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Terrorisme patronal sous fausse bannière (I) : Massacre de Haymarket (1886)

Démarré par JacquesL, 26 Juin 2024, 07:01:09 PM

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JacquesL

Terrorisme patronal sous fausse bannière (I) : Massacre de Haymarket (1886)




par Antoine Marcival

Voici un terrorisme d'un genre particulier. C'est le terrorisme dit «de provocation». D'étranges projectiles, bombes ou balles de pistolet entre autres, vont viser, lors d'une manifestation ou d'une grève, les forces de police. Qui s'en donneront alors à cœur joie pour réprimer les manifestants. Quant à la justice, elle fera ce qu'il faut pour corroborer la seule version décemment présentable de l'événement : le coup évidemment, ou la bombe, provenait des manifestants. Et non certes de quelque provocateur à la solde d'obscures officines patronales.

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Cet article reprend l'entrée no6 de l'essai «Index obscurus : deux siècles et demi de complots 1788-2022», publié aux éditions JC Godefroy en janvier 2024. Ce livre s'attache à démontrer combien l'utilisation péjorative du terme «complotiste» n'a pas de sens : les complots, très souvent par le biais d'attentats sous fausse bannière, pullulent dans l'histoire humaine, et particulièrement dans l'histoire occidentale moderne.

Beaucoup l'oublient, qui jouissent de la retraite ou de la sécurité sociale tout en vilipendant les grèves et les manifestations, mais la bourgeoisie n'a jamais rien lâché de son propre chef. Toute revendication ayant abouti pour diminuer le temps de travail, augmenter les salaires, avoir le droit d'être soigné ou de disposer d'une pension de vieillesse, fut payée par le sang de ceux qui luttèrent pour ces droits et se placèrent en première ligne face aux forces de la réaction. En 1886, la semaine de travail d'un ouvrier dure en général soixante heures, et parfois jusqu'à soixante-douze heures : dix à douze heures par jour réparties sur six jours (le dimanche étant le seul jour chômé). Il n'y a évidemment pas de congés payés. Vingt ans plus tôt, la revendication pour la journée de huit heures a été adoptée par l'Association internationale des travailleurs : «8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de repos» selon le slogan de Robert Owen, souvent présenté comme le «père fondateur» du socialisme britannique. La revendication est reprise par les syndicats des travailleurs américains à partir de 1884. Des grèves sont lancées et le 1er mai – jour traditionnel où les contrats prenaient fin dans les entreprises américaines – devient la date symbolique de cette revendication.

En 1886, un appel à la grève générale est lancé aux États-Unis. Celle-ci est particulièrement suivie parmi les ouvriers des usines de matériel agricole McCormick. C'est le branle-bas de combat du côté du patronat, de la bourgeoisie rentière et de leurs affidés de l'ordre. Que le mouvement fasse tache d'huile et ce seront des millions de dollars en moins pour les poches jamais assez pleines des propriétaires parasites du capital. Les «jaunes» sont envoyés, agents embauchés pour briser la grève par tous les moyens, si possible violents. La fameuse agence Pinkerton compte parmi les principales pourvoyeuses de ces «briseurs de grève», n'hésitant pas à recourir régulièrement à la violence, aux provocations et à l'assassinat de syndicalistes afin d'étouffer dans l'œuf tout mouvement risquant de s'étendre : ce sont des centaines de syndicalistes qui seront ainsi exécutés par les «Pinkertons».

La répression de la grève des «Mollies», mineurs dans les puits de charbon de Schuylkill en Pennsylvanie, donne une idée de la violence terrible que doivent affronter les travailleurs en lutte à cette époque. Sur réclamation de Franklin Gowen, président d'une des principales compagnies ferroviaires de transport de charbon aux États-Unis, l'État de Pennsylvanie fait intervenir ses miliciens, accompagnés d'agents de la Pinkerton. Les grévistes sont dispersés avec violence et trois dirigeants syndicaux sont assassinés. Nombre de «Mollies» sont arrêtés, qui vont faire l'objet d'accusations calomnieuses de la part de Franklin Gowen : vingt d'entre eux seront condamnés à la pendaison après un simulacre de procès.

