Nouvelles:

Notre mission est de former les citoyens de référence de l'avenir, les aider à coévoluer et créer.

Main Menu
Welcome to Pratiquer les vertus citoyennes. Please login or sign up.

25 Décembre 2024, 03:27:25 PM

Login with username, password and session length

Crier !

jacquesloyal

2007-11-12, 17:03:07
Etre loyal et ne pas mentir

Récents

Membres
Stats
  • Total des messages: 7,055
  • Total des sujets: 4,204
  • En ligne aujourd'hui: 19
  • Record de connexion total: 448
  • (18 Mai 2024, 04:24:13 AM)
Membres en ligne
Membres: 0
Invités: 16
Total: 16

Le retour du Leviathan. La bataille de Kennedy contre le Léviathan

Démarré par JacquesL, 05 Mai 2021, 07:15:25 PM

« précédent - suivant »

JacquesL

Le retour du Leviathan. La bataille de Kennedy contre le Léviathan

https://lesakerfrancophone.fr/le-retour-du-leviathan-la-bataille-de-kennedy-contre-le-leviathan
Par Cynthia Chung – Le 2 avril 2021 – Source Strategic Culture

Comme nous l'avons vu dans la deuxième partie de cette série [Première partie ici], la guerre au Vietnam n'a pas commencé à sa date officielle, le 1er novembre 1955, mais plutôt en 1945, lorsque des opérations clandestines américaines ont été lancées au Vietnam pour « préparer le terrain ».

Fletcher Prouty, chef des opérations spéciales pour les chefs d'état-major interarmées sous Kennedy et ancien colonel de l'armée de l'air américaine, explique dans son livre « The CIA, Vietnam and the Plot to Assassinate John F. Kennedy » comment la CIA a été utilisée pour lancer des opérations psychologiques et des activités paramilitaires (terroristes) au Vietnam afin de créer le prétexte nécessaire à une déclaration de guerre ouverte et à l'entrée de l'armée américaine dans une tuerie qui allait durer vingt ans.


Cette stratégie ne fut pas réservée au seul Vietnam, mais était devenue la politique étrangère générale des États-Unis dans toutes les régions considérées comme des menaces pour la Grande Stratégie de la Guerre froide, comme on pouvait le constater sous la direction des frères Dulles.

Dans la plupart des scénarios, tout pays dont on observait qu'il avait des opinions non conformes à la politique étrangère des États-Unis ne pouvait pas être directement envahi ; il fallait d'abord préparer le terrain pour créer la justification d'une invasion militaire directe.

C'est l'un des rôles de la CIA qui respecte la devise « fake it till you make it » [faites semblant de le faire jusqu'à ce que vous y arriviez vraiment].

Vous n'avez pas d'« ennemi » réel à combattre pour justifier votre ingérence dans les affaires d'un autre pays ? Pas de problème. Il suffit de diviser votre équipe de paramilitaires en « bons » et « méchants » et de leur demander de faire semblant de se battre. Allez de village en village en répétant ce drame d'action et vous verrez à quelle vitesse la rumeur se répandra qu'il y a de dangereux « extrémistes » dans la région qui existent en « grand nombre ».

Prouty a décrit cette activité paramilitaire, qui s'appelle « Fun and Games », et comment cette tactique a également été utilisée aux Philippines, avec pour résultat l'élection de Ramon Magsaysay qui a été déclaré héros contre un ennemi inexistant. En fait, les unités d'élite philippines qui ont été formées par la CIA au cours de cette période ont ensuite été amenées au Vietnam pour mettre en œuvre la même tactique.

Prouty écrit :

CiterJ'ai assisté à de tels programmes de formation dans des bases militaires américaines où des tactiques identiques sont enseignées aux Américains comme aux étrangers. C'est du pareil au même... ce sont les mêmes tactiques qui ont été exploitées par le super agent de la CIA Edward G. Lansdale [l'homme en charge de la mission militaire de la CIA à Saigon] et ses hommes aux Philippines et en Indochine.

Il s'agit d'un exemple de "Fun and Games" des services de renseignements. En fait, cette pratique est aussi vieille que l'histoire, mais elle s'est récemment affinée, par nécessité, pour devenir un outil majeur de la guerre clandestine.

