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Léo Strauss, maître à penser des néo-conservateurs criminels

Démarré par JacquesL, 22 Février 2023, 12:06:24 PM

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JacquesL

Léo Strauss, maître à penser des néo-conservateurs criminels



Il y a consensus pour blâmer les instigateurs et les exécutants des guerres, révolutions, assassinats, bombardements, renversement des gouvernements et autres actes criminels qui ont ensanglanté des régions étendues de la planète, tout particulièrement depuis 2001, date charnière, qui a donné suite aux évènements du 11 Septembre de la même année.

Chacun y va de sa harangue, et désigne qui ceux-ci, qui ceux-là. À raison évidemment. L'empire du chaos est bien sûr omniprésent au cœur des désignés. Mais remontons un peu plus loin, au programme source, jusqu'à celui qui a concocté l'idéologie qui a déclenché en cascades tous ces crimes planétaires auxquels la Russie et Poutine s'efforcent de mettre fin aujourd'hui. La géostratégie mondiale menée par les pays puissants est fortement inspirée par les idéologies qui la sous-tend. Les politiques intérieures des états le sont également. Qui pourrait nier que l'idéologie socialiste et néo-libérale n'a pas d'impact sur la politique intérieure de la France ?

Certaines idéologies sont connues mondialement, avec leurs idéologues. On pense évidemment à Karl Marx par exemple, à l'idéologie fasciste, sioniste ou socialiste aussi. Mais d'autres idéologues, à peine connus du grand public et même des dissidents les plus affûtés, ont influencé directement des groupes puissants qui ont incité à semer guerres et destructions au cours des 15 à 20 dernières années. Léo Strauss a nourri directement les délires des néo-conservateurs américains qui ont, depuis leur fameux Project for a New American Century (PNAC de 1995), sous-tendu les politiques criminelles des Présidents américains, de George Bush à Obama, même si celui-ci s'en détourne encore trop timidement au cours de son deuxième mandat.

Il n'est pas surfait de craindre que ce qui se joue actuellement, en Syrie notamment, avec la Russie et Poutine, sera prolongé d'une guerre, ou bien non. Cette issue, qui pourrait s'avérer fatale même pour beaucoup d'entre nous, dépendra de la réponse américaine, et du résultat des luttes intestines au sein de son gouvernement et de son administration entre Américains patriotes et néo-conservateurs liberticides et hégémoniques, en grande partie, il faut bien le dire, inspirés par le sionisme fanatique aussi présent en Amérique qu'il l'est dans l'entité qui se fait appeler Israël.

Léo Strauss, né en 1899 d'une famille de juifs orthodoxes des environs de Marbourg, en Allemagne, vécut aux Etats-Unis de 1938 jusqu'à sa mort, en 1973. Professeur de philosophie politique à l'université de Chicago de 1953 à 1973, Strauss a créé toute une génération d'idéologues et de politiciens qui, aujourd'hui, sont infiltrés dans le gouvernement américain et dans le milieu néo-conservateur, et qui ont eu une influence énorme sur le Président Bush et qui sont encore là avec Obama. Léo Strauss était idéologue. On sait que les idéologies sont souvent le substrat des stratégies politiques dangereuses. Le fascisme était l'idéologie de l'Allemagne nazie, le marxisme celle du stalinisme. Les nazis ont tué des dizaines de millions de gens. Le straussisme était l'idéologie des faucons de Bush et celle des faucons néolibéraux d'Obama. Bush, ignare à son arrivée à la Maison Blanche (il l'est resté jusqu'au bout), avait endossé cette idéologie de A à Z. Les dégâts considérables dans les pays Arabo-Musulmans qu'on connaît et qu'on déplore aujourd'hui sont directement à associer à l'influence néfaste de Léo Strauss.

J'emprunte à « solidarité et progrès » ainsi qu'à plusieurs journaux américains certaines révélations sur le mouvement straussien qui est organisé en réseaux aux États-Unis : le principal idéologue qui se réclame de Léo Strauss dans l'administration Bush est le vice-ministre de la Défense, Paul Wolfowitz, qui a étudié auprès d'Allan Bloom à l'université de Chicago. Depuis les années 70, il compte parmi ses collaborateurs Richard Perle, Steven Bryen et Elliot Abrams. On peut en citer un autre, l'ancien directeur de la CIA, James Woolsey, membre du « Defense Policy Board », et adjoint du Général Garner qui a dirigé le gouvernement irakien. Dans le domaine des médias, on peut citer John Podhoretz, rédacteur du New York Post et ancien éditeur du Weekly Standard, ainsi qu'Irving Kristol, éditeur de Public Interest, l'organe des néo-conservateurs, et collaborateur de l'American Entreprise Institute (A.E.I), lieu privilégié de Bush pour ses discours de propagande. Son fils William Kristol est un des idéologues du parti républicain. Citons encore Werner Dannhauser, un protégé personnel de Strauss qui a quitté le monde universitaire pour assurer la rédaction de Commentary, après le départ à la retraite de Norman Podhoretz, ainsi que deux autres membres de la rédaction du Weekly Standard, David Brook et Robert Kagan, le fils d'un professeur straussien de Yale, Donald Kagan.

Dans le domaine du département de la justice, des straussiens inconditionnels sont le juge de la Cour suprême, Clarence Thomas, et l'ex ministre de la Justice, John Ashcroft. Pour ce qui est du gouvernement Bush à l'époque, on y trouve Lewis Libby, directeur de cabinet de l'ex vice-président Richard Cheney et ancien élève de Wolfowitz à l'université de Yale. Après le 11 septembre 2001, insatisfait des renseignements fournis par la CIA et l'intelligence militaire, Abram Shulsky fut nommé à la tête d'une unité de renseignements au sein de la bureaucratie civile du Pentagone, créée pour produire, au besoin inventer, tous les montages dont les faucons avaient besoin pour justifier la guerre contre l'Irak. Straussien convaincu, Shulsky anime encore aujourd'hui des débats sur la pensée du « maître ». Parmi les « penseurs » et stratèges, on compte l'auteur du Choc des civilisations, Samuel Huntington, ainsi que Francis Fukuyama et Allan Bloom, qui lui est décédé.

Alors qu'ils avaient été tenus totalement à l'écart du gouvernement américain pendant la présidence de Bill Clinton, les straussiens ne sont cependant pas restés inactifs. Outre l'élaboration de doctrines militaires, dont celles qui ont cours actuellement, ils ont notamment rédigé un document pour le gouvernement israélien (Clean Break), prévoyant la fin des accords d'Oslo. Plusieurs disciples de Strauss et de Bloom avaient d'ailleurs émigré en Israël où ils militaient contre la paix. L'Institute for Advanced Strategic and Political Studies (IASPS) a été créé à Washington et à Jérusalem en 1984, afin de promouvoir le libre-échange et explicitement, dès 1996, la pensée de Strauss.

