «très blanc, très WASP, et on assume», a ajouté un autre.

Le complot

L'opacité de ce club privé a un prix. Pour les adeptes de la théorie du complot, on n'a pas à chercher plus loin pour trouver qui tire les ficelles de notre monde. La mondialisation, le néo-libéralisme, le protocole de Kyoto, l'Union européenne, l'OMC, l'OTAN et les Casques bleus sont autant d'idées élaborées par le groupe du Bilderberg et autres Commission trilatérale et Council of Foreign Relations. Bill Clinton, Tony Blair et même Stephen Harper n'ont-ils pas été invités par le groupe du Bilderberg quelques années à peine avant leurs élections? Cela ne prouve-t-il pas que le groupe peut faire et défaire les gouvernements? On raconte même que c'est à l'une de ses réunions qu'aurait été planifiée l'invasion américaine de l'Irak. Pas étonnant que les nationalistes serbes, le terroriste américain Timothy McVeigh et Oussama ben Laden ont eux aussi accusé le groupe du Bilderberg d'être le véritable maître du monde.

On peut comprendre qu'il soit tentant d'échafauder de telles théories lorsque l'on sait que des gens aussi puissants se rencontrent chaque année en secret pour discuter des grandes questions de l'heure. Cela a, de plus, l'avantage d'expliquer de façon simple et logique la cause de tous ces phénomènes complexes qui perturbent nos vies.

Mais tout le monde sait bien que l'élection de Stephen Harper n'a pas été décidée par des étrangers, aussi puissants soient-ils. On sait aussi que tous les grands phénomènes mondiaux qui façonnent notre réalité ne peuvent pas être le fruit d'un vaste plan machiavélique élaboré par une centaine de personnes qui se réunissent trois ou quatre jours chaque année dans un hôtel chic. La plupart des gens auront compris que ces phénomènes sont plutôt le résultat d'un inextricable amalgame de décisions collectives et individuelles, d'évolutions sociologiques et d'accidents historiques.

Ce qui ne veut évidemment pas dire que des forums comme le groupe du Bilderberg n'ont aucune influence sur notre monde. Lorsque des gens se rencontrent pour discuter en profondeur de questions qui les préoccupent, ils finissent, à l'occasion, par arriver à des consensus. Lorsque ces consensus unissent d'importants politiciens, de puissants hommes d'affaires ainsi que d'influents experts et autres leaders d'opinion, on comprend que cela peut avoir un certain impact sur le cours des événements.

Ces consensus n'ont généralement rien de secret et peuvent évoluer. On est par exemple passé, ces dernières années, d'une béate apologie du libre-échange à une vision un peu plus sensible aux besoins des pays en voie de développement. Les préoccupations environnementales font, quant à elles, lentement leur chemin jusqu'aux sommets.

Reste que les membres du groupe de Bildberger auraient, sans doute, tout autant de plaisir à discuter ensemble même s'ils n'étaient pas tellement «blancs» et tellement «WASP». Ils y gagneraient une vision plus riche et plus éclairée de la réalité.

Reste aussi que, si on peut bien rire de la théorie du complot, cette dernière se nourrit souvent de sentiments d'impuissance devant les événements et d'exclusion des mécanismes décisionnels qui sont préoccupants en démocratie. Il est entendu que des rencontres au sommet, comme celles du groupe de Bilderberg, sont inévitables et même souhaitables pour le bon fonctionnement de notre monde. On comprendra cependant qu'elles ne doivent jamais être, ni avoir l'air d'être, l'endroit où se prennent les décisions importantes.