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Changement de régime à Dhaka : une allégorie morale

Démarré par JacquesL, 09 Août 2024, 09:07:22 AM

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JacquesL

Changement de régime à Dhaka : une allégorie morale



par M.K.Bhadrakumar

L'impasse politique au Bangladesh a pris une tournure dramatique. Ce qui avait commencé comme une agitation étudiante contre le système de quotas pour les rares emplois gouvernementaux destinés aux descendants des Mukti Bahini [combattants de la guerre d'indépendance de 1971, NdT] a abouti à un changement de régime. Il y a là des leçons salutaires à tirer.

La démocratie ne consiste pas seulement à organiser scrupuleusement des élections à intervalles prescrits, mais celles-ci doivent être libres, équitables et perçues comme telles. Deuxièmement, l'aliénation politique peut se transformer en ulcère. Au Bangladesh aussi, le taux de chômage des jeunes est très élevé, et ce qui s'est passé est un signal d'alarme pour l'Inde. Troisièmement, ne poussez pas l'opposition dans ses retranchements. L'opposition doit avoir l'espace nécessaire pour fonctionner. Enfin, l'orgueil démesuré a conduit à l'autoritarisme et l'élite dirigeante est devenue dictatoriale. Alors que la Première ministre Sheikh Hasina a fui son pays, l'opposante politique qu'elle avait enfermée, Khaleda Zia, sera libérée. C'est une question de morale. Les Grecs de l'Antiquité pensaient que l'orgueil démesuré offensait les dieux.

Il n'y a eu que peu de cas où une armée est retournée volontairement dans ses casernes. Personne ne sait ce qui va se passer ensuite. Le chef de l'armée lui-même est en poste depuis moins de deux mois.

Le 21 juillet, la Cour suprême du Bangladesh a atténué le système des quotas, répondant ainsi à la principale revendication des étudiants. L'agitation aurait dû prendre fin à ce moment-là, mais au lieu de cela, elle a été relookée en lutte pour la démocratie. Il est à espérer que le Bangladesh envisagera d'urgence d'organiser de nouvelles élections et que les partis politiques bénéficieront de conditions équitables. L'aspect positif est que Hasina, 76 ans, monarque absolue, s'est envolée vers son crépuscule sans se battre, car elle a vu ce qui était écrit sur le mur.

Le dénouement peu glorieux à la sri-lankaise semble s'être répété – c'est ainsi que le régime de Rajapaksa avait pris fin. La médiation anglo-usaméricaine l'a peut-être rendu possible à Dhaka. Le chef de l'armée, le général Waker-Uz-Zaman, est un produit achevé du King's College de Londres [et du Collège Interarmées de Défense britannique, NdT]



Waker-Uz-Zaman, 58 ans, général 4 étoiles, beau-fils d'un ancien chef de l'armée

La rapidité avec laquelle l'agitation étudiante s'est transformée en un mouvement antigouvernemental est impressionnante. Cela soulève des questions troublantes. Il existe une étrange similitude avec les révolutions de couleur. Du point de vue usaméricain, le Bangladesh est un pays prioritaire pour la «démocratisation» et un pilier de la stratégie Indopacifique des USA. Washington a exercé des pressions sur Hasina pour qu'elle prenne le train en marche. Le refus obstiné de Hasina d'adhérer au Quad a probablement été l'élément décisif. Avec l'échec de la révolution colorée en Thaïlande, l'impasse dans laquelle se trouve l'insurrection au Myanmar et la consolidation chinoise au Sri Lanka et aux Maldives, l'importance du Bangladesh pour la stratégie occidentale dans la région est sans égale.

Il est intéressant de noter que la Maison-Blanche a publié en temps réel une déclaration saluant explicitement le changement de régime à Dhaka et félicitant l'armée : «Les USA appellent depuis longtemps au respect des droits démocratiques au Bangladesh, et nous demandons instamment que la formation du gouvernement intérimaire soit démocratique et ouverte à tous. Nous félicitons l'armée pour la retenue dont elle a fait preuve aujourd'hui».

C'est le célèbre stratège usaméricain Zbigniew Brzezinski qui a écrit le scénario de la géostratégie, le faucon libéral qui a influencé la politique étrangère du parti démocrate : «L'Ukraine, nouvel espace important sur l'échiquier eurasien, est un pivot géopolitique car son existence même en tant que pays indépendant contribue à transformer la Russie. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un empire eurasien ... si Moscou reprend le contrôle de l'Ukraine, avec ses 52 millions d'habitants, ses ressources importantes et son accès à la mer Noire, la Russie retrouve les moyens de devenir un puissant État impérial».

Si l'on remplace «Ukraine», «Russie» et «mer Noire» par «Bangladesh», «Inde» et «golfe du Bengale», on obtient une perspective étonnante à travers le brouillard. Pour dire les choses simplement, les forces extérieures ont une façon d'amplifier les demandes des groupes nationaux, en ouvrant l'espace à de nouvelles questions pour faire écho à ces demandes dans l'arène nationale. C'est ce qui s'est passé au Bangladesh. Si ce modus operandi n'est pas compris, l'Inde perd le fil de l'intrigue. Nous nous trouvons à un moment historique mondial sensible, et les tendances occidentales à intervenir dans la politique de régime des pays ont tendance à être plus fortes – le Pakistan d'abord, le Bangladesh maintenant.



 Le Bangladesh est la clé de la sécurité du nord-est de l'Inde. C'est un foyer de sentiments anti-indiens, en particulier en ces jours heureux du nationalisme hindou. Sa situation stratégique à l'extrémité du golfe du Bengale en fait une plaque tournante de la connectivité régionale. L'Inde n'a d'autre choix que de travailler dur pour obtenir un gouvernement amical à Dhaka. Il s'agit d'un point d'inflexion. De nombreux organismes publics vitaux du Bangladesh sont favorables aux USA.



