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La Pravda américaine : les racines raciales de l’expansion économique de la Chi

Démarré par JacquesL, Aujourd'hui à 07:05:42 PM

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JacquesL

La Pravda américaine : les racines raciales de l'expansion économique de la Chine

Publié le novembre 28, 2024 par jmarti

Par Ron Unz − Le 4 novembre 2024 − Source Unz Review




Le prix Nobel de sciences économiques ne faisait pas partie des décorations décernées au départ par Alfred Nobel, mais la plupart des habitants et des médias de la planète font comme si tel était le cas, et cette impression est renforcée par le fait que les annonces liées à l'attribution annuelle ce prix sont prononcées à peu près en même temps que les décorations établies par Nobel.



À l'instar des prix Nobel de physique ou de médecine, le prix en matière économique est souvent partagé entre deux ou trois lauréats, et il y a quelques semaines, les honneurs de 2024 ont été décernés à Daron Acemoglu, Simon Johnson, et James A. Robinson.

Neuf prix Nobel d'économie remis en cause

Faute d'expertise en la matière, je ne suis pas en position d'évaluer leurs travaux universitaires, mais uniquement leurs activités accessibles au public. Johnson, professeur au MIT, a été économiste en chef du FMI, et au fil des années, je l'ai régulièrement vu cité par les journaux que je lis sur des sujets économiques, et la plupart de ses commentaires apparaissaient comme plutôt sensés au néophyte que je suis.



Mais je connaissais bien mieux Acemoglu et Robinson, et mon opinion à leur sujet était nettement moins favorable. En 2012, ils avaient fait l'objet de beaucoup d'attention pour avoir écrit Why Nations Fail, un best-seller national. L'un de leurs thèmes majeurs avait résidé dans la comparaison des systèmes politiques et économiques des États-Unis et de la Chine, au grand bénéfice des États-Unis. Mais bien que leur travail ait reçu des louanges éclatantes de la part d'économistes de premier plan, comme Johnson, ainsi que de la part d'éminents intellectuels publics tels que Niall Ferguson, Steven Pinker et Francis Fukuyama, mon appréciation personnelle avait été résolument négative.

Leur livre était paru quelques années après la crise financière désastreuse survenue aux États-Unis, qui avait provoqué d'importants dégâts dans l'économie mondiale, et peu de temps après la toute aussi désastreuse guerre en Irak lancée par les États-Unis, qui ravagea aussi bien le droit international que le paysage politique du Moyen-Orient, et j'ai donc été très surpris de constater leur approbation apparente des politiques économiques néolibérales et des menées géopolitiques néo-conservatrices des États-Unis. Cela m'avait amené à écrire un long article qui produisait également une comparaison entre les États-Unis et la Chine, mais qui parvenait à des conclusions radicalement différentes, et mon analyse critiquait vertement leur vision panglossienne du système économique et politique des États-Unis.

J'avais ouvert ma discussion par ces paragraphes :

CiterLa montée de la Chine figure sans doute parmi les plus importants développements du monde des 100 dernières années. Avec les États-Unis qui restent englués dans leur cinquième année de difficultés économiques, et l'économie chinoise en bonne place pour dépasser la nôtre avant la fin de cette décennie, la Chine se dresse, déjà grande, à l'horizon. Nous vivons les premières années de ce que les journalistes appelèrent jadis "Le siècle du Pacifique", mais des signes inquiétants indiquent que cela pourrait bien devenir "Le siècle chinois".


Mais le géant chinois aurait-il des pieds d'argile? Dans un livre récemment publié, Pourquoi les nations tombent [Why Nations Fail, NdT], les économistes Daron Acemoglu et James A. Robinson qualifient l'élite chinoise au pouvoir d'"extractive" – parasite et corrompue — et ils prédisent que la croissance économique chinoise va prochainement faiblir et décliner, alors que les institutions gouvernant les États-Unis étant "inclusives", elles ne font que nous renforcer. Ils avancent qu'un pays gouverné par un État à parti unique, sans médias libres, ne disposant pas des freins et des contrepoids de notre propre système démocratique, ne peut pas prospérer longtemps dans le monde moderne. Les hommages éclatants que ce livre a reçu de la part d'un grand nombre d'intellectuels publics étasuniens des plus éminents, y compris de la part de six prix Nobel d'économique, témoignent de la large popularité dont dispose ce message optimiste.

Je décrivais la réussite économique considérable dont la Chine avait joui au cours des trente années précédentes, en contraste absolu avec les difficultés que les Étasuniens ordinaires avaient connues au cours de la même période.

CiterDurant les trois décennies précédent 2010, la Chine présenta possiblement le taux de croissance économique le plus soutenu de toute l'histoire de l'espèce humaine, son économie réelle croissant presque d'un facteur 40 entre 1978 et 2010. En 1978, l'économique étasunienne était 15 fois plus importante, mais selon la plupart des estimations internationales, la Chine s'apprête à dépasser le PIB total étasunien d'ici quelques années à peine.


En outre, le plus gros de la richesse économique nouvellement créée par la Chine a ruisselé vers les travailleurs chinois ordinaires, qui sont passés des bœufs et des bicyclettes au seuil de l'automobile en une génération. Alors que le revenu médian étasunien a stagné depuis presque quarante ans, il a quasiment doublé à chaque décennie en Chine : les salaires des travailleurs non-agricoles ont augmenté d'environ 150 % rien qu'au cours des dix dernières années. Les Chinois de 1980 était horriblement pauvres en comparaison des Pakistanais, des Nigériens, des Kényans ; mais aujourd'hui, leur richesse s'établit en multiple de ces derniers, ce qui constitue un accroissement au décuple en termes de revenu relatif.

Un récent rapport de la Banque mondiale soulignait l'énorme chute des taux de pauvreté entre 1980 et 2008, mais les critiques ont noté que près de 100 % de ce déclin venait de la Chine à elle seule. Le nombre de Chinois connaissant la grande pauvreté a chuté du nombre remarquable de 662 millions, alors que la population pauvre du reste du monde a en fait cru de 13 millions. Et bien que l'on mette souvent l'Inde de pair avec la Chine dans les médias occidentaux, une grande frange des Indiens s'est en réalité appauvrie avec le temps. La moitié inférieure de la population de l'Inde, croissant toujours à des taux importants, a vu ses apports caloriques quotidiens baisser régulièrement au cours des trente dernières années, la moitié de l'ensemble des enfants indiens de mois de cinq ans étant aujourd'hui mal nourrie.

Les progrès économiques de la Chine sont particulièrement impressionnants quand on les compare à des parallèles historiques. Entre 1870 et 1900, l'Amérique a joui d'une expansion industrielle sans précédent, telle que même Karl Marx et ses disciples se mirent à douter qu'une révolution communiste pourrait être nécessaire ou même possible dans un pays dont le peuple atteignait une prospérité aussi importante et partagée, au travers d'une expansion capitaliste. Durant ces trente années, le revenu réel par tête des États-Unis avait cru de 100 %. Mais au cours des trente dernières années, le revenu réel par tête en Chine a cru de plus de 1 300 %.



CiterLe travailleur chinois ordinaire a vu son revenu croître de plus de 1 000 % au cours des décennies récentes, pendant que le même chiffre appliqué au travailleur étasunien est resté proche de zéro. Si les revenus étasuniens moyens doublaient chaque décennie, notre société connaîtrait beaucoup moins de colère contre les « 1 % ». De fait, à en croire l'indice GINI standard, qui sert à mesurer les inégalités de richesse, le score de la Chine n'est pas particulièrement élevé, et reste proche de celui des États-Unis, même si cela indique des inégalités plus importantes que dans la plupart des démocraties sociales d'Europe occidentale.

CiterCes faits n'apportent guère d'eau au moulin du livre Why Nations Fail, dont la thèse est que les dirigeants chinois constituent une élite ne protégeant que ses propres intérêts et vénalement « extractive ». Malheureusement, ces terminologies semblent bien mieux étayées lorsque nous regardons notre propre pays, au vu de ses trajectoires économique et sociale récentes.

Face au contexte des progrès remarquables menés par la Chine, les États-Unis présentent dans l'ensemble une image très lugubre. Sans doute les ingénieurs et entrepreneurs d'élite étasuniens ont-ils créé de nombreuses technologies parmi les plus importantes au monde, en s'enrichissant énormément au passage. Mais ces réussites économiques ne sont pas représentatives d'un ensemble, et leurs bénéfices n'ont pas été largement distribués. Au cours des quarante dernières années, une grande majorité de travailleurs étasuniens ont vu leurs revenus réels stagner ou décliner.

Pendant ce temps, la concentration rapide de la richesse étasunienne s'est poursuivie : les 1 % les plus riches de la population étasunienne détiennent autant à eux-seuls que les 90-95% du bas, et cette tendance n'a fait que s'accélérer. Une étude récente a révélé qu'au cours de notre supposé rétablissement des deux dernières années, 93 % de l'augmentation totale des revenus nationaux est partie dans la poche de ce 1 %, avec un taux délirant de 37 % capturé par les 0.01% les plus riches de la population ; soit 15 000 foyers parmi un peuple comptant 300 millions d'âmes.

CiterLe thème central du livre Why Nations Fail est que les institutions politiques, et le comportement des élites au pouvoir déterminent fortement le succès ou l'échec des pays. Si la plupart des Étasuniens n'ont pratiquement reçu aucun bénéfice économique au cours des décennies passées, peut-être devrions-nous tourner notre regard vers ces facteurs dans notre propre société.

Et l'un de mes derniers paragraphes venait résumer mon verdict négatif concernant l'imposant volume produit par ces deux futurs lauréats du prix Nobel.

CiterLes idées présentées dans le livre Why Nations Fail semblent donc à la fois vraies et fausses. L'affirmation selon laquelle des institutions politiques nuisibles et des élites corrompues peuvent infliger de très graves dégâts à une société semble tout à fait exacte. Mais alors que les auteurs regardent avec sévérité les errements des élites dans le temps et dans l'espace — de la Rome ancienne à la Russie tsariste, en passant par la Chine qui monte — leurs yeux semblent se parer de lunettes roses lorsqu'ils s'intéressent aux États-Unis d'aujourd'hui, la société dans laquelle ils vivent et dont les élites au pouvoir financent copieusement les institutions académiques auxquelles ils sont affiliés. Au vu des réalités étasuniennes constatées au cours de la dizaine d'années écoulées, il est tout à fait remarquable que les universitaires écrivant une livre dont le titre est Pourquoi les Nations échouent n'aient pas jugé utile de commencer par porter leurs regards sur leur propre pays.

Mon article provocateur avait enclenché la tenue d'importantes discussions, et attiré une attention soutenue et favorable de la part des médias d'opinion.


En revisitant récemment le livre d'Acemoglu et Robinson, j'ai remarqué que le nom du professeur Jeffrey Sachs, de l'Université de Columbia, brillait par son absence dans la liste des sommités universitaires ayant fait les louanges éclatantes de l'ouvrage, et cela ne m'a guère surpris. Je soupçonne que sa réaction a pu être assez proche de la mienne, au vu des importantes critiques qu'il avait proférées aussi bien à l'encontre de la guerre en Irak que des politiques économiques néolibérales qui battent leur plein.

En outre, il avait travaillé depuis longtemps en coopération étroite avec les Chinois, et faisait les éloges de leurs efforts fructueux pour assurer un développement économique mondial et faire baisser la pauvreté, et je doute qu'il considère leur pays comme dirigé par une élite corrompue et profiteuse, dont les politiques mal orientées provoqueraient prochainement l'échec et l'effondrement de leur modèle de développement économique.