Si vous pensez qu'il s'agit d'un cas isolé, sachez qu'il n'en est rien. De telles "batailles simulées" et "attaques simulées de villages indigènes" ont été mises en scène d'innombrables fois en Indochine pour le bénéfice ou l'opération de dignitaires en visite, comme John McCone lorsqu'il a visité le Vietnam pour la première fois en tant que directeur central du renseignement nommé par Kennedy [après que Kennedy a eu renvoyé Allen Dulles].

Ce que Prouty affirme ici, c'est que les batailles simulées qui ont eu lieu pour ces dignitaires étaient des agents formés par la CIA qui « jouaient » le rôle des Vietcongs... pour faire croire que les Vietcongs étaient non seulement nombreux mais extrêmement hostiles.

Si même des dignitaires peuvent être trompés par de telles choses se déroulant sous leurs propres yeux, est-il vraiment étonnant qu'un public occidental regardant ou lisant ces affaires se déroulant dans le monde par l'intermédiaire de l'interprétation des médias grand public puisse faire la différence entre la « réalité » et une « réalité mise en scène » ?

Non seulement les lignes de démarcation entre les opérations militaires et paramilitaires devenaient floues, mais comme Prouty l'indique dans son livre, les officiers de plus haut rang qui opéraient et supervisaient la situation au Vietnam étaient tous des agents de la CIA, non seulement au sein de l'armée américaine, car l'ambassadeur américain au Sud-Vietnam, Henry Cabot Lodge, en était un lui-même.

Prouty écrit :
Citer
    L'ambassadeur américain Lodge – avait depuis 1945 été l'un des agents les plus importants de l'OSS et plus tard de la CIA en Extrême-Orient. Ses ordres venaient de cette agence.

Prouty poursuit en affirmant dans son livre que Lodge a été amené à jouer le rôle d'ambassadeur le 26 août 1963 dans le but précis d'écarter Ngo Dinh Diem, président de la République du Vietnam (Vietnam du Sud), qui cherchait à ce moment-là une résolution pacifique du conflit.

Ngo Dinh Diem est tué deux mois après l'arrivée de Lodge au Vietnam, le 1er novembre 1963. Vingt et un jours plus tard, John F. Kennedy, qui était en train de retirer les troupes américaines du Vietnam, est assassiné. La guerre du Vietnam s'est poursuivie pendant 12 années supplémentaires, sans que les Américains n'aient rien à y gagner. Et en 1976, la ville de Saïgon, la capitale du Sud-Vietnam, est rebaptisée Ho Chi Minh city.

Un « héritage fait de cendres »

La militarisation du gouvernement a commencé à rendre le pouvoir au monde des affaires, les capitaines de l'industrie et de la finance accédant aux postes clés du gouvernement. La présidence d'Eisenhower verra Washington pris en charge par des dirigeants d'entreprise, des avocats de Wall Street et des banquiers d'affaires, ainsi que par une caste de militaires étroitement liée à ces derniers, après s'être fait connaître du grand public pendant la Seconde Guerre mondiale.

Eisenhower souhaitait établir la suprématie des États-Unis tout en évitant une autre guerre et ses massacres à grande échelle ainsi que les fardeaux impériaux qui avaient ruiné la Grande-Bretagne (à laquelle les États-Unis faisaient désormais des offres dans le cadre de la NSC-75). En tirant parti du quasi-monopole de l'armée américaine sur la puissance de feu nucléaire, le président espérait faire de la guerre un projet impensable à tout adversaire des États-Unis.

Le problème de la stratégie d'Eisenhower était qu'en maintenant Washington dans un état constant de haute alerte, il donnait du pouvoir aux voix les plus militantes de son administration. Eisenhower avait commis la grave erreur de choisir Foster Dulles comme l'un de ses proches conseillers, sinon le plus proche, et donc, qu'il le veuille ou non, Allen Dulles. Je doute qu'Eisenhower n'ait jamais eu un moment de répit face au miel empoisonné qu'on lui faisait constamment couler dans l'oreille.

La frontière entre la CIA et l'armée est devenue de plus en plus floue, car des officiers militaires étaient affectés à des missions de l'agence de renseignement, puis renvoyés à leurs postes militaires en tant que « disciples ardents d'Allen Dulles », selon les termes de Prouty, qui a lui-même servi d'officier de liaison entre le Pentagone et la CIA entre 1955 et 1963.