Le Prix Nobel de la Paix 2006 Muhammad Yunus (84 ans), surnommé
«le banquier des pauvres» pour avoir créé la Grameen Bank de micro-crédit, 
a été nommé chef du gouvernement intérimaire mardi soir, quelques
heures après que le président, Mohammed Shahabuddin, a dissous
le 12ème parlement issu des élections générales controversées du 7 janvier.
La sélection a été faite lors d'une réunion d'une délégation de 13 membres
du Mouvement des étudiants contre la discrimination avec le président
et les chefs des trois forces de défense au Bangabhaban (résidence du
Président de la République), un jour après la chute et la fuite de Sheikh
Hasina. Yunus est attendu à Dhaka le 8 août. [NdT]


M.K.Bhadrakumar

source :  Deccan Herald via Tlaxcala

https://reseauinternational.net/changement-de-regime-a-dhaka-une-allegorie-morale/

JacquesL

Sheikh Hasina était une vieille amie

Publié le août 10, 2024 par Wayan
 




Par M.K. Bhadrakumar – Le 9 aout 2024 – Indian punchline

Il y a un problème fondamental à considérer le changement de régime au Bangladesh comme un événement "isolé". Il convient d'ajouter d'emblée que lorsqu'il s'agit de traiter des situations, rien n'arrive sans raison. L'Inde est très peu consciente de ce qui s'est passé, en particulier dans les médias. La plupart du temps, il s'agit d'un travail de "copier-coller" à partir des comptes-rendus occidentaux vus sous l'angle de la nouvelle guerre froide.

Ne souffrons-nous pas d'une vision étroite en espérant que l'Inde puisse travailler avec les Américains une fois qu'ils seront aux commandes à Dhaka ? Les Américains considéreront certainement l'Inde comme un "contrepoids" à la Chine ? De telles notions sont déjà apparues dans la presse.

Le fait même que ce soit un employé de la NSA, Ajit Doval, qui ait été dépêché pour recevoir Sheikh Hasina à la base aérienne de Hindan en dit long sur l'étroitesse de vue du gouvernement. Nous sommes nerveux à l'idée d'offrir l'asile politique à Sheikh Hasina alors qu'elle est virtuellement mise à l'index par les États-Unis et le Royaume-Uni.

Dans une situation comparable, il a fallu environ une heure à notre mission à Islamabad pour obtenir une réponse sur la "ligne directe" du ministre des affaires étrangères, feu JN Dixit, transmettant l'approbation verbale du Premier ministre de l'époque, Narasimha Rao, d'accorder l'asile politique au président afghan Najibullah, qui abandonnait le pouvoir en temps réel. Rao a apparemment pris une fraction de seconde pour prendre sa décision.

La décision de Rao est conforme à notre éthique culturelle et à notre histoire. Nous ne nous sommes pas demandé si les groupes de moudjahidines ou leurs mentors à Rawalpindi – ou le haut commandement à Washington (qui détestait Najib) – nous en voudraient. Au contraire, nous étions convaincus que la stature de l'Inde ne ferait que croître dans l'estime de la nation afghane. Et c'est précisément ce qui s'est passé.
Il suffit de regarder la vidéo d'une interview de Mohammad Yunus par Times Now (ci-dessous), qui dirige le gouvernement intérimaire à Dhaka. Ne vous faites pas d'illusions sur ses sentiments chaleureux à l'égard de l'Inde. Yunus a affirmé que ce sont les cadres de la Ligue Awami qui ont massacré les hindous et brûlé leurs propriétés. Il ne s'engage pas sur l'amitié avec l'Inde et conseille à New Delhi de travailler plus dur pour gagner le respect et l'amitié.



Ce ton combatif n'est dû qu'au fait que les Américains le soutiennent fermement. Yunus a été soutenu assidûment par les Américains pendant des décennies. Ce n'est pas un secret que le prix Nobel est décerné à des mandataires prometteurs.

Conformément à un schéma bien établi dans les révolutions de couleur, la proposition de nommer Yunus à la tête du gouvernement intérimaire émane apparemment d'un obscur leader étudiant autoproclamé, qui était lui-même considéré par les médias occidentaux comme une étoile montante – et qui a probablement été incité à lancer l'idée. La proposition a été immédiatement acceptée par le président !
La chronique des Nobels a une histoire intéressante à raconter : ils proviennent en grande majorité de pays considérés comme inamicaux par les États-Unis et choisis pour leur capacité à jeter le discrédit sur l'élite dirigeante de leur propre pays ou à discréditer certains régimes dont les politiques indépendantes et l'"autonomie stratégique" sont mal perçues par Washington.

Il suffit de jeter un coup d'œil rapide sur les cinq dernières années. Les quelques élus étaient Narges Mohammadi, militante iranienne des droits de l'homme (2023) ; Ales Bialiatski, "militant pro-démocratie" biélorusse (2022) ; Dmitry Muratov, journaliste russe (2021) ; Maria Ressa, journaliste philippine-américaine qui s'est concentrée sur le bilan en matière de droits de l'homme de l'ancien président Rodrigo Duterte dont l'"anti-américanisme" était bien connu (2020).

L'État profond a repéré Yunus dès 1965, lorsqu'il a été emmené en tant qu'étudiant étranger Fulbright à l'université Vanderbilt et a passé les années suivantes en Amérique. (Au cours des dernières décennies, les Américains ont utilisé Singapour comme terrain d'entraînement pour leurs mandataires). Au fil des ans, les mentors américains ont généreusement subventionné l'ONG de Yunus, la Grameen Bank, qui, depuis sa création en 1983, a accordé des prêts sans garantie d'un montant considérable de 7,6 milliards de dollars (à la fin 2008) dans plus d'un lakh de villages au Bangladesh, créant ainsi un vaste réseau d'influence dans le pays !

En septembre 2010, la Chambre des représentants du gouvernement américain a adopté à l'unanimité un projet de loi visant à décerner à Yunus la Médaille d'or du Congrès, qui est, avec la Médaille présidentielle de la liberté et la Médaille présidentielle des citoyens, la plus haute distinction civile décernée par le gouvernement américain.

Le président Barack Obama a rapidement signé le projet de loi. L'année précédente, en 2009, le président Obama avait décerné à Yunus la médaille présidentielle de la liberté. Yunus a ainsi rejoint le panthéon des héros américains qui ont reçu les trois distinctions : le prix Nobel de la paix (2006), la médaille présidentielle de la liberté (2009) et la médaille d'or du Congrès (2010). Les seuls autres héros à tenir compagnie à Yunus sont Martin Luther King Jr, Elie Wiesel, Mère Teresa, Nelson Mandela, Norman Borlaug et Aung San Suu Kyi.

Mais, comme le diraient les Américains, il n'y a pas de déjeuner gratuit. Depuis 2010 environ, Yunus participe aux campagnes de la National Endowment for Democracy (NED), une plateforme créée par Ronald Reagan en 1983 afin de fournir à la CIA un outil pratique pour déstabiliser les gouvernements étrangers en parrainant des projets de groupes non gouvernementaux pour des "rôles démocratiques".

