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Erreurs d’interprétation sur l’évolution des États-Unis (1/2)

Démarré par JacquesL, 29 Janvier 2025, 05:16:09 PM

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JacquesL

Erreurs d'interprétation sur l'évolution des États-Unis (1/2)



par Thierry Meyssan

Nous voyons que l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche bouleverse les règles du jeu international. Cependant, nous interprétons souvent mal ses actions : nous ignorons les us et coutumes de son pays et nous projetons sur lui nos propres débats politiques. Nous sommes d'autant plus perdus qu'au cours des dernières années, nous avons plus ou moins adhéré à l'idéologie à la mode à Washington. Nous avons considéré celle-ci comme la doxa états-unienne, alors qu'elle n'était qu'un moment dans son histoire, et que nous avons oublié ses nombreuses écoles de pensée.


Nous avons tous été étonnés par le président Trump signant des décrets à la chaîne
juste après son investiture. La presse européenne y a vu un autocrate affirmant sa
puissance. Pas du tout ! : une bonne partie de ces documents limite le pouvoir de
l'État fédéral au bénéfice des États fédérés. Les erreurs d'interprétation de ce type
sont désormais légion entre les États-Unis et l'Europe.

L'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche redistribue toutes les cartes idéologiques, géopolitiques, aussi bien qu'économiques ou même militaires. En effet, pour la première fois depuis presque deux siècles, un jacksonien est à nouveau au pouvoir aux États-Unis. Nous avions oublié cette manière de penser (sauf dans les westerns) et ne sommes plus capables de l'anticiper. Pourtant, Trump a déjà exercé le pouvoir durant quatre années, mais à l'époque, il avait été largement empêché d'appliquer sa politique par ses propres alliés républicains, tandis que la presse démocrate nous assurait que c'était un malade mental ou un fasciste.

Étrangement, les influenceurs des réseaux sociaux qui défendent son point de vue ne nous informent que sur son combat idéologique contre le wokisme, jamais sur sa conception des relations internationales et encore moins sur ses ambitions politiques. C'est d'autant plus étrange, que depuis l'élection du 5 novembre, l'équipe de Donald Trump a démarché de nombreux influenceurs, dans l'Union européenne et au Royaume-Uni, et a commencé à les payer grassement.

Il y a plusieurs manières d'envisager cette contradiction. Soit, Donald Trump entend endormir les Européens sur ses véritables intentions, soit il considère qu'ils ne peuvent comprendre qu'une chose à la fois. Pour notre part, nous continuerons notre travail en décrivant les différentes facettes du personnage sans en oublier aucune.

La lutte contre l'idéologie woke

On présente généralement le wokisme comme une réaction à l'esclavage et à la ségrégation raciale. Les colons européens, devenus conscients des horreurs qu'ils ont commises, tenteraient de se racheter.

Ce n'est pas du tout mon avis. À mes yeux, le wokisme n'a aucun rapport avec ces crimes. Si l'on adopte une vision anthropologique, on doit reconnaître que des phénomènes identiques existent dans toutes les grandes religions. Dans le christianisme, il a été incarné par Origène, le père de l'Église du IIIe siècle qui s'était lui-même castré pour ne pas pécher, ou plus récemment par Jean Calvin, célèbre pour avoir appliqué dans la République théocratique de Genève, les mêmes méthodes que l'inquisition espagnole.

Or, les États-Unis se sont développés à partir de la colonie puritaine de Plymouth (Nouvelle-Angleterre, plus précisément Massachusetts). Ils étaient puritains, c'est-à-dire calvinistes. Le Lord protecteur, Oliver Cromwell, les avaient envoyés comme missionnaires, non pas tant pour convertir les Indiens que les Européens du roi très catholique d'Espagne. Dans leurs colonies, les femmes devaient être voilées et la prière obligatoire. Les homosexuels étaient soumis au fouet, etc. Ces fanatiques sont connus sous le nom de «pères pèlerins» (à ne pas confondre avec les «pères fondateurs» qui sont des juristes). Ils sont célébrés chaque année lors de la fête nationale de Thanksgiving. Ce sont eux qui ont importé l'idée que la politique doit être «pure» et qu'il faut détruire les statues des hérétiques.