Début 1997, William Kristol et Robert Kagan, deux « intellectuels dans la tradition de Strauss », ont lancé à Washington, en collaboration avec l'American Entreprise Institute, une organisation intitulée « Project for the New American Century », dont le but déclaré est de promouvoir la présence militaire américaine partout dans le monde, pour y tenir littéralement le rôle de « gendarme du globe », à commencer par l'Irak. Le 3 juin 1997, cette organisation a publié un acte de fondation, appelant à une nouvelle politique étrangère basée sur l'« hégémonie globale bienveillante » des Etats-Unis. Parmi les signataires de cette lettre : Elliot Abrams, William Bennett, Jeb Bush (frère du Président de l'époque), Dick Cheney, Francis Fukuyama, Lewis Libby, Norman Podhoretz, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz.

Project for the New American Century

Project for the New American Century

Maintenant que l'on connaît le nom des straussiens les plus influents de l'ex gouvernement Bush, et qu'il est aisé d'imaginer l'influence écrasante qu'ils ont eu et veulent encore avoir sur la politique américaine et le cours des évènements mondiaux, il nous reste à décrire les grandes lignes de l'idéologie de Léo Strauss.

Le philosophe, pour Léo Strauss, c'est l'homme rare, capable de supporter la vérité. Cette vérité, c'est qu'il n'y pas de Dieu, que l'univers n'a que faire de l'homme et de l'espèce humaine et que l'entièreté de l'histoire humaine n'est qu'une minuscule poussière insignifiante sur la croûte de l'univers, dont la naissance coïncide quasiment avec la disparition. Il n'existe ni moralité, ni bien ni mal, et toute discussion sur l'au-delà n'est que commérage. Mais évidemment, l'immense majorité de la population est si incapable de faire face à la vérité qu'elle appartient quasiment à une autre race, ce que Nietzsche appelait « le troupeau » ou encore « les esclaves ». Ils ont besoin d'un Dieu « père fouettard », de la crainte d'une punition après la vie, et de la fiction du bien et du mal. Sans ces illusions, ils deviendraient fous et se révolteraient, ce qui empêcherait toute forme d'ordre social. Puisque la nature humaine est ainsi faite et ne changera jamais, selon Strauss, ce sera toujours comme ça. C'est le surhomme ou « philosophe » qui fournit au troupeau les croyances religieuses, morales et autres, dont il a besoin, mais dont il sait très bien, lui, qu'elles sont erronées. En réalité, les « philosophes » n'utilisent ces manigances que pour plier la société à leurs propres intérêts. Par ailleurs, les philosophes font appel à toutes sortes de gens utiles, y compris les « gentlemen » qui sont formatés dans les connaissances publiques. On les dresse à croire à la religion, à la moralité, au patriotisme et à la chose publique et certains deviennent hauts fonctionnaires. Bien sûr, en plus de ces vertus, ils croient aussi aux philosophes qui leur ont enseigné toutes ces bonnes choses. Ces « gentlemen », qui deviennent des politiques, continueront à écouter à vie les conseils des philosophes. La gouvernance du monde par l'intermédiaire de ces golems implantés dans les gouvernements est ce que Strauss appelle le « Royaume secret » et pour beaucoup de ses élèves, c'est la mission de leur vie.

Ça vous semble du délire ? Ça l'est ! Imaginez vous que l'Amérique, le plus puissant pays au monde, était dirigée par un Président, George W. Bush, qui est tombé totalement et inconditionnellement sous l'influence de l'idéologie straussienne, décrite plus haut. Une trentaine de faucons de l'administration Bush sont pétris de cette idéologie, et la relève a été assurée aujourd'hui auprès d'Obama. Vous n'aurez aucun mal à établir la longue liste d'idéologues néo-conservateurs qui polluent encore au premier degré les politiques et inspirent les prétentions des Etats-Unis.

Les conséquences possibles de cette situation font frémir. Sans foi, ni loi, ni moralité, manipulant les autres, méprisant les masses, d'un racisme consommé, les straussiens américains ont commencé à étendre leur ombre malfaisante sur le monde. Le nôtre, dans lequel on vit, celui qui aura à souffrir de l'idéologie de Léo Strauss, qui n'a rien à envier au fascisme qui a noirci les plus belles pages de l'histoire du XX ème siècle. Mort en 1973, Léo Strauss aura marqué les premières années du XXI ème siècle et pourrait encore exercer son influence mortifère au cours des prochaines années.

Les relations entre les États-Unis et nos gouvernements qui se targuent d'être démocratiques risquent de tourner court, tant que l'idéologie straussienne dictera les politiques américaines, ce qui fut le cas à 100% avec George W. Bush et qui le reste encore trop avec Obama. D'ailleurs qu'en sera t-il avec le prochain Président, homme ou femme, aux Etats-Unis ? Une réponse qui aura un impact essentiel sur le reste du monde car cela dictera la politique extérieure américaine. D'un côté une idéologie barbare et archaïque, de l'autre des principes humanistes, religieux, moraux, sur lesquels sont fondés notre civilisation.

Il faut savoir nommer son ennemi, le désigner. On dit : les Américains mettent le monde à feu et à sang, comme si ce peuple de lui-même agissait de façon démoniaque. Ce ne sont pas les Américains qu'il faut blâmer, ce sont leurs gouvernements, directement influencés depuis les 15 à 20 dernières années par des groupes de pression puissants comme les néo-conservateurs, eux-mêmes nourris par des idéologies mortifères comme celle de Léo Strauss. On notera une fois de plus que la presque totalité de ces néo-conservateurs straussiens sont des binationaux, qui détiennent à la fois des passeports américains et israéliens. Serait-ce une coïncidence ?

Le néo-conservatisme straussien s'appuie sur six caractéristiques principales, qui se recoupent en grande partie :
– la volonté d'employer rapidement la force militaire ;
– un dédain pour les organisations multilatérales ;
– une faible tolérance pour la diplomatie ;
– une focalisation sur la protection d'Israël et donc un interventionnisme orienté et tronqué au Moyen-Orient ;
– une insistance sur la nécessité pour les États-Unis d'agir de manière unilatérale ;
– une tendance à percevoir le monde en termes binaires (bon/mauvais).

