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Réflexions sur la notion de fidélité

Démarré par JacquesL, 23 Octobre 2024, 04:14:08 PM

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JacquesL

Réflexions sur la notion de fidélité



par Rorik Dupuis Valder


Début septembre, lors d'une promenade en forêt, je trouve au pied d'un grand pin quelques plumes étonnamment colorées, aux reflets bleu-vert et orangés : ce sont celles d'un guêpier (qui a probablement été la proie d'un faucon, dont j'aperçois un peu plus loin une longue plume zébrée), magnifique oiseau migrateur qui quitte l'Europe à la fin de l'été – guêpes et abeilles dont il se nourrit ayant disparu – pour rejoindre l'Afrique en colonie.

Après quelques recherches sur l'espèce, j'apprendrai qu'il s'agit là d'un oiseau nicheur monogame, c'est-à-dire que le mâle adulte, à la saison des amours, se choisit une partenaire pour la vie, après une parade nuptiale (faite de chants et d'offrandes d'insectes notamment) qui s'apparente à une «cérémonie de mariage» – ou de «consentement» – selon les diverses observations qu'on a pu en faire.

En regagnant mon quartier, qui est une terre de football (le grand stade municipal y étant implanté), je salue quelques anciens élèves parmi un groupe d'ultras partis encourager l'équipe locale, chantant en chœur leur soutien indéfectible, «jusqu'à la mort», au club, autant que leur amour sans faille pour la ville. Cette puissante certitude, sans doute renforcée par l'instinct grégaire, a quelque chose de profond, d'émouvant, mais pourquoi une telle dévotion aveugle ?

Ceci m'amène alors à réfléchir à la notion de fidélité. Non seulement dans le domaine des relations humaines, interpersonnelles (être fidèle à l'autre), mais aussi dans le domaine des idées – c'est-à-dire, en quelque sorte, des relations «intrapersonnelles» (être «fidèle à soi-même») -, étant entendu que chacun de nous est un producteur – ou simple porteur – d'idées, qu'il tient d'un ensemble de facteurs environnementaux (origine sociale, éducation, fréquentations, etc.) et d'expériences (affectives, professionnelles, etc.).

Peut-être plus que n'importe quel autre principe, la fidélité apparaît comme une condition première à l'harmonie d'une société – d'un point de vue collectif -, autant qu'à l'épanouissement d'un être – d'un point de vue individuel. Mais d'où nous vient ce principe, aussi fragile qu'essentiel ? Est-il naturel ou construit ? En quoi le guêpier est-il monogame, et donc, plus ou moins malgré lui, fidèle à sa partenaire ? Le mariage des humains ne relèverait-il donc pas d'une simple norme culturelle, mais d'une nécessité anthropologique plus profonde ?

Je me trompe peut-être (et j'aimerais me tromper) mais j'ai l'impression d'observer depuis quelque temps une crise du couple, provoquée en partie par l'hypercommunication virtuelle qu'impose l'utilisation des smartphones et diverses messageries instantanées. Nous avons tous vu ces amoureux (parfois parents), face à face ou côte à côte, qui ne s'adressent ni un regard ni un mot (pas même un baiser), chacun préférant tripoter son téléphone portable comme si l'autre, physiquement, n'était pas digne d'intérêt. Comme si le monde ne se vivait plus qu'à travers un écran, avec ses fonctions «ajouter» et «supprimer». Ces amoureux-là me semblent effroyablement nombreux, non ?

Que dire des nouveaux diktats de séduction véhiculés par les réseaux sociaux de type Instagram et TikTok, où une pose lascive et un arrière-train féminin mis en valeur suffisent à rendre amoureux des milliers de «likers» en rut ?... En ce sens, je crois que la seule question qu'il convient de poser à l'autre, pour être certain du choix de son ou sa partenaire, est la suivante : «Qu'as-tu à offrir au monde ?». Qu'as-tu à offrir de plus qu'un généreux décolleté ? Qu'as-tu à offrir de plus qu'une belle bagnole ? Des principes ? Un savoir-faire ? Des connaissances ?

Si la réponse se fait trop attendre, c'est que la relation n'est, dans une large mesure, que charnelle et/ou matérielle. Donc sans grand intérêt pour la collectivité. Si toutefois l'on envisage le couple, à terme, comme une unité productive en faveur du bien commun ; l'éducation (ou la formation) étant à mon sens le plus précieux des biens après la santé. Et pour éviter de me faire injustement taxer de conservatisme crasse, je précise que j'inclus ici, dans les nécessités de la perspective et de l'engagement, le couple homosexuel, bien que le considérant comme contre-nature donc voué à la marge d'un point de vue anthropologique. Souvenons-nous : «Qu'avons-nous à offrir au monde ?»...