À l'approche de la fin de sa présidence, en mai 1960, le président Eisenhower avait prévu de faire culminer sa « croisade pour la paix » par une ultime conférence au sommet avec le premier ministre de l'URSS, Nikita Khrouchtchev, à Paris. Eisenhower tentait visiblement de faire progresser son initiative personnelle mais qui n'avait pas reçu la « bénédiction » de Foster. Si Eisenhower y parvenait, il contribuerait à dissoudre la Grande stratégie de la guerre froide et à supprimer la justification d'un complexe militaro-industriel.

En préparation du sommet, la Maison Blanche avait ordonné de cesser toute activité de survol du territoire communiste jusqu'à nouvel ordre. Pourtant, le 1er mai 1960, un avion espion U-2 piloté par Francis Gary Powers décollait du Pakistan pour survoler en ligne droite l'Union soviétique, en direction de Bodo, en Norvège, désobéissant ainsi aux ordres d'Eisenhower.

L'U-2 s'est écrasé à Sverdlovsk, en Russie. Parmi les objets dans l'avion ont été trouvés, entre autres, des documents attestant que Powers était un agent de la CIA. Il est très suspect qu'un agent des renseignements emporte ce genre de documents lors d'une mission supposée secrète.

L'incident a suffi à faire annuler le sommet de la paix et la « Croisade pour la paix » a été tuée dans l'œuf.

Des rumeurs ont rapidement couru par la suite disant que c'étaient les Soviétiques qui avaient abattu l'avion, mais Allen Dulles lui-même a témoigné devant une session à huis clos de la commission des affaires étrangères du Sénat que l'avion espion U-2 n'avait pas été abattu mais était descendu en raison d'un « problème de moteur » [L. Fletcher Prouty, "The Cia, Vietnam and the Plot to Assassinate John F. Kennedy", P147]. Cette importante déclaration de Dulles a été largement ignorée par la presse.

Plus tard, Eisenhower a confirmé dans ses mémoires que l'avion espion n'avait pas été abattu par les Soviétiques mais que son moteur avait effectivement perdu de la puissance et s'était écrasé en Russie.

Prouty soupçonne que la « panne de moteur » avait pu être provoquée par une pénurie planifiée de carburant hydrogène auxiliaire et que les éléments d'identification de Powers avaient probablement été cachés dans son sac de parachute. Avec seulement une certaine quantité de carburant et une trajectoire en ligne droite, il était facile de calculer exactement où Powers serait contraint d'atterrir.

Prouty soupçonne la CIA d'avoir intentionnellement provoqué l'incident afin de ruiner la conférence de paix et d'assurer la continuité du règne dogmatique de Dulles.

Il est intéressant de noter que l'homme qui était chargé du programme d'exil cubain, Richard Bissell (directeur adjoint des plans de la CIA), était le même homme qui dirigeait le programme U-2 et qui, selon Prouty, avait ostensiblement envoyé le vol de Powers au-dessus de l'Union soviétique le 1er mai 1960.

Richard Bissell, qui agissait très certainement sur les ordres de Dulles, faisait partie des trois (Allen Dulles, directeur de la CIA et Charles Cabell, directeur adjoint de la CIA) qui allaient être licenciés par Kennedy à la suite du fiasco de la Baie des Cochons, ou plus exactement pour leur acte de trahison.

Le 5 janvier 1961, au cours d'une réunion du Conseil de sécurité nationale, le président Eisenhower, frustré et épuisé, a déclaré publiquement, quelques semaines seulement avant que Kennedy ne prenne ses fonctions, que la CIA, sous la direction de Dulles, lui avait volé sa place dans l'histoire en tant que pacificateur et n'avait laissé qu'un « héritage de cendres à son successeur ».

Tout ce qu'il restait d'Eisenhower était son discours d'adieu, prononcé le 17 janvier 1961, dans lequel il mettait en garde le peuple américain contre ce qui s'était développé pendant les huit années de son mandat présidentiel :

Citer    Dans les conseils de gouvernement, nous devons nous prémunir contre l'acquisition d'une influence injustifiée, qu'elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel... Le potentiel de montée désastreuse d'un pouvoir mal placé existe, et persistera.

Un phénix qui ressuscite

Eisenhower a peut-être laissé un héritage de cendres à son successeur, mais de ces cendres émergerait une force qui viendrait contester directement la domination de « l'élite au pouvoir ». [C. Wright Mills, "The Power Elite"].

