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Russie, OCS, BRICS : La normalisation de l’Afghanistan

Démarré par JacquesL, 04 Juin 2024, 08:37:41 PM

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JacquesL

Russie, OCS, BRICS : La normalisation de l'Afghanistan



par Pepe Escobar

L'affaire entre la Russie et les Taliban implique un énorme paquet – comprenant du pétrole, du gaz, des minerais et de nombreuses connexions ferroviaires.

Dimanche dernier, à Doha, j'ai rencontré trois représentants de haut niveau du Bureau politique des Taliban au Qatar, notamment un membre fondateur de l'organe (en 2012) et un fonctionnaire clé du précédent gouvernement taliban de 1996 à 2001. D'un commun accord, leurs noms ne doivent pas être rendus publics.

La rencontre cordiale a été organisée par le professeur Sultan Barakat, qui enseigne au Collège des politiques publiques de l'Université Hamad bin Khalifa – située dans un campus exceptionnel et immaculé à l'extérieur de Doha, qui attire des étudiants de tout le Sud mondial. Le professeur Barakat fait partie de ces quelques acteurs – discrets – qui savent tout ce qui est important au Moyen-Orient et, dans son cas, également à l'intersection de l'Asie centrale et de l'Asie du Sud.

Avec mes trois interlocuteurs taliban, nous avons longuement parlé des défis de la nouvelle ère talibane, des nouveaux projets de développement, du rôle de la Russie et de la Chine, et de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Ils se sont montrés particulièrement curieux au sujet de la Russie et ont posé plusieurs questions.

Le professeur Barakat travaille en parallèle. Il dirige les travaux du Forum de réflexion sur l'avenir de l'Afghanistan, dont la 9ème session s'est tenue à Oslo à la mi-mai et à laquelle ont participé 28 Afghans – hommes et femmes – ainsi qu'un éventail de diplomates de l'Iran, du Pakistan, de l'Inde, de la Chine, de la Turquie, des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'UE, entre autres.

Les principales discussions du forum tournent autour de la question extrêmement complexe de l'engagement des Taliban auprès de cette entité floue qu'est la «communauté internationale». À Doha, j'ai demandé directement à mes trois interlocuteurs quelle était la priorité numéro un des Taliban : «La fin des sanctions», ont-ils répondu.

Pour cela, il faut que le Conseil de sécurité des Nations unies revienne sur sa décision de 2003 de désigner plusieurs membres des Taliban comme organisation terroriste et que, simultanément, la discrimination/diabolisation/sanctions imposées par Washington cessent. Dans l'état actuel des choses, il s'agit là d'une tâche extrêmement ardue.

Le forum – la prochaine session devrait se tenir à Kaboul, peut-être à l'automne – travaille patiemment, étape par étape. C'est une question de concessions successives de part et d'autre, de construction de la confiance, et pour cela il est essentiel de nommer un médiateur reconnu par les Nations unies, ou un «conseiller pour la normalisation» pour superviser l'ensemble du processus.

Dans ce cas, le soutien total de la Russie et de la Chine, membres du Conseil de sécurité des Nations unies, sera essentiel.


Nous sommes les Taliban et nous voulons faire des affaires

J'ai quitté la réunion du Qatar avec l'impression que des avancées positives – en termes de normalisation de l'Afghanistan dans son ensemble – étaient possibles. Et puis, une intervention magique a changé la donne.

Le lendemain de notre réunion, avant que je ne quitte Doha pour Moscou, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Justice russes ont tous deux informé le président Poutine que les Taliban pouvaient être exclus de la liste russe des organisations terroristes.

Le très compétent Zamir Kabulov, représentant spécial de Poutine pour l'Afghanistan, est allé droit au but : sans le retrait des Taliban de la liste, la Russie ne peut pas reconnaître la nouvelle administration de Kaboul.

Et comme une horloge, le même jour, Moscou a invité les Taliban à participer au Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF), qui débute mercredi prochain.