Ces caractéristiques, que vous reconnaîtrez de toute évidence, vous font-elles penser aux « Américains » ? C'est plutôt le néo-conservatisme straussien qu'il faut reconnaître et condamner. C'est là, in fine, que le mal absolu s'est logé, là d'où tout est parti, et qui est la source d'un chaos invraisemblable qui submerge la planète.

Algarath


Citation de:  cap 360Ce néoconservatisme, qui est généralement perçu comme une droite républicaine extrême, est en réalité un mouvement intellectuel né à la fin des années 1960 au sein de la rédaction de la revue mensuelle Commentary, l'organe de presse de l'American Jewish Committee qui a remplacé le Contemporary Jewish Record en 1945. The Forward, le plus ancien quotidien juif américain, écrit dans un article de 2006 : « S'il y a un mouvement intellectuel en Amérique dont les juifs peuvent revendiquer l'invention, c'est bien le néoconservatisme. Cette pensée horrifiera sans doute la plupart des juifs américains, majoritairement libéraux. Et pourtant c'est un fait qu'en tant que philosophie politique, le néoconservatisme est né parmi les enfants des immigrants juifs et qu'il est actuellement le domaine particulier des petits-enfants de ces immigrants » [1]. L'apologiste du néoconservatisme Murray Friedman explique cela par la bénéficience inhérente au judaïsme, « l'idée que les juifs ont été placés sur terre pour un faire un monde meilleur, peut-être même plus sacré » ].

De même que l'on parle de la « droite chrétienne » comme d'une force politique aux États-Unis, on pourrait donc parler des néoconservateurs comme représentant la « droite juive ». Cependant, cette caractérisation est problématique pour trois raisons.

– Premièrement, les néoconservateurs ne forment qu'un petit clan, bien qu'ils aient acquis une autorité considérable sur les organisations représentatives juives, notamment la Conference of Presidents of Major American Jewish Organizations. Le journaliste Thomas Friedman du New York Times en compte vingt-cinq, à propos desquels il écrit en 2003 : « si vous les aviez exilés sur une île déserte il y a un an et demi, la guerre en Irak n'aurait pas eu lieu » [3]. Les néoconservateurs compensent leur petit nombre par la multiplication de leurs Committees, Projects et autres think tanks redondants, qui leur confèrent une sorte d'ubiquïté, mais leur philosophie reste l'apanage d'un petit nombre.

– Deuxièmement, les néoconservateurs de la première génération sont tous issus majoritairement de la gauche, et même de l'extrême gauche trotskiste pour certains comme Irving Kristol, intellectuel phare du néoconservatisme et l'un des principaux rédacteurs de Commentary. C'est à la fin des années 60 que la rédaction de Commentary amorce son virage à droite en rompant avec la New Left pacifiste incarnée par George McGovern. Norman Podhoretz, le rédacteur en chef de Commentary de 1960 jusqu'à sa retraite en 1995, était militant anti-Vietnam jusqu'en 1967, pour devenir dans les années 70 un fervent avocat de l'augmentation du budget de la Défense, entraînant la rédaction dans son sillage. Dans les années 1980, il s'oppose à la politique de détente dans son livre The Present Danger. Il plaide pour l'invasion de l'Irak dans les années 90, et à nouveau au début des années 2000. En 2007, tandis que son fils John Podhoretz prend la relève comme rédacteur en chef de Commentary, il clame l'urgence d'une attaque américaine contre l'Iran.

– Troisièmement, contrairement aux chrétiens évangéliques avec qui ils s'associent volontiers, les néoconservateurs n'affichent pas leur judaïsme. Qu'ils aient été marxistes ou non, ils sont majoritairement non-religieux. La philosophie dont se revendiquent expressément les plus influents d'entre eux (Norman Podhoretz et son fils John, Irving Kristol et son fils William, Donald Kagan et son fils Robert, Paul Wolfowitz, Abram Shulsky) est celle de Leo Strauss, de sorte que les néoconservateurs se sont parfois définis eux-mêmes comme « straussiens ». Strauss, né d'une famille de juifs orthodoxes allemands, fut l'élève et le collaborateur de Carl Schmitt, politologue spécialiste de Thomas Hobbes, admirateur de Mussolini, théoricien d'une « théologie politique » dans laquelle l'État s'approprie les attributs de Dieu, et juriste attitré du Troisième Reich. Après l'incendie du Reichstag en février 1933, c'est Schmitt qui fournit le cadre juridique justifiant la suspension des droits et la mise en place de la dictature. C'est aussi Schmitt qui, en 1934, obtint personnellement de la Rockefeller Foundation une bourse permettant à Leo Strauss de quitter l'Allemagne afin d'étudier Thomas Hobbes à Londres puis Paris, pour enfin enseigner à Chicago. Cette filiation n'est pas contestée par les straussiens.

Leo Strauss (1899-1973)

La pensée de Leo Strauss est délicate à cerner, parce qu'il s'exprime moins souvent en son nom propre qu'en tant que commentateur des auteurs classiques. De plus, comme ses disciples Allan Bloom [4] ou Samuel Huntington, Strauss prend la précaution d'enrober ses idées les plus radicales de déclarations humanistes de principe. Néanmoins trois principes fondamentaux peuvent aisément être extraits de sa philosophie politique, peu différente de celle de Schmitt :

– Premièrement, les nations tirent leur force de leurs mythes, qui sont indispensables pour le gouvernement des peuples.
– Deuxièmement, les mythes nationaux n'ont pas de rapport nécessaire avec la réalité historique : ce sont des constructions culturelles que l'État a pour devoir de diffuser.
– Troisièmement, pour être efficace, tout mythe national doit être fondé sur une distinction claire entre le bien et le mal, car il tire sa force cohésive de la haine d'un ennemi de la nation. Comme l'admettent Abram Shulsky et Gary Schmitt [5], pour Strauss, « la tromperie est la norme en politique » [6] — règle qu'ils appliqueront en fabriquant, au sein de l'Office of Special Plans (OSP), le mensonge des armes de destruction massives de Saddam Hussein (voir plus loin).