Douze années se sont écoulées, et il y a quelques jours, il s'est trouvé que j'ai visionné la discussion éclairée qu'il a menée avec Leung Chun-ying, un ancien dirigeant du gouvernement de Hong Kong, qui occupe désormais une position élevée au sein du gouvernement chinois.

Lien vers la vidéo.

Dans cette interview, Sachs note avec stupéfaction l'ascension de la région de la Grande Baie, une région chinoise qui jouxte Hong Kong. La ville la plus grande de cette région est Shenzhen, qui n'était encore à la fin des années 1970 qu'une pauvre ville de pêcheurs dont la population avoisinait les 25000 personnes. Mais en moins de deux générations, la population a connu une croissance d'un ordre presque égal à mille, et a constitué la ville la plus riche de toute la Chine, et la troisième ville la plus peuplée du pays, derrière Shanghai et Pékin, et la région qui l'entoure compte désormais 85 millions d'âmes. Il indique que la région n'est pas simplement à la pointe mondiale sur un ou deux domaines, mais en de nombreuses matières, comme le développement technologique, la production industrielle, les services financiers, la logistique maritime, et les hautes études, et qu'aucune autre région du monde ne combine autant de distinctions.

Prédictions de l'ascension mondiale de la Chine remontant plus d'un siècle en arrière

Acemoglu et Robinson sont désormais portés au panthéon des lauréats du prix Nobel, mais les douze années écoulées constituent un intervalle pertinent pour évaluer leurs prédictions au sujet de la première économie mondiale, et celles-ci se sont avérée assez erronées pour laisser la place à d'importants doutes sur le cadre théorique dont ils s'étaient faits les champions. Selon leur analyse, l'ascension économique de la Chine aurait dû rapidement présenter des ratées et s'achever, mais en dépit du régime sans précédent de sanctions occidentales récemment imposées par les États-Unis, visant à handicaper ou à tuer les champions chinois les plus importants de la scène mondiale, comme Huawei, rien de tel ne s'est produit, et la croissance que connaît la Chine a à peine diminué.

De fait, malgré les accolades publiques qu'ils ont reçues en 2012 pour avoir vanté l'énorme supériorité économique et institutionnelle des États-Unis sur la Chine, de nombreux éléments puissants de l'establishment de Washington avaient rapidement conclu que cette bravade n'était fondée sur rien. En une ou deux années à peine, nos élites politiques se sont tellement alarmées de l'ascension économique apparemment inarrêtable de la Chine, au point qu'elles ont réorienté l'ensemble de la stratégie mondiale des États-Unis pour contenir ce pays, dont la puissance croissante semble propre à mettre au défi l'hégémonie mondiale des États-Unis. J'ai discuté de ce moment géopolitique décisif dans un récent article.


Je note dans cet article que selon les statistiques officielles publiées par le CIA World Factbook, l'économie réellement productrice de la Chine — sans doute la métrique la plus fiable de la puissance économique sur la scène mondiale — est déjà plus de trois fois supérieure à celle des États-Unis, et connaît également une croissance nettement plus rapide que celle-ci. De fait, selon cette importante métrique économique, la Chine dépasse d'ores et déjà le total combiné de l'ensemble du bloc dirigé par les États-Unis — les États-Unis eux-mêmes, le reste de l'anglosphère, l'Union européenne et le Japon — une réussite stupéfiante, et totalement contraire à ce que le lecteur de Why Nations Fail aurait pu prédire lorsque cet ouvrage est paru.

Qui plus est, à la relecture récente de parties de leur best-seller de 2012, j'ai remarqué qu'Acemoglu et Robinson affirmaient que les importants progrès économiques réalisés par la Chine avaient été presque totalement obtenus en recopiant des produits occidentaux. À les en croire, les Chinois se contentaient de suivre notre éveil technologique, et il était peu probable de les voir produire les innovations du futur de leur propre initiative, relégués qu'ils étaient au statut de deuxième rang. Des décennies durant, ce type de mythe lénifiant a constitué un incontournable pour les Étasuniens arrogants s'intéressant à ces pays qui défiaient notre rang en haut du podium, et il s'est avéré totalement faux dans le cas du compétiteur chinois, qui se classe désormais à la première place mondiale pour de nombreuses technologies d'importance, comme les batteries, les véhicules électriques et l'informatique quantique.

Il faut critiquer quiconque applique des superlatifs pour attirer une attention qui n'est pas méritée. Mais ces superlatifs sont totalement mérités pour ce qui concerne l'ascension économique et technologique de la Chine, qui se révèle sans précédent dans toute l'histoire humaine. On pourrait penser que des économistes comme Acemoglu et Robinson, qui sont passés à côté des événements spectaculaires qui se déroulaient sous leurs yeux, allaient perdre toute crédibilité vis-à-vis de leurs pairs, mais apparemment, tel n'a pas été le cas, du moins pour ce qui concerne les corps internationaux prestigieux totalement dominés par l'establishment économique néolibéral de l'Occident.

Dans le même temps, le même establishment a réussi à abriter ses illusions dans une bulle de propagande créée par ses organes médiatiques occidentaux. Les régimes en déclin, à l'instar de la vieille Union soviétique, exigent souvent de leurs organes médiatiques captifs qu'ils dissimulent les faits embarrassants, et dans le cas de l'Occident, cette tentative est rendue d'autant plus facile du fait que le paysage informationnel est resté dominé durant des générations par les médias occidentaux.

Ainsi, quiconque s'en tient aux journaux appartenant aux élites ou aux journaux dominants reçoit l'impression dominante que le taux de croissance récent de la Chine, établi à 5%, est nettement inférieur aux taux de 1 ou 2% dont jouit le bloc dirigé par les États-Unis. Mais malgré ces dissimulations et cet obscurantisme, dans le monde réel, 5 reste toujours supérieur à 1 ou 2, et cette différence est encore plus marquée dans la croissance économique par habitant, ou si l'on concentre son attention sur les secteurs productifs des deux économies.

Un an après que j'ai écrit mon article qui critiquait vertement la thèse de Why Nations Fail, j'ai noté qu'en dépit du fait que de grands nombres de personnalités actuelles continuent obstinément de réfuter la réalité de l'ascension mondiale de la Chine, certains intellectuels étasuniens de premier plan avaient, dès le début du XXème siècle, prédit ces événements à venir avec une prescience remarquable.

CiterCes développements auraient pu choquer les Occidentaux au milieu du XXème siècle — lorsque la Chine était surtout connue pour sa terrible pauvreté et le fanatisme révolutionnaire maoïste — mais ils seraient apparus comme nettement moins inattendus aux yeux de penseurs étasuniens de premier plan d'il y a un siècle, dont un grand nombre avait prophétisé que l'Empire du Milieu allait finir par reprendre sa place parmi les nations de premier plan sur la scène mondiale. C'est absolument ce qu'avait prédit E.A. Ross, l'un des plus grands sociologues étasuniens, dont le livre, The Changing Chinese dépassait le dénuement, la misère et la corruption de la Chine que l'on connaissait alors, pour voir une Chine modernisée, possiblement appairée technologiquement avec les États-Unis et les nations européennes de premier plan. L'opinion de Ross fut largement reprise par des intellectuels publics comme Lothrop Stoddard, qui a prédit le probable éveil de la Chine après des siècles d'un sommeil intérieur, et venant mettre au défi l'hégémonie mondiale dont jouirent longtemps les diverses nations en provenance d'Europe.

CiterLes intellectuels étasuniens de premier plan des années 1960 et 1970 ont échoué à prédire la quasi totalité de ces développements mondiaux, et nombre de leurs successeurs ont eu tout autant de difficulté à reconnaître la spectaculaire séquence d'événements caractérisant leur propre époque. Un exemple parfait de cette étrange myopie se trouve dans les écrits des économistes de premier plan Daron Acemoglu et James Robinson, dont les sommaires discussions sur la rapide ascension chinoise vers la dominance de l'économie mondiale semblent dresser le portrait du phénomène comme une illusion temporaire promise à un effondrement rapide du fait que l'approche institutionnelle chinoise est différente du néolibéralisme du marché ultra libre par eux recommandé. [4] Le vaste rôle joué par le gouvernement dans l'élaboration des décisions économiques de la Chine voue ce système à l'échec, malgré tous les éléments indiquant le contraire, alors que l'économie hautement financiarisée des États-Unis doit être une réussite, nonobstant le fort taux de chômage du pays et sa faible croissance. Selon Acemoglu et Robinson, presque tous les échecs et succès à l'international sont déterminés par les institutions gouvernementales, et comme la Chine dispose des mauvaises institutions, son échec est garanti, en dépit du fait qu'aucun signe d'échec ne se manifeste.

Peut-être l'histoire donnera-t-elle raison à ces universitaires, et peut-être le miracle économique chinois s'effondrera-t-il conformément à leurs prédictions. Mais si cela ne se produit pas, et que les tendances internationales des 35 dernières années se poursuivent pendant cinq ou dix années de plus, on ferait bien d'envisager de chercher des explications auprès des penseurs aujourd'hui oubliés qui avaient véritablement prédit ces développements mondiaux auxquels nous assistons, des personnalités telles que Ross ou Stoddard. La dévastation à grande échelle produite par l'invasion japonaise, la seconde guerre mondiale, et la guerre civile chinoise, avec ensuite la calamité économique du maoïsme auront retardé l'ascension prédite de la Chine d'une ou deux générations, mais en dehors de ces événements non prévus, l'analyse qu'ils ont produite du potentiel chinois semblent tout à fait presciente. Par exemple, Stoddard cite et soutient les prédictions victoriennes émises par le professeur Charles E. Pearson :

CiterY a-t-il quiconque pour douter que le jour est à notre portée, où la Chine disposera de combustible bon marché sorti de ses mines de charbon, de transports bon marché grâce à des voies ferrées et des navires à vapeur, et aura fondé des écoles techniques pour développer ses industries ? Lorsque ce jour viendra, et quel que soit ce jour, elle pourra arracher le contrôle des marchés mondiaux, surtout au travers de l'Asie, à l'Angleterre et à l'Allemagne.[5]
 

Les Chinois vus comme un peuple façonné par leur société

Ces derniers paragraphes étaient tirés de mon article de 2013, paru sous le titre descriptif mais très provocateur « Comment le darwinisme social a fabriqué la Chine moderne« .

Si, contrairement à Acemoglu, Robinson, et à leurs alliés médiatiques, nous admettons que l'ascension économique et technologique de la Chine est à la fois réelle et remarquable, il s'est évidemment agi d'un développement de la plus grande importance mondiale possible, qui mérite certainement une analyse et des explications soignées, et c'est exactement ce qu'aspirait à produire mon article. J'affirmais que les racines probables des réussites spectaculaires de la Chine constituaient la sorte de facteurs biologiques et évolutionnaires jadis communément discutés par nos penseurs dominants du passé, qui avaient réussi à prédire l'ascension mondiale de la Chine, mais qui ont été quasiment entièrement bannis de notre cadre idéologique dominant de l'ère de l'après seconde guerre mondiale.

La page Wikipédia dédiée à Why Nations Fail s'étale sur plus de 6000 mots, et décrit avec moult détails l'« hypothèse institutionnelle » de la réussite économique, défendue par Acemoglu et Robinson, ainsi que les cadres alternatifs développés par leurs rivaux universitaires, qui se sont concentrés sur une large variété de facteurs explicatifs divers. Mais elle ne contient pas la moindre mention aux facteurs que j'ai soulignés.

Certains des points que je soulève dans mon propre article apparaissent comme très difficiles à expliquer si l'on s'en tient à ces hypothèses concurrentes.