En avril 1954, Kennedy a fait une déclaration au Sénat pour contester le soutien de l'administration Eisenhower à la guerre impériale française au Vietnam, prévoyant que cette guerre ne serait pas de courte durée. [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P304]

En juillet 1957, Kennedy a une fois de plus pris une position ferme contre le colonialisme français, cette fois-ci contre la guerre sanglante de la France contre le mouvement d'indépendance de l'Algérie, qui a de nouveau trouvé l'administration Eisenhower du mauvais côté de l'histoire. Prenant la parole au Sénat, deux jours avant le jour de l'indépendance de l'Amérique, Kennedy déclarait :

Citer    La force unique la plus puissante dans le monde aujourd'hui n'est ni le communisme ni le capitalisme, ni la bombe H ni le missile guidé – c'est le désir éternel de l'homme d'être libre et indépendant. Le grand ennemi de cette formidable force de liberté s'appelle, faute d'un terme plus précis, l'impérialisme – et aujourd'hui cela signifie l'impérialisme soviétique et, qu'on le veuille ou non, et bien qu'il ne faille pas les mettre sur le même plan, l'impérialisme occidental. Ainsi, le test le plus important de la politique étrangère américaine aujourd'hui est la façon dont nous relevons le défi de l'impérialisme, ce que nous faisons pour promouvoir le désir de l'homme d'être libre. Sur ce test plus que sur tout autre, cette nation sera jugée de manière critique par les millions de personnes non engagées en Asie et en Afrique, et surveillée avec anxiété par les amoureux de la liberté qui espèrent encore derrière le rideau de fer.

    Si nous ne parvenons pas à relever le défi de l'impérialisme soviétique ou occidental, alors aucune aide étrangère, aucune augmentation des armements, aucun nouveau pacte, aucune nouvelle doctrine, aucune conférence de haut niveau ne pourra empêcher de nouveaux échecs dans notre parcours et notre sécurité. [David Talbot, "The Devil's Chessboard," pg 305]

En septembre 1960, l'Assemblée générale annuelle des Nations Unies se tient à New York. Castro et une délégation de cinquante membres font partie des participants. Il fait la une des journaux lorsqu'il décide de séjourner à l'hôtel Theresa de Harlem après que l'hôtel Shelburne du centre-ville ait exigé une caution de 20 000 dollars. Il fait encore plus parler de lui lorsqu'il prononce un discours dans cet hôtel, discutant de la question de l'égalité aux États-Unis alors qu'il se trouve à Harlem, l'un des quartiers les plus pauvres du pays.

Kennedy se rendra dans ce même hôtel peu de temps après et y prononcera également un discours :

Citer    Derrière le fait que Castro vienne dans cet hôtel, [et] Khrouchtchev... il y a un autre grand voyageur dans le monde, et c'est le voyage d'une révolution mondiale, d'un monde en ébullition... Nous devrions être heureux [que Castro et Khrouchtchev] soient venus aux États-Unis. Nous ne devrions pas craindre le vingtième siècle, car la révolution mondiale que nous voyons tout autour de nous fait partie de la révolution américaine originelle. (David Talbot, "The Devil's Chessboard," pg 295)

Que voulait dire Kennedy par-là ? La Révolution américaine a été combattue pour la liberté, pour se libérer de la domination de la monarchie et de l'impérialisme en faveur de la souveraineté nationale. Ce que Kennedy voulait dire, c'est que le reste du monde souhaitait secouer le joug de cette oppression et que les États-Unis avaient l'occasion d'être un leader dans la cause de l'indépendance de toutes les nations.

Le 30 juin 1960, à l'occasion de l'indépendance de la République du Congo vis-à-vis du régime colonial belge, Patrice Lumumba, le premier Premier ministre congolais, a prononcé un discours qui est devenu célèbre pour sa critique franche du colonialisme. Lumumba a évoqué la lutte de son peuple contre « l'esclavage humiliant qui nous a été imposé... [des années qui ont été] remplies de larmes, de feu et de sang » et a conclu en jurant : « Nous montrerons au monde ce que l'homme noir peut faire lorsqu'il travaille en liberté, et nous ferons du Congo la fierté de l'Afrique ».

