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Le prix de la ressource humaine, par Philippe Lemoine

Démarré par JacquesL, 20 Février 2007, 01:53:32 PM

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JacquesL

Le prix de la ressource humaine, par Philippe Lemoine
LE MONDE | 31.08.06 | 13h49

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3232,50-808235,0.html

Le travail des femmes et des hommes est-il la variable d'ajustement d'un monde de ressources rares ou est-il lui-même une ressource rare ?

La première proposition est illustrée par l'actualité économique récente. Contrairement aux années 1970, l'économie mondiale paraît avoir absorbé une hausse de 40 % du prix du pétrole sans "choc pétrolier". La croissance mondiale se poursuit. Les profits des grandes entreprises continuent de croître. Pourquoi ? In fine, parce que le travail sert de variable d'ajustement. Sa valeur est tirée vers le bas à la fois par la mondialisation, la révolution des technologies de l'information (TI) et la croissance démographique. En peu de temps, 2 milliards d'êtres humains sont entrés dans l'économie mondiale. Comme l'indiquait récemment un chef d'entreprise, "la profondeur de réservoir de main-d'oeuvre de la Chine ou de l'Inde protège le monde contre le cercle vicieux de l'inflation des salaires et des prix, engendré par un taux de croissance élevé".

Ce genre de proposition nourrit les réflexions sur les réformes du marché du travail et sur la flexibilisation des contrats de travail. Si le travail est une ressource abondante, il faut alors réformer le salariat comme on l'a fait du mariage : quitter sa dimension institutionnelle, renforcer sa seule dimension contractuelle, allonger les périodes préalables de cohabitation, faciliter le divorce ! C'est l'idée directrice de nombreuses propositions plus ou moins heureuses. C'est aussi l'idée directrice de nombreuses peurs, tout cela débouchant sur l'impossibilité de la réforme !

Il y a heureusement une tout autre approche. Le capital humain peut être considéré comme une ressource rare en raisonnant par analogie avec les technologies d'information. La croissance des parcs d'ordinateurs, la baisse continuelle du prix des composants, la mise en réseau, la standardisation des logiciels, l'utilisation croissante des mêmes progiciels par les concurrents d'une même industrie, tout cela a paru déprécier la valeur stratégique des TI. Et pourtant, de plus en plus, la compétition entre les entreprises s'organise autour de leur capacité à utiliser intelligemment cette ressource banalisée que sont les TI. Tout se passe à l'échelle collective comme ce que chacun de nous fait avec son téléphone mobile ou son ordinateur portable : il en utilise 10 % à 20 % des fonctionnalités. Et la compétition mondiale dans la majorité des secteurs oppose désormais les entreprises qui savent utiliser 10 % à 20 % de leurs logiciels standards et ceux qui ont amené chacun de leurs collaborateurs à savoir en utiliser 40 % à 60 %.

Cette vision débouche sur une première évidence : on ne peut pas évacuer la formation, l'organisation et la motivation des personnes, ne serait-ce que pour mieux utiliser les automates. Mais la métaphore va bien plus loin car quelle part l'économie sait-elle utiliser des fonctionnalités immenses du logiciel humain ? Aurait-on oublié que l'origine de la richesse ce n'est ni la terre, ni le sous-sol, ni l'or, ni le silicium, ni le pétrole, mais le travail ? Certes, plus le nombre de femmes et d'hommes participant au jeu économique s'accroît, plus on est tenté par le quantitatif plutôt que par le qualitatif.

Il n'empêche ! Le vrai défi auquel nous confronte le nombre, c'est celui de considérer chaque être humain comme un être unique. Il en résulte trois exigences que je voudrais simplement indiquer :

1. Il faut d'abord actualiser la vision que nous avons de la population active. Au début des années 1990, Robert Reich, économiste et ministre du travail de Bill Clinton, s'était posé la question : pouvons-nous encore considérer que nous sommes tous dans le même bateau face à la mondialisation ? Il répondait dans l'ensemble non tout en distinguant trois catégories : les travailleurs répétitifs de l'industrie ou des services, victimes inéluctables de la mondialisation ; les services à la personne, dont le sort dépend du marché local ; et les manipulateurs de symboles, c'est-à-dire tous ceux qui traitent de l'information, de la connaissance, de la création ou de l'émotion, gagnants potentiels de la mondialisation. On ne peut plus raisonner sur le travail en termes homogènes.

2. Il faut changer notre manière de penser la formation. Celle-ci forme-t-elle bien ces manipulateurs de symboles qui sont au coeur de notre avenir économique ? On parle d'économie de la connaissance, mais sans penser clairement la manière de rapprocher l'économie et la connaissance. Les logiques institutionnelles l'emportent sur la réflexion. Par exemple, un silence assourdissant a entouré la réforme des cycles universitaires dite "LMD" (licence, mastère, doctorat).

L'ambition est de normaliser l'enseignement supérieur européen en trois échelons compatibles avec les standards américains. Mais quel rapport entre un étudiant français qui enchaîne deux ans de master à trois ans de licence et un étudiant américain qui n'a pas le droit de s'inscrire dans un MBA (master of business administration) sans un minimum de trois ans de travail après son diplôme de premier cycle (BBA) ? La combinaison de l'enseignement et de l'expérience ne peut être la même !

Et que dire des statistiques vides de sens où l'on compare le coût par an d'un étudiant d'un pays à l'autre, sans voir combien d'années il passe à l'université ? La valeur marchande d'un master français est celle d'un BBA américain, et le coût moyen total de la formation est également le même. Mais en France il faut cinq ans et aux Etats-Unis trois. Toujours cette préférence pour la lenteur !

3. Troisième et dernier point : il faut organiser le travail là où on a le plus de mal à faire, dans les nouveaux métiers de l'intermédiation. Parmi les manipulateurs de symbole, Reich distingue trois sous-catégories : ceux qui sont dans une logique d'offre, fondée sur la maîtrise d'une expertise ; ceux qui ont une fonction dans l'écoute de la demande ; et les plus nombreux, ceux qui font l'aller-retour entre les deux logiques que Reich appelle d'un nom pompeux : les courtiers stratèges.

Une grande part de l'attention se porte à juste titre sur l'impératif de former plus d'ingénieurs, de chercheurs, de spécialistes. C'est pourtant sur la catégorie des intermédiaires que reposera de plus en plus l'avantage compétitif. Mais quel boulot pour savoir recruter, former, animer des personnes qui sont à la base de l'énergie collective de l'entreprise.

Il faut avoir l'audace de recruter des personnes pour leur caractère et leur personnalité, immense enjeu pour les directeurs des ressources humaines ! Il faut avoir l'humilité d'abandonner des visions trop simplistes du dialogue entreprises-universités autour de filières trop rationnellement définies. Il faut laisser se déployer dans les entreprises des logiques de réseau où l'on ne se contente pas d'échanger des informations, mais où l'on échange de la vitalité humaine et du rayonnement. On entrerait alors dans une économie dominée par l'énergie humaine renouvelable.

Ce sont ces idées qui devraient inspirer la nécessaire réforme du marché du travail, à commencer par celle du contrat de travail. On l'a dit : il faut aller vite, il y a le feu ! Si l'on veut avancer avec fulgurance, la vision-clé doit être celle d'une économie humaine éclairée par les leçons de l'amour. Chacun de nous le sait : ce n'est pas la rareté qui influence la force du lien. C'est l'intensité du lien qui institue l'être aimé en une ressource rare.
Philippe Lemoine est président-directeur général de Laser et président du Forum d'action modernités.


Article paru dans l'édition du 01.09.06