La NED est une institution unique et bien équilibrée, financée par le Congrès américain. Son caractère "non gouvernemental" lui confère une flexibilité qui lui permet de travailler dans des circonstances difficiles et de réagir rapidement lorsqu'une opportunité de changement politique se présente. En d'autres termes, elle permet à la CIA de cacher sa participation aux déstabilisations politiques d'Etats.

La NED affirme se consacrer à la promotion de la croissance d'un large éventail d'institutions démocratiques à l'étranger, y compris les partis politiques, les syndicats, les marchés libres et les organisations commerciales, ainsi que les nombreux éléments d'une société civile dynamique qui garantissent les droits de l'homme, l'indépendance des médias et l'État de droit.

Avec le soutien sans faille du gouvernement américain, la NED s'est développée à pas de géant et, ces dernières années, s'est concentrée davantage sur les priorités stratégiques, notamment en Géorgie, en Ukraine, en Arménie et en Thaïlande. La principale qualification de Yunus en tant qu'enfant de chœur du projet de "démocratisation" de la NED était qu'il dirigeait une ONG soutenue par des fonds américains. Il est évident que les Américains ont créé un halo mythique autour de lui, ce qu'ils savent bien faire lorsqu'il s'agit d'améliorer le profil de leurs mandataires.

En 2011, le gouvernement du Bangladesh a forcé Yunus à démissionner de la Grameen Bank, sentant ses ambitions politiques.

La grande question est de savoir ce qui va se passer ensuite. Il est très improbable que Yunus, 84 ans, soit en mesure de jouer le rôle de bâtisseur de la nation dans le contexte politique houleux du Bangladesh.
Les Américains ont toutefois besoin d'un peu de répit avant de le remplacer – et probablement de l'élever au rang de prochain président. La révolution colorée a été organisée à la hâte alors que les conditions étaient réunies pour en déclencher une. Les étudiants réclament un partage du pouvoir ; le parti nationaliste du Bangladesh, conservateur et de centre-droit, est prêt à tout ; le Jamaat-e-Islami du Bangladesh, le plus grand des partis politiques islamistes du pays, s'appuie sur des cadres et peut devenir la troupe d'assaut du plus offrant.

Si, comme cela semble être le cas, un axe de renseignement américano-britannique-pakistanais a joué un rôle déterminant dans le détrônement d'Hasina, les jeux sont faits. Faites-leur confiance pour maintenir le nouveau régime en place, par des moyens détournés, comme c'est le cas à Islamabad depuis 2022.

Dans ses premières remarques aux médias, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a soigneusement évité de demander que le pays organise des élections anticipées. Il a déclaré : "Nous suivons la situation de très près. Je dirais simplement que toute décision prise par le gouvernement intérimaire doit respecter les principes démocratiques, l'État de droit et la volonté du peuple. Pour notre part, nous prenons très au sérieux la sécurité et le bien-être des citoyens américains et de notre personnel.  Comme vous le savez, je pense, nous avons ordonné le départ de notre personnel non essentiel et, bien entendu, nous surveillerons cette situation jour après jour".

Il est certain que Washington s'inquiète de savoir s'il a fait plus que ce qu'il pouvait faire. Il est tout à fait concevable que le modèle pakistanais se répète au Bangladesh – une classe compradore portée au pouvoir par des "élections" tandis que les militaires mènent la danse en coulisses avec le soutien du condominium américano-britannique-pakistanais, qui a orchestré le renversement d'Hasina. L'avenir est inquiétant car, pour Washington, la géopolitique l'emporte de loin sur la sécurité et la stabilité régionales.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

https://lesakerfrancophone.fr/sheikh-hasina-etait-une-vieille-amie

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JacquesL

L'ex-Première ministre du Bangladesh accuse Washington d'avoir orchestré sa démission



par Sputnik Africa

Dans une lettre citée par l'Economic Times, l'ex- Première ministre du Bangladesh Sheikh Hasina affirme que Washington est impliqué dans sa mise en retrait, car elle a refusé de céder l'île de Saint-Martin.

Sheikh Hasina, qui a démissionné du poste de Premier ministre et quitté le Bangladesh le 5 août, estime que les États-Unis sont impliqués dans sa démission, relate l'Economic Times citant une lettre de la responsable.

«J'aurais pu rester au pouvoir si j'avais renoncé à la souveraineté de l'île de Saint-Martin et permis à l'Amérique de contrôler le golfe du Bengale», explique Sheikh Hasina dans cette lettre.

Les États-Unis auraient l'intention de construire une base militaire sur l'île Saint-Martin, la seule île de corail et l'un des plus célèbres sites touristiques du Bangladesh. Cela présenterait un avantage stratégique considérable, donnant automatiquement une présence à proximité du détroit de Malacca, que la Chine utilise principalement pour ses transports, rapporte le Firstpost.

Sheikh Hasina avait quitté sa résidence officielle à Dacca pour un endroit plus sûr le 5 août, au milieu des troubles. Muhammad Yunus, lauréat du prix Nobel de la paix 2006, a été nommé chef du gouvernement intérimaire.

source : Sputnik Africa

https://reseauinternational.net/lex-premiere-ministre-du-bangladesh-accuse-washington-davoir-orchestre-sa-demission/

JacquesL

Derrière le changement de régime au Bangladesh



Une fois n'est pas coutume, le Bangladesh fait parler de lui pour autre chose qu'une catastrophe naturelle mais pour des troubles politiques. Certains ont noté que ces troubles s'accompagnent, dans ce pays à majorité musulmane, d'agressions violentes contre des personnes dont le seul tort est d'être hindouiste. On peut analyser ces violences sectaires comme consubstantielles à l'intolérance religieuse de la majorité ou comme une réponse aux agressions subies par les musulmans dans l'Inde voisine. L'agitation dans la rue a pris une forme violente tout comme la répression policière et il y a eu de nombreuses victimes.

Si on s'en tient à la violence contre la communauté hindouiste, les agressions sont le fait ou sont encouragées par certaines organisations dont la Jamaat-e-Islami interdite depuis 2013. Ce qui permet à une représentation commune de se former et de circuler en Occident, celle d'une lutte entre démocrates et fondamentalistes.

Il se trouve cependant que les choses ne sont pas si simples et au Bangladesh comme ailleurs les mouvements fondamentalistes sont instrumentalisés par les États-Unis qui s'en servent pour essayer d'établir un gouvernement à leur main. Comme le rappelle Brian Berletic, sur la base de sources publiques et vérifiables (Berletic est parfois accusé d'être conspirationnistes), ce procédé a été utilisé en Libye, en Afghanistan, en Syrie mais aussi en Ukraine où l'Oncle Sam s'est appuyé sur des néo-Nazis.

