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Interview du général Dominique Delawarde sur la 3ème intifida en Palestine

Démarré par JacquesL, 08 Novembre 2023, 03:47:21 PM

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JacquesL

Interview du général Dominique Delawarde sur la 3ème intifida en Palestine



par le général Dominique Delawarde

Je rappelle au lecteur que j'ai servi près de deux ans au Proche-Orient, en deux séjours et que j'y ai perdu ma naïveté de bon soldat qui ne cherche pas à comprendre.


*
Interview sur la 3ème intifida en Palestine


Question : Le 7 octobre dernier une attaque organisée par le Hamas contre l'État d'Israël a été particulièrement meurtrière pour cet État. Pouvez vous nous faire connaître vos premières réactions «à chaud».


Réponse DD : Aucune réaction «à chaud» sur une nouvelle et énième péripétie du conflit israélo-palestinien ne peut être pertinente sans prendre la précaution de la replacer dans un contexte historique plus large. Réagir sans prendre de recul et blablater sans fin sur la base d'informations délivrées par les médias occidentaux, dont on connaît l'inculture et la partialité des narratifs sur le sujet, me paraît stérile, voire contre productif. C'est la raison pour laquelle, je ne me suis pas exprimé pendant une semaine, cherchant à diversifier mes sources d'information, et à sortir, si nécessaire, de la bien-pensance occidentale convenue du «tous derrière Israël». On se souvient bien sûr de la bien-pensance totalitaire occidentale qui voulait qu'on soit «tous Charlie» ou qu'on soit «Tous vaccinés, tous protégés»...
À ceux qui liront ces lignes, je recommande de visionner, avant de s'exprimer, cet excellent documentaire publié par la chaîne nationale de TV publique, Antenne 2, en 1991 et qui n'a pas pris une ride.
C'est ce documentaire mainstream sur le conflit israélo-palestinien que je proposais à mes soldats et à mes camarades avant leur engagement au Proche-Orient, dans le cadre de l'ONU. Il me paraît équilibré. C'est peut être la raison pour laquelle les lobbies pro-Israël, et les «sayanim» travaillant à leur profit, avaient tenté d'empêcher sa diffusion, à l'époque, et avaient obtenu de le faire passer à une heure tardive de faible écoute.
Regardez bien ce documentaire, car je doute qu'une production de cette qualité et de cette impartialité puisse être encore diffusée, aujourd'hui, sur une télévision occidentale : son titre ? «Israel-Palestine comprendre par l'histoire (1880-1991)».

Question : Vous semblez mettre en doute l'impartialité des médias occidentaux pour traiter du conflit israélo-palestinien, pouvez vous préciser votre pensée ?

Réponse DD : Bien sûr.
Plusieurs événements très importants se sont déroulés en ce début d'octobre 2023 dans le monde.
1. Un tremblement de Terre en Afghanistan qui a fait, avec ses répliques toujours en cours, plus de 2400 morts et des dizaines de milliers de blessés et/ou de sans abris.1
2. Un bombardement non revendiqué (donc parfaitement signé, selon moi) d'une cérémonie de baptême d'une promotion d'élèves officiers en Syrie avec 112 morts dont 21 civils parmi lesquels des femmes et des enfants.2
Ces morts viennent s'ajouter aux plus de 500 000 victimes d'un conflit suscité et entretenu par une coalition israélo-occidentale au seul profit d'Israël.3
3. Un exode massif des populations arméniennes du Haut-Karabakh, suite à une attaque azérie, l'Azerbaïdjan étant soutenu par deux alliés traditionnels, pour les livraisons d'armes et de conseillers militaires : Israël et la Turquie.4
4. Une guerre en Ukraine qui continue de faire plus de 5000 tués par semaine, en ce début d'octobre 2023.
Lorsque le 7 octobre 2023 survient l'attaque du Hamas contre Israël qui aurait fait, à ce jour, environ 3000 morts (1500 israéliens, 1537 Palestiniens), tous ces événements importants énumérés précédemment disparaissent quasiment du traitement de l'actualité en France pour laisser 90% de l'espace éditorial au conflit israélo-palestinien avec, pour seule ligne éditoriale autorisée : «Tous derrière Israël».
Cette disproportion dans le traitement médiatique des événements en faveur d'Israël appelle évidemment quelques questions :
La vie d'un Afghan, d'un Syrien, d'un Arménien ou d'un Palestinien vaut-elle moins que la vie d'un Israélien pour les médias occidentaux ?
Le lobbying pro-Israélien en occident a-t-il pu jouer un rôle dans la disproportion du traitement médiatique des événements en faveur d'Israël ?
QUI contrôle vraiment la meute médiatique occidentale ?
On notera avec intérêt que ce traitement médiatique disproportionné en faveur d'Israël, reste une spécificité occidentale. Les médias africains, asiatiques, sud-américains, et russes paraissent beaucoup plus équilibrés que les nôtres sur cette affaire.