CiterLes tests réalisés dans le cadre du Program for International Student Assessment (PISA) de 2009 positionnées la géante Shanghai — une mégalopole de 15 millions de personnes — au sommet absolu de la réussite étudiante mondiale.[1] Les résultats PISA en provenance du reste du pays étaient presque aussi impressionnants, les notes moyennes obtenues par des centaines de millions de Chinois provinciaux — pour la plupart issus de familles rurales dont le revenu annuel était inférieur à 2 000 $ — égalaient ou dépassaient celles des pays les plus avancés d'Europe, comme l'Allemagne, la France ou la Suisse, et surclassaient nettement les résultats des États-Unis.[2]

Ces succès suivent de près une génération de réussites économiques et technologique semblables pour des pays proches de la Chine, mais bien plus petits, tels Taïwan, Hong-Kong, Singapour, ainsi que la grande réussite universitaire et socio-économique des petites populations d'ascendance chinoise au sein des nations à prédominance blanche, comme les États-Unis, le Canada ou l'Australie. Les enfants de l'Empereur Jaune semblent destinés à jouer un rôle considérable dans l'avenir de l'humanité.

L'une des difficultés majeures auxquelles sont confrontées la plupart de ces théories du développement compétitif au sujet des réussites chinoises réside en ce qu'elles n'expliquent pas pourquoi cette réussite s'est produite dans une telle variété de systèmes gouvernementaux et d'emplacements géographiques tous différents entre eux.

CiterLes racines probables de cette réussite chinoise à grande échelle n'ont fait l'objet que de peu d'exploration détaillée dans les grands médiaux occidentaux contemporains, qui ont tendance à détourner les yeux plutôt que d'examiner les traits particuliers des groupes ethniques ou des nationalités, contrairement à leurs systèmes institutionnels ou à leurs formes de gouvernement. Pourtant, bien que ces derniers éléments jouent évidemment un rôle central — la Chine maoïste a nettement moins bien réussi que la Chine de Deng Ziaoping — il est utile de noter que les exemples de réussite chinoise cités ci-avant s'étalent sur une grande diversité de systèmes socio-économiques et politiques.

Durant des décennies, Hong-Kong a joui de l'un des régimes économiques les plus portés sur le libre marché, quasiment anarcho-libertariens ; durant cette même période, Singapour a été gouvernée par la main de fer de Lee Kuan Yew et de son Parti d'Action Populaire, socialiste, qui a établi un État à parti unique doté d'un vaste degré de dirigisme et de contrôle gouvernementaux. Pourtant, ces deux populations étaient constituées de manière écrasante de Chinois, et elles ont toutes deux connu un développement économique rapide, partant d'un état de dénuement d'après-guerre et de taudis grouillant de réfugiés pour parvenir en 50 ans à figurer parmi les endroits les plus riches au monde. Et Taïwan, dont la population chinoise bien plus conséquente a suivi un modèle de développement intermédiaire, a joui d'une réussite économique similaire.

En dépit d'un long héritage de discrimination raciale et de mauvais traitements, les petites communautés chinoises établies aux États-Unis ont également prospéré et progressé, alors même que leur nombre connaissait une forte croissance, conforme à l'Immigration Act de 1965. Au cours des dernières années, une fraction remarquable des étudiants les mieux notés des États-Unis — que l'on en juge selon le critère objectif des lauréats des Olympiades mathématiques ou du concours Intel Science, ou par les taux d'admission relativement plus subjectifs pratiqués par les universités d'élite du pays — sont d'ascendance chinoise. Les résultats sont tout à fait frappants en termes quantitatifs : bien qu'1% à peine des diplômés des lycées étasuniens soient d'origine ethnique chinoise, une analyse des noms de famille indique qu'ils comprennent presque 15% des étudiants les mieux notés, un taux de réussite plus de quatre fois supérieur à celui des Juifs étasuniens, le groupe d'ascendance blanche le plus élevé.[3]

Les Chinois semblent très bien s'en sortir partout dans le monde, sur une vaste gamme de paysages économiques et culturels.

Contrairement à leurs héritiers contemporains, les penseurs occidentaux de premier plan du passé expliquaient généralement la réussite chinoise par les traits innés du peuple chinois, qui ont été façonnés par un environnement très difficile.

CiterLa vie intellectuelle d'il y a un siècle était très différente de celle que nous connaissons aujourd'hui, et était marquée par des doctrines et des tabous contraires, et l'esprit de cette époque influençait certainement ses personnalités intellectuelles. Le racialisme — la notion selon laquelle les différents peuples tendent à présenter des traits innés différents, largement façonnés par leurs histoires particulières — était dominant à l'époque, si bien que cette notion était appliquée presque universellement, parfois avec rudesse, aussi bien aux populations européennes que non-européennes.


Concernant les Chinois, l'opinion générale était qu'un grand nombre de leurs traits principaux avaient été façonnés par des milliers d'années d'histoire dans une société généralement stable et organisée, possédant une administration politique centralisée, une situation quasiment unique parmi les peuples du monde. En effet, malgré des périodes temporaires de fragmentation politique, l'Empire Romain d'Asie de l'Est n'était jamais tombé, si bien qu'un interrègne de mille ans de barbarie, d'effondrement économique et d'obscurantisme technologique avait été évité.

Sur un côté moins heureux, l'énorme croissance de la population des siècles récents avait peu à peu rattrapé et dépassé un système agricole chinois exceptionnellement efficace, ce qui avait réduit le niveau de vie de la plupart des Chinois à la limite d'une famine malthusienne ; et l'on estimait que ces pressions et contraintes se reflétaient au sein du peuple chinois. Par exemple, Stoddard écrivit :

CiterMarquée par des âges de dure élimination au sein d'une terre peuplée jusqu'aux limites absolues de la subsistance, la race chinoise est sélectionnée mieux que toute autre pour la survie sous des conditions de stress économique considérable. Chez lui, le Chinois moyen vit littéralement toute sa vie à la portée immédiate de la famine. Il s'ensuit, lorsqu'il est transporté dans l'environnement plus facile d'autres contrées, que le Chinois apporte avec lui une capacité de travail propre à consterner ses concurrents.[6]

Stoddard étaye ces phrases clés par une large sélection de citations détaillées et descriptives en provenance d'observateurs éminents, aussi bien Occidentaux que Chinois. Bien que Ross fît preuve de davantage d'empirisme prudent dans ses observations, et qu'il développât un style moins littéraire, son analyse était tout à fait similaire, et son livre sur les Chinois contenait plus de 40 pages de description de détails sinistres et fascinants de la survie quotidienne, assemblées dans un chapitre au titre évocateur : « La lutte pour l'existence en Chine. »[7]

Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, les considérations idéologiques ont largement éliminé du discours public la notion selon laquelle des siècles de circonstances particulières pouvaient laisser une empreinte indélébile sur un peuple.
 

Méritocratie chinoise, absence de caste, et pauvreté malthusienne

JacquesL

Méritocratie chinoise, absence de caste, et pauvreté malthusienne

J'ai poursuivi en décrivant les traits inhabituels de la société traditionnelle chinoise, qui présente des différences spectaculaires avec la société traditionnelle européenne et avec presque toutes les autres civilisations du monde, et qui est également restée en place durant plus de 1500 ans, ce qui a puissamment façonné ce peuple.

CiterLa société chinoise est notable pour sa stabilité et sa longévité. Depuis l'instauration progressive de l'État administratif impérial, fondé sur la règle du mandarinat durant les dynasties Sui (589-618) et T'ang (618-907), et jusqu'à la révolution communiste de 1948, un seul ensemble de relations sociales et économiques semble avoir maintenu son emprise sur le pays, marqué par une évolution très faible au cours des successions dynastiques et des conquêtes militaires, cependant que celles-ci transformaient de temps à autre la superstructure gouvernementale.
Le remplacement du joug local d'éléments aristocrates par une classe de fonctionnaires méritocrates, mandatés par le gouvernement central et choisis par des examens de sélection, constituait un trait central de ce système. Fondamentalement, la Chine aura éliminé le rôle des seigneurs féodaux héréditaires et la structure qu'ils représentaient 1000 ans avant que les pays d'Europe en fissent autant, et aura substitué un système d'égalité légale pour quasiment l'ensemble de la population vivant sous l'empereur et sa famille.

L'importance sociale des examens de sélection était considérable, et jouait le même rôle pour déterminer l'appartenance à l'élite au pouvoir que les lignées aristocratiques de la noblesse européenne dans les temps modernes, et ce système s'est incarné profondément dans la culture populaire. Les grandes maisons nobles de France ou d'Allemagne pouvaient retracer leur lignée jusqu'à des ancêtres élevés sous Charlemagne ou sous Barberousse, après quoi leurs héritiers s'étaient élevés et avaient chu en prestige et en possessions, cependant qu'en Chine, les fières traditions familiales allaient glorifier des générations de lauréats ayant réussi les tests de sélection, ainsi que les importants postes gouvernementaux que cela leur apportait. Alors qu'existait en Europe des récits colorés d'un héroïque jeune homme du peuple rendant quelque service au roi et se voyant par conséquent élevé au rang de chevalier ou de noble, ce type de récit a été confiné à la fiction jusqu'à la Révolution française. Mais en Chine, même les longues lignées d'universitaires avaient invariablement des racines dans la paysannerie ordinaire...

La civilisation chinoise ayant passé la plus grande partie des 1500 dernières années à distribuer ses postes de pouvoir et d'influence nationale par examens de sélection, on a parfois émis l'hypothèse que la capacité à passer des examens s'est ancrée dans le peuple chinois aux niveaux biologique et culturel. S'il est possible qu'un élément de vérité puisse se trouver dans cette assertion, il ne semble guère significatif. Durant les ères en question, la population totale de la Chine se dénombrait déjà largement en dizaines de millions, et a cru de manière incertaine d'une population de quelque 60 millions de personnes en 900 avant J. C. à plus de 400 millions en 1850. Mais au cours des six derniers siècles, le nombre de Chinois s'étant présentés à l'examen impérial le plus élevé et ayant atteint le rang exaltant de chin-shih n'a que rarement dépassé les 100 par an, après le point haut situé à 200 sous la dynastie Sung (960-1279), et même en comptant le rang moins élevé de chu-hen, le total national des lauréats de ces examens ne s'établissait sans doute qu'en une poignée de dizaine de milliers,[12] une petite fraction d'1% de la population générale — totalement éclipsé par le nombre de Chinois vivant de l'artisanat, du commerce, sans parler de la masse écrasante de la paysannerie rurale. L'impact culturel de la direction par une élite sélectionnée par examen était énorme, mais l'impact génétique direct ne pouvait que rester négligeable.

Cette même difficulté de proportions relatives bloque toute tentative d'appliquer à la Chine un modèle d'évolution semblable à celui suggéré de manière convaincante par Gregory Cochran et Henry Harpending pour l'évolution de l'intelligence élevée parmi les Juifs ashkénazes d'Europe.[13] Ce dernier groupe constituait une population limitée, dont la reproduction restée isolée, fortement concentrée dans les métiers et activités financières qui favorisaient fortement les personnes les plus intelligentes, et ce au sein d'une population extérieure ne subissant aucune pression de sélection de ce type. En contraste, il n'existe aucune preuve que les commerçants ou les universitaires chinois à succès ne fussent pas disposés à accepter des pots de vin de la part de la population générale, et un taux raisonnable de mariage mixte pratique à chaque génération aurait largement suffi à dépasser l'impact génétique d'une réussite dans le commerce ou à l'université. Si l'on espère établir le moindre parallèle, même approximatif, au processus que pose Clark en hypothèse pour la Grande-Bretagne, on doit concentrer son attention sur les circonstances de vie de la paysannerie rurale chinoise — dépassant largement les 90% de la population durant tous ces siècles — précisément comme le faisaient généralement les observateurs sus-mentionnés du XIXème siècle.
 