Le Bangladesh a un système politique fortement influencé par le système britannique, multipartite mais avec une constitution écrite à la différence du Royaume-Uni. La constitution note dans son préambule le caractère séculier de l'État [secular souvent traduit à mon avis improprement par laïque] quoique l'islam soit considéré comme religion d'État.

Mounadil al Djazaïri

*

Ce qui se cache derrière le changement de régime au Bangladesh

par Brian Berletic

Le violent changement de régime au Bangladesh, pays d'Asie du Sud, s'est déroulé rapidement et en grande partie de manière furtive, tandis que le reste du monde se focalisait sur le conflit en cours en Ukraine, les tensions croissantes au Moyen-Orient et la confrontation latente entre les États-Unis et la Chine dans la région Asie-Pacifique.

Les conséquences du putsch réussi, mené par des groupes d'opposition soutenus par les États-Unis, risquent d'avoir un impact sur l'Asie du Sud et du Sud-Est, ainsi que de créer de l'instabilité à la périphérie des deux nations les plus peuplées de la planète, la Chine et l'Inde.

En raison de ses relations étroites avec la Chine et l'Inde, la Russie elle-même risque d'être également affectée

Qui manifestait et qui était derrière eux ?

C'est le média financé par le gouvernement américain, Voice of America, qui a admis dans un article de 2023 le rôle joué par l'ambassadeur des États-Unis au Bangladesh lui-même dans le soutien à l'opposition dans ce pays d'Asie du Sud.

L'article admettait dans une légende de photo que l'ambassadeur américain Peter Haas «est populaire au Bangladesh parmi les militants pro-démocratie et des droits de l'homme et les détracteurs du régime de Sheikh Hasina».

Le même article reconnaissait les mesures déjà prises par les États-Unis pour faire pression sur le Bangladesh afin qu'il organise les prochaines élections de manière à produire le résultat souhaité par Washington, notant que :

...le gouvernement des États-Unis a annoncé qu'il avait commencé à «prendre des mesures pour imposer des restrictions de visa» aux Bangladais reconnus complices de «l'atteinte au processus électoral démocratique» au Bangladesh.

L'article admettait que le parti de la Ligue Awami (AL), qui dirigeait le Bangladesh jusqu'aux récentes et violentes manifestations, avait accusé l'ambassadeur américain Haas d'interférer dans les affaires politiques internes du Bangladesh et plus particulièrement de soutenir le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) de l'opposition ainsi que la violence de rue menée en son nom.

Le «Muscle»

Alors que les médias occidentaux ont décrit les troubles au Bangladesh comme des manifestations «pro-démocratie» menées par des «manifestants étudiants», la BBC, dans son article de juillet 2023 intitulé «La Première ministre bangladaise accuse ses ennemis politiques d'être responsables de la violence», admettait indirectement que le BNP et le mouvement Jamaat-e-Islami, y compris ses ailes étudiantes, étaient derrière la violence.



Manifestants de la Jammat-e-Islami à Dhaka

Depuis que le Bangladesh a obtenu son indépendance [en 1971, NdT], il a interdit le Jammat-e-Islami par intermittence pendant des décennies, selon qui détenait le pouvoir, l'organisation étant accusée d'avoir commis de nombreux actes de violence.

Voice of America, reprenant un article de l'Associated Press, note que «la plupart des hauts dirigeants du parti ont été pendus ou emprisonnés depuis 2013 après que les tribunaux les ont reconnus coupables de crimes contre l'humanité, notamment de meurtres, d'enlèvements et de viols en 1971».

Il convient de noter qu'en dehors du Bangladesh, d'autres gouvernements ont également désigné le Jammat-e-Islami comme une organisation terroriste, dont la Fédération de Russie.

Le département d'État américain, pour sa part, a publié un rapport pas plus tard qu'en 2023, blanchissant l'histoire violente et la menace persistante que l'organisation représente pour le Bangladesh, décrivant plutôt le Jammat-e-Islami comme victime des «abus» du gouvernement .

Bien que les médias occidentaux aient fait état de l'interdiction du Jammat-e-Islami, aucun de ces rapports n'a cherché à nier son implication dans les manifestations les plus récentes.

Le «Visage» des manifestations

Tout comme d'autres manifestations organisées par les États-Unis à travers le monde, il semble qu'un conglomérat d'organisations violentes comme Jammat-e-Islami ainsi que des groupes dits de la «société civile» financés par le gouvernement américain et des partisans de partis d'opposition soutenus par les États-Unis soient descendus dans la rue, chacun jouant un rôle essentiel.

Des rassemblements violents dans les rues alimentent la violence dans le but d'intensifier les protestations, la société civile se présente comme le «visage» du mouvement à la fois dans les rues et dans l'espace d'informationnel, tandis que les partis politiques soutenus par les États-Unis utilisent le chaos qui en résulte pour se hisser au pouvoir.

Plusieurs étudiants du département des sciences politiques de l'université de Dhaka, dont Nahid Islam et Nusrat Tabassum, ont joué le rôle de «visage» auprès du public mondial. Ils ont tous deux leur propre profil sur les gouvernements américain et européen ainsi que sur la base de données Front Line Defenders financée par l'Open Society.

Comme de plus en plus de gens dans le monde commencent à comprendre et à rechercher des preuves de l'implication du gouvernement américain dans les changements de régime à travers le monde, les États-Unis se montrent plus prudents dans leur manière de soutenir de telles activités. Alors que Nahid Islam, Nusrat Tabassum et d'autres leaders clés des manifestations «étudiantes» n'ont aucun lien direct connu avec le gouvernement américain, l'Université de Dhaka en a un.

Le département de science politique, dont sont issus ces «leaders», mène régulièrement des activités avec des organisations et des forums centrés sur l'Occident. Le département est composé de professeurs impliqués dans des programmes financés par le gouvernement américain, notamment le projet «Confronting Misinformation in Bangladesh (CMIB)». Parmi eux figurent les professeurs Saima Ahmed et Kajalei Islam, qui font tous deux partie de l'équipe de direction du projet aux côtés de bénéficiaires de subventions du National Endowment for Democracy (NED) et de boursiers Fulbright du département d'État américain.

Considérant à quel point le département de science politique de l'Université de Dhaka a été infiltré par le gouvernement américain grâce aux sommes importantes et aux bourses mises à disposition par le NED et Fulbright, l'émergence d'«étudiants» servant les intérêts américains en se faisant passer pour le visage du changement de régime soutenu par les États-Unis au Bangladesh n'est pas une surprise.