Depuis 2014, l'expression «éveillé» (en anglais woke) désigné les personnes conscientes des conséquences sociales de l'esclavage et de la discrimination raciale, – voire, convergence des luttes oblige – de l'orientation sexuelle et même du genre. Ce mouvement cherchant la «pureté», au sens religieux du terme, s'est fixé de «bonnes pratiques» visant à combattre les discriminations raciales, affichées ou «systémiques». Dans les faits, il pousse à une «discrimination positive» en faveur de toutes les minorités.

Il est évident que l'esclavage fut une réalité aux États-Unis et que cette réalité passée conditionne des comportements actuels. Mais on peut douter que détruire ce qui rappelle cette époque permette de résoudre les problèmes de notre temps et plus encore que favoriser des candidats noirs leur permette de s'affranchir de la condition de leurs aïeux. Chacun perçoit instinctivement que les remèdes sont pires que les problèmes qu'ils prétendent combattre. C'est en tous cas ce qu'ont pensé les habitants woke de Los Angeles lorsque leurs maisons ont été ravagées par des incendies. Ils ont réfléchi à l'inefficacité des pompiers engagés sur des critères de discrimination positive et non pas en fonction de leur compétence. Ce mouvement a perdu de la popularité aux États-Unis dans les années précédentes comme le montre l'expression get woke, go broke ! («devenez Woke, finissez fauché !»).

Le wokisme est une adaptation moderne du puritanisme des «pères pèlerins». Mais, les États-Unis sont un pays composite dans lequel plusieurs cultures se sont mêlées.

Il faut admettre que, de même que le Parti républicain absorbé par les Trumpistes est devenu jacksonien, de même le Parti démocrate absorbé par Obama et Biden est devenu woke. Il s'ensuit de nombreuses méprises, Washington dans son ensemble ayant abandonné par idéologie son comportement traditionnel auquel il revient aujourd'hui.

Durant la campagne électorale présidentielle, deux jeunes influenceurs ont longuement dénoncé le wokisme. La journaliste noire Candace Owens (qui s'en prend aujourd'hui au couple Macron1) a qualifié Black Lives Matter de «groupe de bambins pleurnichards, faisant semblant d'être opprimés pour attirer l'attention». Tandis que le gay Milo Yiannopoulos (marié à un autre homme) s'est illustré par ses parodies du féminisme lesbien et du mouvement LGBTQIA+. Ces deux influenceurs ont conduit de nombreux noirs et gays à ne pas voter pour le Parti démocrate, comme leurs aînés, mais pour Donald Trump.

Dès son discours d'investiture, Donald Trump a annoncé la fin des politiques de discrimination positive et affirmé que désormais, l'État fédéral ne reconnaissait que deux sexes. C'est spectaculaire, mais cela n'intervient qu'à un moment où la grande majorité des électeurs US en sont déjà convaincus.2

L'«exceptionnalisme américain»

Donald Trump est partisan de l'«exceptionnalisme américain»3 ; une doctrine selon laquelle les États-Unis sont «la lumière sur la colline», voulue par Dieu pour éclairer le monde.

Cette doctrine, directement issue, elle aussi, de l'exemple des «pères pèlerins», assure que leur voyage était comparable à celui des anciens Hébreux. Il les a transformés en un «peuple élu» car ils ont fui pharaon (la monarchie britannique qui venait d'être renversée par Lord Cromwell), traversé la mer Rouge (l'océan Atlantique) et ont découvert une terre promise (l'Amérique du Nord). Chacun des 47 présidents des États-Unis, sans aucune exception, s'est revendiqué de cette mythologie. C'est elle qui fonde aussi bien leur rejet des principes du droit international que leur soutien à l'État d'Israël.