On en vient à la notion de propriété, que la société capitaliste et son culte de la consommation ont hissée au sommet de l'échelle des valeurs, discriminant les gens non plus selon leur aptitude à faire et à bien faire (ou faire le bien), mais – pour résumer grossièrement – selon leur aptitude à posséder. Seulement, cette recherche – plus ou moins illusoire – de la possession matérielle n'a-t-elle pas pour fonction de se substituer à l'impossible possession du corps de l'autre ? Pourquoi tant de conflits liés à la jalousie ? Qu'est-ce que la jalousie sinon la peur de la trahison ?

Ainsi, la propriété du corps serait le tabou ultime, irrésoluble, de toute société. Et le mariage (ou du moins l'engagement formel) serait une réponse culturelle, dogmatique et sacrale (plus prosaïquement, administrative), à ce tabou, évitant donc la dispersion généralisée des populations et, par là même, le chaos et la souffrance des trahisons à tout-va. Sauf si l'on considère l'exclusivité du consentement et d'une union entre deux êtres comme relevant d'un phénomène «biologique» constitutionnel, primitif, à l'image du couple de guêpiers. L'»âme-sœur» est-elle une croyance ou un besoin ? Sans doute y a-t-il un peu des deux...

Mais laissons à présent de côté ces considérations autour de l'intimité. À propos de fidélité dans le domaine des idées, une question me semble déterminante pour juger de la cohérence de celles-ci : «L'adulte que je suis est-il fidèle à l'enfant que j'étais ?». Étant entendu qu'être fidèle à soi-même ne signifie pas être fidèle à son ignorance (enfantine), mais à son potentiel, ce qui est tout à fait différent : ce qui fait la noblesse de cette fidélité, c'est avant tout le respect d'une certaine authenticité en soi. On pourrait appeler cela, plus simplement, «honnêteté».

Dans le domaine professionnel aussi, où la chaîne hiérarchique a son importance, la notion de fidélité – fidélité à une mission donnée – détermine la réussite d'une tâche, permettant de distinguer le fonctionnel du dysfonctionnel. Ainsi, le boulanger fonctionnel, fidèle à la mission de servir, vendra à son client un pain frais de qualité à un prix raisonnable, tandis que le boulanger dysfonctionnel n'hésitera pas à lui vendre un pain coûteux, sans saveur, à la pâte congelée. De la même façon, le médecin fonctionnel, fidèle à la mission de soigner, prendra le temps d'écouter et d'ausculter son patient, tandis que le médecin dysfonctionnel lui prescrira machinalement tout un tas de médicaments plus ou moins utiles, plus ou moins nocifs, ne faisant qu'entretenir la santé des laboratoires pharmaceutiques dont il est, volontairement ou non, l'agent.

Cependant, la fidélité a aussi, bien évidemment, ses limites : être fidèle à un crétin de supérieur ou à un escroc d'employeur revient en quelque sorte, dans le domaine privé, à rester fidèle à une nymphomane volage (ce qui relèverait de l'emprise et donc du comportement pathologique)... Le bon sens est ici requis ! Aussi, toute la question est de savoir premièrement pour quoi l'on s'engage, et deuxièmement à quoi ou à qui l'on entend rester fidèle... Et ceci nécessite d'abord de connaître les choses et les gens. C'est-à-dire, s'efforcer de savoir ce qu'il y a derrière l'image, derrière l'écran.

Celui qui se qualifie de libertaire – ou même de «libertaire légaliste» – pourrait être tenté de penser que la notion de fidélité est contraire à (ou du moins contradictoire avec) l'idée de liberté. Or, avec l'expérience, celui-ci s'apercevra qu'il convient de distinguer la liberté puérile (ou irresponsable) de la liberté adulte (responsable). La liberté puérile étant celle de n'être fidèle à rien ni personne par rébellion ou par égocentrisme ; la liberté adulte étant celle de choisir son objet de fidélité. Vous me suivez ?

Pour conclure de façon un peu plus légère notre balade en forêt, je vous propose d'écouter le fameux air de Jean-Philippe Rameau, extrait du final de son opéra-ballet Les Indes galantes créé en 1735 (livret de Louis Fuzelier), sans doute l'un des plus beaux airs de musique baroque jamais composés – ici joué par l'ensemble des Arts florissants sous la direction de William Christie :


«Forêts paisibles,
Jamais un vain désir ne trouble ici nos cœurs.
S'ils sont sensibles,
Fortune, ce n'est pas au prix de tes faveurs.