Un modèle familier

L'utilisation de mobilisations violentes dans les rues dirigées par des extrémistes et de ce que l'on appelle des «manifestations étudiantes» pour déstabiliser des nations ciblées, renverser des gouvernements et aider à installer au pouvoir des partis d'opposition soutenus par les États-Unis s'inscrit dans un modèle à l'échelle du monde, reconnu par les médias occidentaux eux-mêmes.

En 2004, le Guardian de Londres a admis que les États-Unis avaient parrainé des changements de régime en Europe de l'Est, ciblant la Biélorussie, la Serbie et l'Ukraine, ainsi que la Géorgie dans la région du Caucase, déclarant à propos des troubles en Ukraine à l'époque que :

«...cette campagne est une création américaine, un exercice sophistiqué et brillamment conçu de marketing de masse et de branding occidental qui, dans quatre pays en quatre ans, a été utilisé pour tenter de faire reconnaître des élections truquées et de renverser des régimes honnis. Financée et organisée par le gouvernement américain, avec le concours de consultants, sondeurs, diplomates américains, des deux grands partis américains et d'organisations non gouvernementales américaines, la campagne a été utilisée pour la première fois en Europe, à Belgrade en 2000, pour battre Slobodan Milosevic aux élections».

Le même article affirme également que «l'opération – l'ingénierie de la démocratie par les urnes et la désobéissance civile – est désormais si bien huilée que les méthodes sont devenues un modèle pour gagner les élections dans d'autres pays».

Le même «modèle» sera à nouveau utilisé au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en 2011, selon le New York Times dans son article «Des organisations américaines ont contribué à nourrir les soulèvements arabes».

Le NYT admettait :

«Selon des entretiens réalisés ces dernières semaines et des câbles diplomatiques américains obtenus par WikiLeaks, un certain nombre de groupes et d'individus directement impliqués dans les révoltes et les réformes qui ont balayé la région ont reçu une formation et un financement d'organismes comme l'International Republican Institute le National Democratic Institute et Freedom House, une organisation à but non lucratif de défense des droits de l'homme basée à Washington».

L'article mentionnerait nommément le NED et ses filiales, ainsi que le département d'État américain et ses partenaires parmi les entreprises technologiques basées aux États-Unis comme Google et Facebook (maintenant Meta), tous impliqués dans l'application du même «modèle» décrit par le Guardian en 2004.

Les troubles de 2011 dans le monde arabe et le renversement du gouvernement ukrainien en 2014 ont tous deux été marqués par le recours à des organisations extrémistes soutenues par les États-Unis. En Libye, en Égypte, en Tunisie et en Syrie, ce sont des organisations affiliées aux Frères musulmans et à Al-Qaïda qui ont été utilisées, tandis qu'en Ukraine, ce sont des milices néonazies qui ont joué ce rôle. Ces deux réseaux [néo-nazis et fondamentalistes, NdT] d'extrémistes violents ont depuis joué un rôle important dans les guerres qui ont suivi les changements de régime par les Américains dans ces régions.

Alors que les États-Unis font ouvertement pression sur le Bangladesh pour qu'il organise des élections selon les normes de Washington, pendant que leur ambassadeur à Dhaka soutient ouvertement les groupes d'opposition cherchant à renverser le gouvernement bangladais, il est très clair que ce «modèle» a désormais été appliqué avec succès au Bangladesh.

Qui les manifestants soutenus par les États-Unis veulent-ils voir accéder au pouvoir ?

L'Associated Press (via le magazine Time) dans son article intitulé «Bangladesh Protesters Pitch Nobel Laureate Muhammad Yunus to Lead Interim Government» (Des manifestants au Bangladesh proposent au lauréat du prix Nobel Muhammad Yunus de diriger un gouvernement intérimaire) rapporte :

«Un animateur important des manifestations étudiantes au Bangladesh a déclaré que le lauréat du prix Nobel de la paix Muhammad Yunus était leur choix pour diriger un gouvernement intérimaire, un jour après la démission de la Première ministre de longue date Sheikh Hasina».

Ce sont les «leaders étudiants» issus du département des sciences politiques de l'Université de Dhaka qui ont proposé le nom de Yunus, et il n'est donc pas surprenant que Yunus lui-même soit à la fois un boursier Fulbright du département d'État américain et un récipiendaire de diverses récompenses attribuées par l'Occident collectif pour renforcer sa crédibilité.

Ce qui inclut le prix Nobel de la paix, décerné à d'autres mandataires des États-Unis dans le monde, notamment à Aung San Suu Kyi dans la Birmanie voisine.

Yunus a également reçu l'US Presidential Medal of Freedom en 2009 et la médaille du Congrès des États-Unis en 2013. Sur le site Web de l'organisation de Yunus, le «Yunus Centre», dans un article de 2013 intitulé «Dr. Muhammad Yunus, premier musulman américain récipiendaire de la médaille d'or du Congrès», il est bizarrement désigné comme un «musulman américain», bien qu'aucune indication ne précise qu'il possède réellement la citoyenneté américaine.

Les conséquences d'un changement de régime au Bangladesh

Malgré le soutien et les affiliations évidents de tous ceux impliqués dans les manifestations au Bangladesh avec le gouvernement des États-Unis, il convient également de mentionner que le BNP et Yunus lui-même ont cultivé des liens avec des adversaires des USA, dont la Chine.

Malheureusement, les informations sur la crise politique au Bangladesh ont été largement diffusées dans le monde entier, accompagnées de discours creux sur la «démocratie» et la «liberté», au lieu de traiter de la politique intérieure ou extérieure que l'opposition pourrait vouloir mettre en œuvre si elle prenait le pouvoir. Cependant, l'implication profonde des États-Unis dans le renversement du gouvernement en place au Bangladesh et forte présence de Washington dans le système éducatif et politique du pays sont de mauvais augure pour le
Bangladesh et ses voisins.

Les États-Unis ont des raisons évidentes de créer le chaos à la périphérie de la Chine. Alors qu'un conflit violent fait déjà rage en Birmanie, le voisin oriental du Bangladesh, étendre ce chaos au Bangladesh lui-même ne fait que déstabiliser davantage la région. Cela ouvre notamment la porte à l'échec des projets communs entre la Chine et le Bangladesh et à la création d'un autre goulet d'étranglement potentiel le long du réseau de ports chinois dit «collier de perles», qui soutient son important transport maritime vers le Moyen-Orient et au-delà.

Cette situation exerce également une pression sur l'Inde. La perspective d'une crise politique à sa frontière s'accroissant, New Delhi pourrait être poussée à faire des concessions aux États-Unis au sujet de ses relations avec la Russie et de son rôle dans l'achat et la vente d'énergie russe pour contourner les sanctions occidentales.

