L’ère de l’exceptionnalisme interplanétaire

[JacquesL]

L'ère de l'exceptionnalisme interplanétaire



par Pepe Escobar

Seuls les États-Unis peuvent transformer un génocide en une formidable opportunité immobilière dans un «emplacement phénoménal».

Commençons par l'essentiel : La Destinée Manifeste atteint les étoiles. Littéralement.

Trump 2.0 – le plus grand spectacle sur terre – a commencé par un (big) bang : «Nous poursuivrons notre Destinée Manifeste jusqu'aux étoiles». Et cela signifie planter le drapeau américain sur Mars. Pour de vrai. Pas un film de Netflix. Pas étonnant que l'acolyte en platine Elon Musk, PDG de SpaceX, ait atteint le ravissement instantané.

Bienvenue dans l'exceptionnalisme interplanétaire. Littéralement. Comme dans la terre des libres, la patrie des braves, dans ce nouvel âge d'or, sera «bien plus exceptionnelle que jamais». Le déclin impérial est terminé. Embrassez le nouvel Empire, brutalement bienveillant. Ou bien...

Concrètement, tout a commencé, comme on pouvait s'y attendre, par une avalanche de décrets – comme un vortex psychédélique.

Il est temps d'envoyer des troupes à la frontière sud (El Paso est déjà bloquée) pour stopper l'«invasion» d'immigrants clandestins ; de déclarer les cartels de la drogue comme des organisations terroristes ; et de rebaptiser le golfe du Mexique «golfe d'Amérique».

Ajoutez à cela déclarer l'État d'urgence pour relancer la production d'énergie : «Nous allons utiliser nos pouvoirs d'urgence pour permettre aux pays, aux entrepreneurs et aux gens qui ont beaucoup d'argent d'élaborer de grands projets, des projets d'intelligence artificielle. Nous avons besoin de deux fois plus d'énergie que nous n'en avons déjà».

C'est un code pour que l'Empire exerce nécessairement un contrôle total sur l'IA et les centres de données d'IA massifs et consommateurs d'énergie.

Entre les deux, Trump 2.0 suspendra chaque plan d'«aide à l'étranger» pendant 90 jours pour évaluer leur «cohérence avec les intérêts nationaux et les objectifs de politique étrangère des États-Unis» (Traduction : Kiev, courez vous mettre à l'abri).

Trump 2.0 ne reconnaîtra que deux sexes – l'homme et la femme -, «éliminera immédiatement le wokisme de notre armée et la rendra telle qu'elle était auparavant», et «reprendra» le canal de Panama («canal américain», quelqu'un ?).

N'oublions pas non plus l'annonce d'une grande guerre commerciale : des droits de douane de 25% pourraient être imposés au Canada et au Mexique à partir du 1er février, afin de forcer les négociations. Et plus tard, la cible sera l'Union européenne : Bruxelles est déjà en pleine panique.

Tik Tok, qui est là ?

Sur le plan intérieur, le dossier Tik Tok est l'un des plus intrigants : Le président a déclaré : «L'accord sur Tik Tok aux États-Unis pourrait valoir un trillion de dollars». L'achat de 50% de Tik Tok pourrait être une coentreprise. Avec la contribution essentielle de Barron, le fils de Trump, Tik Tok a de facto aidé Trump et les Républicains à obtenir pas moins de 36% du vote des jeunes.

L'éventuel accord sur Tik Tok oblige essentiellement la Chine à partager 50% de la propriété avec des actionnaires américains, afin de pouvoir continuer à vendre des publicités aux États-Unis. Il ne s'agit que de gains financiers liés à la publicité.

La structure du capital de Tik Tok est assez intrigante. Le fondateur, Zhang Yiming, détient 20% du capital. 20 autres % sont détenus par les employés de Tik Tok dans le monde entier. Les 60% restants sont détenus par trois fonds américains. Les États-Unis détiennent donc depuis longtemps plus de 50% des actions.

La différence aujourd'hui, c'est que Trump/le gouvernement américain veulent forcer le fondateur Zhang Yiming à vendre ses actions.