Absence de caste et fluidité de classe

De fait, bien que les auteurs occidentaux tendent à se centrer sur la pauvreté terrible de la Chine bien plus que toute autre chose, la société traditionnelle chinoise possédait certains traits inhabituels, voire uniques, qui peuvent avoir contribué à façonner le peuple chinois. Et le plus important d'entre eux était l'absence quasiment totale de caste sociale, et la fluidité extrême de la classe économique.

Le féodalisme prit fin en Chine mille ans avant la Révolution française, et presque tous les Chinois étaient égaux aux yeux de la loi.[14] La « noblesse » — composée des personnes ayant réussi un examen officiel et ayant reçu un diplôme universitaire — possédait certains privilèges et le « bas peuple » — composé des prostituées, des comédiens, des esclaves et de divers autres éléments sociaux dégradés — subissait une discrimination légale. Mais ces deux strates sociales restaient de taille minuscule, et restaient en général cantonnées à moins de 1% de la population générale, alors que le « peuple ordinaire » — constitué de tous les autres, paysannerie y compris — jouissait d'une égalité légale totale.

Pourtant, cette égalité légale était totalement séparée de l'égalité économique, et l'on trouvait des degrés extrêmes de richesse et de pauvreté dans tous les recoins de la société, et ce jusqu'au village le plus petit et le plus homogène. Durant la plus grande partie du XXème siècle, l'analyse de classe marxiste traditionnelle de la vie rurale chinoise divisait la population selon des degrés de richesse et des degrés de revenus d'« exploitation » : les propriétaires, qui obtenaient tout ou partie de leurs revenus par la rente ou en payant des travailleurs ; les paysans riches, moyens et pauvres, groupés par richesse décroissante, et qui passés un certain seuil avaient tendance à louer leurs propres services ; et les travailleurs agricoles, qui possédaient une partie négligeable des terres et obtenaient presque tout leur revenu en se louant à d'autres.

Lorsque les temps se faisaient durs, ces degrés de richesses pouvaient facilement régler la question de la vie ou de la mort, mais chacun acceptait que ces distinctions restaient strictement économiques et qu'elles pouvaient changer : un propriétaire qui perdait ses terres pouvait devenir un paysan pauvre ; un paysan pauvre à qui la fortune souriait pouvait être l'égal d'un propriétaire. Durant sa lutte politique, le parti communiste chinois affirma que les propriétaires et les paysans riches constituaient 10 % environ de la population et possédaient 70 à 80 % des terres, alors que les paysans pauvres et les travailleurs louant leurs services constituaient la majorité écrasante de la population et ne possédaient que 10 à 15 % des terres. Les observateurs neutres ont indiqué que ces affirmations étaient quelque peu exagérées pour des raisons de propagande, mais pas si lointaines de la dure réalité.[15]

La combinaison entre l'égalité totale devant la loi et d'extrêmes inégalités économiques ont nourri l'un des systèmes de libre marché les moins limités de l'histoire, non seulement dans les grandes villes chinoises, mais aussi, chose nettement plus importante, dans ses vastes campagnes, où vivait la quasi-totalité de la population. C'est librement qu'on achetait, vendait, négociait, sous-louait ou que l'on mettait en gage des terres. On prêtait à grande échelle de l'argent et de la nourriture, surtout durant les périodes de famine, et les taux d'intérêt usuriers constituaient la norme, dépassant souvent 10 % par mois en taux composés. Dans les cas extrêmes, on pouvait vendre des enfants ou même son épouse en échange d'argent liquide ou de nourriture. À moins qu'ils fussent aidés par des proches, des paysans sans terre et sans argent mourraient régulièrement de faim. Dans le même temps, l'activité agricole des paysans plus prospère était hautement commercialisée et entrepreneuriale, et les arrangements d'affaires complexes constituaient souvent la norme.[16]

Durant des siècles, un élément central de la vie quotidienne dans la Chine rurale avait résidé dans la densité humaine très élevée, alors que la population du Royaume du Milieu connaissait une croissance, passant de 65 millions de personnes à 430 millions durant les cinq siècles qui précédèrent 1850,[17] ce qui finit par obliger à ce que toutes les terres fussent cultivées avec l'efficacité maximale. Bien que la société chinoise fût quasiment entièrement rurale et agricole, la province de Shandong disposait en 1750 d'une densité de population établie au double de celle des Pays-Bas, la zone la plus urbanisée et a plus densément peuplée d'Europe, alors que durant les premières années de la Révolution Industrielle, la densité de population de l'Angleterre ne s'élevait qu'au cinquième de celle de la province de Jiangsu.[18]

Les méthodes agricoles chinoises avaient toujours été exceptionnellement efficaces, mais au XIXème siècle, la croissance continue de la population chinoise avait fini par atteindre et dépasser la capacité absolue malthusienne du système de production au vu de sa structure technique et économique.[19] La croissance de la population fut largement bloquée par la mortalité (dont une importante mortalité infantile), la fertilité en baisse en raison de la malnutrition, les maladies, et les famines régionales périodiques qui tuèrent en moyenne 5 % de la population.[20] C'est jusqu'à la langue chinoise qui en arriva à intégrer l'aspect central de l'alimentation, car les mots traditionnels pour saluer son prochain signifient « Avez-vous mangé? » et la phrase courante prononcée aux mariages, aux funérailles, ou en d'autres occasions sociales importantes, est de « manger de bonnes choses ».[21]

Les contraintes culturelles et idéologiques de la société chinoise posaient des obstacles majeurs pour répondre à cette calamité humaine sans fin. Bien que les Européens désargentés de cette ère, hommes comme femmes, se mariassent souvent sur le tard, voire pas du tout, le mariage précoce et la famille restaient des piliers centraux de la vie en Chine, et le sage Mencius affirmait que ne pas avoir de descendance constituait la pire des actions vis-à-vis de ses ascendants ; de fait, le mariage et l'arrivée rapide d'enfants constituaient la marque de l'âge adulte. En outre, seuls les héritiers mâles pouvaient faire perdurer le nom de la famille et assurer que les ascendants continueraient de recevoir le respect rituel au fil des générations, et il fallait avoir plusieurs fils pour se protéger des caprices du sort. À un niveau plus pratique, les filles mariées devenaient membre de la maison de leur époux, et seuls les fils pouvaient remplir leurs obligations lorsqu'on atteignait un certain âge.

Presque toutes les sociétés paysannes sanctifient la loyauté filiale, le mariage, la famille et les enfants, et considèrent les fils comme d'un niveau plus élevé que les filles, mais en Chine traditionnelle, ces tendances semblent avoir été particulièrement fortes, et avoir représenté un objectif et un aspect central de toute la vie quotidienne au-delà de la simple survie. Étant donné la terrible pauvreté, des choix cruels étaient souvent pratiqués, et l'infanticide des filles, y compris par négligence, constituait le moyen principal de contrôle de naissance parmi les pauvres, ce qui amena à un déficit de 10 à 15 % au sein de la population féminine en âge de se marier. La compétition reproductive parmi les femmes qui restaient était dont féroce, et presque toutes les femmes se mariaient, le plus souvent avant d'avoir atteint la vingtaine. Le résultat inévitable fut l'augmentation importante et continue de la population totale, sauf lorsque les formes variées de mortalité accrue faisaient apparition.
 

Une mobilité remarquable vers le haut, mais une mobilité implacable vers le bas

CiterUne large majorité de Chinois était peut-être constituée de paysans pauvres, mais pour qui était capable et à qui la chance souriait, les possibilités de mobilité ascendante étaient tout à fait remarquables au sein de cette société sans classe. La strate riche de chaque village possédait les richesses propres à assurer à leurs enfants les plus capables une éducation classique, dans l'espoir de les préparer à une suite d'examens officiels. Si le fils d'un riche paysan ou d'un petit propriétaire se montrait assez diligent et intellectuellement capable, il avait des chances de réussir un examen et d'obtenir un diplôme officiel, ce qui ouvrait des opportunités énormes de pouvoir politique et de richesses.

Il existe des statistiques pour les dynasties Ming (1368-1644) et Ch'ing (1644-1911) concernant les origines sociales de la classe chin-shih, le rang le plus élevé des dirigeants, et ces statistiques démontrent un taux de mobilité ascendante quasiment sans équivalent dans toute société occidentale, qu'elle fût moderne ou pré-moderne. Plus de 30 % de ces détenteurs de diplômes d'élite provenaient de familles ordinaires qui durant trois générations n'avaient porté personne à un rang de haut dirigeant, et selon les données des siècles précédents, cette fraction d'« hommes nouveaux » atteignait un point haut de 84 %. Ces nombreux dépassent largement les chiffres équivalents pour l'Université de Cambridge durant tous les siècles écoulés depuis sa fondation, et apparaîtraient également comme remarquables en comparaison de ceux des universités d'élite des États-Unis, contemporains ou passés. Dans le même temps, la mobilité sociale descendante était également courante, même au sein des familles les plus élevées. Une statistique le résume : au cours des six siècles écoulés durant ces deux dynasties, moins de 6% des élites dirigeantes chinoises provenaient des élites dirigeantes de la génération précédente.[22]

Le principe philosophique fondateur du monde occidental contemporain est l'« Égalité de l'Homme, » alors que le principe fondateur de la Chine confucianiste était la croyance totalement opposée, en l'inégalité intrinsèque entre hommes. Pourtant, dans les faits, cette deuxième société semblait mieux répondre aux objectifs idéologiques de la première. Les États-Unis en expansion peuvent avoir eu leur mythe de présidents nés dans des cabanes en rondins de bois, mais durant des siècles et des siècles, une fraction substantielle des mandarins au pouvoir dans l'Empire du Milieu provenait réellement de rizières rurales, un état de choses qui aurait été quasiment inimaginable dans tout pays européen jusqu'à l'âge de la Révolution, et même longtemps après.

Ce potentiel d'escalade jusqu'à l'élite chinoise au pouvoir était remarquable, mais un facteur nettement plus important au sein de la société résidait dans la possibilité ouverte à un avancement économique local pour le paysan qui se montrait assez entreprenant et diligent. Chose ironique, une description parfaite de cette mobilité ascendante a été fournie par Mao Tse Tong, le dirigeant communiste révolutionnaire, qui a raconté la manière dont son père s'était élevé du statut de paysan pauvre sans terre à celui de riche paysan...

Le récit livré par Mao n'apporte aucune indication qu'il considérât l'ascension de sa famille comme extraordinaire ; son père s'en était évidemment bien sorti, mais il existait sans doute de nombreuses autres familles dans le village de Mao qui avaient également fortement amélioré leurs conditions de vie en l'espace d'une seule génération. Ces opportunités de mobilité sociale rapide auraient été quasiment impossibles au sein de toute société féodale, ou composée de classes, sur la même période, fût-ce en Europe ou dans la plupart des autres régions du monde.

Mais le revers de la médaille de cette possibilité d'ascension sociale pour les paysans était la probabilité nettement plus importante d'une mobilité vers le bas, qui était énorme, et constitua sans doute le facteur le plus significatif à avoir façonné le peuple chinois moderne. À chaque génération, quelques individus chanceux ou capables pouvaient s'élever, mais une vaste multitude tombait systématiquement, et ces familles proches du bas disparaissaient purement et simplement du monde. La Chine rurale traditionnelle était une société confrontée à la réalité d'une mobilité vers le bas énorme et inexorable : durant des siècles, presque tous les Chinois ont fini leur vie nettement plus pauvres que l'avaient été leurs parents.

Cette mobilité vers le bas a été documentée il y a un quart de siècle par l'historien Edwin E. Moise,[24] dont l'important article sur le sujet a reçu beaucoup moins d'attention qu'il ne le méritait, peut-être parce que le climat intellectuel de la fin des années 1970 empêchait les lecteurs d'en tirer les implications évidentes en matière d'évolution.

