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Fausse bannière et déclenchement de guerre (I) : Incidents du golfe du Tonkin (1

Démarré par JacquesL, 07 Juin 2024, 03:16:40 PM

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JacquesL

Fausse bannière et déclenchement de guerre (I) : Incidents du golfe du Tonkin (1964)



Les anti-complotistes et autres zététiciens patentés l'ignorent sûrement, ou feignent de l'ignorer, mais c'est pourtant un classique des conflits armés : utiliser un prétexte ou «incident» fabriqué de toutes pièces afin de manipuler les opinions publiques, tant chez soi qu'à l'international, et déclencher de la sorte l'invasion du pays qu'on a placé dans son viseur. Les incidents dits «du golfe du Tonkin», le 2 et le 4 août 1964, sont l'exemple-type de ces complots spécifiques, souvent anecdotiques en soi, mais dont les conséquences sont ravageuses.

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Cet article reprend l'entrée no 26 de l'essai Index obscurus : deux siècles et demi de complots 1788-2022, publié aux éditions JC Godefroy en janvier 2024. Ce livre s'attache à démontrer combien l'utilisation péjorative du terme «complotiste» n'a pas de sens : les complots, très souvent par le biais d'attentats sous fausse bannière, pullulent dans l'histoire humaine, et particulièrement dans l'histoire occidentale moderne.

Le Vietnam, dont la fondation remonterait au troisième millénaire av. J.-C., a alterné les périodes d'indépendance et les périodes de soumission. Fort logiquement, c'est son puissant voisin chinois qui y exerça la plus longue domination. Pendant plus d'un millénaire, entre 258 av. J.-C. et 932 ap. J.-C., le Vietnam est ainsi considéré comme un protectorat de l'empire du Milieu. Il porte alors le nom de «Annam», le «Sud pacifié». Devenu par la suite un royaume autonome, le Vietnam s'étend peu à peu vers le sud jusqu'à atteindre sa taille actuelle au XVIIIe siècle. Si la dynastie N'Guyen parvient en 1802 à s'imposer avec l'aide de la France contre ses rivaux les seigneurs Trinh, c'est également sous son règne que le Vietnam passe sous domination française, jusqu'à former en 1887, avec le Cambodge et le Laos, l'Indochine française. Durant la Seconde Guerre mondiale, le pouvoir se partage entre la force occupante japonaise et le gouverneur général Jean Decoux désigné par la France de Vichy. À la suite de la déclaration de reddition du Japon par l'empereur Hirohito le 15 août 1945, le Viet Minh – organisation nationaliste dominée par le Parti communiste indochinois et dirigée par Ho Chi Minh – prend le pas sur l'armée japonaise encore sur place et déclare le 2 septembre l'indépendance du Vietnam. Mais lorsque les troupes japonaises sont évacuées, les troupes françaises du général Leclerc reprennent le contrôle de l'Indochine.

Les accords Hô-Sainteny du 6 mars 1946 apaiseront un temps les relations entre le Viet Minh et le pouvoir colonial français, mais la conférence de Fontainebleau est un échec : tandis que les Français, en échange de la reconnaissance du Vietnam comme État à part entière, veulent conserver à la Cochinchine un statut spécifique dans le cadre d'une fédération indochinoise sous domination française, Ho Chi Minh refuse que cette province soit détachée du Tonkin et du Annam. La bataille de Hanoï, qui débute le 19 décembre 1946, signe le divorce entre les deux camps et le début de la guerre d'Indochine. Bâtiments et ressortissants français sont visés. Matériellement inférieur, le Viet Minh est défait et contraint de rejoindre la clandestinité. L'opération «Léa» lancée en septembre 1947 permet à la France de s'emparer d'un certain nombre de camps rebelles.

La victoire de Mao Tsé-toung et des communistes en Chine, à la fin de l'année 1949, va néanmoins renverser le rapport de force. Les armes de même que les conseillers militaires vont désormais affluer depuis la Chine et permettre au Viet Minh de devenir une véritable armée. L'évacuation de Cao Bang par les soldats français tourne à la débandade lors de la bataille de la RC4, une route stratégique au nord du Tonkin qui longe la frontière chinoise. La bataille de Diên Biên Phu est l'ultime acte de la guerre d'Indochine. C'est une victoire éclatante pour les forces du Viet Minh qui encerclent les forces françaises et obtiennent leur reddition le 7 mai 1954. C'est au cours d'une conférence évoquant cette bataille que le président américain Eisenhower exposera sa fameuse «théorie des dominos» : après la Chine et la Corée, le Vietnam – en devenant communiste – risquerait d'entraîner toute l'Asie du Sud-Est dans son sillage. Cette déclaration s'inscrit dans la lignée de la stratégie d'endiguement (containment) énoncée par le président précédent Harry Truman et visant prétendument à empêcher que l'URSS étende son influence dans le monde.