Dans sa maturité, Strauss fut un grand admirateur de Machiavel, qu'il estime avoir mieux compris que quiconque. Dans ses Réflexions sur Machiavel [7], il se démarque des intellectuels qui tentent de réhabiliter le Florentin contre le sens commun qui le tient pour immoral. Strauss reconnaît au contraire l'immoralité absolue de Machiavel, dans laquelle il voit la source de son génie révolutionnaire : « Nous sommes en sympathie avec l'opinion commune au sujet de Machiavel, non seulement parce qu'elle est entière, mais surtout parce que ne pas prendre cette opinion au sérieux nous empêcherait de faire justice à ce qui est vraiment admirable chez Machiavel : le caractère intrépide de sa pensée, la grandeur de sa vision et la subtilité gracieuse de son discours » » [8]. La pensée de Machiavel est si radicale et pure que ses implications ultimes ne pouvaient être livrées ouvertement : « Machiavel ne pas aller jusqu'au bout de la route ; la dernière partie de la route doit être parcourue par le lecteur qui comprend ce qui est omis par l'auteur » [9]. Strauss est le guide qui permet aux esprits dignes (ses élèves néoconservateurs) de suivre la route jusqu'au bout : « Pour découvrir à partir de ses écrits ce qu'il considérait comme la vérité est difficile, mais n'est pas impossible » [10]. La vérité profonde de Machiavel, que seul le philosophe (straussien) est capable de supporter n'est pas un soleil aveuglant mais un trou noir, un gouffre que seul le philosophe (straussien) est capable de contempler sans se transformer en bête : l'univers n'ayant que faire de l'espèce humaine et l'individu n'étant qu'une insignifiante poussière, il n'existe ni bien ni mal, et il est ridicule de se préoccuper du salut de son âme, plutôt que de la seule réalité qui puisse approcher l'immortalité : la nation. Machiavel est donc le parfait patriote, et le straussisme est la forme pure du machiavélisme, réservée au petit nombre.

« La Foi ou la Peur, comment des juifs peuvent survivre dans une Amérique chrétienne », par Elliott Abrams (1997)

Il existe des straussiens parmi les chantres de l'impérialisme américain, mais c'est à la cause d'Israël que se dévouent prioritairement les néoconservateurs. Ce qui les caractérise n'est pas le judaïsme en tant que tradition religieuse, mais le sionisme en tant que cause nationale — une cause qui implique non seulement la sécurité d'Israël, mais son expansion à toute la Palestine, le Grand Israël. Il est bien évident que, si le sionisme est synonyme de patriotisme en Israël, il ne saurait être une étiquette acceptable pour un mouvement politique aux États-Unis, où il signifierait une loyauté envers une puissance étrangère. C'est pourquoi les néoconservateurs ne s'affichent pas comme sionistes sur la scène politique états-unienne. Ils ne s'en cachent pas pour autant. Elliott Abrams, conseiller national de sécurité adjoint dans l'administration de Bush fils [11], a écrit dans son livre La Foi ou la Peur, comment des juifs peuvent survivre dans une Amérique chrétienne [12]. On trouverait difficilement une meilleure définition du sionisme, dont le corollaire est l'apartheid pratiqué contre les non-juifs de Palestine, défendu la même année par Douglas Feith dans ses Réflexions sur le libéralisme, la démocratie et le sionisme, prononcées à Jérusalem : « Il y a une place dans le monde pour des nations non-ethniques et une autre place pour les nations ethniques. » [13].

Si l'on est en droit de considérer les néoconservateurs comme sionistes, c'est surtout en constatant que leurs choix en politique étrangère ont toujours coïncidé parfaitement avec l'intérêt d'Israël (tel qu'ils le conçoivent), au point de susciter de légitimes questions sur leur loyauté première. L'intérêt d'Israël est depuis toujours compris comme dépendant de deux choses : l'immigration des juifs d'Europe de l'Est et le soutien financier des juifs de l'Ouest (américains et, dans une moindre mesure, européens). Jusqu'en 1967, l'intérêt national fait pencher Israël vers l'Union Soviétique, tandis que le soutien des juifs américains reste réservé. L'orientation socialiste et collectiviste du Parti travailliste, fondateur et majoritaire, l'y enclint, mais ses bonnes relations avec l'URSS d'alors s'expliquent surtout par le fait que l'immigration massive des juifs n'est possible que par le bon vouloir du Kremlin. Durant les trois années suivant le départ des Britanniques (1948), qui avaient jusque-là limité l'immigration par égard pour la population arabe, 200 000 juifs polonais réfugiés en URSS sont autorisés à s'installer en Palestine, tandis que d'autres affluent de Roumanie, Hongrie et Bulgarie.

Mais la guerre des Six Jours marque un tournant : en 1967, Moscou proteste contre l'annexion par Israël de nouveaux territoires en rompant ses relations diplomatiques avec Tel-Aviv et en stoppant soudain l'émigration de ses citoyens juifs, qui s'était pourtant accélérée dans les mois précédents. C'est à partir de cette date que Commentary devient, selon le mot de Benjamin Balint, « le magazine polémique qui a transformé la gauche juive en une droite néoconservatrice » [14]. Dès lors, les néoconservateurs prennent en effet conscience que la survie d'Israël — et si possible son expansion territoriale — dépend de l'aide et de la protection militaire états-unienne, et simultanément que le besoin en immigration ne pourra être comblé que par la chute du communisme. Ces deux objectifs convergent vers le besoin de renforcer la puissance militaire des États-Unis. C'est la raison pour laquelle, écrit Irving Kristol dans la revue de l'American Jewish Congress en 1973, il faut combattre la proposition de George McGovern de réduire le budget militaire de 30 % : « C'est planter un couteau dans le cœur d'Israël. [...] Les juifs n'aiment pas les gros budgets militaires, mais il est maintenant dans l'intérêts des juifs d'avoir un grand et puissant appareil militaire aux États-Unis. [...] Les juifs américains qui se préoccupent de la survie de l'État d'Israël doivent dire 'non, nous ne voulons pas réduire le budget militaire, il est important de garder un gros budget militaire, afin de pouvoir défendre Israël » [15]. On comprend mieux de quelle réalité voulait parler Kristol, lorsqu'il définissait, dans une formule célèbre, un néoconservateur comme « un libéral qui a été confronté à la réalité » [16].