Quelles que soient les conséquences du changement de régime au Bangladesh soutenu par les États-Unis dans les semaines et les mois à venir, il est important de comprendre à quel point les États-Unis sont encore profondément impliqués dans le monde entier, même dans des pays qui sont souvent absents des gros titres quotidiens et des analyses géopolitiques. Il est également important de comprendre la nécessité d'une plus grande prise de conscience de la manière dont les États-Unis interfèrent dans le monde et de la manière dont ils peuvent être à la fois dénoncés et arrêtés.

Toute ingérence américaine réussie n'importe où dans le monde contribue à favoriser encore davantage l'ingérence américaine partout ailleurs.

source : New Eastern Outlook via Mounadil al Djazaïri

https://reseauinternational.net/derriere-le-changement-de-regime-au-bangladesh/

JacquesL

Sheikh Hasina s'exprime sur le complot américain contre elle

Publié le août 15, 2024 par Wayan


Par M.K. Bhadrakumar – Le 11 aout 2024 – Source Indian Punchline



L'article exclusif publié aujourd'hui dans The Economic Times et reprenant les premières remarques de Sheikh Hasina après son éviction du pouvoir sera une gifle pour les nigauds de notre pays qui parlent avec éloquence de l'évolution de la situation dans ce pays comme d'un moment de démocratie autonome dans la politique régionale.

Hasina a déclaré à ET : "J'ai démissionné pour ne pas avoir à voir un cortège de cadavres. Ils voulaient arriver au pouvoir sur les cadavres des étudiants, mais je ne l'ai pas permis, j'ai démissionné de mon poste de premier ministre. J'aurais pu rester au pouvoir si j'avais renoncé à la souveraineté de l'île de Saint-Martin et permis à l'Amérique d'exercer son emprise sur le golfe du Bengale. Je supplie le peuple de mon pays de ne pas se laisser manipuler par les radicaux".

Le rapport d'ET, citant des sources de la Ligue Awami, laisse entendre que l'homme de main de la révolution colorée au Bangladesh n'est autre que Donald Lu, l'actuel secrétaire d'État adjoint aux affaires d'Asie centrale et du Sud, qui s'était rendu à Dacca en mai.



île de Saint-Martin – golfe du Bengale

Cette affirmation est assez crédible. Une vérification des antécédents de Lu dans le cadre de ses différentes affectations permet d'en savoir plus. Ce "diplomate" sino-américain a été responsable politique à Peshawar (1992-1994), assistant spécial de l'ambassadeur Frank Wisner (dont la lignée familiale d'agents de l'État profond est bien trop connue pour être expliquée) à Delhi (1996-1997), puis chef adjoint de la mission pour l'Asie centrale (1996-1997) ; puis chef de mission adjoint à Delhi de 1997 à 2000 (où son portefeuille comprenait le Cachemire et les relations entre l'Inde et le Pakistan), héritant curieusement du poste de Robin Raphel, dont la réputation de bête noire de l'Inde est toujours d'actualité – analyste de la CIA, lobbyiste et "expert" des affaires pakistanaises.

En effet, Lu s'est rendu au Bangladesh à la mi-mai et a rencontré des hauts fonctionnaires et des dirigeants de la société civile. Peu après sa visite, les États-Unis ont annoncé des sanctions à l'encontre du général Aziz Ahmed, alors chef de l'armée bangladaise, pour ce que Washington a qualifié d'implication dans une "corruption importante".

Après sa visite à Dhaka, Lu a déclaré ouvertement à Voice of America : "La promotion de la démocratie et des droits de l'homme au Bangladesh reste une priorité pour nous. Nous continuerons à soutenir le travail important de la société civile et des journalistes et à plaider en faveur des processus et des institutions démocratiques au Bangladesh, comme nous le faisons dans les pays du monde entier...Nous avons condamné ouvertement les violences qui ont entaché le cycle électoral [en janvier] et nous avons exhorté le gouvernement du Bangladesh à enquêter de manière crédible sur les incidents violents et à demander des comptes à leurs auteurs. Nous continuerons à nous engager sur ces questions...".

Lu a joué un rôle proactif similaire lors de sa précédente mission au Kirghizstan (2003-2006), qui avait débouché aussi sur une révolution de couleur. Lu s'est spécialisé dans l'encouragement et le pilotage des révolutions de couleur, qui ont conduit à des changements de régime en Albanie, en Géorgie, en Azerbaïdjan, au Kirghizstan et au Pakistan (éviction d'Imran Khan).

Les révélations de Sheikh Hasina n'ont pas surpris les services de renseignement indiens. À l'approche des élections au Bangladesh en janvier, le ministère russe des affaires étrangères avait ouvertement affirmé que la diplomatie américaine changeait de tactique et planifiait une série d'événements visant à déstabiliser la situation au Bangladesh dans le scénario post-électoral.

Le porte-parole du ministère des affaires étrangères a déclaré à Moscou :

CiterLes 12 et 13 décembre, dans un certain nombre de régions du Bangladesh, des opposants au gouvernement actuel ont bloqué le trafic routier, brûlé des bus et affronté la police. Nous voyons un lien direct entre ces événements et l'activité incendiaire des missions diplomatiques occidentales à Dhaka. En particulier, l'ambassadeur américain P. Haas, dont nous avons déjà parlé lors de la réunion d'information du 22 novembre.
Il y a de sérieuses raisons de craindre que, dans les semaines à venir, un arsenal de pressions encore plus large, y compris des sanctions, soit utilisé contre le gouvernement du Bangladesh, qui est indésirable pour l'Occident. Des industries clés pourraient être attaquées, ainsi qu'un certain nombre de fonctionnaires qui seront accusés sans preuve d'entraver la volonté démocratique des citoyens lors des prochaines élections législatives du 7 janvier 2024.

Malheureusement, il y a peu de chances que Washington revienne à la raison et s'abstienne d'une nouvelle ingérence flagrante dans les affaires intérieures d'un État souverain. Nous sommes toutefois convaincus que, malgré toutes les machinations des forces extérieures, la question du pouvoir au Bangladesh sera finalement tranchée par le peuple ami de ce pays, et par personne d'autre.

Moscou et Pékin ont néanmoins adopté une position scrupuleusement correcte de non-ingérence. Fidèle au pragmatisme russe, l'ambassadeur de Moscou au Bangladesh, Alexander Mantytsky, a indiqué que son pays "coopérera avec tout dirigeant et gouvernement élu par le peuple du Bangladesh qui est prêt à un dialogue égal et mutuellement respectueux avec la Russie".