À la suite des accords de Genève du 20 juillet 1954, les Français évacuent le nord du Vietnam et le pays fait l'objet d'une partition le long du 17e parallèle. Ce sont dès lors les États-Unis qui vont prendre le relais au Vietnam afin d'empêcher que la zone sud ne tombe aux mains du Viet Minh communiste. Un Front national de libération du Sud Vietnam, ou Vietcong, est fondé par Hanoï : il vise la fin du régime autoritaire de Ngo Din Diem, soutenu par les Américains, et la réunification du pays. La guerre du Vietnam, opposant le Nord communiste au Sud pro-américain, est lancée. Malgré l'installation de bases américaines et l'envoi de milliers de conseillers militaires, la situation est très précaire. Le gouvernement autoritaire de Diem est fortement impopulaire quand au contraire le Vietcong compte toujours plus de sympathisants au sein de la population. Les États-Unis décident de rebattre les cartes : le 1er novembre 1963, Diem est renversé par un coup d'État et exécuté. Il est remplacé par le général Duong Van Minh. Kennedy avait ordonné le retrait d'une partie des conseillers militaires américains pour la fin de l'année 1963 mais ce retrait est annulé par Lyndon B. Johnson une fois Kennedy assassiné et Johnson déclaré président. Il apparaît en revanche toujours plus clairement que, sans un engagement militaire réel des américains, le Vietcong et le Nord Vietnam communiste finiront par l'emporter. Les grands conglomérats US de l'armement qui ont soutenu Johnson sont évidemment très favorables à une telle perspective. C'est à cette époque qu'interviennent les très opportuns «incidents du golfe du Tonkin».

À partir du 1er janvier 1964, le département de la Défense US supervise les opérations de subversion et d'espionnage au Vietnam menées jusque-là sous la direction de la CIA. Ces opérations reçoivent le nom générique d'OPLAN 34-Alpha ou «plan opérationnel 34-A». Il s'agit notamment de mener des actions de sabotage au Nord Vietnam en y envoyant des commandos, de conduire des assauts depuis la mer contre des installations côtières nord-vietnamiennes et de diffuser de la propagande anti-communiste. Des dragueurs de mines et des torpilleurs placés au large des côtes sont utilisés pour la surveillance électronique. C'est dans le cadre d'une opération menée par un commando de l'OPLAN 34-A contre des émetteurs radio nord-vietnamiens postés sur les îles de Hon Me et Hon Ngu qu'a lieu, le 2 août 1964, le premier «incident» du golfe du Tonkin.

Le destroyer américain USS Maddox sert d'appui naval à l'opération. S'il est dans les eaux internationales, il joue donc un rôle militaire essentiel dans l'opération en cours contre le Nord Vietnam. Trois torpilleurs nord-vietnamiens sont envoyés pour éloigner le destroyer. Au cours de cette «attaque», qui n'est en vérité qu'un acte d'intimidation pour empêcher le navire d'appuyer le commando ennemi, le Maddox ne reçoit en tout et pour tout qu'une balle de mitrailleuse. Le navire se replie en direction des eaux sud-vietnamiennes où le rejoint le destroyer USS Turner Joy. Des communiqués alarmistes envoyés depuis le Vietnam aux États-Unis affirment toutefois deux jours après que, tandis qu'ils étaient en patrouille en direction des côtes nord-vietnamiennes, les deux destroyers américains ont été de nouveau attaqués par des torpilleurs ennemis. S'en seraient suivies deux heures d'un combat redoutable mené en pleine nuit contre des cibles repérés au radar et au sonar. Vingt-deux torpilles auraient été tirées en direction des destroyers américains qui seraient parvenus pour leur part à toucher trois bateaux ennemis.