Henry Scoop Jackson (1912-1983)
À la fin des années 60, les néoconservateurs soutiennent la frange militariste du parti démocrate, dont la figure de proue, après la retraite de Lyndon Johnson, est le sénateur Henry Scoop Jackson, partisan de la guerre du Vietnam et opposé à toute idée de détente, concurrent de McGovern aux primaires de 1972. Richard Perle rédige l'amendement Jackson-Vanik, qui conditionne l'aide alimentaire à l'URSS à la libre émigration des juifs. C'est aussi au sein du bureau de Scoop Jackson que se forge l'alliance entre les néoconservateurs et le tandem Rumsfeld-Cheney, qui profite de la brêche du Watergate pour rejoindre le camp républicain et investir la Maison-Blanche. Perle place ses protégés Paul Wolfowitz et Richard Pipes à la tête du « Groupe B » (Team B), un conseil créé pour revoir à la hausse les estimations de la CIA sur la menace soviétique, dont le rapport malicieusement alarmiste, prônant une dramatique augmentation du budget de la Défense, est publié dans Commentary [17]. Durant la parenthèse Carter, les néoconservateurs s'associent aux chrétiens évangéliques, viscéralement anticommunistes et naturellement bien disposés à l'égard d'Israël, qu'ils voient comme un miracle divin préfigurant le retour du Christ. Grâce à la puissance de leurs lobbies et think tank (notamment l'American Enterprise Institute for Public Policy Research [18] et le Hudson Institute), les néoconservateurs jouent un rôle majeur dans l'élection de Ronald Reagan, qui les rétribue en nommant une douzaine d'entre eux à des postes touchant à la Sécurité nationale et la Politique extérieure : Richard Perle et Douglas Feith au Department of Defense, Richard Pipes au National Security Council [19], Paul Wolfowitz [20], Lewis « Scooter » Libby et Michael Ledeen au State Department. Ils œuvrent pour renforcer l'alliance des États-Unis avec Israël : en 1981, les deux pays signent leur premier pacte militaire, puis s'embarquent dans plusieurs opérations communes, certaines légales et d'autres clandestines comme le réseau de trafic d'armes et d'opérations paramilitaires de l'affaire Iran-Contra. Anticommunisme et sionisme font maintenant si bien cause commune qu'en 1982, dans son livre Le Vrai antisémitisme en Amérique [21], le directeur de l'Anti-Defamation League Nathan Perlmutter peut assimiler le mouvement pacifiste aux « artisans de paix du Vietnam démodés, transmutant les épées en soc de charrues » [22], à une forme nouvelle d'antisémitisme [23].

Avec la fin de la Guerre froide, l'intérêt national d'Israël change à nouveau. L'objectif prioritaire n'est plus la chute du communisme, mais l'affaiblissement des ennemis d'Israël. Les néoconservateurs vivent leur seconde conversion, de l'anticommunisme à l'islamophobie, et créent de nouveaux think tanks comme le Washington Institute for Near East Policy (WINEP) dirigé par Richard Perle, le Middle East Forum dirigé par Daniel Pipes (fils de Richard), le Center for Security Policy (CSP) fondé par Frank Gaffney, ou encore le Middle East Media Research Institute (Memri). En accédant à la présidence, cependant, Bush père tente de limiter l'influence de ceux qu'il nomme « les dingues » [24]. Il cultive des amitiés avec l'Arabie saoudite et n'est pas un ami d'Israël. Mais il est forcé d'accorder le poste de secrétaire à la Défense à Dick Cheney [25], qui s'entoure de Paul Wolfowitz et Scooter Libby. Ces deux hommes sont les auteurs d'un rapport secret du Defense Planning Guidance, fuité dans la presse [26], qui prône l'impérialisme, l'unilatéralisme et, si nécessaire, la guerre préventive « pour dissuader les compétiteurs potentiels de même aspirer à un rôle régional ou global plus grand » [27]. Avec l'aide d'un nouveau Committee for Peace and Security in the Gulf, co-présidé par Richard Perle, les néoconservateurs plaident, sans succès, pour le renversement de Saddam Hussein après l'opération Tempête du désert au Koweït. Déçus par le refus de Bush d'envahir l'Irak et par ses pressions sur Israël, les néoconservateurs sabotent ses chances de second mandat. Leur revanche sera complète lorsqu'ils feront élire son fils pour le contraindre à envahir l'Irak.

Entre-temps, durant les deux mandats du démocrate Bill Clinton, les néoconservateurs préparent leur retour. William Kristol, fils d'Irving, fonde en 1995 un nouveau magazine, le Weekly Standard, qui grâce au financement du très pro-Israël Rupert Murdoch devient immédiatement la voix dominante des néoconservateurs. En 1997, ce sera la première publication à demander une nouvelle guerre contre Saddam Hussein. Avec leurs porte-voix Rumsfeld et Cheney, les néoconservateurs jettent toutes leurs forces dans un ultime think tank, le Project for the New American Century (PNAC). Le noble but que se donnent officiellement les fondateurs, William Kristol et Robert Kagan, est d'« étendre l'actuelle Pax Americana » [28], ce qui suppose « une armée qui soit forte et prête pour répondre aux défis présents et futurs » [29]. Dans son rapport de septembre 2000 intitulé Reconstruire les défenses de l'Amérique [30], le PNAC anticipe que les forces armées états-uniennes doivent conserver suffisamment de forces « capables de se déployer rapidement et de conduire victorieusement plusieurs conflits majeurs simultanés » [31]. Cela nécessite une transformation profonde, incluant un nouveau corps (« U.S. Space Forces ») pour le contrôle de l'espace et du cyberespace, et le développement d'« une nouvelle famille d'armes nucléaires destinée à faire face à de nouveaux besoins militaires » [32]. Malheureusement, reconnaissent les auteurs du rapport, « le processus de reconversion [...] sera vraisemblablement long, à moins d'un événement catastrophique jouant le rôle de catalyseur — comme un nouveau Pearl Harbor » [33]. Bien qu'à l'écart du gouvernement, les néoconservateurs y restent très écoutés.

Avec la désignation en 2000 de George W. Bush, fils de George H. W. Bush, une vingtaine de néoconservateurs du PNAC investissent de nombreux postes clés de la politique étrangère, grâce à Dick Cheney qui, après s'être choisi lui-même comme vice-président, a mission de former l'équipe de transition. Cheney se donne comme chef de cabinet Scooter Libby. David Frum, un proche de Richard Perle, devient le principal rédacteur des discours du président, tandis qu'Ari Fleischer, un autre néoconservateur, est attaché de presse et porte-parole de la Maison-Blanche. Cheney ne peut s'opposer à la nomination de Colin Powell comme secrétaire d'État, mais il lui impose comme collaborateur John Bolton, républicain sioniste d'extrême droite [34] secondé par le néoconservateur David Wurmser. Cheney fait nommer comme conseillère nationale de sécurité Condoleezza Rice [35], qui n'est pas à proprement parler néoconservatrice mais s'est attachée depuis des années l'un des néoconservateurs les plus agressifs, Philip Zelikow, comme expert pour le Proche-Orient et le terrorisme (n'étant elle-même que spécialiste de l'Union soviétique et accessoirement pianiste virtuose) ; pour conseiller Rice sont également recrutés William Luti et Elliot Abrams (tous deux simultanément assistants du président), tandis que lui sera adjoint Eliot Cohen lorsqu'elle remplacera Powell au Département d'État en 2007. Mais c'est tout particulièrement depuis le Département de la Défense, confié à Donald Rumsfeld, que les trois néoconservateurs les plus influents vont pouvoir modeler la politique étrangère : Paul Wolfowitz, Douglas Feith et Richard Perle, ce dernier occupant le poste crucial de directeur du Defense Policy Board, chargé de définir la stratégie militaire. Ainsi, tous les néoconservateurs se trouvent à la place qu'ils préfèrent, celle de conseillers et éminences grises des présidents et ministres. Il ne manque plus que le « nouveau Pearl Harbor » du 11 septembre 2001 pour que les néoconservateurs puissent conduire les États-Unis vers les guerres impériales de leurs rêves. Avant le 11-Septembre, le rapport du PNAC demandait un budget annuel de la Défense de 95 milliards de dollars ; depuis la guerre en Afghanistan, les États-Unis dépensent 400 milliards par an, soit autant que le reste du monde combiné, tout en continuant de fournir la moitié des armes du marché mondial. Le 11-Septembre apparaît comme la validation du paradigme du « Choc des civilisations » [36] cher aux néoconservateurs.