Dans nos retraites,
Grandeur, ne viens jamais
offrir de tes faux attraits !
Ciel, tu les as faites
pour l'innocence et pour la paix.

Jouissons dans nos asiles,
Jouissons des biens tranquilles !
Ah ! Peut-on être heureux,
Quand on forme d'autres vœux ?
»

https://reseauinternational.net/reflexions-sur-la-notion-de-fidelite/

JacquesL

Savoir-faire et volonté : ce qui nous sauve de la chute



par Rorik Dupuis Valder

Dans un précédent texte, j'amorçais une réflexion autour de l'«engagement» au sens large – engagement personnel, professionnel, éducatif -, disant qu'il est une condition sine qua non à l'harmonie des hommes. Une société en crise étant une société qui a perdu, politiquement et culturellement, le sens de l'engagement – d'abord local (dans un environnement immédiat), ensuite universel (au nom de principes).

Ici j'aimerais développer mon propos sur l'idée de discrimination des comportements au sein d'une société. Sans parler de «bien» ni de «mal» – notions qui, avant d'être des catégorisations dogmatiques, s'imposent comme des nécessités anthropologiques -, j'entends par «discrimination» la façon de distinguer les comportements dignes des comportements indignes : en quoi l'action ou le choix de tel individu sont-ils, à l'échelle collective, plus estimables ou plus condamnables que d'autres ?

Racisme, sexisme, xénophobie, sont quelques modes de discrimination d'ordre pathologique et (en théorie) pénalement répréhensibles. Mais derrière l'écran de fumée pseudo-progressiste, la société capitaliste n'aura fait qu'encourager, par le mythe du self-made man notamment, la discrimination selon les richesses matérielles. Autrement dit, l'origine sociale des individus reste, massivement, encore et toujours, le premier facteur de discrimination silencieuse à l'origine de tous les dysfonctionnements du monde soumis au système ploutocratique – qu'il soit néolibéral ou «traditionaliste».

Pour donner une image extrême de l'absurdité et l'hypocrisie du pouvoir néolibéral, ce serait comme permettre d'un côté à des associations d'héroïnomanes de manifester dans les rues pour la légalisation de l'héroïne, et de l'autre côté confier aux laboratoires pharmaceutiques la résolution du problème de la toxicomanie clandestine par la vente de cachets de Subutex ou de nouveaux substituts, sans jamais mener de réelle politique de santé publique en accompagnant psychologiquement et professionnellement les personnes dépendantes par exemple.

Plus proche de nous, ce serait comme autoriser et promouvoir le «changement de sexe» dès l'adolescence sous le seul prétexte que certains garçons se sentiraient filles et inversement, sans jamais considérer le caractère pathologique et les origines traumatiques de tels cas, ni apporter de réponse thérapeutique à la souffrance initiale des personnes «trans», qui, si l'on est attentif aux récits des uns et des autres, ont bien souvent été victimes de parents abusifs pendant leur enfance (par exemple un garçon abusé sexuellement par son père ou victime de l'emprise d'une mère qui voit en lui une fille).

Mais revenons-en à la notion de discrimination sociale. Fervent défenseur de l'École publique à la française (bien qu'elle ne veuille pas de moi...) et de son idéal d'inclusion, je crois fermement au concept d'égalité des chances, qui permet à chaque enfant de bénéficier d'une instruction de qualité quelles que soient ses origines. Notons que dans la plupart des pays du monde, les revenus des parents déterminent la qualité de l'instruction reçue, puisque celle-ci devient un privilège dès lors qu'on réserve la fréquentation des écoles privées – paradoxalement «internationales» – à une «élite» financière. Il n'y a pas de mal à être riche, comme dirait l'autre, mais encore faut-il avoir conscience de sa richesse...

J'ai pu constater en Afrique, et plus particulièrement en Égypte où j'ai vécu et exercé deux années (en 2016 et 2017), les dégâts collatéraux d'un système éducatif foncièrement inégalitaire, où le favoritisme et la cooptation sont la règle : un enfant issu d'un milieu modeste n'a aucune chance d'accéder à une école privée ou une instruction de qualité – du moins à hauteur de son potentiel -, malgré toute la détermination qu'on pourrait raisonnablement attendre de lui. Il n'a donc aucune chance d'accéder à des études supérieures, trop coûteuses, donc à un réseau et, à terme, à un poste à responsabilités au sein de la société.