De fait, aucun bâtiment nord-vietnamien ne se trouvait alors dans la zone et les destroyers américains ne présentent à leur retour à la base aucune trace d'impact sur la coque. L'attaque est en vérité totalement fabriquée et les communiqués sont le résultat d'une manipulation opérée par la National Security Agency (NSA) afin de tromper les représentants politiques et le public américain. Cela n'empêche pas le président Lyndon B. Johnson d'envoyer dès le lendemain des aéronefs depuis les porte-avions Ticonderoga et Constellation et de faire bombarder «en représailles» plusieurs ports de vedettes militaires nord-vietnamiennes et des dépôts de carburant. Le 7 août, comptant sur l'élan de patriotisme obtenu par un effort de propagande constant et une campagne de presse faisant des incidents du golfe du Tonkin une agression de la pire espèce, le président américain présente une résolution dite «du golfe du Tonkin» afin d'obtenir du Congrès les pleins pouvoirs pour lancer une attaque contre le Nord Vietnam. La résolution est adoptée et confirmée le lendemain par la Chambre des Représentants. Le scandale des Pentagon Papers en 1971 révélera entre autres que la résolution avait été rédigée plusieurs mois avant l'attaque simulée du golfe du Tonkin. Il n'y aura plus dès lors de limites à l'engagement des forces américaines au Vietnam, qui vont larguer jusqu'à 7 millions de tonnes de bombes au cours du conflit, en grande partie sur les bases Vietcong au Sud Vietnam (4 millions de tonnes) mais également sur le Laos (2 millions de tonnes soit l'équivalent de l'ensemble des bombardements américains lors de la Seconde Guerre mondiale) et le Cambodge. L'armée US va faire aussi un usage massif des bombes à sous-munitions, des bombardements au napalm et des épandages à l'agent orange, ce qui aura des conséquences sanitaires désastreuses sur les populations civiles, même plusieurs décennies après. D'innombrables massacres vont être commis dans les villages suspectés d'être favorables au Vietcong (massacre de My Lai entre autres). Le bilan des pertes vietnamiennes se chiffrera entre 1,5 et 3 millions de victimes, auxquelles s'ajouteront les victimes des bombardements américains au Laos et au Cambodge, et les millions de blessés et d'estropiés à vie. Les pertes américaines seront quant à elles de 58 000 soldats et 153 000 blessés. Un lourd bilan, est-on en droit de penser, pour des attaques qui n'auront finalement valu à l'USS Maddox qu'un impact de tir de mitrailleuse...

JacquesL

Fausse bannière et déclenchement de guerre (II) : Incident de Mukden (1931)



Les États-Unis du très belliciste Lyndon B. Johnson firent croire que leur destroyer l'USS Maddox avait été attaqué par les forces maléfiques vietcongs pour entrer définitivement en guerre contre le Vietnam : s'en suivra une boucherie faisant plusieurs millions de victimes. Mais soyons juste et ne sombrons pas dans l'anti-américanisme primaire : ce n'était certes pas la première fois qu'un faux prétexte était utilisé pour déclencher une guerre. L'incident de Mukden, qui servit au Japon pour s'emparer de la région chinoise de Mandchourie et créer l'État vassal du Mandchoukouo, en est un parfait exemple.
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Cet article reprend l'entrée n°11 de l'essai «Index obscurus : deux siècles et demi de complots 1788-2022», publié aux éditions JC Godefroy en janvier 2024. Ce livre s'attache à démontrer combien l'utilisation péjorative du terme «complotiste» n'a pas de sens : les complots, très souvent par le biais d'attentats sous fausse bannière, pullulent dans l'histoire humaine, et particulièrement dans l'histoire occidentale moderne.

Remontons un peu dans le temps. Originaire de Mandchourie, la dynastie Qing s'installe à la tête de l'empire de Chine en 1644, suite à la chute de la dynastie Ming. En 1911, le soulèvement armé de Wuchang dans la province du Hubei entraîne une insurrection générale qui prend le nom de «révolution Xinhai». Une à une, les provinces de l'empire tombent aux mains des insurgés. Le Guizhou, le Jiangsu, le Guangxi, le Fujian ou le Sichan : dix-sept provinces finissent par se déclarer indépendantes de l'empire. Elles s'associent ensemble pour former un gouvernement républicain provisoire et élisent à sa tête Sun-Yat-sen, le 29 décembre 1911. La République de Chine est proclamée quelques jours après, le 1er janvier 1912. Les révolutionnaires doivent cependant composer avec le général Yuan Shikai, placé par la cour impériale à la tête du gouvernement et qui, tout en se retournant contre l'empire, réclame d'être désigné président de la nouvelle république. L'empereur Puyi, à peine âgé de six ans, est poussé à abdiquer le 12 février 1912 (il redeviendra temporairement empereur – douze jours – lors de la restauration mandchoue de 1917, rapidement mise en échec par les forces républicaines). Si le général Yuan Shikai va finir par se proclamer «empereur à vie», il ne portera ce titre que durant trois mois avant d'y renoncer, confronté à la menace d'une guerre civile. Il meurt le 6 juin 1916. S'ensuit une période d'instabilité politique et économique.