Le 3 mai 1886, à Chicago, les «jaunes» envoyés par l'agence Pinkerton et les policiers armés de fusils à répétition font deux morts et plusieurs dizaines de blessés parmi les grévistes des usines McCormick. Une protestation afin de dénoncer les violences patronales et policières est aussitôt décidée pour le lendemain, dans le quartier de Fulton River District. Les militants anarchistes Auguste Spies et Albert Parsons font notamment partie des orateurs qui y prendront la parole. Deux jours plus tôt, suite à la manifestation du 1er mai, un journaliste du Chicago Mail écrivait à leur propos : «Deux dangereux chenapans se promènent en liberté dans notre ville ; deux lâches qui ne songent qu'à semer le désordre sans prendre de risques personnels. Il faut prendre ces deux hommes et en faire un exemple». Assurément, le rôle de chien de garde de l'ordre bourgeois était déjà tenu et bien tenu par les journalistes ! Le rassemblement du 4 mai 1886 se déroule d'abord sans heurts, le maire de Chicago ayant lui-même fait le déplacement. Tout dérape néanmoins dans la soirée. Tandis que la foule se disperse dans le calme, des manifestants sont chargés par les policiers au Haymarket Square. Une bombe explose à cet instant parmi les forces de l'ordre, tuant un policier. D'où vient-elle ? Qui l'a jetée ? S'agit-il d'une provocation dont les agents de la Pinkerton, sur ordre de leurs commanditaires de la grande industrie, sont coutumiers, qui permet aux forces de l'ordre de tirer sans sommation sur les grévistes ? Pour la justice et la presse, les coupables ne font pourtant pas mystère : ce sont les anarchistes ! Huit sont arrêtés parmi lesquels Auguste Spies et Albert Sparsons. Les jurés désignés pour le procès ne comptent aucun ouvrier et l'un d'entre eux est même un parent du policier tué par la bombe. Le procureur Julius Grinnel déclare : «Ces huit hommes ont été choisis parce qu'ils sont des meneurs. Ils ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivent. Messieurs du jury : condamnez ces hommes, faites d'eux un exemple, faites-les pendre et vous sauverez nos institutions et notre société». Sept des huit accusés sont condamnés à être pendus. Quatre sont pendus le 11 novembre 1887, jour qui prendra le nom de «Black Friday». Il ne faudra que sept ans pour qu'ils soient réhabilités et leur procès reconnu comme tenant du pire des simulacres, truffé de fausses preuves.

Il est plus qu'invraisemblable que le mouvement anarchiste ait couvert un des siens alors que sept innocents allaient être pendus. Mais, malgré le nombre de témoins sur place attestant la présence d'agents infiltrés de la Pinkerton dans la manifestation, jamais celui qui lança la bombe ne sera retrouvé. Dans ce genre d'affaire susceptible d'avoir été le fruit d'un complot policier et/ou patronal, c'est généralement le signe que le pouvoir ne se sent pas très à l'aise avec la vérité.


https://reseauinternational.net/terrorisme-patronal-sous-fausse-banniere-i-massacre-de-haymarket-1886/

JacquesL

Terrorisme patronal sous fausse bannière (II) : Attentat de Wall Street (1920)



par Antoine Marcival

Précurseur des attentats qui frapperont l'Italie durant les années de Plomb, l'attentat perpétré à Wall Street le 16 septembre 1920 a presque totalement disparu des mémoires. Il permit pourtant à son époque, en s'appuyant sur le phénomène artificiellement créé de la «Peur rouge» («Red scare»), de provoquer une baisse drastique des effectifs du principal syndicat des travailleurs aux États-Unis, l'IWW ou International Workers of the World. Passé l'émoi, et les descentes dans les milieux anarchistes ou syndicalistes menées à grand renfort de publicité, la justice devra bien reconnaître qu'elle ne dispose d'aucune preuve.

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Cet article reprend l'entrée no10 de l'essai «Index obscurus : deux siècles et demi de complots 1788-2022», publié aux éditions JC Godefroy en janvier 2024. Ce livre s'attache à démontrer combien l'utilisation péjorative du terme «complotiste» n'a pas de sens : les complots, très souvent par le biais d'attentats sous fausse bannière, pullulent dans l'histoire humaine, et particulièrement dans l'histoire occidentale moderne.

Des bombes qui explosent à Manhattan : voilà une chose qui n'est pas aussi rare qu'on pourrait le croire. Le 16 septembre 1920, une charrette piégée explosait au croisement entre Wall Street et Broad Street, devant le siège de la banque J.P. Morgan & Co. L'explosion fit trente-huit morts et des centaines de blessés. La bombe était destinée à tuer et à effrayer : d'une puissance qui permit de l'entendre jusque sur l'autre rive de l'East River, du côté de Brooklyn, faite de dynamite et de pièces de métal, elle avait pour but de choquer l'opinion publique. On est alors quelques jours après les arrestations de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, anarchistes d'origine italienne accusés de braquages à main armée, en particulier celui de South Braintree le 15 avril de cette même année 1920 ; celui-ci avait entraîné la mort du caissier de la fabrique de chaussures Slater and Morril et de son garde du corps. Malgré l'absence de preuves, et à cause notamment de l'émotion suscitée par l'attentat de Wall Street, les deux anarchistes sont condamnés à la peine capitale au mois de juillet 1921. Un malfrat nommé Celestino Madeiros fait des aveux en 1925, accusant les membres d'un gang de braqueurs à la tête duquel se trouve un certain Joe Morelli, mais le juge Webster Thayer refuse de rouvrir le dossier. Les anarchistes Sacco et Vanzetti sont exécutés en août 1927.