Il y a là une injustice profonde dont on ne mesure pas bien l'effet démoralisant sur les populations dites «défavorisées», sur tous les jeunes gens des classes populaires, aussi volontaires, qualifiés et compétents soient-ils ; ceux-ci vivant dans la frustration et l'humiliation sociales permanentes que leur imposent les «privilégiés». Cette violence sourde, quasi institutionnalisée – du moins communément admise -, qui condamne arbitrairement les pauvres à la pauvreté par les lois de la domination financière et au nom de préjugés ségrégationnistes archaïques, au mieux infantilisants, est dévastatrice.

J'ai pu le vérifier personnellement en faisant le grand écart entre deux missions éducatives en Égypte : l'enseignement du français, dans des lycées internationaux, à une nouvelle bourgeoisie déboursant des fortunes en frais de scolarité, et l'accompagnement, auprès d'associations locales, d'enfants des rues livrés à eux-mêmes, originaires des bidonvilles du Caire et d'Alexandrie notamment, issus d'adultères, de foyers violents et de familles indigentes dont ils ont été chassés ou qu'ils ont eu le courage de fuir.

Pour bien comprendre cet écart, il faut s'imaginer ce que sont les conditions d'apprentissage d'un élève moyen dans une école publique égyptienne, et celles d'un élève bénéficiant de tous les passe-droits de naissance et de classe (l'éducation étant ici un service monnayable) : d'un côté le chahut d'une cinquantaine de gamins sans matériel dans une salle vétuste à l'atmosphère étouffante, où l'autorité s'impose inévitablement à coups de trique, et de l'autre une vingtaine de rejetons surprotégés manipulant des tablettes numériques et la langue du colon, vivant dans la certitude d'être l'élite internationale de demain...

J'en viens ici à l'idée de discrimination positive ou «constructive» – non pas des individus en tant que tels, mais de leurs comportements (donc de leurs choix et de leurs actes). À mon sens, une société saine est une société où chacun est à sa place. À sa place, au nom de la notion de mérite, selon son potentiel, sa volonté et ses prédispositions d'une part, et selon son savoir-faire et son labeur d'autre part. Car, c'est bien connu, «il faut de tout pour faire un monde».

Seulement, ce monde ne peut fonctionner correctement tant que l'on réserve le pouvoir, à tous niveaux, à une caste ségrégationniste, étant entendu que le premier des pouvoirs à considérer est celui de changer les choses, précisément, en faveur de l'égalité des citoyens et de la justice sociale – ce qui implique un désintéressement qui n'est malheureusement pas à la portée de tous... Voilà ce qu'il convient d'appeler un cercle vicieux, qui s'entretient sans grand effort par un tribalisme et un individualisme de rigueur, où l'argent, de son pouvoir hypnotique, dicte ses lois mesquines.

Si l'on met de côté la maladie et le handicap, qui relèvent de l'accompagnement médical (encore faut-il que la médecine, au même titre que l'éducation, soit accessible à tous...), une personne qui ne dispose d'aucun savoir-faire particulier – faute d'avoir pu en bénéficier de façon juste et formelle – n'a jamais à rougir de son manque de formation dès lors qu'elle a avec elle la plus précieuse des richesses : la volonté. Et réfléchissons ici à l'avenir des études universitaires (littéraires, scientifiques ou autres) à l'heure de l'intelligence artificielle : quelle est la valeur d'un diplôme obtenu après la rédaction d'un mémoire par quelque chatbot inspiré ?...

J'ai un respect infini pour ces gamins des rues que j'ai rencontrés, ces enfants que la folie, la négligence et la lâcheté des hommes ont blessés, déchirés. Ils se sont reconstruits entre eux, formant des familles de substitution dans une liberté obligée, dans la misère et la violence des rues, devenant prématurément des hommes devant le mépris et la prédation des passants (religieux, éducateurs et gens de bonne famille compris). Ces gamins sont des héros. Leur humour radical, terriblement élégant, en plus d'être typiquement égyptien et d'une humilité désespérée, est la marque d'une formidable résilience, qui doit nous servir de leçon à nous tous, pauvres geignards incapables.

Et la leçon, à mon sens, est la suivante : savoir distinguer l'être social de l'être intérieur, sans jamais se laisser démoraliser. Et si l'on considère la politique comme l'application de la philosophie – soit comme l'art d'exécuter des principes -, ce qui me semble être la plus juste des définitions, eh bien il est grand temps de remettre à leur place tous les parasites, escrocs et vendus qui nous servent aujourd'hui d'administrateurs par l'illusion de la démocratie et la tyrannie médiatique.


https://reseauinternational.net/savoir-faire-et-volonte-ce-qui-nous-sauve-de-la-chute/