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Les enfants des lebensborn de Norvège...

Démarré par JacquesL, 16 Mars 2007, 04:44:56 PM

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JacquesL

"Avec les conclusions bâclées et lapidaires de psychiatres de l'époque."

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0,50-882369,0.html

Une logique de race bien ancrée
LE MONDE | 13.03.07 | 14h25  •  Mis à jour le 13.03.07 | 14h25
OSLO CORRESPONDANCE

Heinrich Himmler, ancien éleveur de poulets, était un admirateur de la race nordique. Il aurait caressé l'idée d'"importer" des Norvégiennes afin d'aryanniser le sud de l'Allemagne, où la population répondait peu aux normes raciales nazies. Les Lebensborn (littéralement "source de vie"), des maternités créées en Allemagne, dès 1935, participaient de cette logique.

Les filles-mères, estampillées aryennes, pouvaient y accoucher discrètement et abandonner leur enfant à la SS. Le Reich se donnait pour tâche d'en faire des soldats et des reproductrices.

En Norvège, les Lebensborn ont récupéré plus largement tous les enfants nés d'un soldat allemand, SS ou pas. La Norvège, qui bénéficia, dès février 1941, des attentions d'Himmler, comptait dix Lebensborn à la fin de la guerre, autant que l'Allemagne, plus que tout autre pays occupé. Un seul de ces établissements fut installé en France, considérée par les nazis comme trop abâtardie.

ENFANTS INDÉSIRABLES

Si les historiens n'ont pas pu prouver qu'Himmler a encouragé les relations sexuelles entre les troupes d'occupation allemandes et les femmes norvégiennes, l'ampleur du programme Lebensborn montre l'importance qu'il accordait à ce sang nordique.

C'est ce qui explique en partie la dureté de la réaction norvégienne à la Libération. Peut-être pour effacer la trace de cette promiscuité, la Norvège fut le seul pays à mettre sur pied, en 1945, une commission spéciale chargée d'étudier le destin de ces enfants indésirables. Leur sort devait être en bonne partie scellé par les conclusions bâclées et lapidaires de psychiatres de l'époque.

Le professeur Ornulv Odegard, notamment, les présenta comme une cinquième colonne potentielle, puisque, selon lui, ils étaient porteurs de gènes nazis. Un argument s'étalait dans les journaux de l'époque - ces enfants constitueraient une menace contre la paix et la démocratie - contribuant à les rabaisser aux yeux de la population. Une logique de race succédait à une autre logique de race.

Les Norvégiens envisagèrent même de se débarrasser des enfants d'Allemands. A une délégation australienne qui parcourait l'Europe, à l'automne 1945, à la recherche de main-d'oeuvre, le ministère norvégien des affaires sociales proposa, en vrac, les 8 000 enfants d'Allemands qui étaient alors recensés. Les Australiens ne donneront pas suite.

Olivier Truc
Article paru dans l'édition du 14.03.07



http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3214,50-882368,0.html

La plainte des "enfants de boches" de Norvège

LE MONDE | 13.03.07 | 14h25  •  Mis à jour le 13.03.07 | 14h25

En norvégien, on les appelle les tyskeungar, les enfants d'Allemands. Ils sont nés de l'union d'un soldat allemand et d'une Norvégienne durant l'occupation de ce pays scandinave pendant la seconde guerre mondiale. La plus célèbre d'entre eux s'appelle Frida Lyndstad, l'une des anciennes chanteuses du groupe de pop suédois Abba. Sa mère s'est suicidée à 19 ans, à la fin de la guerre, après que son père, un soldat de la Wehrmacht, fut reparti vers sa famille légitime en Allemagne.

Ces "enfants de la guerre" norvégiens seraient de 10 000 à 12 000. Dix-neuf d'entre eux avaient fait le déplacement à Strasbourg (Bas-Rhin), jeudi 8 mars, afin d'assister à l'audience de la Cour européenne des droits de l'homme qui doit examiner la recevabilité de leur requête. Plus de 150 de ces Norvégiens au destin brisé, stigmatisés dès l'enfance, accusent les autorités de leur pays de les avoir traités de manière discriminatoire et de n'avoir, au fil des décennies, rien fait pour réparer le préjudice qu'ils avaient subi.

Paul Hansen est né le 7 avril 1942. De son père, un soldat de la Luftwaffe, il ne possède qu'un portrait, une simple photocopie. Il sait seulement qu'il est mort en 1952, et qu'il portait le même prénom que lui. Sa mère, Asta, l'a abandonné à la naissance dans un Lebensborn, l'une de ces maternités nazies créées par Himmler dès 1935 en Allemagne pour recueillir le sang "de bonne race", et étendues à certains pays occupés pendant la guerre.

Paul Hansen a passé les premières années de sa vie dans un Lebensborn norvégien, entouré et choyé. Le privilège du sang. Mais à la libération du pays en 1945, sa vie va se transformer en calvaire. De façon totalement arbitraire, il sera placé dans différentes institutions psychiatriques et n'en sortira qu'à l'âge de 22 ans, traumatisé pour la vie. "J'ai vécu dans ces centres avec des personnes malades alors que j'étais normal, explique cet homme qui semble se réfugier derrière un mur invisible. Tout cela, c'était à cause de la haine des Allemands."