Peu de temps après, Lumumba a également précisé : « Nous ne voulons pas participer à la guerre froide... Nous voulons que l'Afrique reste africaine avec une politique de neutralité. » [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P319]

En conséquence, Lumumba a été étiqueté communiste pour son refus d'être un satellite de la guerre froide pour la sphère occidentale. Lumumba faisait plutôt partie du mouvement panafricain dirigé par le président ghanéen Kwame Nkrumah (avec qui Kennedy allait également travailler plus tard), qui recherchait la souveraineté nationale et la fin du colonialisme en Afrique.
Lumumba « restera un grave danger », déclara Dulles lors d'une réunion du NSC, le 21 septembre 1960, « tant qu'il n'aura pas été éliminé. » [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P319]. Trois jours plus tard, Dulles a clairement indiqué qu'il voulait que Lumumba soit définitivement éliminé, câblant la station de la CIA à Léopoldville, « Nous souhaitons donner [sic] tout le soutien possible pour éliminer Lumumba et empêcher toute possibilité qu'il reprenne une position gouvernementale. » [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P319].

Lumumba a été assassiné le 17 janvier 1961, trois jours seulement avant l'investiture de Kennedy, dans le brouillard de la période de transition entre les présidents, lorsque la CIA est la plus libre de régler ses problèmes, confiante qu'elle ne sera pas réprimandée par une nouvelle administration qui veut éviter un scandale dès ses premiers jours au pouvoir.

Kennedy, qui avait clairement l'intention de mettre un terme à la « Murder Inc. » que Dulles avait créée et dirigeait, déclarera au monde entier dans son discours inaugural du 20 janvier 1961 : « Le flambeau a été transmis à une nouvelle génération d'Américains. »

C'est ainsi que la bataille de Kennedy contre le Léviathan commença.


La Résistance

En plus d'hériter de la responsabilité du bien-être du pays et de son peuple, Kennedy héritait également d'une guerre secrète contre le Cuba communiste, menée par la CIA.

Le débarquement de la Baie des Cochons se produira trois mois plus tard. Prouty compare l'incident de la baie des Cochons à celui de la Croisade pour la paix, les deux événements ayant été orchestrés par la CIA pour ruiner la capacité du président américain à établir un dialogue pacifique avec Khrouchtchev et à réduire les tensions de la guerre froide. Les deux présidents se sont respectivement attribué la responsabilité de ces événements, bien que la responsabilité en revienne à la CIA. Cependant, Eisenhower et Kennedy ont compris que s'ils n'assumaient pas cette responsabilité, ils déclareraient publiquement qu'ils n'avaient aucun contrôle sur leurs agences gouvernementales et leur armée.

En outre, l'opération de la baie des Cochons était en fait destinée à échouer. Elle était destinée à susciter un tollé général en faveur d'une invasion militaire directe de Cuba. Les archives publiques font état d'une réunion (que l'on pourrait plutôt qualifier d'intervention) entre le directeur adjoint de la CIA chargé des plans, Richard Bissell, le président des chefs d'état-major interarmées, Lyman Lemnitzer, et le chef de la marine, l'amiral Burke, qui ont tenté de forcer le président Kennedy à approuver une attaque militaire directe contre Cuba. L'amiral Burke avait déjà pris la liberté de positionner deux bataillons de Marines sur des destroyers de la Marine au large des côtes de Cuba « en prévision du fait que les forces américaines pourraient recevoir l'ordre d'entrer à Cuba pour sauver une invasion bâclée. » [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P337]. (Cet incident a inspiré le film de Frankenheimer « Sept jours en mai »).

Mais Kennedy a tenu bon.

« Ils étaient sûrs que j'allais céder », a déclaré plus tard Kennedy à l'assistant spécial du président Dave Powers. « Ils ne pouvaient pas croire qu'un nouveau président comme moi ne paniquerait pas et n'essaierait pas de sauver sa propre image. Eh bien, ils se sont trompés sur mon compte. » [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P337]

Fait incroyable, non seulement le jeune président s'est opposé aux va-t-en-guerres de Washington trois mois seulement après le début de son mandat, mais il a également créé un groupe d'étude sur Cuba, qui a conclu que la CIA était responsable du fiasco, ce qui a entraîné la démission forcée et humiliante d'Allen Dulles, Richard Bissell et Charles Cabell. (Pour en savoir plus à ce sujet, consultez mon article).

Malheureusement, il ne sera pas si facile de détrôner Dulles, qui continua à agir en tant que chef de la CIA, et des membres clés de la communauté du renseignement tels que Helms et Angleton contournaient régulièrement McCone et informaient Dulles directement. [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P394]. Mais Kennedy était également sérieux quant à sa volonté d'aller jusqu'au bout, et a juré de « casser la CIA en mille morceaux et de la disperser aux quatre vents ».