suite.
http://www.voltairenet.org/auteur125605.html?lang=fr

https://reseauinternational.net/leo-strauss-maitre-a-penser-des-neo-conservateurs-criminels/

JacquesL

#1
L'UE mise à genoux par les Straussiens




par Thierry Meyssan.
Un groupuscule états-unien, constitué autour de la pensée du philosophe Leo Strauss, contrôle désormais à la fois le secrétariat à la Défense et celui d'État. Après avoir organisé quantité de guerres depuis celles de Yougoslavie, ils ont imaginé celle d'Ukraine. Il manipule désormais l'Union européenne et s'apprête à la priver de sources d'énergie. Si les dirigeants européens n'ouvrent pas les yeux, leur alliance avec Washington conduira à l'effondrement de l'économie de l'Union. Il ne sert à rien de croire que les Européens seront épargnés parce que développés. Les straussiens ont écrit, dès 1992, qu'ils n'hésiteraient pas à détruire l'Allemagne et l'UE.
À partir de 1949, le philosophe allemand juif Leo Strauss enseigna à l'université de Chicago. Il constitua bientôt un petit groupe de disciples juifs, choisis parmi ses élèves. Il leur délivra un enseignement oral, bien différent de ses écrits. Selon lui, les démocraties avaient montré leur incapacité à protéger les juifs de la solution finale nazie. Pour éviter que ce drame ne se reproduise et que le marteau ne s'abatte à nouveau sur eux, ses disciples devaient donc se placer de l'autre côté du manche. Il leur conseilla d'édifier leur propre dictature.
Organisant ses disciples, Leo Strauss les appela ses « hoplites » (les soldats de Sparte). Il les éduqua à aller perturber les cours de certains de ses collègues professeurs.
Plusieurs des membres de cette secte ont occupé de très hautes fonctions aux États-Unis et en Israël. Le fonctionnement et l'idéologie de ce groupuscule ont fait l'objet de controverses après les attentats du 11 septembre 2001. Une abondante littérature a opposé les partisans et les adversaires du philosophe. Les faits sont cependant indiscutables1.
Des auteurs antisémites ont amalgamé, à tort, les straussiens, les communautés juives de la diaspora et l'État d'Israël. Or, jamais l'idéologie de Leo Strauss n'a été discutée dans le monde juif avant le 11-septembre. D'un point de vue sociologique, il s'agit d'un phénomène sectaire, pas du tout représentatif de la culture juive. Toutefois, en 2003, les « sionistes révisionnistes » de Benjamin Netanyahu conclurent un pacte avec les straussiens US, en présence d'autres dirigeants israéliens2. Cette alliance ne fut jamais publicisée.
Une des caractéristiques de ce groupuscule est d'être prêt à tout. Par exemple, ils voulaient faire revenir l'Irak à l'âge de pierre. C'est effectivement ce qu'ils ont fait. Pour eux tous les sacrifices sont possibles, y compris pour eux mêmes, pourvu qu'ils restent les premiers ; pas les meilleurs, les premiers !3

Paul Wolfowitz.
En 1992, un conseiller du secrétaire à la Défense, le straussien Paul Wolfowitz, rédigea le Defense Planning Guidance. C'était le premier document officiel US reflétant la pensée de Leo Strauss4. Wolfowitz a été initié à la pensée de Strauss par le philosophe états-unien Allan Bloom (ami du Français Raymond Aron), il n'a lui-même connu que brièvement le maître à la fin de son enseignement à Chicago. Cependant, l'ambassadrice US à l'ONU, Jeane Kirkpatrick, l'a reconnu comme « une des grandes figures straussiennes »5.
Dans le contexte de la dissolution de l'Union soviétique, Wolfowitz développe une stratégie pour maintenir l'hégémonie des États-Unis sur la totalité du reste du monde.
Le Defense Planning Guidance aurait dû rester confidentiel, mais le New York Times en révéla les principales lignes et en publia des extraits6. Trois jours plus tard, le Washington Post en révéla d'autres détails7. En définitive, le texte original ne fut jamais rendu public, mais une version retouchée par le secrétaire à la Défense (et futur vice-président), Dick Cheney, circula.
On sait que le document initial se fonde sur une série de réunions auxquelles trois autres personnes, toutes straussiennes, ont participé : Andrew Marshall, le « penseur » du Pentagone (qui fut remplacé trois ans après sa mort par Arthur Cebrowski), Albert Wohlstetter, le penseur de la stratégie de dissuasion atomique, et son gendre Richard Perle, le futur directeur du Defense Policy Board. Le Defense Planning Guidance a été rédigé par un élève de Wohlstetter, Zalmay Khalilzad (futur ambassadeur à l'Onu).
Le document évoque un nouvel « ordre mondial [...] au final soutenu par les États-Unis », dans lequel l'unique superpuissance n'aurait plus que des alliances conjoncturelles, au gré des conflits. L'ONU et même l'OTAN seraient de plus en plus mises sur la touche. Plus largement, la doctrine Wolfowitz théorise la nécessité pour les États-Unis de bloquer l'émergence de tout compétiteur potentiel à l'hégémonie états-unienne, notamment les « nations industrielles avancées » telles que l'Allemagne et le Japon. Particulièrement visée, l'Union européenne : « Bien que les États-Unis soutiennent le projet d'intégration européenne, nous devons veiller à prévenir l'émergence d'un système de sécurité purement européen qui minerait l'OTAN, et particulièrement sa structure de commandement militaire intégré ». Les Européens seront ainsi priés d'inclure dans le Traité de Maastricht une clause subordonnant leur politique de défense à celle de l'OTAN, tandis que le rapport du Pentagone préconise l'intégration des nouveaux États d'Europe centrale et orientale au sein de l'Union européenne, tout en leur faisant bénéficier d'un accord militaire avec les États-Unis les protégeant contre une éventuelle attaque russe8.
Or, depuis trente ans, ce document est patiemment mis en œuvre.
Le Traité de Maastricht inclut effectivement au titre V, article J4, un paragraphe 4 qui stipule : « La politique de l'Union au sens du présent article n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant pour certains États membres du traité de l'Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ». Ces dispositions ont été reprises dans les différents textes jusqu'à l'article 42 du traité sur l'Union européenne.
Les États, anciennement membres du Pacte de Varsovie, ont presque tous adhéré à l'Union européenne. Cette décision a été un choix imposé par Washington et annoncé par le secrétaire d'État James Baker juste avant la réunion du Conseil européen qui l'a avalisée.
En 2000, Paul Wolfowitz fut, avec Zbignew Brzezinki, l'orateur principal d'un vaste colloque ukraino-US à Washington, organisé par les « nationalistes intégraux » ukrainiens réfugiés aux USA. Il y prit l'engagement de soutenir l'Ukraine indépendante, de provoquer une entrée en guerre de la Russie contre elle, et au final de financer la destruction du rival renaissant des États-Unis9.
Ces engagements ont été mis en application avec l'adoption, le 28 avril 2022, de l'Ukraine Democracy Defense Lend-Lease Act of 202210. L'Ukraine est désormais dispensée de toutes les procédures de contrôle des armements, notamment des certificats de destination finale. Des armes très couteuses sont cédées en prêt-bail par les USA à l'UE pour défendre l'Ukraine. Lorsque la guerre sera finie, les Européens devront payer ce qu'ils auront consommé. Et l'addition sera lourde.