Kabulov a indiqué que «traditionnellement, les Afghans sont intéressés par la poursuite de la coopération sur l'achat de produits pétroliers en Russie et d'autres biens à forte demande. Bien sûr, à l'avenir, il sera possible de parler des capacités de transit de l'Afghanistan afin d'accroître les échanges commerciaux».

Et puis le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, également le même jour, à Tachkent lors de la visite officielle de Poutine, a quasiment conclu l'affaire, en déclarant que la normalisation des Taliban reflétait une réalité objective : «Ils sont le vrai pouvoir. Nous ne sommes pas indifférents à l'Afghanistan. Nos alliés, en particulier en Asie centrale, n'y sont pas indifférents non plus. Ce processus reflète donc une prise de conscience de la réalité».

Le Kazakhstan a déjà manifesté sa «conscience de la réalité» : les Taliban ont été retirés de la liste des terroristes d'Astana l'année dernière. En Russie, dans la pratique, les Taliban seront exclus de la liste des organisations terroristes si la Cour suprême l'approuve. Cela pourrait même se produire dans les deux prochains mois.


Cette histoire d'amour s'accompagne d'un énorme paquet

La normalisation des liens entre la Russie-Taliban est inévitable pour plusieurs raisons. La principale priorité est certainement liée à la sécurité régionale – ce qui implique des efforts conjoints pour lutter contre le rôle flou, obscur et déstabilisateur de l'EI-K, une ramification terroriste de l'État islamique qui est activement soutenue, dans l'ombre, par la CIA/MI6 en tant qu'outil Diviser pour Régner. Le directeur du FSB, Alexander Bortnikov, est parfaitement conscient qu'un Afghanistan stable signifie un gouvernement taliban stable.

Et ce sentiment est pleinement partagé par l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) dans son ensemble. L'Afghanistan est un observateur de l'OCS. Inévitablement, il deviendra membre à part entière dans les deux prochaines années au maximum, consolidant ainsi sa normalisation.

Ensuite, il y a le corridor de connectivité qui s'annonce et qui est aussi important pour la Russie que pour la Chine. Pékin construit une autre merveille d'ingénierie routière à travers le corridor de Wakhan pour relier le Xinjiang au nord-est de l'Afghanistan. Il est ensuite prévu d'intégrer Kaboul dans le corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) : une intégration géoéconomique à la vitesse de l'éclair.

Moscou – ainsi que New Delhi – s'intéressent aux retombées du corridor multimodal de transport international nord-sud (INSTC), qui relie la Russie, l'Iran et l'Inde. Le port de Chabahar, en Iran, est un nœud essentiel pour la route de la soie indienne, qui le relie à l'Afghanistan et, au-delà, aux marchés d'Asie centrale.

Il y a aussi les richesses minérales afghanes encore inexploitées, d'une valeur d'au moins 1000 milliards de dollars, notamment du lithium.

Kaboul prévoit également de construire rien de moins qu'une plate-forme russe pour exporter de l'énergie vers le Pakistan, dans le cadre d'un accord stratégique sur l'énergie conclu entre le Pakistan et la Russie.

Ce que Poutine a dit au Premier ministre pakistanais, Shebhaz Sharif, en marge du sommet de l'OCS à Samarcande en 2022, est immensément significatif : «L'objectif est de livrer du gaz par gazoduc de la Russie au Pakistan (...) Certaines infrastructures sont déjà en place en Russie, au Kazakhstan et en Ouzbékistan». L'Afghanistan entre maintenant en scène.

En ce qui concerne les corridors de connectivité, il y a un nouvel énorme enfant sur le bloc – selon un protocole d'accord signé à Tachkent en novembre 2023 en marge du Forum international des transports de l'OCS : c'est le corridor de transport Biélorussie-Russie-Kazakhstan-Ouzbékistan-Afghanistan-Pakistan.

La pièce manquante de ce fascinant puzzle est de relier ce qui existe déjà – des chemins de fer traversant la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan – à un tout nouveau chemin de fer Pakistan-Afghanistan-Ouzbékistan. La construction des deux derniers tronçons de ce projet Pak-Afghan-Ouz a débuté il y a quelques mois seulement.