Cela dit, la Russie et la Chine doivent s'inquiéter des intentions des États-Unis. En outre, elles ne peuvent qu'être sceptiques quant à la tournure que prendront les événements, compte tenu du bilan catastrophique des régimes clients des États-Unis, catapultés au pouvoir à la faveur de révolutions de couleur.

Contrairement à la Russie, qui a des intérêts économiques au Bangladesh et participe à la création d'un ordre mondial multipolaire, les intérêts sécuritaires de la Chine et de l'Inde seront directement affectés si le nouveau régime de Dhaka ne tient pas ses promesses et si le pays sombre dans la crise économique et l'anarchie en tant qu'État en déliquescence.

La question de savoir si ce changement de régime à Dacca, orchestré par Washington, est "centré sur l'Inde" ou non est donc discutable. Le cœur du problème est qu'aujourd'hui, l'Inde est flanquée à l'ouest et à l'est de deux régimes hostiles qui sont sous l'influence des États-Unis. Et cela se produit à un moment où de nombreux signes indiquent que les politiques étrangères indépendantes du gouvernement et son adhésion obstinée à l'autonomie stratégique ont bouleversé la stratégie indo-pacifique des États-Unis.

Le paradoxe est que la révolution colorée au Bangladesh a été déclenchée moins d'une semaine après la réunion ministérielle du Quad à Tokyo, qui était d'ailleurs une initiative américaine organisée à la hâte. Est-il possible que l'establishment indien se soit laissé bercer par un sentiment de complaisance ?

Le ministre britannique des affaires étrangères, David Lammy, a contacté le ministre des affaires extérieures, S. Jaishankar, par un appel téléphonique le 8 août, coïncidant avec la nomination du gouvernement intérimaire à Dhaka, que le Royaume-Uni a salué tout en appelant à "une voie pacifique vers un avenir démocratique inclusif" pour le Bangladesh – tout comme le peuple de ce pays mérite "qu'on lui rende des comptes" (souligné par l'auteur).

L'Inde reste muette. Le seul moyen pour le Bangladesh de sortir de cette situation est de mettre en place un processus démocratique inclusif. Mais la nomination, apparemment sur recommandation des étudiants, d'un avocat formé aux États-Unis en tant que nouveau président de la Cour suprême à Dhaka est un autre signe inquiétant du resserrement de l'emprise de Washington.

Dans ce contexte géopolitique, un commentaire paru jeudi dans le quotidien chinois Global Times, intitulé « Les relations Chine-Inde s'assouplissent, vers de nouvelles réalités », donne matière à réflexion.

Il y est question de l'impératif pour l'Inde et la Chine de "créer un nouveau type de relations qui reflète leur statut de grandes puissances... Les deux pays devraient saluer et soutenir la présence de l'autre dans leurs régions voisines respectives". Sinon, souligne le commentaire, "il sera difficile d'améliorer l'environnement diplomatique des deux pays".

Le changement de régime au Bangladesh témoigne de cette nouvelle réalité. En définitive, si d'un côté, les Indiens ont adhéré au discours américain selon lequel ils constituent un "contrepoids à la Chine", en réalité, les États-Unis ont commencé à exploiter les tensions entre l'Inde et la Chine pour les maintenir à l'écart afin de faire avancer leur propre agenda géopolitique, à savoir l'hégémonie régionale.

Delhi devrait avoir une vue d'ensemble stratégique de ses intérêts dans ce changement de paradigme, car la façon habituelle de penser ou de faire quelque chose dans notre voisinage est brusquement remplacée par une expérience nouvelle et différente que Washington a unilatéralement imposée. Ce que nous n'avons peut-être pas compris, c'est que les germes du nouveau paradigme étaient déjà présents dans le paradigme existant.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

https://lesakerfrancophone.fr/sheikh-hasina-sexprime-sur-le-complot-americain-contre-elle

JacquesL

Révolution colorée au Bangladesh



par Thierry Meyssan

Après avoir organisé le renversement d'Imran Khan au Pakistan, les États-Unis sont parvenus à renverser également Sheikh Hasina au Bangladesh. Un troisième changement de régime serait en préparation dans la région. Washington, chef du «monde libre», ne change donc pas : au mépris de la volonté des peuples, il leur impose des dirigeants.

Sheik Hasina, qui depuis quinze ans dirigeait le Bangladesh et était célébrée comme une championne de la démocratie, a été subitement renversée par la foule, le 4 août. Elle est accusée par le nouveau gouvernement d'avoir transformé son régime en dictature. Effectivement, les élections législatives du 7 janvier 2024 lui ont donné un parlement obéissant car elles ont été boycottées par l'opposition et, surtout, les manifestations de juillet-août ont été réprimées de manière sanglante, faisant au moins 250 morts, peut-être 650.

Comme toujours, les apparences sont trompeuses et les raccourcis médiatiques de pures intoxications.

Le 24 mai 2023, le département d'État US a interdit d'accès au territoire des États-Unis à certains dirigeants bengalais afin, disait-il, de les contraindre à organiser des élections libres et équitables.1

Première anomalie : ingérences de la Commission européenne et du département d'État US

Le 6 janvier, c'est-à-dire la veille des élections générales boycottées par l'opposition, Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, avait mis en cause les ingérences de la Commission européenne et du département d'État US dans l'organisation de ces élections2. Selon le Washington Post, Bharat serait intervenu auprès du département d'État pour que le changement de régime au Bengladesh se fasse en douceur.

On sait que l'International Republican Institute (IRI) et le National Democratic Institute (NDI) se sont largement investis dans la préparation de ses élections. Ces organismes, liés à la CIA, ont même reçu plusieurs millions de la National Endowment for Democracy (NED) pour cela.

La Cour suprême bengalie a restauré le système des quotas dans la fonction publique, en juin. Ceux-ci sont réservés aux vétérans de la guerre d'indépendance (1971) et à leurs descendants, ce qui favorise les membres de la Ligue Awami au pouvoir qui a fait la guerre d'indépendance. De jeunes diplômés se retrouvent sans perspective d'emploi. Une grève pacifique est organisée par des syndicats étudiants. Elle est interrompue durant les fêtes musulmanes (Aïd).