À la suite du traité de Versailles – et malgré la présence de la Chine dans le camp des vainqueurs de 1918 –, le Japon se voit conférer le contrôle d'une partie de la province du Shandong. Le Parti communiste chinois est créé le 23 juillet 1921 à Shanghai. Il s'allie avec le Kuogmintang de Sun-Ya-Tsen jusqu'à la mort de celui-ci en 1925 et la décision de son successeur, Tchang-Kaï-chek, de rompre avec lui. Les grands propriétaires terriens s'inquiètent en effet des réformes agraires menées par les communistes et l'aile gauche du Kuogmingtan. Ils apportent leur soutien à Tchang-Kaï-chek qui va décider de purger l'Armée nationale révolutionnaire, qui dépend du Kuogmingtang, de ses éléments communistes, prétextant une tentative de coup d'État. La loi martiale est promulguée à Canton le 20 mars 1926 lors du «putsch de Canton». Avec l'aide des triades (mafias chinoises), en particulier la Bande verte qui a infiltré le mouvement ouvrier, Tchang-Kaï-chek organise dans la ville de Shanghai le massacre de milliers de communistes ou affiliés le 12 avril 1927.

Cette scission entre le Kuogmingtang et le parti communiste fragilise la jeune république. Plusieurs factions, dites «cliques», concentrées autour de «seigneurs de la guerre», se disputent depuis la mort du général Yuhan Shikai le contrôle de la Chine, entre autres les cliques de l'Anhui, du Zhili et du Fengtian. C'est cette dernière, soutenue par le Japon et dirigée par Zhang Zuolin, qui domine la Mandchourie. Zhang Zuolin est toutefois défait par les forces du Kuogmintan et le 3 juin 1928, tandis qu'il fuit Pékin, les Japonais – qui le tiennent pour incontrôlable – l'assassinent en faisant sauter le pont au-dessus duquel son train passait. Cet assassinat affaiblit pourtant la position du Japon en Mandchourie : il n'est plus perçu comme un allié fiable. Alors que Zhang Xueliang prend la succession de son père à la tête de la clique de Fengtiang, il prête allégeance au gouvernement de Tchang-Kaï-chek le 29 décembre 1928. Le Japon n'a-t-il pas définitivement perdu la possibilité de s'installer sur l'immense continent asiatique ?

C'est aller un peu vite en besogne. Le 19 septembre 1931 en effet, l'Armée japonaise du Guandong forge de toutes pièces un prétexte afin d'envahir la Mandchourie et asseoir la domination de l'Empire du Japon sur cette région. Ce prétexte, ce sera le fameux «incident de Mukden». Le colonel Itagaki, en charge alors de la section des renseignements au sein de l'armée du Guandong, fait miner une section de chemin de fer, à proximité du lac Liutiao, dans la province du Liaoning. La section relie le port de Lüshun à la ville de Harbin et appartient à la société des chemins de fer de Mandchourie du Sud, comptant à cette époque parmi les plus grandes entreprises japonaises. L'attentat a lieu à moins d'un kilomètre de la garnison chinoise de Beidaying commandée par Zhang Xueliang. L'explosion doit permettre d'attirer les militaires chinois sur les lieux afin de pouvoir les accuser de l'attentat. Le lendemain, la garnison chinoise est prise d'assaut par l'armée japonaise. Sur consigne de Tchang-Kaï-chek, davantage occupé à affronter ses ennemis communistes, la garnison n'oppose aucune résistance. Les provinces du Heilongjiang, du Jilin et du Liaoning sont prises dans les jours qui suivent. Devant l'ampleur du désastre, Tchang-Kaï-chek est contraint de démissionner, cela n'empêchant pas les Japonais d'occuper rapidement toute la Mandchourie et de fonder l'état fantoche du Mandchoukouo, de fait un protectorat japonais. Pour donner une certaine légitimité au pouvoir en place au Mandchoukouo, l'ancien empereur Puyi fait l'objet de pressions pour prendre la tête du pseudo-État. Une fausse émeute est notamment organisée par les Japonais dans la concession extra-territoriale japonaise de Tientsin – où l'ex-empereur a trouvé refuge après son expulsion de Pékin en 1925 –, avec l'aide de la pègre locale. Il s'agit de faire croire à Puyi que sa vie est en jeu. L'ex-empereur est alors emmené jusqu'au port de Yingkou dans la province du Liaoning où il est fait chef de l'exécutif du gouvernement de Mandchoukouo le 1er mars 1932 puis déclaré empereur du Mandchoukouo le 1er mars 1934.