À de nombreux égards, l'analyse démographique de la Chine proposée par Moise anticipait étrangement celle de Clark sur l'Angleterre ; il indique ainsi que seules les familles les plus riches d'un village chinois pouvaient financer les coûts associés à l'obtention d'une épouse pour leurs fils, avec un infanticide des petites filles et d'autres facteurs qui portaient à 15 % le déficit de population féminine. Ainsi, la strate la plus pauvre du village ne pouvait le plus souvent pas se reproduire du tout, cependant que la pauvreté et la malnutrition tendaient également à faire baisser la fertilité et à faire monter la mortalité infantile pour quiconque suivait une trajectoire descendante sur le gradient économique. Dans le même temps, les villageois les plus riches pouvaient parfois s'offrir plusieurs femmes ou concubines, et il n'était pas rare qu'ils produisent une descendance nettement plus nombreuse à survivre. À chaque génération, les plus pauvres disparaissaient, les moins fortunés ne parvenaient pas à maintenir leur nombre, et tous les barreaux du bas de l'échelle économique se faisaient repeupler par les enfants des riches féconds qui prenaient à leur tour une trajectoire descendante.

Cette réalité fondamentale de l'existence rurale en Chine était évidemment bien connue des paysans qui la vivaient et des observateurs extérieurs, car il existe une quantité énorme d'éléments anecdotiques qui décrivent la situation ; certains ont été rassemblés par Moise, mais on peut en trouver ailleurs, illustrés par quelques exemples...

En outre, les forces de la mobilité descendante au sein de la société rurale chinoise étaient fortement accentuées par le fenjia, le système d'héritage traditionnel, qui exige une division de la propriété à parts égales entre tous les fils, en contraste marqué avec les pratiques de primogéniture communément constatées dans les pays d'Europe.

Si la plus grande partie ou la totalité de la propriété du père revient au fils aîné, la survie à long terme d'une famille paysanne raisonnablement fortunée était assurée, sauf si l'héritier principal faisait n'importe quoi ou se trouvait confronté à une situation particulièrement mauvaise. Mais en Chine, les pressions culturelles forçaient l'homme riche à faire de son mieux pour maximiser le nombre de ses fils survivants, et au sein de la strate la plus riche d'un village, il n'était pas rare pour un homme de laisser derrière lui des héritiers mâles au nombre de deux, trois ou plus, chacun luttant pour obtenir son indépendance économique sur la base d'une fraction de la richesse de son père. À moins d'y parvenir en augmentant substantiellement leur héritage, les fils d'un riche propriétaire terrien particulièrement fécond pouvaient être relégués au rang de paysans moyens — et ses petits fils à celui de paysans pauvres et affamés.[29] Les familles dont le statut élevé dérivait de circonstances exceptionnelles et fortuites ou d'un avantage éphémère qui n'était pas profondément enraciné dans leur comportement ne connaissaient donc qu'une réussite économique passagère, et la pauvreté finissait par éliminer leurs descendants du village.

Les membres d'une famille qui connaissait la réussite ne pouvaient maintenir leur position économique dans la durée que si, à chaque génération, ils parvenaient à tirer de la terre et du voisinage d'importantes richesses additionnelles en faisant preuve de beaucoup d'intelligence, d'un sens aigu des affaires, d'un travail acharné, et de beaucoup d'application. Les mauvais calculs ou un travail insuffisant avaient pour peine l'extinction personnelle ou reproductive. Comme l'a décrit graphiquement l'observateur étasunien William Hinton :
CiterSécurité, confort relatif, influence, position sociale et loisirs se maintenaient au milieu d'un océan de pauvreté et de faim les plus sombres et effrayantes — une pauvreté et une faim qui menaçaient à tout moment d'engloutir toute famille dont la vigilance faiblissait, prenait en pitié des voisins pauvres, ne parvenait pas à extraire jusqu'au dernier centime son dû, capital et intérêts, ou arrêtait l'espace d'un moment l'accumulation incessante de grain et d'argent. Quiconque ne s'élevait pas connaissait la descente, et quiconque connaissait la descente cheminait bien souvent vers la mort, ou à tout le moins la dissolution et la dispersion de sa famille.[30]

Mais lorsque les circonstances étaient favorables, une famille qui avait le sens des affaires pouvait croître de génération en génération jusqu'à compresser ses voisins moins compétitifs, et sa descendance pouvait finir par constituer la quasi-totalité de la population d'un village. Par exemple, un siècle après l'arrivée de deux frères pauvres de la famille Yang dans une région pour travailler dans une ferme, leurs descendants constituaient un clan de 80 à 90 familles au sein d'un village, et la population totale du village voisin.[31] Dans un village de Guangdong, une famille de marchands du nom de Huang s'installa et acheta des terres, connut une croissance en nombre et en propriétés terriennes au fil des siècles, au point que ses descendants remplacèrent la plus grande partie des autres familles, qui s'appauvrirent et finirent par disparaître, alors que les Huang finissaient par constituer 74 % de la population locale en un mélange complet de riches, de membres de la classe moyenne et de pauvres.[32]
 
Les implications pour le peuple chinois, et pour l'idéologie étasunienne

À de nombreux égards, la société chinoise dépeinte par nos sources historiques et sociologiques ressemblait à un exemple quasiment parfait du type d'environnement local dont il fallait s'attendre à ce qu'il imprimât profondément sa marque sur les traits de ses habitants. Avant même le début de ce rude processus de développement, la Chine avait constitué durant des millénaires l'une des civilisations les plus avancées économiquement et technologiquement au monde. Le système socio-économique établi depuis la fin du sixième siècle avant J-C restait très stable et ne connut pratiquement aucun changement durant plus d'un millénaire, avec une société ordonnée et respectueuse des lois, qui favorisait qui suivait ses règles et expulsait sans pitié le fauteur de troubles. Durant des siècles, la charge de la surpopulation établit une pression économique énorme sur chaque famille pour sa simple survie, alors qu'une puissante tradition culturelle insistait sur la production d'une descendance, principalement des fils, comme objectif principal d'une vie, même si le résultat pouvait déboucher sur l'appauvrissement de la génération suivante. L'efficacité agricole était remarquablement élevée, mais exigeait de grands efforts et une grande diligence, cependant que les complexités des décisions économiques — comment gérer ses terres, le choix des variétés, les décisions d'investissements — étaient beaucoup importantes que celles que connaissait le simple serf que l'on trouvait dans la plupart des autres régions du monde ; et les récompenses ou les punitions du sort étaient extrêmes, que l'on connût la réussite ou l'échec. La taille et l'unité de la population chinoise étaient propres à faciliter l'apparition et la propagation rapide d'innovations utiles, y compris au niveau purement biologique.[33]

Il est important de comprendre qu'en dépit de l'aspect critique de la capacité à gérer ses affaires correctement sur le long terme pour la réussite à long terme d'une lignée de paysans chinois, les contraintes générales étaient extrêmement différentes de celles qui purent affecter les classes mercantiles comme les Juifs ashkénazes d'Europe de l'Est ou les Parsi en Inde. Ces groupes occupaient des niches économiques très spécialisées au sein desquelles une forte affinité avec les chiffres ou un sens impitoyable des affaires pouvait suffire à s'attirer réussite personnelle et prospérité. Mais dans le monde des villages ruraux chinois, même les éléments les plus riches passaient en général la plus grande partie de leur vie à se casser le dos au travail, œuvrant aux côtés de leur famille et de leurs employés dans les champs et les rizières. Les paysans connaissant la réussite pouvaient bénéficier d'un bon intellect, mais avaient également besoin d'être aptes aux dures tâches manuelles, de détermination, de diligence, et même de traits purement physiques, comme la résistance aux blessures et l'efficacité du système digestif. Au vu des multiples pressions et contraintes de sélection, on s'attendrait à voir émerger la prévalence d'un seul de ces traits beaucoup plus lentement que s'il suffisait à lui seul à assurer la réussite, et les siècles de sélection continue ainsi pratiquée en Chine au sein de la population mondiale plus vaste auraient constitué la durée nécessaire à obtenir un résultat substantiel.[34]

L'impact de forces de sélection aussi puissantes se manifeste évidemment à des niveaux multiples, et le logiciel culturel est nettement plus flexible et réactif que toute autre modification graduelle des tendances innées, si bien que pratiquer une distinction entre les conséquences de ces deux mécanismes et une tâche qui n'a rien de facile. Mais il semble tout à fait improbable qu'aucune évolution humaine biologique ne se soit produite au cours d'un millénaire ou plus d'exercice de pressions constantes, et se contenter d'ignorer ou de rejeter une possibilité aussi importante ne serait pas raisonnable. Il semble pourtant que tel ait été la tendance dominante dans le monde intellectuel occidental au cours des deux ou trois dernières générations.

La meilleure manière de reconnaître ses propres biais idéologiques est parfois d'examiner soigneusement les idées et les perspectives d'esprits étrangers qui ne partagent pas ces biais, et dans le cas de la société occidentale, ces esprits semblent comprendre ceux de nos plus grandes personnalités intellectuelles d'il y a 80 ou 90 ans, dont les productions redeviennent de nos jours disponibles par la magie de l'Internet. À certains égards, ces personnalités pouvaient développer une pensée naïve ou traiter certaines idées de manière brutale, mais dans de nombreux autres cas, leurs analyses étaient remarquablement précises et restent scientifiquement instructives, car elles fonctionnent souvent comme correctif précieux pour les vérités supposées des temps présents. Et sur certains sujets, notablement la prédiction de la trajectoire économique du plus vaste pays du monde, ils semblent avoir anticipé des développements que presque aucun de leurs successeurs du dernier demi-siècle n'aura jamais imaginé. Cela devrait manifestement nous donner de quoi penser.
 

Quand la Chine a pris du retard sur l'Occident, et pourquoi

On ne trouve pas le premier mot évoquant ces idées biologiques simples mais potentiellement importantes dans les 500 pages de l'ouvrage produit par Acemoglu et Robinson, pas plus que dans l'article Wikipédia de 6000 mots qui y est associé. Et ces auteurs distingués ne constituent pas du tout un cas à part pour ce qui concerne ce gigantesque angle mort idéologique.

L'un des éloges publicitaires concernant leur best-seller a été produite par le professeur Ian Morris, de l'Université de Stanford, qui a publié en 2010 son propre best-seller, Pourquoi l'Occident mène la barque — pour le moment. Je me suis souvenu que cet ouvrage avait fait l'objet d'une couverture favorable dans mes journaux au moment de sa parution, et lorsque je suis tombé sur un exemplaire lors d'une promotion il y a quelques mois, je l'ai acheté pour 3 dollars et l'ai lu quelques semaines plus tard.



Ce gros ouvrage s'étale sur plus de 750 pages et compare et met en contraste la croissance historique et le développement de la Chine avec ceux de l'Occident sur les quelques millénaires passés, un sujet qui est très intéressant à mes yeux. Les critiques et éloges de couverture semblaient extrêmement positifs, l'ouvrage étant classé Meilleur livre de l'année par The Economist, et les plus hauts honneurs lui ont été décernés par le New York Times. Je suis d'accord avec ces appréciations, car la profondeur et la qualité de l'analyse produite par l'auteur sont impressionnantes, et cela m'a amené à lire et relire divers autres livres sur des sujets très proches.