Victoria Nuland et Anthony Blinken dans le bureau de John Kerry.
Bien que les élites européennes aient jusqu'à présent bénéficié de leur alliance avec les États-Unis, elles ne doivent pas s'étonner, au vu du Defense Planning Guidance, que ceux-ci tentent de les détruire aujourd'hui. Elles ont déjà vu ce dont Washington était capable après les attentats du 11-Septembre : Paul Wolfowitz interdit aux pays qui avaient exprimé des réserves sur cette guerre, comme l'Allemagne et la France, de conclure des contrats pour la reconstruction de l'Irak11.
Actuellement, la hausse des prix des sources d'énergie à laquelle s'ajoute désormais leur raréfaction menacent non seulement le chauffage et le transport des particuliers, mais surtout la survie de toutes leurs industries. Si ce phénomène se prolonge, c'est l'économie de l'Union européenne dans son ensemble qui s'effondrera brutalement ramenant sa population au moins un siècle en arrière.
Ce phénomène est difficile à analyser car les prix et la disponibilité des sources d'énergie varient en fonction de nombreux facteurs.
En premier lieu, les prix dépendent de l'offre et de la demande. Ils ont donc remonté avec le redémarrage économique global de la fin de l'épidémie de Covid-19.
En second lieu, les sources d'énergie sont les principales cibles des spéculateurs. Plus encore que les monnaies. Le prix mondial du pétrole peut être multiplié par 2,5 uniquement par effet de la spéculation.
Jusque là, tout est habituel et connu. Mais les sanctions occidentales contre la Russie, à la suite de son application de l'Accord de Minsk II dont elle s'était portée garante devant le Conseil de sécurité, ont cassé le marché mondial. Désormais, il n'y a plus de prix global, mais des prix différents selon les pays des vendeurs et des clients. Il existe toujours des prix quotés en bourse à Wall Street et à la City, mais ils n'ont aucun rapport avec ceux pratiqués à Beijing et à New Delhi.
Surtout, le pétrole et le gaz, qui étaient abondants dans l'Union européenne, commencent à y manquer, alors qu'au plan global, ils sont toujours surabondants.
Tous nos repères sont bousculés. Nos outils statistiques, conçus pour le marché global, ne sont absolument pas adaptés à la période actuelle. Nous ne pouvons donc que poser des hypothèses, sans aucun moyen de les vérifier. Cette situation permet à beaucoup de raconter n'importe quoi avec un air docte ; en fait nous évoluons tous au jugé.
L'un des facteurs actuels est le reflux des dollars qui servaient aux échanges et à la spéculation et qui ne sont plus utilisables pour ces transactions dans certains pays. Cette monnaie, principalement virtuelle, quitte la Russie et ses alliés pour aller ou revenir dans les pays où elle a encore cours. Il s'agit là d'un phénomène gigantesque que la Réserve fédérale et les armées US ont toujours voulu éviter, mais que les straussiens de l'administration Biden (le secrétaire d'État Antony Blinken et son adjointe Victoria Nuland) ont délibérément provoqué.
Persuadés à tort que la Russie a envahi l'Ukraine et tente de l'annexer, les Européens s'interdisent de commercer avec Moscou. En pratique, ils consomment toujours du gaz russe, mais ils se persuadent que Gazprom va leur couper le robinet. Leur presse a, par exemple, annoncé que la compagnie russe fermait le gazoduc Nord Stream, alors qu'elle avait annoncé une interruption technique de trois jours. Habituellement, les livraisons des gazoducs sont interrompues pour maintenance pendant deux jours, tous les deux mois. Ici, Gazprom a été entravé dans son entretien par le blocus occidental qui empêchait qu'on lui retourne les turbines qu'il avait envoyées en réparation au Canada. Peu importe, les populations ont compris que les méchants Russes leur avaient coupé le gaz à la veille de l'hiver.
La propagande européenne vise à préparer l'opinion publique à une fermeture définitive du gazoduc et à en faire porter la responsabilité à la Russie.
Dans cette affaire, les dirigeants de l'Union ne font qu'appliquer les directives des straussiens. Ce faisant, ils sabordent l'industrie européenne au détriment de leurs citoyens. Déjà quelques usines à forte consommation d'énergie ont réduit leur production, voire ont fermé.