D'un point de vue états-unien (ceci n'a aucun rapport avec Donald Trump), jamais Washington n'acceptera de rendre des comptes à qui que ce soit et surtout pas aux Nations unies ou à leurs agences. Certes, ils ont recyclé de nombreux criminels nazis durant la Guerre froide, certes, ils ont massacré les Coréens, les Vietnamiens, les Afghans, les Iraquiens, les Libyens, les Palestiniens, les Syriens, etc. mais aucun de leurs présidents ne doit être mis en examen par quelque tribunal international que ce soit.

Dans une tribune libre, publiée en 2013 par le New York Times, le président russe, Vladimir Poutine, soulignait qu'il est «extrêmement dangereux d'encourager les gens à se considérer comme exceptionnels, quelle que soit la motivation»4. Cette doctrine induit en effet une différence et une hiérarchie entre les hommes, comme lorsque l'on applique le concept théologique de «peuple élu» à une réalité politique.

Tout au long de son histoire, jamais Washington n'a accepté de rendre des comptes à des étrangers. Nous attribuons par erreur certaines de ses décisions récentes en fonction des idéologies actuelles, alors que, de toute manière, elles auraient été prises. Par exemple, nous pensons, à tort, que Donald Trump s'est dégagé des Accords de Paris sur la lutte contre le réchauffement climatique parce qu'il pense qu'ils sont idiots. Certes, il ne croit pas que le GIEC soit une académie des Sciences. Mais, de toute manière, les États-Unis ne pouvaient pas accepter de signer des Accords qui les soumettaient au jugement des autres. Obama et Biden se sont positionnés contre la tradition de leur pays par idéologie, Trump s'est positionné, lui, conformément à sa tradition, ce qui se trouve aussi correspondre à sa propre idéologie.

La liberté version western

Lors de la création des États-Unis, en 1776, c'est-à-dire 13 ans avant la Révolution française, les pères fondateurs se sont opposés sur leur conception de la liberté et des Droits de l'homme. Contrairement aux voltairiens français, ils n'ont pas pensé ces questions à la fois d'un point de vue individuel et d'un point de vue collectif. Pour eux, la liberté, c'est simplement de pouvoir faire ce que l'on veut chez soi. C'est pourquoi, par exemple, ils sont allergiques au principe des cotisations sociales obligatoires.

Cette manière de penser n'est pas sans inconvénients. Ainsi, leur conception des «Droits de l'homme» entre en totale contradiction avec la conception française des «Droits de l'homme et du citoyen». D'un point de vue anglo-saxon (cela renvoie à la tradition britannique), il s'agit uniquement de se protéger de la raison d'État. Au contraire, du point de vue des révolutionnaires français, il s'agit moins de ne pas être torturé dans un commissariat que de participer à l'élaboration des lois.5

Le débat sur la liberté d'expression est faussé par la superposition des grilles de lecture. L'administration Biden a considéré, d'un point de vue woke, qu'elle avait la responsabilité d'informer le public sur les dangers de la COVID et de le sauver de la maladie. C'est pourquoi, elle a interdit tout débat scientifique et censuré toute opinion dissidente. Selon la tradition des «pères fondateurs», l'État fédéral n'avait pas à s'immiscer dans les échanges sur les réseaux sociaux. Selon la tradition voltairienne, l'État avait le droit, non pas d'interdire quoi que ce soit, mais de faire interdire par les tribunaux des messages qui auraient induit les internautes en erreur et nui à leur santé (dans ce cas, ce sont les messages sur l'obligation universelle de certains médicaments qui auraient dû être visés).

Thierry Meyssan

source : Réseau Voltaire

https://reseauinternational.net/erreurs-dinterpretation-sur-levolution-des-etats-unis-1-2/