C'est précisément ce projet qui a fait l'objet de la déclaration conjointe de Poutine et du président ouzbek Shavkat Mirziyoyev en début de semaine à Tachkent.

Comme l'a rapporté TASS, «Poutine et Mirziyoyev ont évalué positivement la première réunion du groupe de travail sur le développement du corridor de transport multimodal Biélorussie-Kazakhstan-Ouzbékistan-Afghanistan-Pakistan qui s'est déroulée le 23 avril 2024 dans la ville ouzbèke de Termez».

L'affaire entre la Russie et les Taliban implique donc un énorme paquet, comprenant du pétrole, du gaz, des minerais et de nombreuses liaisons ferroviaires.

Il ne fait aucun doute que de nombreux détails supplémentaires juteux émergeront lors du prochain forum de Saint-Pétersbourg, puisqu'une délégation talibane comprenant notamment le ministre du Travail et le directeur de la Chambre de commerce et d'industrie sera présente.

Et ce n'est pas tout : L'Afghanistan sous Taliban 2.0 sera certainement invité au prochain sommet des BRICS+ en octobre prochain à Kazan. Il s'agit là d'une méga-convergence stratégique. Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait se dépêcher de normaliser l'Afghanistan pour la «communauté internationale». Oh, attendez : qui s'en soucie, puisque la Russie-Chine, l'OCS et les BRICS le font déjà.

Pepe Escobar

source : Strategic Culture Foundation

https://reseauinternational.net/russie-ocs-brics-la-normalisation-de-lafghanistan/

JacquesL

La Russie prépare un partenariat stratégique avec les Talibans

Publié le juin 5, 2024 par jmarti


Par Andrew Korybko − Le 28 mai 2024 − Source korybko.substack.com

andrew-korybko

La principale raison de cesser de désigner les Talibans comme terroristes et de les inviter au forum d'investissement prévu le mois prochain réside dans le désir de parvenir à des progrès tangibles dans la conclusion d'un accord énergétique stratégique avec le Pakistan. Cet accord viendrait compléter le pivot de la Russie vers l'Oumah et son Grand Partenariat Eurasiatique.



Les Talibans sont encore des parias sur la scène internationale, en raison de leur refus de mettre en œuvre un gouvernement vraiment inclusif au niveau ethno-politique, comme ils l'avaient promis par le passé, et en raison de la manière dont ils traitent les femmes. Bien qu'aucun progrès tangible n'ait été observé sur l'un ou l'autre de ces deux sujets particulièrement sensibles, les intérêts économiques et sécuritaires poussent les parties prenantes régionales à entrer dans des relations de facto avec ce groupe, pour des raisons pragmatiques. Parmi toutes les parties s'inscrivant dans ce processus, la Russie est de loin en tête, comme le prouvent ces derniers développements en date :



Comme on peut le constater, la perception par la Russie de la menace induite par les Talibans a disparu, et elle considère désormais le groupe comme un apporteur de sécurité régionale contribuant à limiter l'État islamique au Khorassan.

Qui plus est, l'emplacement de l'Afghanistan lui permet de faciliter les échanges entre Russie et Pakistan, aussi bien commerciaux qu'énergétiques. Ces intérêts se sont assemblés pour inspirer la Russie à se rapprocher plus ouvertement de ce groupe en amont du forum d'investissement du mois prochain et du sommet des BRICS qui se tiendra au mois d'octobre. Voici quelques présentations détaillées du contexte :


La Russie considère fondamentalement l'Afghanistan comme une partie indispensable de sa vaste réorientation géostratégique vers les pays à majorité musulmane, cependant que les Talibans estiment que la Russie peut contribuer à éviter à leur pays une dépendance disproportionnée envers la Chine, et surtout envers le Pakistan. Les deux pays entretiennent également des intérêts économiques partagés en lien avec la facilitation des échanges entre la Russie et l'Asie centrale d'une part, et l'Asie du Sud d'autre part, échanges passant par l'Afghanistan, ce qui peut profiter à ce pays et l'aider à reconstruire son économie.