Question: Au delà du traitement médiatique qui est fait de cet épisode dramatique, que penser de l'ampleur des pertes subies par l'État hébreu ? Peut-on qualifier l'opération de «terroriste» ?

Réponse DD : Avec plus de 1500 morts et 4000 blessés en une semaine et à ce jour5, Israël enregistre le bilan humain le plus lourd depuis sa première guerre de 1948-1949 qui avait duré près de dix mois (4000 soldats + 2400 civils tués) (NB : La guerre des six jours n'avaient fait que 780 morts et 2600 blessés dans les rangs israéliens, et dans la guerre de 1956 Israël avait compté 299 morts et 900 blessés).
Quant à la «guerre à la Covid-19», elle a coûté 12 691 décès à Israël, pionnier et promoteur de la vaccination expérimentale de masse. 9791 décès étant survenus après le début de la campagne vaccinale...
Du côté palestinien, on compte 1537 morts et plus de 6610 blessés dont près de la moitié de femmes et d'enfants (250 femmes et 447 enfants) à l'heure où j'écris ces lignes6. Il y en  aura beaucoup plus demain. Dans sa guerre à la Covid, l'État palestinien, moitié moins vacciné qu'Israël, n'a enregistré que 5504 décès (7200 de moins qu'Israël).
Des femmes et des enfants ont été tués des deux côtés, dans une proportion de près de 50%. Bien sûr, le bilan est et restera globalement pire dans le camp palestinien qui est moins bien armé. L'observateur éclairé ne peut qu'être surpris de l'ampleur des pertes israéliennes. On n'est plus dans les rapports de perte de un à plus de dix, voire de un à cent, qui ont toujours caractérisé les opérations de répression israélienne, soutenues par l'occident, contre la bande de Gaza.
Les mouvements de résistance ont toujours été qualifiés de terroristes par les puissances occupantes dans tous les conflits que la terre ait porté. C'est un enseignement de l'histoire. Mais il y a plusieurs formes de terrorisme. Celui du faible au fort qui tente, par tous les moyens, de s'opposer à l'oppression qui lui est appliquée, celui du fort au faible, qui est un terrorisme d'État, et qui consiste, par exemple, à enfermer le faible dans des zones concentrationnaires pour mieux le contrôler et le soumettre.
L'exemple du ghetto de Varsovie et de son soulèvement le 19 avril 1943 dans un combat sans espoir «pour votre liberté et pour la nôtre» constitue un parfait exemple de ces deux formes de terrorisme: celui de l'oppression et celui de la résistance.
La citation d'un combattant révolté du ghetto de Varsovie devrait aujourd'hui nous revenir en mémoire et nous inciter à réfléchir.
«Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine». Arie Wilner (pseudonyme Jurek), soldat de la ŻOB
Peut-on établir un parallèle entre le ghetto de Varsovie et la Zone concentrationnaire de Gaza dans laquelle s'entassent 2 millions de Palestiniens sur 352 km² soit une densité de 6000 h/km², le tout sous la haute surveillance, voire les provocations de Tsahal ? Je laisse à chacun le soin de répondre à cette intéressante question.
Enfin, s'agissant de terrorisme au proche orient, il n'a jamais été l'exclusivité des Palestiniens.
On se souvient du 22 Juillet 1946, et de l'attentat terroriste de l'Irgoun sur l'Hotel King David, 91 tués et 46 blessés.
On se souvient du massacre de Deir Yassin du 9 avril 1948, perpétré par les Israéliens, et qui a fait 254 victimes, femmes, enfants vieillards, assassinés froidement, au point que Anna Arendt et Albert Einstein ont co-signé une lettre ouverte le 2 décembre 1948 dans le New York Times, pour dénoncer cette «barbarie». Menahem Begin, responsable de ce massacre a reçu, lui, le Prix Nobel de la Paix en 1978.7
On se souvient de l'assassinat le 17 septembre 1948 de Folke Bernadotte, envoyé de l'ONU à Jérusalem, par le groupe terroriste juif le Lehi (6 balles reçues) et du colonel français André Serot, chef des observateurs de l'ONU (18 balles reçues). Arrêtés pour la forme, les assassins feront 18 jours de prisons pour leur crime. Le tueur de Bernadotte, Yeoshua Cohen sera élu député, et deviendra garde du corps personnel de Ben Gourion. L'impunité, c'est bien ce qui a toujours caractérisé le terrorisme israélien, y compris le terrorisme d'État.8
On se souvient aussi du massacre de Tantura de mai 1948 perpétré par l'Armée régulière israélienne.9
Enfin, l'assassinat d'enfants palestiniens désarmés par les snipers de Tsahal a atteint, pour l'année 2023, qui n'est pas finie, un plus haut depuis quinze ans.10,11
Lorsqu'on s'informe correctement, on comprend mieux pourquoi la cocote minute de Gaza a fini par exploser. Pourquoi les hommes ont fini par prendre les armes en si grand nombre tout en sachant qu'ils allaient mourir. Ils ont mis en application la citation du révolté Arie Wilner du ghetto de Varsovie :
«Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine». Arie Wilner (pseudonyme Jurek), soldat de la ŻOB