* * *

Il y a un autre incident assez significatif qui s'est produit quelques jours après l'événement de la Baie des Cochons, et qui a été largement éclipsé par le fiasco cubain.

Du 21 au 26 avril 1961, le putsch d'Alger ou putsch des généraux, était un coup d'État manqué destiné à contraindre le président de Gaulle (1959-1969) à ne pas abandonner l'Algérie française coloniale. Les organisateurs du putsch s'opposaient aux négociations secrètes que le Premier ministre français Michel Debré avait entamées avec le Front de libération nationale (FLN) anti-colonial.

Le 26 janvier 1961, trois mois seulement avant la tentative de coup d'État, Dulles envoie à Kennedy un rapport sur la situation française qui semble indiquer que de Gaulle ne sera plus là : « Une atmosphère pré-révolutionnaire règne en France... L'armée de terre et l'armée de l'air sont farouchement opposées à de Gaulle... Au moins 80 % des officiers sont violemment contre lui. Ils n'ont pas oublié qu'en 1958, il avait donné sa parole d'honneur qu'il n'abandonnerait jamais l'Algérie. Aujourd'hui, il revient sur sa promesse et ils le détestent pour cela. De Gaulle ne tiendra sûrement pas le coup s'il essaie de lâcher l'Algérie. Tout sera probablement fini pour lui d'ici la fin de l'année – il sera soit renversé, soit assassiné. » [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P350].

La tentative de coup d'État était dirigée par Maurice Challe, dont de Gaulle avait des raisons de penser qu'il travaillait avec le soutien des services de renseignements américains, et les fonctionnaires de l'Élysée commencèrent à répandre cette information dans la presse, qui présenta la CIA comme un « État réactionnaire au sein d'un État » opérant hors du contrôle de Kennedy. [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P353].

Peu avant sa démission de l'armée française, Challe avait servi en tant que commandant en chef de l'OTAN et avait développé des relations étroites avec un certain nombre d'officiers américains de haut rang stationnés au siège de l'alliance militaire à Fontainebleau. [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P347].

En août 1962, l'OAS (Organisation de l'armée secrète) tente d'assassiner de Gaulle, estimant qu'il a trahi la France en cédant l'Algérie aux nationalistes algériens. Il s'agit de la plus célèbre tentative d'assassinat contre de Gaulle (qui survivra remarquablement à plus de trente tentatives d'assassinat alors qu'il était président de la France) lorsqu'une douzaine de tireurs d'élite de l'OAS ouvrent le feu sur la voiture du président, qui parvient à s'échapper de l'embuscade bien que ses quatre pneus aient été détruits.

Après le coup d'État manqué, de Gaulle lance une purge de ses forces de sécurité et évince le général Paul Grossin, chef du SDECE (les services secrets français). Grossin était étroitement lié à la CIA et avait déclaré à Frank Wisner, au cours d'un déjeuner, que le retour de de Gaulle au pouvoir équivalait à la prise de pouvoir des communistes à Paris. [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P354].

En 1967, après une enquête de cinq ans, le Bureau des renseignements français publie ses conclusions concernant la tentative d'assassinat de de Gaulle en 1962. Le rapport révèle que le complot d'assassinat de 1962 remonte jusqu'au siège de l'OTAN à Bruxelles et jusqu'aux vestiges de l'ancien appareil de renseignement nazi. Le rapport a également révélé que Permindex avait transféré 200 000 dollars sur un compte bancaire de l'OAS pour financer le projet.

À la suite de ce rapport, Permindex a été forcé de fermer ses opérations publiques en Europe occidentale et a déplacé son siège social de Berne, en Suisse, à Johannesburg, en Afrique du Sud, il avait aussi une base à Montréal, au Canada, où son fondateur, le général de division Louis M. Bloomfield (un ancien de l'OSS), avait fièrement son nom parmi les membres de son conseil d'administration jusqu'au rapport accablant de de Gaulle. La pertinence de ceci pour Kennedy sera discutée sous peu.

Suite à l'enquête en cours du SDECE, de Gaulle a dénoncé avec véhémence la violation anglo-américaine de la Charte de l'Atlantique, suivie du retrait de la France du commandement militaire de l'OTAN en 1966. La France ne reviendra dans l'OTAN qu'en avril 2009 au sommet de Strasbourg-Kehl.