Les délibérations tenues par la Russie en vue de retirer les Talibans de la liste des groupes terroristes, juste avant le lancement du forum international d'investissement de Saint-Pétersbourg, la semaine prochaine, indique d'évidence qu'un événement d'importance se prépare. Selon toutes probabilités, la Russie s'attend à faire progresser son projet de nœud pétrolier en Afghanistan, mais peut-être même également que l'annonce prononcée en septembre 2022 par le président Poutine au sujet de l'installation par la Russie d'un gazoduc traversant l'Afghanistan à destination du Pakistan pourrait revenir sur le devant de la scène — elle n'avait pas été répétée entretemps.

On ne peut pas s'attendre à voir un accord conclu sur-le-champ, car tous ces sujets impliquent un accord du Pakistan pour venir conclure les négociations au long cours qui ont été tenues sur un accord énergétique stratégique — et le Pakistan s'est montré réticent à conclure cet accord en raison des pressions exercées par les États-Unis depuis leur coup d'État post-moderne d'avril 2022. Quoi qu'il en soit, même un mémorandum de compréhension entre la Russie et une Afghanistan contrôlée par les Talibans blanchis de leur statut de terroristes sur ce sujet et/ou sur une nouvelle voie ferrée constituerait un événement significatif, car cela pourrait contribuer à relancer les dialogues entre la Russie et le Pakistan.

Ici se distingue l'objectif fondamental vers lequel progressent les derniers développements en date des relations russo-afghanes : l'expansion dans tous les domaines des relations russo-pakistanaises ; le Pakistan est vu par la Russie comme la dernière pièce de son pivot vers l'Oumah et de ses concepts de Grand Partenariat Eurasiatique. Ce pays d'Asie du Sud, comptant presque 250 millions d'habitants, est considéré par la Russie comme un marché prometteur pour ses exportations commerciales et énergétiques, ainsi qu'un passerelle terrestre vers l'Inde, avec laquelle la Russie entretient depuis des décennies des liens stratégiques.

Du point de vue du Kremlin, réussir à cultiver des relations russo-pakistanaises pourrait permettre à Moscou d'exercer une influence positive sur Islamabad pour résoudre politiquement le conflit du Cachemire, probablement en formalisant simplement la Ligne de Contact comme frontière internationale. Cela pourrait débloquer formidablement le potentiel géo-économique de l'Eurasie, en créant un couloir trans-continental, mais tout ceci ne relève que du scénario du mieux, qui n'est absolument pas garanti.

Le Pakistan pourrait par exemple continuer de refuser de bouger sur le sujet d'un accord énergétique stratégique avec la Russie, en raison des pressions étasuniennes sus-mentionnées, ou il pourrait accepter cet accord mais maintenir d'importantes réserves face à l'Inde. Un autre facteur de l'équation est la réaction de l'Inde à une expansion en tous les domaines des relations russo-pakistanaises, surtout si cela débouche sur une invitation par la Russie au Pakistan de participer au sommet "Diffusion"/"BRICS-Plus" du mois d'octobre, dont j'ai détaillé ici les risques politiques possibles.

En tous cas, il apparaît clairement que la principale raison de cesser de désigner les Talibans comme terroristes et de les inviter au forum d'investissement prévu le mois prochain réside dans le désir de parvenir à des progrès tangibles dans la conclusion d'un accord énergétique stratégique avec le Pakistan. Cet accord viendrait compléter le pivot de la Russie vers l'Oumah et son Grand Partenariat Eurasiatique. On peut espérer que ces processus reliés entre eux se dérouleront sans encombre et ne seront pas de nature à offenser l'Inde par inadvertance. La tâche est difficile, mais les diplomates russes sont plus que qualifiés pour la mener à bien.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

https://lesakerfrancophone.fr/la-russie-prepare-un-partenariat-strategique-avec-les-talibans