De nombreux autres enfants d'Allemands ont connu le même sort en Norvège. Tove Laila Strand était présente à l'audience de Strasbourg. Son père à elle est mort après avoir sauté sur une mine en Russie, peu de temps après sa naissance, en 1941. Une tante lui a raconté comment sa mère, alors qu'elle avait à peine un an, l'avait brûlée avec un fer à repasser. Tove Laila est ensuite abandonnée dans un Lebensborn qui l'envoie, peu après, chez ses grands-parents paternels, en Allemagne.

En 1947, la petite fille est rapatriée en Norvège, rendue à cette mère qui ne voulait pas d'elle et qui s'est mariée avec un Norvégien. Une mère à qui la présence de Tove Laila rappelle, jour après jour, tout le poids de sa honte. "J'ai compris dès le premier jour que je n'aurais pas dû naître, explique-t-elle. On me traitait de sale boche, d'enfant de boche. J'étais appelée ainsi par ma propre mère." Elle est battue, violée par son beau-père, et finira par fuir à l'âge de 15 ans. Durant toute sa vie, Tove Laila essaiera en vain de réparer le lien brisé avec sa mère. "Peu de temps avant sa mort, elle m'a téléphoné et m'a dit : "Le jour où je meurs, je ne veux pas de fleurs de ta part sur ma tombe". Lorsqu'elle est morte, j'ai pris sa main dans le cercueil. Là, elle ne pouvait plus me battre. Ça a l'air macabre, mais c'était pour lui donner la paix que j'avais besoin de la voir et de la toucher."

Harriet von Nickel a tant souffert, elle aussi, qu'elle a écrit un livre pour raconter son histoire. Parfois, son père adoptif l'attachait avec une laisse. Quand elle avait 9 ou 10 ans, on lui a gravé avec les ongles une croix gammée sur le front. Karl Otto Zinken a été placé dans une école spéciale pour déficients mentaux où il a été violé par deux hommes.

Tous les enfants d'Allemands de Norvège n'ont pas connu pareil traitement. Mais le cas norvégien reste unique. Dans tous les pays européens qui avaient subi l'occupation nazie, les femmes coupables de "collaboration horizontale" ont été soumises à la vindicte populaire, avec les fameuses scènes de tonte publique. Toutefois aucun autre pays ne s'en est pris, comme la Norvège, de façon systématique aux enfants nés de ces liaisons que la morale patriotique condamnait. S'ils ont été montrés du doigt en tant que groupe "à risque", c'est beaucoup dû à la stigmatisation dont ils ont fait l'objet de la part des autorités elles-mêmes.

Cette politique officielle s'appuyait sur les conclusions d'un rapport psychiatrique établi par un professeur de l'époque : "A partir d'expériences avec quelques femmes d'Allemands, qui avaient été patientes dans son hôpital pendant la guerre, ce psychiatre a étendu ses conclusions à toute la population concernée. Selon ses calculs, environ la moitié des mères d'enfants de la guerre étaient des attardées mentales, explique l'historien Kare Olsen. De plus, il a estimé que les soldats allemands qui s'étaient contentés de femmes débiles devaient eux-mêmes avoir un problème. Sur la base de ses connaissances sur l'hérédité, il en a conclu que plusieurs milliers de ces enfants de la guerre norvégiens devaient être mentalement attardés ! Et que cela constituait un grave problème pour les autorités norvégiennes, qui devaient réagir." Paul Hansen, par exemple, a passé toute sa jeunesse dans des institutions, sans jamais avoir subi d'examen.

C'est la raison pour laquelle quelques centaines de ces enfants maltraités tentent, depuis des années, d'obtenir réparation de l'Etat norvégien. Ils sont sortis de l'anonymat tardivement, à mesure que leurs parents vieillissaient, risquant d'emporter leur secret dans la tombe, à mesure aussi que leurs propres enfants commençaient à poser des questions et que le besoin de savoir grandissait.

En 1999, l'une des trois associations d'"enfants d'Allemands" a décidé de porter l'affaire devant les tribunaux norvégiens. Lors de son discours du Nouvel An de 2000, le premier ministre de l'époque, Kjell Magne Bondevik, avait présenté "au nom de l'Etat norvégien" des "excuses pour la discrimination et l'injustice qu'ont subies les enfants de la guerre". Mais de procès, point.

Les tribunaux norvégiens invoquent la prescription. "Mais il ne peut pas y avoir prescription, car, jusqu'à aujourd'hui, ces gens souffrent", s'insurge Randi H. Spydevold, leur avocate depuis huit ans.

Depuis que l'affaire des enfants d'Allemands occupe la scène médiatique en Norvège, de nombreuses études ont été faites sur eux. L'une d'entre elles, publiée en 2005, indique que ces personnes, âgées aujourd'hui de 60 à 65 ans, ont connu des conditions de vie nettement plus mauvaises que leurs contemporains. Les chercheurs ont constaté que ce groupe présentait une mortalité plus importante, davantage de problèmes de santé, un niveau de formation plus bas, des revenus en dessous de la moyenne norvégienne, plus de chômage et un taux de divorce bien plus élevé, surtout parmi les filles d'Allemands.

Paul Hansen, Tove Laila Strand et les autres espèrent maintenant que la Cour européenne des droits de l'homme, qui a mis son jugement en délibéré, acceptera leur point de vue. Si tel est le cas, ils demanderont des dommages et intérêts à la Norvège. Histoire, insiste l'avocate de l'association, de faire payer cet Etat "qui s'en est pris sans discernement aux plus faibles qu'il était censé protéger".

Olivier Truc
Article paru dans l'édition du 14.03.07