À la fin des années 1970, j'avais lu pour la première fois The Pattern of the Chinese Past, écrit par Mark Elvin, l'historien économique, un ouvrage classique de 1973 publié par la Stanford University Press sous les louanges de The Economist et d'autres publications. Il était largement reconnu que la Chine avait été nettement plus avancée que l'Occident durant une grande partie des deux dernières millénaires, exactement comme notoirement décrit par Marco Polo à la fin du XIIIème siècle, mais Alvin poursuivait en arguant de manière convaincante que cette supériorité s'était même étendue jusqu'au début des temps modernes. J'avais toujours considéré la Révolution étasunienne de 1776 et la Révolution française de 1789 comme des événements majeurs de notre propre passé relativement récent, mais des éléments importants existaient indiquant qu'alors même que les héritiers emperruqués des Lumières citaient John Locke et Adam Smith, à de nombreux égards, la société chinoise tournée vers l'intérieur, et gouvernée par des mandarins à queue de cochon était restée plus riche et plus avancée que la société britannique ou celle des États-Unis.

Durant des siècles, et jusqu'à Stoddard pendant les années 1920, les penseurs occidentaux de premier plan admettaient que les trois grandes inventions séparant le monde moderne dans lequel ils vivaient de celui de l'antiquité classique — la presse d'imprimerie, la poudre à canon et la boussole — provenaient toutes de Chine. Bien que ces inventions — dont le papier est souvent considéré comme la quatrième — fussent les plus importantes, le catalogue complet des innovations technologiques chinoises était absolument énorme. À partir des années 1930, Joseph Needham, l'un des scientifiques britanniques les plus réputés, se fascina de plus en plus pour la Chine, et consacra la plus grande partie de sa très longue existence à cataloguer les innovations technologiques chinoises dans une suite très exhaustive appelée Science and Civilization in China, qui comprend plus d'une bonne vingtaine de volumes. Le récit personnel de Needham est intéressant, et a été relaté dans The Man Who Loved China, un ouvrage paru en 2008 sous la plume de Simon Winchester, un journaliste britannique primé.



Je doute que quiconque, en dehors des spécialistes universitaires, se soit jamais frotté au produit colossal du labeur de Needham étalé sur toute une vie, mais heureusement, Robert Temple a produit en 1986 The Genius of China, une distillation populaire en un seul volume de cette longue suite, à laquelle Needham en personne a apporté la brève introduction, et j'ai lu ce livre l'an dernier. L'ouvrage est très illustré, et ressemble presque à un livre du style table à café, mais son contenu est très impressionnant, et couvre de nombreux pans des sciences, de la technologie et des techniques d'ingénierie, tous tirés du grand opus de Needham, qui s'étale sur un volume cinquante fois plus important environ.

Un coup d'œil sur la quatrième de couverture m'a rappelé certains points mis en avant dans la distillation produite par Temple. Tous nos manuels scientifiques indiquent que la circulation du sang a été découverte par William Harvey au XVIIème siècle, mais les Chinois avaient déjà développé une théorie sur les mêmes lignes plus de 2000 ans auparavant. Durant la Renaissance, Leonard de Vinci avait esquissé l'idée de parachute, mais les Chinois en avaient déjà inventé un plus de 1500 ans auparavant, et en faisaient déjà usage. Le papier monnaie a été inventé par les Chinois au IXème siècle, mais l'inflation et la contrefaçon qui en ont découlé les ont amenés à en abandonner l'utilisation quelques siècles plus tard.

Avec deux millénaires d'innovations technologiques chinoises majeures, la question d'importance était de savoir pourquoi la Chine avait fini par caler et se laisser dépasser, et la thèse d'Elvin est que le pays est tombé dans ce qu'il désigne comme « un piège d'équilibre de haut niveau ». L'agriculture chinoise était énormément productive, bien plus que son homologue européenne, et cet avantage se maintint même durant les temps modernes, les fermiers chinois du XIXème siècle produisant encore trois plus à l'hectare que leurs homologues britanniques, français, ou vivant dans d'autres pays européens de premier plan. Mais la population chinoise avait connu une croissance si rapide qu'en plusieurs occasions, elle atteignit la limite malthusienne de cette énorme production agricole, avec une densité de la population rurale nettement supérieure à celle des pays les plus hautement urbanisés d'Europe, comme la Hollande. Par conséquent, avec une population tellement élevée vis-à-vis de sa production alimentaire, le surplus de production disponible à l'investissement, sans parler de l'innovation risquée, avait connu une disparition de plus en plus marquée. Pour des raisons semblables, le type de technologie permettant d'économiser du travail qui finit par porter la révolution industrielle européenne était économiquement non viable en Chine, et c'est ce type de facteurs qui constitua le « piège » dans lequel la société chinoise était tombée.

En 2000, le professeur Kenneth Pomeranz, de l'UC Irvine, a publié The Great Divergence, qui étend et approfondit considérablement l'analyse d'Elvin sur l'histoire économique de la Chine, et la compare à celle de l'Occident. J'ai lu ce livre pour la première fois il y a une dizaine d'années, et il m'est apparu comme l'un des ouvrages d'histoire économique les plus détaillés et les plus impressionnants que j'aie jamais eu à lire, et je pense qu'il mérite absolument les éloges éclatants et les nombreux prix universitaires qu'il s'est attirés, et je ne suis pas revenu sur mon opinion en le relisant récemment.


À de nombreux égards, Pomeranz commence son analyse au point où Elvin avait arrêté la sienne plus d'une génération plus tôt, se concentrant sur les facteurs qui ont pu bloquer une Révolution Industrielle en Chine, mais qui ont permis à la Grande-Bretagne d'accomplir cette percée. Il note que la Chine était dans les grandes lignes comparable à l'ensemble de l'Europe de par sa taille géographique et sa population, alors que des vastes portions de l'Europe du Sud et de l'Est restaient des domaines vastes et sous-développés, ce qui tirait vers le bas les moyennes économiques à l'échelle du continent. Les provinces chinoises individuelles étaient souvent similaires à des pays européens entiers par leur taille et leur population, et en comparant ce qui peut l'être, la Chine s'en sortait très bien, avec ses provinces les plus avancées économiquement, comme celles du Delta de Yangzi qui était aussi productive que la Grande-Bretagne le fut à l'aube de sa propre industrialisation.

Le focus central de son ouvrage était donc opposé au récit habituel. Au lieu de se demander pourquoi la Chine avait échoué à s'industrialiser, Pomeranz soulève la question de savoir quels facteurs avaient permis à la Grande-Bretagne d'éviter ce piège économique.

Il affirme que l'un des facteurs les plus cruciaux fut totalement fortuit. La Grande-Bretagne disposait de vastes ressources en charbon, relativement proches de ses principaux centres de population et d'industrie, et qui pouvaient donc être extraites de manière rentable pour assurer le chauffage et la production d'énergie qui auraient sans cela nécessité une utilisation bien plus importante de bois. Il indique que les approvisionnements en bois s'épuisaient rapidement, les forêts locales se réduisant rapidement, et que sans ces réserves proches de charbon, les premiers stades de l'industrialisation seraient rapidement devenus impossibles. Dans le même temps, les réserves de charbon dont disposait la Chine était très éloignées des principaux centres de population et industries du pays, et ne pouvaient pas être exploitées de manière similaire pour des raisons de rentabilité.

Voici un autre facteur encore plus intéressant. Durant les quelques siècles ayant précédés son industrialisation, la Grande-Bretagne était devenue la principale puissance coloniale d'Europe, et avait acquis de vastes empires de territoires en Amérique du Nord et ailleurs, et il se pourrait que la position de tête prise par la Grande-Bretagne dans la poussée à l'industrialisation européenne n'ait pas constitué un pur hasard. Pomeranz indique le fait important que ces colonies apportaient à la Grande-Bretagne des « hectares fantômes », qui firent énormément augmenter la taille des terres exploitables pour la production de nourriture et de cultures très rentables comme le tabac, le sucre ou le café. Ces dernières cultures devinrent rapidement des produits de base vendus à un bon prix, très demandé par le travailleur britannique moyen, et qui furent donc introduits dans l'économie monétaire. Si on examine l'ensemble des possessions de la Grande-Bretagne, les vastes terres coloniales sous son contrôle réduisirent fortement la densité de population moyenne de l'Empire britannique, et constituèrent également un marché ouvert pour les biens produits durant les premiers stades de l'industrialisation, ce qui rendit ce processus nettement plus viable économiquement. Il s'agit d'une version intéressante et nettement plus sophistiquée que l'affirmation gauchiste habituelle selon laquelle le développement européen a fortement bénéficié de son colonialisme, et je pense que Pomeranz marque ici un point d'importance.

Certaines des statistiques qu'il cite sont des plus surprenantes et remarquables. Par exemple, les cultures sucrières produites dans les colonies de plantations des Caraïbes, établies par l'Empire britannique, étaient exceptionnellement rentables à l'hectare, car elles présentaient un rendement calorique supérieur de l'ordre de dix fois supérieur aux cultures traditionnelles britanniques, si bien qu'à la fin du XIXème siècle, c'est 20 % de l'ensemble des calories consommées par le travailleur britannique qui provenaient du sucre, un pourcentage stupéfiant. En outre, il affirme que l'introduction à grande échelle du tabac, du café, et du thé — dites « cultures de drogue » — fut très utile pour rassasier, stimuler et motiver la main d'œuvre durant les débuts de l'industrialisation, dont la routine quotidienne était très différente de celle qu'avaient connue les générations précédentes, travaillant leur propre terre, ce qui suggère que le sucre et le chocolat auraient également pu être placés dans la même catégorie. Ainsi, sans ces colonies britanniques et les cultures uniques qu'elles produisaient, la poussée du pays vers l'industrialisation aurait été difficile et peu probable. J'ai trouvé très impressionnante la nature exceptionnellement détaillée des statistiques quantitatives apportées par l'auteur concernant l'utilisation des terres, les schémas de consommation, et les contenus caloriques.

En des circonstances historiques différentes, la Chine aurait pu bénéficier de la même manière de ces deux facteurs centraux qui ont contribué au début de l'industrialisation. une Chine moins centrée sur elle-même aurait pu coloniser et exploiter les terres tropicales proches de l'Asie du Sud-Est, comme la Malaisie et l'Indonésie, pour produire les mêmes cultures de plantations rentables que le fit l'Empire britannique sur le tard. De manière plus évidente encore, au cours des siècles précédents, les portions de Chine les plus densément peuplées, prêtes pour un début d'industrialisation, étaient les provinces du Nord-Est, comme le Henan, située aux abords des réserves de charbon qu'elles auraient pu utiliser. Mais ces provinces furent dévastées et fortement dépeuplées par la conquête mongole du XIIIème siècle, et bien qu'elles s'en soient remises en partie, elles restèrent jusqu'au XVIIIème siècle fortement éclipsées par les provinces du Sud comme le Guangdong. Au vu du nombre énorme d'innovations technologiques chinoises développées sous la dynastie Song avant l'an 1300, l'utilisation du charbon, et l'emplacement du bassin principal des centres de population, une révolution industrielle chinoise aurait pu être plus facile à imaginer durant les années 1100 que durant les six ou sept siècles qui ont suivi.

L'analyse comparative d'Ian Morris et ses angles morts idéologiques

JacquesL

L'analyse comparative d'Ian Morris et ses angles morts idéologiques

L'Occident a largement pris de l'avance sur la Chine au cours des deux derniers siècles, les livres d'Elvin et Pomeranz ainsi que les importantes recherches technologiques menées par Needham m'ont convaincu qu'il ne s'agissait que d'une anomalie historique temporaire, et que la Chine avait traditionnellement toujours fait la course en tête. Pourtant, chose très intéressante, l'ouvrage de 2010 produit par Morris qui m'avait au départ amené à réévaluer le sujet du développement chinois, affirmait que sur un horizon temporel bien plus long, il n'en était rien.