Lecteur vidéo

https://www.voltairenet.org/IMG/webm/_3_ladislav_vrabel_-_youtube.webm

Ladislav Vrábel a organisé la première manifestation pro-Russe dans l'Union européenne. Cet entrepreneur de 44 ans
 s'était déjà fait remarquer en contestant les mesures contraignantes de Bruxelles contre l'épidémie de Covid-19


Le processus de décrépitude de l'Union européenne se poursuivra tant que personne n'osera s'y opposer. À la surprise générale, une première manifestation favorable à la Russie s'est tenue, le 3 septembre à Prague. La police a admis la présence de 70 000 personnes (pour un pays de 10 millions d'habitants), mais ils étaient probablement beaucoup plus nombreux. Les commentateurs politiques les méprisent et les considèrent comme les « idiots utiles de Poutine ». Mais ces insultes masquent mal le malaise des élites européennes.
Les experts en matière d'énergie considèrent inévitables des coupures de courant dans toute l'Union. Seule la Hongrie, qui a obtenu préalablement des dispenses, pourrait échapper aux règles du marché unique de l'énergie. Ceux qui pourront produire de l'électricité devront la partager avec ceux qui en sont incapables. Peu importe que cette incapacité soit le fruit d'une malchance ou d'une imprévoyance.
Bruxelles devrait commencer par des baisses de tension, puis décréter des coupures la nuit, et enfin le jour. Les particuliers auront des difficultés à entretenir des ascenseurs, à chauffer leurs logements en hiver, à faire la cuisine s'ils utilisent des plaques électriques et, ceux qui utilisent des trains, des autobus ou des voitures électriques, devraient avoir des difficultés pour se déplacer. Les entreprises qui consomment beaucoup d'énergie, comme les hauts fourneaux, devraient fermer. Des infrastructures devraient devenir impraticables, comme les tunnels longs qui ne pourront plus être aérés. Surtout les installations électroniques conçues pour fonctionner en continu ne supporteront pas des coupures répétées. Ce sera par exemple le cas des antennes indispensables aux réseaux de téléphonie mobile qui seront bonnes à jeter au bout de trois mois de ce traitement.
Dans les pays du tiers-monde où l'électricité est rare, on utilise des leds à batterie pour s'éclairer et des UPS pour alimenter des machines à faible consommation, comme les ordinateurs ou des télévisions. Mais ces matériels sont pour le moment absents des commerces dans l'Union.
Le PIB de l'UE a déjà baissé de près de 1%. Cette récession se poursuivra-t-elle comme le planifient les straussiens ou les citoyens de l'Union l'interrompront-ils comme tente de le faire une partie du peuple tchèque ?
Les straussiens iront jusqu'au bout. Ils ont profité de la décadence états-unienne pour s'arroger le vrai Pouvoir. Puisque qu'un junkie, jamais élu, peut utiliser des avions officiels à gogo pour faire des affaires partout dans le monde12, ils se sont discrètement installés dans l'ombre du président Biden et gouvernent à sa place. Les dirigeants européens, eux, sont soit aveugles, soit trop engagés pour s'arrêter, reconnaître leur trente ans d'erreurs et faire demi-tour.
Ce qu'il faut retenir :
Les straussiens forment une secte fanatique prête à tout pour maintenir la suprématie des États-Unis sur le monde. Ils ont imaginé les guerres qui endeuillent le monde depuis trente ans et celle d'Ukraine aujourd'hui.
Ils ont persuadé l'Union européenne que Moscou voulait annexer d'abord l'Ukraine, puis toute l'Europe centrale. Sur ce, ils ont convaincu Bruxelles de stopper tout commerce avec la Russie.
La crise énergétique qui débute dirige l'Union européenne vers des coupures d'électricité et de courant qui feront des ravages sur le mode de vie de ses citoyens et sur son économie.
Thierry Meyssan
source : Réseau Voltaire

  • Les spécialistes de la pensée politique de Leo Strauss l'interprètent de manière très contradictoire. Pour ma part, je ne m'intéresse pas à ce que pensait le philosophe d'auteurs classiques, mais à ce que professent ceux qui, à tort ou à raison, se réclament de lui au Pentagone et, désormais, au département d'État. "Political Ideas of Leo Strauss", Shadia B. Drury, Palgrave Macmillan (1988.) ; "Leo Strauss and the Politics of American Empire", Anne Norton, Yale University Press (2005) ; "The Truth About Leo Strauss : Political Philosophy and American Democracy", Catherine H. Zuckert & Michael P. Zuckert, University of Chicago Press (2008) ; "Leo Strauss and the conservative movement in America : a critical appraisal", Paul Edward Gottfried, Cambridge University Press (2011) ; "Crisis of the Strauss Divided : Essays on Leo Strauss and Straussianism", East and West, Harry V. Jaffa, Rowman & Littlefield (2012) ; "Leo Strauss and Anglo-American Democracy : A Conservative Critique", Grant Havers, Cornell University Press (2013) ; "Leo Strauss and the Invasion of Iraq : Encountering the Abyss", Aggie Hirst, Routledge (2013) ; "Leo Strauss, The Straussians, and the Study of the American Regime", Kenneth L. Deutsch, Rowman & Littlefield (2013) ; "Straussophobia : Defending Leo Strauss and Straussians Against Shadia Drury and Other Accusers", Peter Minowitz, Lexington Books (2016) ; "Leo Strauss in Northeast Asia", Jun-Hyeok Kwak & Sungwoo Park, Routledge (2019).
  • « Sommet historique pour sceller l'Alliance des guerriers de Dieu », Réseau Voltaire, 17 octobre 2003.
  • Pour une brève histoire des straussiens, voir : « Vladimir Poutine déclare la guerre aux Straussiens », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 5 mars 2022.
  • Le rapport de 1976 de l'« Équipe B » accusant l'URSS de vouloir dominer le monde n'était pas un exposé de la doctrine, mais un argument de propagande pour la justifier.
  • Entretien avec James Mann, cité dans "Rise of the Vulcans : The History of Bush's War Cabinet", James Mann, Viking (2004).
  • « US Strategy Plan Calls For Insuring No Rivals Develop » Patrick E. Tyler, New York Times, March 8, 1992. Le quotidien publie également de larges extraits en page 14 : « Excerpts from Pentagon's Plan : "Prevent the Re-Emergence of a New Rival" ».
  • « Keeping the US First, Pentagon Would preclude a Rival Superpower », Barton Gellman, The Washington Post, March 11, 1992.
  • « Paul Wolfowitz, l'âme du Pentagone », par Paul Labarique, Réseau Voltaire, 4 octobre 2004.
  • Cf. « Ukraine : la Seconde Guerre mondiale ne s'est jamais terminée », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 26 avril 2022.
  • "Ukraine Democracy Defense Lend-Lease Act of 2022 », US Congress.
  • « Instructions et conclusions sur les marchés de reconstruction et d'aide en Irak », par Paul Wolfowitz, Réseau Voltaire, 10 décembre 2003.
  • « La décadence de l'Empire états-unien », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 6 septembre 2022.