Imaginez maintenant un monde parallèle où Bruxelles forcerait 50% de YouTube ou de X à être achetés par un oligarque européen pour que l'entreprise soit autorisée à faire des affaires en Europe (en fait, cela pourrait même se produire un jour).

Passons maintenant au chaudron de la politique étrangère.

Ukraine. Trump est resté évasif : un calendrier potentiel pour résoudre la guerre par procuration en Ukraine pourrait être discuté lors d'un prochain appel téléphonique avec Poutine («bientôt»). En ce qui concerne le maintien des sanctions à l'encontre de la Russie, Trump les a qualifiées de «droits de douane».

OTAN. Il faut payer. Beaucoup plus : «L'OTAN doit payer 5%. Nous sommes dans la guerre en Ukraine pour 200 milliards de dollars de plus que l'OTAN. C'est ridicule parce que cela les affecte beaucoup plus. Nous avons un océan entre les deux. Et nous avons dépensé 200 milliards de dollars de plus que l'OTAN pour l'Ukraine. Ils doivent égaliser».

Le chef de l'OTAN, le Néerlandais Rutti-Frutti, semble avoir compris le message avant même l'investiture ; il évoque déjà les 5% pour tous les citoyens européens comme un chien enragé. Qu'importe si les soins de santé et les services sociaux doivent être réduits : c'est pour le plus grand bien (impérial).

UE. Le message brutalement bienveillant adressé à l'UE – que Trump n'a même pas mentionné – est que ces chihuahuas appartiennent à la sphère d'influence des États-Unis. Trump les a impérialement ignorés.

À une exception spectaculaire près. Interrogé sur un éventuel droit de douane de 100% «sur ces pays comme l'Espagne», la réponse de Trump a été une perle : «En tant que pays des BRICS, oui».

Quelqu'un a oublié de dire à Madrid qu'elle fait désormais partie des BRICS. Pourtant, le point essentiel demeure : Trump menace d'imposer des tarifs douaniers de 100% à tous les pays des BRICS allant dans le sens de la dédollarisation. D'ailleurs, 95% des paiements entre la Russie et la Chine se font désormais en roubles et en yuans.

Défense antimissile. Trump : «Je vais ordonner à notre armée de commencer la construction du grand bouclier de défense antimissile Iron Dome, qui sera entièrement fabriqué aux États-Unis». Le Pentagone devrait demander l'avis des Houthis à ce sujet.

Venezuela. Un rebondissement intrigant : l'envoyé de Trump, Ric Grenell, organise des discussions directes avec Caracas. Le ministre vénézuélien de l'Intérieur, Diosdado Cabello, encourage la reprise des relations. Et le procureur général est prêt à relancer la coopération pour étouffer les gangs criminels – extradition comprise.

Rien de tout cela ne signifie que le changement de régime sera écarté. Tout ce pétrole et tous ces minerais, l'Empire brutal et bienveillant en a grandement besoin.

Cuba. Retour à la liste des «États soutenant le terrorisme». La Havane y a été inscrite à l'origine lors de Trump 1.0, en 2021. Et maintenant, avec Marco Rubio au département d'État, les perspectives sont sombres. La Havane résistera toujours.

Gaza. On a demandé à Trump s'il était confiant dans le cessez-le-feu à Gaza : «Je ne suis pas confiant. Ce n'est pas notre guerre, c'est leur guerre».

Mais le meilleur a été gardé pour la fin : «Gaza est comme un immense chantier de démolition. Cet endroit doit vraiment être reconstruit d'une manière différente (...) Gaza est intéressante. C'est un emplacement phénoménal. Au bord de la mer, dans des conditions climatiques idéales (...) On pourrait en faire quelque chose de magnifique».

Ne sous-estimez jamais le modèle de cette année : l'Empire doré, exceptionnel et brutalement bienveillant. Aucune autre entité ne peut transformer un génocide en une formidable opportunité immobilière dans un «emplacement phénoménal».

Pepe Escobar

source : Strategic Culture Foundation

https://reseauinternational.net/lere-de-lexceptionnalisme-interplanetaire/