Morris affirme que durant des millénaires, les deux pôles de l'humanité les plus avancés avaient été notre propre civilisation occidentale et celle située en Chine, situées à deux confins opposés de la masse terrestre d'Eurasie, et que ces deux pôles étaient le plus souvent très en avance en termes de développement sur le sous-continent Indien ou dans les sociétés du Nouveau Monde comme les Mayas, les Aztèques ou les Incas. Cependant, il définit ce qu'il désigne comme « Occident » de manière très large, y intégrant non seulement l'Europe, mais également les sociétés du monde méditerranéen comme l'Égypte et l'Afrique du Nord, et même la Mésopotamie et le reste du Proche-Orient. Cela semblait plutôt raisonnable, étant donné qu'une grande partie de la civilisation européenne avait été fondée sur celle des mondes romain et grec, qui étaient centrés sur la Méditerranée, et que ces sociétés avaient en leur temps tiré leurs propres racines de des sociétés passées de Mésopotamie, d'Égypte et du Levant. Pour cette raison en partie, Morris préfère parfois les termes plus neutres de « noyau occidental » et de « noyau oriental » de la masse terrestre d'Eurasie, cette dernière étant fortement centrée sur la Chine, mais comprenant également le Japon, la Corée et l'Indochine.

Ainsi, au moment où le centre de pointe de la civilisation chinoise passait peu à peu au cours des siècles d'une partie à l'autre de son vaste territoire, celui de « l'Occident » faisait la même chose, bien qu'évidemment, le fossé culturel entre les premières sociétés de Sumer et d'Égypte et les dernières en Grande-Bretagne et en Allemagne était nettement plus large.

Selon la définition étendue de Morris pour « l'Occident », il établit une thèse solide selon laquelle, durant une grande partie des derniers millénaires, notre propre civilisation — y compris le Proche-Orient — fut relativement plus avancée que celle de la Chine selon une vaste gamme constituée de divers métriques.

Prenons par exemple le sujet simple des premières domestications, le développement de l'agriculture qui permis à l'humanité de s'élever à partir de son expérience passée de chasseur cueilleur. Cela a commencé vers 9500 avant J-C. en Occident et 7500 avant J-C. en Orient, ce qui a accordé à l'Occident une avance civilisationnelle de 2000 ans environ.

Ce n'est pas aisé de comparer objectivement le développement relatif de plusieurs civilisations sur une histoire multi-millénaire, mais Morris propose un ensemble de métriques simples et robustes qui m'apparaissent plausibles et qui devraient permettent à tout le moins d'établir une estimation brute. Ces métriques comprennent : (1) la capture de l'énergie ; (2) l'urbanisation ; (3) le traitement de l'information ; et (4) la puissance militaire. Toutes les métriques reflètent un développement technologique,  Je trouve l'analyse comparée des histoires du développement de la Chine et de l'Occident intéressante et valable. Mais son ouvrage révèle aussi par inadvertance certains des aspects centraux de la vie intellectuelle contemporaine, et je considère ces éclairages comme tout aussi importants.

Un titre agressif et provocateur constitue un excellent moyen pour un ouvrage universitaire d'attirer l'attention et de faire des ventes, et dans l'ère que nous vivons, « Pourquoi l'Occident Mène la Barque » relève tout à fait de cette catégorie, nonobstant la décharge qui lui est apportée par le « Pour le moment ». En outre, ce titre était sans doute exact au moment où le livre est paru en 2010, et le cadre quantitatif établi par l'auteur suggère que l'Occident resta en avant par rapport à la Chine et l'Orient durant l'ensemble des derniers 15 000 ans, ce qui renforce les implications de ce titre.

Mais Morris était membre de longue date du personnel enseignant de l'Université de Stanford, une institution académique connue comme berceau de l'hostilité « politiquement correcte » envers les idées perçues comme euro-centriques, sans parler des idées laissant percer un soupçon de racialisme. Il existait donc un risque évident que présenter ses conclusions importantes sous cette forme pouvait déboucher sur un affrontement idéologique, ce qui aurait perturbé son existence studieuse. Je n'ai donc guère été surpris de remarquer que ses 750 pages de texte soient lourdement constellés de décharges anti-racialistes répétées, que l'on trouve au moins à six emplacements différents du livre. Celles qui m'ont sauté aux yeux se trouvent aux pages 70, 117, 474, 559, 570 et 595 de mon édition de poche.

La première de ces décharges voit Morris saisir le taureau par les cornes, et déclarer que durant « l'apogée de ce qu'on appelle le racisme scientifique des années 1930, certains anthropologues physiques insistaient sur l'idée que le peuple chinois moderne était plus primitif que les Européens » parce que les premiers avaient des ancêtres homo erectus — « des hommes-singes primitifs » — au lieu des « Néanderthalien s plus avancés » qui permirent l'ascension des Européens. Morris consacre presque dix pages à réfuter cette hypothèse scientifique multi-régionaliste, pour conclure que « les théories racistes basant l'ascendant occidental sur la biologie n'ont aucun fondement factuel. » Il déclare que « durant plus de cent ans », la notion selon laquelle les Européens avaient toujours été « culturellement supérieurs aux Orientaux » était devenue une croyance répandue, « affirmée avec confiance, » et il réfute lourdement cette affirmation.

Quelques dizaines de pages plus bas, Morris explique que bien que certains puissent penser que « les premiers Occidentaux... ont développé l'agriculture des milliers d'années avant quiconque au monde en raison du fait qu'ils étaient plus intelligents, » ces « théories racistes » étaient « presque certainement fausses ». Il se fonde sur l'analyse géographique opposée produite par l'influent ouvrage Guns, Germs and Steel », écrit par Jared Diamond, pour réfuter cette croyance.

Bien plus bas, il critique de nombreux grands penseurs européens pour avoir entretenu des sentiments semblables. Il note que Carl Linnaenus, le père fondateur de la génétique du XVIIIème siècle, considérait les Chinois comme « un type d'humains différent » et que le philosophe David Hume pensait que « seule la race blanche était capable de réelle civilisation. » Ces croyances erronées avaient longtemps perduré :

CiterAu XIXème siècle et au début du XXème, plein d'Occidentaux pensaient que la biologie constituait la seule réponse à la question de savoir pourquoi l'Occident mène la barque. La race blanche européenne, insistaient-ils, avaient évolué plus loin que toute autre. Ils se trompaient... Les différences génétiques entre les humains modernes dans différentes parties du monde sont triviales... Très peu d'universitaires propagent de nos jours des théories racistes selon lesquelles les Occidentaux seraient supérieurs génétiquement aux autres... Tout suggère que, quels que soient les aspects auxquels on s'intéresse, les gens — en grands groupes — sont identiques partout.

Bien que ces fausses croyances racialistes eurocentristes se soient peu à peu adoucies pour devenir du « culturalisme », elles ont même perduré jusqu'au milieu du XXème siècle :

CiterJusque dans les années 1960, certains sociologues occidentaux affirmaient que la culture orientale — en particulier, le confucianisme — avait empêché ceux qui y trempaient de développer l'esprit entrepreneur de la compétition et de l'innovation, essentiel à la réussite économique.

Morris a intégré à son texte de nombreuses pages de notes sourcées. Mais aucune d'entre elles n'étaye ses affirmations répétées concernant ce racialisme eurocentrique répandu mais faux du XIXème et du début du XXème siècles, ce qui suggère que l'auteur considère ces faits comme tellement bien connus et acceptés qu'ils n'ont besoin d'aucune documentation. Morris ne désigne personne spécifiquement qui soutiendrait ces idées, et sans douter qu'existent des références de ce type, je soupçonne que Morris serait très surpris de découvrir que les opinions concernant une infériorité raciale chinoise étaient nettement moins influents et universellement implantés qu'il ne semble le supposer.

Morris est né au début des années 1960, si bien qu'il est entré à l'université à la fin des années 1970, peu de temps après que tout racialisme explicite fût totalement banni de la communauté universitaire. Mais je suis certain qu'il n'en a pas moins personnellement rencontré le résidu de son écho « culturaliste » qu'il condamne également sévèrement, qui a prédit à tort que les sociétés d'Asie de l'Est ne parviendraient pas à avancer économiquement. Étant donné que les adeptes fortement anti-racistes de cette prédiction ont prouvé s'être spectaculairement trompés, il n'était que naturel qu'il supposât que les prédécesseurs intellectuels explicitement racialistes ayant vécu une ou deux générations plus tôt fussent encore plus convaincus que la Chine et le reste de l'Orient ne pourraient jamais égaler économiquement l'Occident. Pourtant, comme je l'ai démontré ci-avant, cette hypothèse est totalement et absolument fausse, et l'on peut présumer que Morris ne l'a adoptée que pour n'avoir jamais pris connaissance avec les travaux de ces penseurs du passé.

Le best-seller de Morris a fait l'objet de critiques nombreuses et favorables, et pas un seul de ces universitaires modernes distingués n'a remarqué que sa description du climat idéologique de trois ou quatre générations était totalement inversée et opposée par rapport à la réalité. Cela renforce davantage la conclusion selon laquelle tous ces penseurs étasuniens du passé furent totalement purgés hors de notre vie intellectuelle moderne, au point que leurs travaux furent presque totalement oubliés.

Pourtant, si Stoddard, Ross et d'autres personnalité de leur ère ont eu raison au sujet de l'avenir mondial de la Chine, cependant que la plupart de leurs successeurs ardemment anti-racistes étaient totalement dans l'erreur, peut-être que Morris et les autres universitaires modernes devraient explorer ces penseurs du passé pour voir quelles pépites de lucidité ils pourraient apporter.

Ressusciter la sagesse perdue du début du XXème siècle

De nos jours, Stoddard et Ross ont presque entièrement été éliminés de notre conscience académique : le premier ne survit guère que comme méchant raciste de caricature fortement diabolisé, condamné à faire l'objet d'une ou deux phrases dans nos manuels de base, et le second a été presque entièrement oublié. Mais il y a un siècle, ils figuraient parmi nos intellectuels publics les plus considérés et les plus influents, et leurs opinions avaient un poids très important. Il y a plusieurs années, j'ai publié une très longue présentation de cette histoire intellectuelle sur les cent dernières années, et ces personnalités y font l'objet de discussions considérables.

CiterDe fait, je ne pense pas que Stoddard aurait remis en cause le qualificatif de « suprémaciste blanc » le concernant. Après tout, son ouvrage le plus célèbre et le plus influent avait pour titre « La Marée Montante de Couleur contre la Suprématie Blanche sur le Monde, » et ce best-seller, paru en 1921, était centré sur les défis en émergence auquel étaient confrontés les peuples d'origine européenne pour maintenir leur contrôle mondial au lendemain d'une première Guerre Mondiale terriblement destructrice.

Mais bien que l'on puisse sans doute appliquer ce terme à Stoddard, les implications qu'il porte dans la société contemporaine, et qui aujourd'hui le marginalisent totalement, sont extrêmement trompeuses, car ses opinions étaient tellement partagées par une grande partie des élites politique et intellectuelle étasuniennes. Il venait d'une prestigieuse famille de Nouvelle Angleterre, et après avoir décroché son doctorat d'histoire à Harvard, la suite de livres à succès qu'il publia l'établit comme l'un des auteurs et des intellectuels publics les plus influents du pays, ce qui lui valait des invitations régulières à tenir des conférences dans les académies militaires du pays, et de voir ses articles publiés dans les pages des publications nationales les plus prestigieuses...

De nombreux livres écrits par Stoddard étaient centrés sur des sujets très racialistes, et peuvent apparaître comme extrêmement détonants à un lectorat moderne. Mais il a publié d'autres ouvrages sur d'autres sujets, et ils démontrent haut la main la qualité remarquable et l'objectivité qui étaient celles d'un des penseurs géopolitiques les plus éminents de cette ère.