Après les élections de janvier 2024, un diplomate états-unien avait mis en garde Sheikh Hasina : si elle n'acceptait pas de céder une partie du territoire du Bengale, de créer un État chrétien à cheval sur le Myanmar et d'installer une base militaire aérienne étrangère sur l'île Saint-Martin, elle serait renversée. Le 24 mai 2024, c'est-à-dire deux semaines avant le début du mouvement contre elle, Sheikh Hasina avait rassemblé les dirigeants des 14 partis politiques de sa coalition pour les avertir de ce complot3. En vain.

Seconde anomalie : opérations de destruction des symboles du Bangladesh

Dès le début de la grève, en juin, des individus ont attaqué et vandalisé les monuments à la gloire du fondateur de la nation, Sheikh Mujibur Rahman (assassiné en 1975). Or, à ce moment-là, personne ne critiquait cette gloire nationale. Il se trouve que celui-ci n'est pas seulement le père de la nation (Bangabandhu), mais aussi celui de la conseillère principale (Première ministre), Sheikh Hasina. C'est très exactement ce que l'on avait vu au début de la guerre en Syrie (2011) : des individus non identifiés avaient saccagé les statues d'Hafez el-Assad (1930-2000), que pourtant à l'époque, personne dans son pays ne contestait. Il s'agissait non pas de mettre en cause son héritage, mais de détruire des symboles de l'État de manière à délégitimer son fils et successeur, Bachar el-Assad.

Les médias internationaux n'ont pas attaché d'importance à ces actions contre les monuments publics. Ils étaient, selon toute vraisemblance, perpétrés par des membres du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP). Cette formation, fut créée par Ziaur Rahman, président du Bangladesh de 1977 à 1981, date de son assassinat. Elle est favorable aux islamistes, tandis que la Ligue Awami est laïque. Toute l'histoire du demi-siècle d'existence du Bangladesh est une lutte entre islamistes et laïques. La présidente du BNP et ancienne conseillère principale (1991-1996 et 2001-2006), Khaleda Zia, est aujourd'hui en prison pour détournement de fonds. Son fils, Tarique Rahman, poursuit son combat depuis Londres (capitale de l'ancien empire des Indes dont le Bangladesh est issu) où il vit en exil.



Toujours derrière son père, Hunter Biden ne touchera les 100 millions promis qu'après
la libération de Khaleda Zia et l'accession au pouvoir du BNP.

Depuis mai 2023, le BNP a engagé Hunter Biden (fils du président états-unien) via la société Blue Star Strategies. L'accord précise qu'Hunter Biden touchera, en plus des frais de lobbying, 100 millions de dollars lorsque le BNP reviendra au pouvoir.

Les islamistes sont représentés par la Jamaat-e-Islami, fondée par Sayyid Abul Ala Maududi et Saïd Ramadan, représentant la Confrérie égyptienne des Frères musulmans. Ils militent contre l'État bengalais et pour le rattachement au Pakistan.

Le 10 juillet, une marche de protestation se heurte à des manifestants de la Ligue Awami. Le 19 juillet, les manifestants attaquent un centre de détention, libèrent les prisonniers et l'incendient. Les émeutes qui suivent font plus d'une centaine de morts. Le 4 août, de nouvelles émeutes font 97 morts supplémentaires. La conseillère principale, Sheikh Hasina, démissionne après 650 morts en deux mois et s'enfuit en Inde avec un hélicoptère militaire.4

Troisième anomalie : un régime pacifique devient soudainement meurtrier

Sheikh Hasina n'avait jamais fait tirer sur la foule. Pourquoi, soudainement, a-t-elle répandu ce flot de sang ? Nous retrouvons ici la méthode mise au point par les États-Unis durant les guerres de Yougoslavie et que je les ai vus appliquer en Libye et en Syrie : des tireurs d'élite placés sur les toits blessent ou tuent à la fois des policiers et des manifestants de sorte que chacun considère l'autre comme un ennemi.

Le 6 août, Mohammad Shahabuddin, président de la République, dissout le Parlement et nomme Muhammad Yunus conseiller principal intérimaire (Premier ministre) du Bangladesh pour diriger le gouvernement après des discussions avec l'armée et le mouvement.

Quatrième anomalie : un outsider devient conseiller principal

Par un heureux hasard, Muhammad Yunus avait annoncé en juin son intention de revenir en politique et de gouverner le Bangladesh5. Il en va toujours ainsi dans les révolutions colorées : le gagnant n'est jamais celui qu'on croit.


Le banquier Muhammad Yunus (83 ans) est devenu conseiller principal du Bangladesh
sans avoir à faire quoi que ce soit. Il n'assurera pourtant cette fonction qu'en attendant
que les États-Unis révèlent celui pour qui ils ont organisé cette opération.

L'économiste Muhammad Yunus (prix Nobel de la Paix 2006 pour sa pratique des micro-crédits) était entré en conflit avec Sheikh Hasina qui contestait l'action de sa banque de micro-crédits. Il avait transféré 100 millions de dollars de subventions de divers pays à une entreprise familiale pour éviter de payer des impôts et facturait des taux d'intérêt élevés pour les femmes pauvres de 21 à 37%.6

Yunus est un ami personnel des Clinton et un donateur majeur de la Clinton Global Initiative (CGI). Les Clinton ont menacé Sheikh Hasina de s'opposer à un prêt d'un milliard deux cent mille dollars de la Banque mondiale si le Bangladesh poursuivait Muhammad Yunus. Faute de ce prêt, la construction du pont ferroviaire sur le fleuve Padma a été interrompue. Des journaux, financés par les États-Unis, ont prétendument révélé des rétro-commissions versées par l'entreprise de construction canadienne du pont à Sheikh Hasina. Celle-ci a crié son innocence et accusé Muhammad Yunus d'avoir ourdi ce complot. Il avait alors été défendu par l'ancien président de la Banque mondiale et membre du comité directeur du groupe Bilderberg, James Wolfensohn. Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno Ocampo, est venu sur place en vue de procéder à des inculpations. Cependant il n'y a pas eu de poursuites bengalaises contre Muhammad Yunus et un tribunal canadien a établi qu'il n'y avait pas de malversation dans la construction du Pont de Padma.

Dès sa nomination, Muhammad Yunus s'est auto-attribué 25 ministères. Il a déclaré lors de sa première conférence de presse : «J'ai pris les rênes d'un pays qui, à bien des égards, était un véritable gâchis. Dans ses efforts pour rester au pouvoir, la dictature (sic) de Sheikh Hasina a détruit toutes les institutions du pays. Le système judiciaire a été brisé. Les droits démocratiques ont été supprimés par une répression brutale qui a duré dix ans et demi».

Thierry Meyssan
source : Réseau Voltaire


https://reseauinternational.net/revolution-coloree-au-bangladesh/