En plus de tout cela, le 14 janvier 1963, de Gaulle déclare lors d'une conférence de presse qu'il a opposé son veto à l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. Ce serait le premier pas vers la formation par la France et l'Allemagne de l'Ouest du Système monétaire européen, qui excluait la Grande-Bretagne, probablement en raison de ses tendances impérialistes et de son infâme péché qu'est la City de Londres.

L'ancien secrétaire d'État Dean Acheson télégraphie directement au chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer, lui demandant d'essayer de persuader de Gaulle de revenir sur son veto, déclarant : « Si quelqu'un peut influer sur la décision du général de Gaulle, vous êtes certainement cette personne. »

Acheson est loin de se douter qu'Adenauer est à quelques jours de signer le traité franco-allemand du 22 janvier 1963 (également connu sous le nom de traité de l'Élysée), qui a d'énormes implications. Les relations franco-allemandes, qui avaient longtemps été dominées par des siècles de rivalité, avaient désormais convenu que leurs destins étaient alignés. (Cette relation étroite s'est poursuivie jusqu'à un point culminant à la fin des années 1970, avec la formation du SME, et la volonté de la France et de l'Allemagne de l'Ouest, en 1977, de travailler avec les pays de l'OPEP, échangeant du pétrole contre de la technologie nucléaire, ce qui a été saboté par l'alliance États-Unis / Grande Bretagne. (Pour en savoir plus à ce sujet, consultez mon article).

Le traité de l'Élysée était une dénonciation claire de la mise sous tutelle forcée de l'Europe occidentale par les anglo-américains, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le 28 juin 1961, Kennedy rédigea le NSAM #55. Ce document modifie la responsabilité de la défense pendant la guerre froide en la faisant passer de la CIA aux chefs d'état-major interarmées et aurait (s'il avait été appliqué) radicalement changé le cours de la guerre au Vietnam. Il aurait également ôté à la CIA les opérations de guerre froide et l'aurait limitée à sa seule responsabilité légale, la coordination du renseignement.

L'année même où de Gaulle et Adenauer formaient un pacte visant à exclure la Grande-Bretagne du Marché commun, Kennedy signait le 4 juin 1963 le décret 11110, contournant effectivement le monopole de la Réserve fédérale sur le contrôle de la monnaie américaine pour la première fois depuis la création de cette banque centrale privée en 1913. Ce décret autorisait le Trésor américain à émettre des billets adossés à de l'argent et à « émettre des certificats d'argent contre tout lingot d'argent, argent ou dollar en argent dans le Trésor ».

Le 11 octobre 1963, le NSAM #263, supervisé de près par Kennedy [L. Fletcher Prouty, "The CIA, Vietnam, and the Plot to Assassinate John F. Kennedy", PXXXIV], était publié et soulignait la décision politique de « retirer 1.000 militaires [du Vietnam] avant la fin de 1963 » et déclarait également qu'« Il devrait être possible de retirer la majeure partie du personnel américain [y compris la CIA et l'armée] avant 1965 ». Le journal des forces armées Stars and Stripes titrait « Il est prévu que les troupes U.S. quittent le Vietnam d'ici 1965 ».

Après l'assassinat, probablement orchestré par la CIA, de Ngo Dinh Diem, le 2 novembre 1963, et celui de Kennedy quelques semaines plus tard, le 22 novembre 1963, le président de facto Johnson signa la NSAM n°273, le 26 novembre 1963, et commença à inverser la politique de Kennedy. Le 17 mars 1964, Johnson signait la NSAM #288 qui a entraîné la pleine escalade de la guerre du Vietnam et a impliqué 2 709 918 Américains servant directement au Vietnam, avec les 9 087 000 militaires servant dans les forces armées américaines pendant cette période.

La guerre du Vietnam se poursuivra encore pendant 12 ans après la mort de Kennedy, soit un total de 20 ans pour les Américains, 30 ans si l'on compte la période d'actions secrètes américaines au Vietnam.


Les derniers jours de Kennedy

Avec le soutien de l'Allemagne à la dénonciation par de Gaulle du réseau international d'assassinats, son opposition catégorique à l'impérialisme occidental et au rôle de l'OTAN, et avec le jeune Kennedy qui construisait sa propre résistance contre la Réserve fédérale et la guerre impérialiste du Vietnam, il était clair que l'élite au pouvoir avait de gros problèmes.