Et l'attentat de Wall Street ? Aucun doute possible : les «Rouges», les «Rouges» et encore les «Rouges» ! Un «coup à la bolcheviste» s'exclament en chœur les grands journaux. La pression est maximale sur la police et les juges pour arrêter ces horribles «communistes» mais cela est-il seulement nécessaire ? La bonne société bourgeoise a peur. En Russie, le tsar est tombé. En Allemagne, la révolte spartakiste a été heureusement réprimée dans le sang grâce aux sociaux-démocrates du SPD main dans la main avec les Freikorps (militaires démobilisés après la Première guerre mondiale et amenés bientôt à former la milice d'Adolf Hitler, la Sturmabteilung ou SA), mais qui sait si les communistes ne vont pas finir là aussi par prendre le pouvoir ? Aux États-Unis, la terreur est à son comble. La «Peur rouge» s'étale partout dans les journaux tandis que le puissant syndicat des travailleurs, l'IWW ou Industrial Workers of the World, parvient à mener des grèves victorieuses, en particulier celle des ouvriers forestiers qui débouchera sur la journée de travail de huit heures. Les autorités n'ont que ça à la bouche : cellules anarchistes clandestines, militants syndicaux radicalisés, menace bolchevique sur les grands centres urbains de l'Amérique. N'est-ce pas d'ailleurs huit bombes qui ont explosé l'an passé dans plusieurs villes sans cependant qu'on retrouve les coupables ? On a de toute évidence affaire à une organisation tentaculaire et qui, si on n'y prend garde, ramènera le pays mille ans en arrière. Des empêcheurs de tourner en rond parlent certes de provocation policière ou patronale, comme pour la bombe de Haymarket Square ou les innombrables bombes retrouvées à cette époque devant les demeures de notabilités et qu'on suspecte d'avoir été déposées dans le seul but d'organiser des rafles au sein des syndicats ouvriers et des anarchistes, mais qui pour les écouter ?

Après l'attentat de Wall Street, dont les auteurs ne font pas mystère pour la bonne société, des dizaines de syndicalistes et d'anarchistes sont arrêtés : si les preuves manquent, on finira bien par les trouver. Ou pas, comme pour Sacco et Vanzetti. De toute manière, aucun homme «honnête» ne saurait remettre en cause un seul instant la culpabilité des «Rouges». Et c'est bien ce que vont finir par croire des milliers de travailleurs, à force d'être matraqués par la presse et les autorités sur le thème du «Péril Rouge», qui rendent en nombre leurs cartes d'adhérents syndicalistes à la suite de l'attentat de Wall Street. Qui de toute façon pour douter que, dans les plus brefs délais, les enquêteurs vont montrer à la face du monde le véritable visage de ces «Rouges», si prétendument intéressés par la misère du monde ? Ça n'est qu'une question de jours.

Hélas, les preuves n'arrivent pas et il faut bientôt libérer nos terroristes en puissance. On a beau faire, les journalistes admirables comme toujours de ténacité et d'indépendance d'esprit ont beau dire qu'il n'y a pas besoin de preuves pour savoir qui a fait le coup, le dossier est vide. Ah, qu'ils sont fourbes, ces «rouges» ! Ah, qu'ils sont retors ! Ils ont réussi à tout maquiller. À moins, comme insistent lourdement certains, que l'attentat ait été organisé en secret par quelque officine proche des milieux patronaux (on songe à l'agence de détectives Pinkerton) afin de décrédibiliser le mouvement ouvrier ? Voire qu'il ait été commandité par les autorités elles-mêmes, à travers leur police ou quelque service «contre-insurrectionnel» plus ou moins clandestin ? Halte-là, on arrête tout ! Terminés, les enquêtes ! Finies, les descentes de police ! Mieux vaut décidément ne pas en savoir trop sur ce singulier attentat de Wall Street. Laisser l'enquête s'enliser doucement et compter sur le temps pour faire oublier ce qui a tout l'air de tenir du vilain coup de barbouzes. Jamais les commanditaires et les auteurs de l'attentat ne seront retrouvés. On veut bien comprendre pourquoi...