Question : De nombreuses rumeurs indiquent que la gouvernance israélienne aurait été prévenue de cette attaque du Hamas et aurait laissé faire. Que pensez vous de ces affirmations ?

Réponse DD : Je ne peux confirmer ce scénario sans preuves suffisantes, très solides et incontestables. Je me limiterai donc à admettre que ce scénario est non seulement plausible mais probable. Il a d'ailleurs été rapporté par des journaux israéliens et repris dans plusieurs pays.
Le Premier ministre israélien Netanyahou était en grande difficulté sur son projet visant à réformer la Justice et sur ses démêlés personnels avec la Justice de son pays. La population israélienne était profondément divisée en ce début de mois d'octobre 2023. Rien de tel qu'une grande peur et qu'une petite guerre pour refaire l'unité du pays face à un ennemi commun surtout lorsqu'on connaît le cynisme et le jusqu'au boutisme du personnage Netanyahou, nominé treize fois, sur les treize éditions annuelles, au palmarès confessionnel de l'influence du Jerusalem Post.
Voir et revoir les deux très courtes vidéos suivantes :
https://twitter.com/JmyLss/status/1544396773103370241
et surtout celle sous le titre : La méthode Netanyahou (sous-titrée en  français)
https://reseauinternational.net/wp-content/uploads/2023/10/2310141.mp4

Question : Quelles conséquences, selon vous, pour le Proche-Orient et pour le monde de cette attaque d'Israël par le Hamas ?


Il est difficile et sans doute trop tôt pour en faire l'inventaire exhaustif.
Le soutien financier et militaire des USA à l'égard d'Israël se fera probablement au détriment du soutien à l'Ukraine. Comme à leur habitude, les européens suivront l'exemple de leur maître US. L'évolution du rapport de force en défaveur de l'Ukraine va donc s'accélérer et faciliter la victoire militaire de la Russie lorsque celle ci estimera le moment opportun. À mon avis, pas avant l'été 2024 pour la signature d'un traité de paix après la capitulation sans condition de l'Ukraine.
Sur le plan économique, le niveau de production et de livraison de l'énergie (gaz, pétrole) pourrait être impacté. Les pays du Golfe et la Russie, très concernés par la crise israélo-palestinienne, et qui détiennent les clefs de l'approvisionnement énergétique mondial, décideront ensemble de la conduite à tenir en fonction de l'évolution des événements en Palestine et autour. Une crise énergétique n'est pas à exclure pour l'occident, ce qui viendrait accentuer son déclassement dans la hiérarchie économique mondiale.
Notons, pour mémoire, que la position des BRICS sur le problème palestinien est clairement une solution à deux Etats dans les frontières de 1967. Cette position a été réitérée à plusieurs reprises dans les déclarations finales concluant les sommets annuels des BRICS depuis 2008. Tous les États BRICS ont reconnu l'État palestinien dans ses frontières de 1967 à l'ONU.
Sur le plan médiatique, le conflit israélo-palestinien, nouvel os à ronger, va réduire d'autant la focalisation sur l'Ukraine. Les experts de plateau TV vont devoir se reconvertir en experts du Proche et du Moyen-Orient. Jugés sur leur aptitude à relayer les narratifs otaniens de leur gouvernance respective, ils devraient réussir leur reconversion sans problèmes ...
Sur le plan géopolitique, on devrait voir s'affirmer toujours davantage les diplomaties de la multipolarité, reconnues plus «impartiales» hors de l'entre-soi otanien, face aux diplomaties moribondes de l'occident global, soumises à l'hégémon Israélo-US, dont elles sont devenues les proxies au fil du temps.


Dominique Delawarde