Onze ans passeront avant que, le 9 août 1945 – le jour même où tombe sur la ville de Nagasaki une seconde bombe atomique –, l'Armée rouge soviétique envahisse le Mandchoukouo : ce sera la fin de l'État fantoche né à la suite d'un attentat sous fausse bannière et dirigé treize années durant par un empereur d'opérette.

• Fausse bannière et déclenchement de guerre (I) : Incidents du golfe du Tonkin (1964)
• Fausse bannière et déclenchement de guerre (III) : Opération Himmler ou incident de Gleiwitz (1939)


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JacquesL

Fausse bannière et déclenchement de guerre (III) : Opération Himmler ou incident de Gleiwitz (1939)



par Antoine Marcival

Avant le prétexte monté de toutes pièces de l'incident du Golfe du Tonkin, qui permit en 1964 à Washington de commencer sa boucherie au Vietnam, il y eut l'incident de Mukden en 1931, où l'armée japonaise fit sauter un rail de la Société des chemins de fer de Mandchourie du Sud, une des plus grandes entreprises du Japon de l'époque, pour obtenir le prétexte d'envahir la partie nord-est de la Chine. À tout seigneur tout honneur de ce jeu de dupes d'impérialistes en mal de lebensraum, les nazis eux-mêmes eurent recours à cette stratégie ; une stratégie très efficace pour déclencher une guerre, pourvu qu'on ait à sa disposition une presse et des médias ou bien très complaisants, ou bien particulièrement peu finauds. Ce fut l'incident de Gleiwitz du 31 août 1939, connu également sous le nom d'«opération Himmler».
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Cet article reprend l'entrée no14 de l'essai Index obscurus : deux siècles et demi de complots 1788-2022, publié aux éditions JC Godefroy en janvier 2024. Ce livre s'attache à démontrer combien l'utilisation péjorative du terme «complotiste» n'a pas de sens : les complots, très souvent par le biais d'attentats sous fausse bannière, pullulent dans l'histoire humaine, et particulièrement dans l'histoire occidentale moderne.

Entre le 29 juin et le 2 juillet 1934, Adolf Hitler décide de satisfaire ses soutiens conservateurs et purge le mouvement nazi de sa Sturmabteilung (SA), «section d'assaut» dirigée par Ernst Röhm et dont les violences, les coups de main et les assassinats contribuèrent grandement à installer le pouvoir du chef nazi. C'est la fameuse «Nuit des Longs Couteaux», appelée «Röhm-Putsch» en allemand, «putsch de Röhm», les nazis justifiant l'élimination de plusieurs centaines de SA par la prétendue découverte que Ernst Röhm était sur le point de commettre un coup d'État. Le 2 août 1934, le président allemand Hindenburg meurt. Adolf Hitler agrège aussitôt les fonctions de chancelier et de président sous le titre de «Führer». Les camps de concentration de Dachau puis de Buchenwald et de Ravensbrück permettent de regrouper les opposants arrêtés, puis par la suite les juifs, les Tsiganes et les homosexuels. Trente-mille juifs notamment sont arrêtés au cours de la «Nuit de Cristal», pogrom nazi organisé par Goebbels entre le 9 et le 10 novembre 1938 faisant plusieurs centaines de victimes. Les nazis enchaînent les lois défavorables aux travailleurs et favorables aux intérêts de la grande industrie : interdiction des syndicats, licenciement sans préavis autorisé, contrat de type quasi féodal entre l'employeur et le salarié, baisse des salaires, augmentation de la durée hebdomadaire de travail, etc. Au cours de l'année 1939, l'industriel américain Henry Ford, dont les usines tournent à plein régime pour fournir en armes l'armée allemande, est fait grand-croix de l'ordre de l'Aigle allemand.