Terrorisme patronal sous fausse bannière (I) : Massacre de Haymarket (1886)

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JacquesL

Terrorisme patronal sous fausse bannière (III) : Attentats de la place de l'Étoile (1937)



par Antoine Marcival

Les moyens terroristes mis en œuvre par les classes possédantes et leurs affidés politiques ou policiers dans le cadre de la stratégie de la tension des années 1970 en Italie frappent assurément par leur ampleur. Mais les techniques de manipulation par la terreur qu'il s'agissait d'appliquer étaient loin d'être innovantes. Notamment en ce qui concerne le terrorisme dit «de provocation» visant à attribuer à l'ennemi «rouge», l'anarchiste, le communiste, voire le gréviste ou le simple manifestant, des attentats en vérité accomplis par de singulières officines patronales.

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Cet article reprend l'entrée no13 de l'essai «Index obscurus : deux siècles et demi de complots 1788-2022», publié aux éditions JC Godefroy en janvier 2024. Ce livre s'attache à démontrer combien l'utilisation péjorative du terme «complotiste» n'a pas de sens : les complots, très souvent par le biais d'attentats sous fausse bannière, pullulent dans l'histoire humaine, et particulièrement dans l'histoire occidentale moderne.

Le 4 août 1914, l'Union sacrée fut proclamée en France, qui vit la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) et la Confédération générale du travail (CGT) – alors que le cadavre de Jean Jaurès était encore tiède – se ranger derrière le camp de la guerre. «Du cercueil de l'homme qui a péri martyr, de ses idées sort une pensée d'union !» osa déclarer Paul Deschanel, le président de la Chambre des députés, quand Jaurès voulait précisément empêcher le ralliement des forces de gauche au camp belliciste. Un million et demi d'hommes morts au combat et plus de quatre millions blessés et mutilés : un tiers de la population masculine française active ou bien est tué durant la bien mal nommée «Grande Guerre», ou bien en ressort avec de graves traumatismes, aussi bien physiques que psychologiques. L'impact est évidemment très lourd au niveau économique : surreprésentés au sein des armées du front, 50% des paysans sont morts. 50 000 kilomètres de routes ont été détruits, tout comme des milliers de mines et d'usines. Lors des élections législatives de 1919, c'est pourtant l'Union qui triomphe de nouveau, sous la forme du Bloc national, une large coalition du centre et de la droite. Après s'être unis pour le détruire, il faut dorénavant s'unir pour reconstruire le pays ! On place à la tête du gouvernement Georges Clemenceau, surnommé sans crainte du ridicule, le «père la Victoire». On parle à propos de l'assemblée élue de «Chambre bleu horizon», manière d'évoquer la couleur de l'uniforme des anciens combattants ou prétendus «anciens combattants» dont nombre siègent désormais au palais Bourbon. Face aux destructions considérables consécutives à l'invasion allemande du Nord de la France et à la présence du front sur son territoire, le pays doit faire face à d'immenses dépenses. L'occupation du bassin de la Ruhr vise à contraindre l'Allemagne de respecter les termes du Traité de Versailles signé en 1919 et qui prévoit le paiement échelonné de 68 milliards de marks-or de dédommagements. Sur ces 68 milliards, la France n'en touchera en tout et pour tout que 9,5.

Cahin caha, les gouvernements de la Troisième République se succèdent, constitués autour de deux figures principales : Aristide Briant, du parti républicain-socialiste (socialisme réformiste) et Raymond Poincaré de l'Alliance démocratique (centre-droit). La crise économique de 1929 ne manque pas de toucher la France et l'opposition anti-républicaine se renforce, particulièrement au travers de l'Action française (royaliste) et des Croix-de-feu (mouvement d'anciens combattants proto-fasciste). Des émeutes éclatent au mois de février 1934, à la suite du scandale de corruption appelée «affaire Stavisky». La Troisième République tient pourtant et, après que Moscou a donné pour consigne à Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste français (PCF), de favoriser la victoire d'une union de la gauche, le Front populaire (coalition entre la SFIO, le PCF et le Parti radical) remporte les élections de 1936. Des grèves sont déclenchées séance tenante. Léon Blum, dirigeant historique de la SFIO, forme son gouvernement le 4 juin 1936. Dans la nuit du 7 au 8 juin sont signés les accords de Matignon entre le syndicat patronal de la Confédération générale de la production française (CGPF) et la (CGT). Ses accords mettent temporairement fin aux grèves et entérinent les conventions collectives, la liberté syndicale, le droit de grève, les délégués du personnel, le passage à la semaine de 40 heures et l'instauration de 15 jours de congés payés. C'est un immense succès pour le monde ouvrier, évidemment très mal vécu par la bourgeoisie et la classe patronale.