Par exemple, juste avant l'entrée des États-Unis dans la première Guerre Mondiale, il a publié L'Europe de 1917, qui produit une description détaillée de la situation politique et sociale dans chacun des pays européens impliqués dans le conflit, et comprenant leurs racines historiques. J'ai lu ce livre il y a une dizaine d'années, et il m'est apparu comme le meilleur traitement de ce sujet que j'aie eu à lire...

La première guerre mondiale et ses retombées immédiates ont provoqué l'effondrement de l'Empire ottoman, l'abolition du Califat islamique par le régime laïc d'Ataturk, et l'ascension généralisée d'un athéisme militant de gauche inspiré par la Révolution bolchevique. Pour conséquence naturelle, presque tous les penseurs occidentaux écartèrent le pouvoir de l'Islam, considéré comme une force dépassée et une relique du passé en disparition ; Stoddard fut presque le seul à suggérer avec prescience sa possible reprise dans Le Nouveau Monde de l'Islam, paru en 1922...

Mais l'ouvrage de Stoddard le plus connu reste sans doute La Marée Montante de Couleurs, publiée il y a 100 ans, qui lança sa carrière d'influence. Il y a une dizaine d'années, j'ai fini par lire ce livre, et j'ai été fortement surpris qu'un livre autant diabolisé dans toutes les descriptions que j'avais pu en trouver fût en réalité aussi équilibré et inoffensif. Bien que la plus grande partie des personnalités politiques de premier plan de l'époque proclamassent la main mise permanente de l'homme blanc sur le monde, Stoddard affirmait haut et fort que cette situation était temporaire, et promise à une évaporation rapide sous la pression du nationalisme, du développement économique, et de la croissance démographique des peuples non blancs. Ces marées montantes des peuples d'Asie et du Moyen-Orient rendaient quasiment inévitable leur accession à l'indépendance, et les puissances européennes avaient donc intérêt à laisser filer volontairement leurs vastes empires coloniaux au lieu de se vouer aux gémonies futures en s'accrochant avec obstination à ces possessions. Un « suprémaciste blanc » pourrait sans doute avancer ce type d'arguments, mais cela impliquerait de nos jours de sa part un degré de sophistication nettement plus élevé que celui que les médias populaires accordent à une personne ainsi qualifiée.



J'ai relu récemment l'ouvrage de Stoddard, et j'ai été encore plus impressionné à cette seconde lecture. À de nombreux égards, son panorama complet du paysage géopolitique futur fait penser au Choc des Civilisations, publié en 1997 par le célèbre politologue de Harvard Samuel P. Huntington, qui est devenu un énorme best-seller aux États-Unis et une pierre angulaire culturelle au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Bien que le texte de Huntington ne remonte qu'à vingt ans dans le passé, alors que celui de Stoddard a atteint l'âge d'un siècle, je pense que c'est ce dernier qui est resté le plus actuel, et qui s'applique le mieux à l'alignement actuel du monde ainsi qu'aux défis auxquels sont confrontés les populations blanches d'Europe.

Stoddard était considéré comme très conservateur à son époque, et ses idées résonnaient profondément parmi les élites dominant la côte Est des États-Unis, mais Ross était quant à lui un éminent penseur progressiste, toujours considéré comme très à Gauche, comme j'ai pu l'expliquer à un journaliste qui est venu déjeuner avec moi à Palo Alto.

CiterAu cours de ma conversation avec ce journaliste d'envergure nationale, l'un des exemples principaux que j'ai cités était celui d'E.A. Ross, une éminente figure intellectuelle des premières décennies du XXème siècle, de nos jours largement oubliée hormis quand des universitaires ignorants le décrivent de nos jours comme caricature du méchant raciste. L'an dernier, j'ai noté le traitement brutal qui lui était réservé par Joseph W. Bendersky, historien de l'Holocauste, dans son ouvrage qui documente et condamne les opinions des élites anglo-saxonnes étasuniennes d'il y a un siècle :

CiterJe ne remettrais pas en question la pertinence des recherches menées par Bendersky dans les archives, mais il semble considérablement moins à l'aise au sujet de l'histoire intellectuelle étasunienne, et laisse parfois ses sentiments personnels l'amener à commettre de graves erreurs. Par exemple, son premier chapitre consacre plusieurs pages à E.A. Ross, et cite certaines de ses descriptions peu flatteuses des Juifs et du comportement juif, suggérant qu'il s'agissait d'un antisémite fanatique, terrifié par « la catastrophe en approche d'une Amérique débordée par un peuple racialement inférieur. »

Mais Ross fut en réalité l'un de nos premiers grands sociologues, et sa discussion de 26 pages sur les immigrés juifs, publiée en 1913, était scrupuleusement juste et impartiale, s'attardant aussi bien sur les traits positifs que négatifs, et s'intéressant tour à tour aux nouveaux arrivés irlandais, allemands, scandinaves, italiens et slaves. Et bien que Bendersky dénonce systématiquement les méchants qu'il a idéologiquement désignés comme « darwinistes sociaux », les sources qu'il cite au sujet de Ross identifient à raison l'universitaire comme l'un des critiques les plus éminents du darwinisme social aux États-Unis. De fait, la stature occupée par Ross dans les cercles orientés à gauche était tellement importante qu'il fut choisi comme membre de la Commission Dewey, établie pour statuer de manière indépendante sur les âcres accusations des Stalinistes et des Trotskistes. Et en 1936, une personnalité juive de gauche fit les éloges abondants de la longue et distinguée carrière de Ross dans les pages de The New Masses, l'hebdomadaire du Parti Communiste des États-Unis, ayant pour seul regret que Ross n'ait jamais voulu embrasser le marxisme.

CiterRoss s'exprimait de manière très franche et directe, et sa longue carrière a été mise entre parenthèses à cause de son rôle national de premier plan sur de grands problèmes de libre expression. Jeune universitaire, il fut licencié par l'Université de Stanford pour ses idées politiques, un incident célébré qui a débouché sur la création de l'American Association of University Professors, et il a à la fin de sa vie occupé le poste de dirigeant national de l'Union américaine pour les libertés civiles.

En 1915, Ross publia South of Panama, qui décrit l'arriérisme et la misère qu'il trouva dans un grand nombre des sociétés d'Amérique latine durant ses six mois de voyages et d'enquêtes dans toute la région. Bien que le corps du texte fût descriptif et empirique, il évalue à un certain stade la nature sous-jacente de ces problèmes, et se demande si les causes en sont principalement culturelles, découlent de la pauvreté très répandue et du manque d'instruction, ou s'il s'agit plutôt du résultat d'une infériorité innée des populations locales, soulignant que la réponse à cette question centrale aurait un impact considérable sur la trajectoire future du développement de ce continent.

Après une mention impartiale de certains éléments limités soutenant chacune de ces deux théories opposées, il finit par pencher vers la thèse environnementale, et critique l'hérédité comme « une explication désinvolte et de bas étage » des traits humains qui changent en réalité souvent avec le temps. Une telle discussion serait de nos jours totalement inimaginable dans le cadre de nos respectables mondes académique et médiatique, et elle serait, pour des raisons opposées, également extrêmement rare parmi les racialistes déclarés...

Bien que Ross fût indécis au sujet des capacités naturelles de la population sud-américaine principalement mestiza, un voyage de recherches de six mois mené en Chine l'avait quelques années plus tôt amené à ne manifester aucun doute au sujet du potentiel des Chinois, malgré leur immense pauvreté d'alors. Comme il le relate dans son livre :
CiterÀ quarante-trois hommes qui, éducateurs, missionnaires ou diplomates, ont eu de bonnes opportunités d'apprendre à « ressentir » l'esprit chinois, j'ai posé la question : « Trouvez-vous les capacités intellectuelles de la race jaune égales à celles de la race blanche ? » Tous, sauf cinq d'entre eux, ont répondu « Oui », et un sinologue disposant de diverses expériences en tant que missionnaire, président d'université et conseiller de légation m'a laissé pantois en affirmant : « La plupart de ceux qui parmi nous ont passé vingt-cinq ans ou plus par ici en viennent à penser que la race jaune est la race normale, alors que la race blanche est un 'sport' ».
 



Sur la dizaine d'ouvrages consacrés à la Chine et à la société chinoise que j'ai lus récemment, presque tous ont été écrits par des Occidentaux et ont été publiés en Occident. L'importance de ce sujet est évidente, étant donné que l'économie productrice réelle de la Chine est d'ores et déjà plusieurs fois supérieure à celle des États-Unis, et qu'elle dépasse facilement le total combiné de l'ensemble du monde occidental, tout en continuant de croître bien plus rapidement.

Bien que ces livres apportent une vaste gamme de perspectives diverses, certains de manière plus importante ou plus persuasive que d'autres, pas un seul de ces ouvrages n'a osé examiner les traits innés du peuple chinois qui ont été façonnés par des milliers d'années d'histoire, une omission en soi très parlante. Supposons que tous nos livres sur le basketball professionnel explorent scrupuleusement tous les aspects du jeu et de ses meilleurs joueurs, en omettant systématiquement toute indication du fait que la taille est un facteur important de leur réussite.

E.A. Ross a écrit sur le même sujet il y a plus d'un siècle, évidemment sans disposer de nos bases de données modernes ou d'autres outils savants. Pourtant, bien que l'analyse de son bref volume fût principalement fondée sur quelques mois à peine passés à sillonner ce pays, je pense qu'elle apporte des éléments importants qui manquent dans tous ces ouvrages récents bien plus volumineux.


  • The Changing Chinese
     The Conflict of Oriental and Western Cultures in China
     E.A. Ross • 1911 • 61,000 mots

Les livres produits par Ross sur d'autres sujets sont tout aussi profonds, comme ceux de son contemporain Lothrop Stoddard :


Tous ces travaux ont été produits il y a plus d'un siècle, et une grande partie de leur cadre intellectuel peut apparaître comme étranger à un esprit occidental contemporain. Mais nombre de ces idées continuent d'être acceptées comme relevant du sens commun un peu partout dans le monde, et elles étaient tout aussi acceptées en Occident jusqu'il y a trois générations. Mon article de 2013, qui analyse les forces qui ont façonné le peuple chinois, se termine sur quelques paragraphes qui discutent de ces implications :

CiterExaminons le cas ironique de Bruce Lahn, un brillant chercheur en génétique de l'université de Chicago, né en Chine. Au cours d'une interview qu'il a accordée il y a quelques années, il fait mention posément de son hypothèse selon laquelle les tendances au conformisme social manifesté par une grande partie du peuple chinois pourraient découler du fait que durant les dernières 2000 années écoulées, le gouvernement chinois a régulièrement éliminé ses sujets les plus rebelles, une suggestion qui serait certainement considérée comme totalement évidente et inoffensive partout dans le monde, sauf en Occident depuis environ un demi-siècle. Peu de temps avant cette interview, Lahn s'était attiré de grandes louanges académiques pour ses découvertes de pointe sur les possibles origines génétiques de la civilisation humaine, mais ses recherches ont fini par provoquer une controverse tellement exaltée qu'il a abandonné ce sujet de recherches.[35]...


Durant la Guerre Froide, les investissements gouvernementaux colossaux pratiqués par le régime soviétique dans de nombreux domaines ne produisirent rien, car ils étaient fondés sur une modélisation de la réalité qui était à la fois impossible à remettre en question et fausse. Les divergences croissantes qui se firent jour entre ce modèle idéologique et le monde réel finirent par vouer à l'échec l'URSS, dont le volume vaste et permanent fut balayé par une subite rafale de vent il y a une vingtaine d'années. Les dirigeants étasuniens devraient faire attention à ne pas adhérer obstinément à de fausses doctrines scientifiques qui sont vouées à amener le pays à connaître le même sort.

Ron Unz

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

https://lesakerfrancophone.fr/la-pravda-americaine-les-racines-raciales-de-lexpansion-economique-de-la-chine