La Wehrmacht pénètre en Autriche le 12 mars 1938 et annexe le pays au Reich allemand : c'est l'Anschluss. Le 15 mars 1939, ce sont les régions de Bohême et de Moravie qui se trouvent occupées par les troupes nazies. Enfin, le 1er septembre, c'est au tour de la Pologne d'être envahie, ce qui va provoquer une réaction en chaîne et la Seconde Guerre mondiale. L'invasion de la Pologne est toutefois précédée d'un singulier événement, appelé «incident de Gleiwitz» puis, à la suite de révélations faites au procès de Nuremberg, «opération Himmler». Le 31 août 1939, un étrange message est diffusé par l'émetteur de radio de Gleiwitz (Gliwice en polonais) situé en Silésie, une région qui fait alors partie de l'Allemagne : «Attention ! Ici Gliwice. La station de transmission est aux mains de la Pologne». Le message est d'abord diffusé sur les ondes locales puis répercuté dans toute l'Allemagne. À Berlin, l'indignation est à son comble ! Ainsi, les Polonais ont décidé d'attaquer l'Allemagne et de s'emparer des territoires de Silésie, région conquise par la Prusse sur l'empire d'Autriche durant les guerres de Silésie au milieu du XVIIIe siècle ? Le Deutsches Nachrichtenbüro (DNB) s'empare de la nouvelle et évoque une attaque des Polonais sur le poste de radio de Gleiwitz. Heureusement, la police allemande a pu intervenir et mettre hors d'état de nuire le commando polonais : douze des bandits, pourvus d'uniformes polonais, ont été abattus. C'est une violation des frontières de l'Allemagne qui ne saurait rester impunie !

Le 1er septembre 1939, soit le lendemain même de «l'incident», Adolf Hitler déclare la guerre à la Pologne. Par le jeu de dominos des alliances, cette déclaration entraîne l'entrée en guerre du Royaume-Uni et de la France le 3 septembre 1939. La Seconde Guerre mondiale a commencé. Mais les aveux de l'officier SS Alfred Naujocks en novembre 1945 à Nuremberg mettent en avant une tout autre version de l'événement déclencheur. Assurément l'incident de Gleiwitz doit-il être rebaptisé du nom de «opération Himmler», car c'est bien d'un complot mené par le chef SS Heinrich Himmler, assisté de son second Reinhard Heydrich, dont il s'agit. Son but était d'organiser une fausse agression polonaise et de donner de la sorte à l'Allemagne un prétexte pour envahir la Pologne. Six hommes du SD, le service de renseignement SS, accompagnés de douze criminels de droit commun enfermés dans un camp de concentration et à qui on a promis la liberté, s'emparent du poste de radio de Gleiwitz. Chacun porte un uniforme polonais ainsi que des papiers authentiques fournis par l'Abwehr, le service de renseignement de la Wehrmacht. Le poste est pris d'assaut, les techniciens mis hors d'état de nuire et un message est diffusé pour appeler les Polonais de Silésie à se soulever contre les autorités allemandes. Incompétent techniquement, le commando échoue néanmoins à faire diffuser le message grâce à l'antenne longue portée. Cela ne l'empêchera pas d'être traduit (il a été lu en polonais) et répercuté dans toute l'Allemagne. Les cadavres des douze prisonniers de droit commun, abattus à la fin de l'opération et à qui on a évidemment veillé à laisser les uniformes polonais, sont en outre présentés aux journalistes : l'agression par la Pologne ne fait aucun doute, d'autant qu'au même moment, un poste de douanes à Hochlinden a également fait l'objet d'une attaque et que six corps de soldats polonais ont été retrouvés (ici aussi des criminels sortis des camps allemands et revêtus d'uniformes de l'armée polonaise). Si le plan nazi peut sembler rudimentaire, voire grossier, il n'empêche pas l'invasion de la Pologne par la Wehrmacht dès le lendemain. Comme l'avait pressenti Reinhard Heydrich : «Quand les blindés rouleront, plus personne n'en parlera».

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