Nous sommes le 11 septembre (déjà...) 1937 à Paris, non loin de la place de l'Étoile et de l'arc de Triomphe. Il est un peu plus de 22 heures lorsque deux bombes explosent, l'une au numéro 4 de la rue de Presbourg, la seconde au 45 de la rue Boissière. Les immeubles sont éventrés et deux gardiens de la paix meurent sur le coup, envoyés en faction à ces adresses. Les bâtiments visés abritaient en effet deux syndicats patronaux : la Confédération générale du patronat français rue Presbourg et l'Union des industries métallurgiques rue Boissière. Des syndicats patronaux visés et deux policiers tués ? Pour la presse de droite, les commanditaires des explosions ne font pas mystère : ils ne peuvent venir que de l'extrême-gauche, probablement des anarchistes. La presse bourgeoise de droite évoque alors la «fièvre ouvrière», de toute évidence encouragée par la politique anti-patronale du gouvernement Blum. Toute l'année 1937, les grèves se sont succédé, dans les gares, les ports, sur les péniches ; les garçons coiffeurs au printemps, les garçons de café pendant l'été, les ouvriers de Simca en septembre : le pays n'est-il pas menacé par la «chienlit rouge» ? L'hebdomadaire d'extrême-droite Gringoire fait sa une avec pour titre «Blum bada bombes». Un anarchiste italien est arrêté et l'affaire est visiblement en passe d'être résolue. N'avait-on pas eu raison en accusant les «Rouges» ? Blum décidément doit cesser de céder aux franges ouvriéristes extrémistes de la nation.

Un colis tombé d'un véhicule va cependant venir entacher ce beau tableau : le 16 octobre, des douaniers suisses informent leurs homologues français qu'un lot de cartouches a été retrouvé le long de la route de France, non loin du col de la Givrine, peu après la frontière. La piste d'une automobile signalée de ce côté-là mène à Fernand Jakubiez et à l'intrigante Organisation Secrète d'Action Révolutionnaire Nationale (Osarn), plus connue sous le nom de Csar puis de Cagoule et composée pour l'essentiel de dissidents de l'Action Française ou des Croix-de-Feu. On trouve à la tête de l'organisation Eugène Deloncle et le futur chef de la Milice française Joseph Darnand. Elle peut compter sur les soutiens financiers de puissants industriels : Eugène Schueller, fondateur de la société L'Oréal, Jacques Lemaigre Dubreuil, PDG de Lesieur ou encore Pierre Michelin. On finit par découvrir un véritable centre opérationnel dans les caves d'une villa de Rueil-Malmaison, comportant un dépôt d'armes et de munitions, une infirmerie et des cellules destinées à accueillir de futurs prisonniers en cas de putsch militaire. Pour la Cagoule en effet, seule l'armée peut permettre au pays de se débarrasser de la menace communiste, la fameuse «chienlit rouge», de mettre fin à la «démocrasouille» et de rétablir la monarchie en plaçant le roi Jean III d'Orléans sur le trône. Ainsi s'était-il agi, avec ces deux attentats, de faire croire à un péril communiste toujours plus grave et de pousser l'armée à intervenir. Des contacts furent notamment pris avec le général Giraud, gouverneur militaire de la ville de Metz, et le maréchal Franchet d'Espèrey.

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Des dizaines d'autres caches d'armes sont découvertes à Paris et dans la région parisienne. Au 64 de la rue Ampère dans le 17ème arrondissement, deux dispositifs de bombe à retardement sont retrouvés, semblables à ceux qui ont servi pour les attentats de l'Étoile. Les industriels Moreau de la Creuse et Méténier, présumés bailleurs de fonds, l'ingénieur des usines Michelin Pierre Jules Locuty et le concierge du 64 de la rue Ampère Jean Macon sont arrêtés. La Seconde Guerre mondiale va néanmoins temporairement suspendre les poursuites alors que plusieurs membres de la Cagoule occupent des places éminentes au sein de la Collaboration. Parmi les principaux accusés, seuls Méténier et Macon seront présents lors de la reprise du procès, en 1948. Pour leur rôle dans les pseudo-attentats (mais véritables opérations sous fausse bannière) du 11 septembre 1937, ils seront condamnés respectivement à vingt ans et à cinq ans de travaux forcés.

• Terrorisme patronal sous fausse bannière (I) : Massacre de Haymarket (1886)
• Terrorisme patronal sous fausse bannière (II) : Attentat de Wall Street (1920)


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