De nombreux efforts fallacieux sont déployés pour tenter de ridiculiser quiconque conteste le rapport officiel de la Commission Warren en le qualifiant de partisan de la théorie du complot. Et que nous ne devrions pas trouver hautement suspect qu'Allen Dulles, parmi toutes les personnes, ait été membre de cette commission. Le lecteur doit garder à l'esprit qu'une grande partie de cette opposition écumante provient de l'agence même qui a perpétré crime après crime contre le peuple américain, ainsi qu'à l'étranger. Quand la CIA a-t-elle jamais admis sa culpabilité, à moins d'être prise en flagrant délit ? Même après les audiences de la commission Church, lorsque la CIA a été reconnue coupable d'avoir planifié des assassinats à l'étranger, elle a prétendu avoir échoué dans chacun de ses complots ou que quelqu'un d'autre l'avait devancée.

Le peuple américain doit prendre conscience que la CIA n'est pas une agence respectable ; nous n'avons pas affaire à des hommes honorables. C'est une force voyou qui croit que la fin justifie les moyens, qu'elle est pour ainsi dire la main du roi, au-dessus du gouvernement et de la loi. Ceux qui sont au sommet, comme Allen Dulles, étaient tout aussi catégoriques que Churchill sur la protection des intérêts de l'élite au pouvoir, ou comme Churchill l'a appelé, la « Haute Cabale ».

Il est intéressant de noter que le 22 décembre 1963, un mois seulement après l'assassinat de Kennedy, Harry Truman publiait une critique cinglante de la CIA dans le Washington Post, allant même jusqu'à déclarer : « Il y a quelque chose dans la façon dont la CIA fonctionne qui jette une ombre sur notre position historique [en tant que] société libre et ouverte, et je pense que nous devons y remédier. » [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P201].

Le moment choisi pour le faire est capital.

Comme Prouty l'a déclaré, toute personne ayant un peu de temps libre pendant un après-midi pourrait découvrir par elle-même que la Commission Warren était un embarrassant ramassis d'incompétence, qui a mené son enquête comme s'il était acquis qu'Oswald avait tué Kennedy et qui n'était pas intéressée à entendre quoi que ce soit de contraire à ce récit.

Non seulement l'enregistrement de l'interrogatoire d'Oswald au département de police de Dallas est parti en fumée, probablement parce qu'il faisait la déclaration gênante qu'il était une « marionnette », mais son test au nitrate qui a prouvé qu'il n'avait jamais tiré avec un fusil le jour du 22 novembre 1963, a été gardé secret pendant 10 mois et n'a été révélé que dans le rapport final, [Jim Garrison, "On the Trail of the Assassins", P116-117] ce qui, inexplicablement, n'a pas changé la conclusion du rapport disant qu'Oswald a bien tué Kennedy.

Pendant le procès de Garrison sur l'assassinat de Kennedy (1967-1969), il a cité à comparaître le film de Zapruder qui avait été enfermé dans un coffre-fort appartenant au magazine Life (dont le fondateur Henry Luce était connu pour travailler en étroite collaboration avec la CIA [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P72, 128]). C'était la première fois après plus de cinq ans que le film de Zapruder était rendu public. Il s'avère que la copie du FBI qui a été envoyée à la Commission Warren comportait deux images critiques, trafiquées pour donner la fausse impression que le coup de fusil venait de derrière.

Lorsque Garrison a mis la main sur le film original, il a découvert que le tir provenait en fait de l'avant. En fait, l'ensemble du film montre que le Président a été abattu sous plusieurs angles, ce qui signifie qu'il y avait plus d'un tireur.

Ce n'est pas le seul élément de preuve à avoir été altéré, il y a aussi les rapports d'autopsie de Kennedy.

Il y a aussi le fait que les documents originaux de l'autopsie ont été détruits par le médecin en chef de l'autopsie, James Humes, ce dont il a même témoigné pendant la Commission Warren, apparemment personne n'a pris la peine de lui demander pourquoi...

En outre, Jim Garrison, procureur de la Nouvelle-Orléans à l'époque, qui accusait Clay Shaw d'être un membre de la conspiration visant à tuer Kennedy, en plus de découvrir ses liens avec David Ferrie qui a été retrouvé mort dans son appartement quelques jours avant qu'il ne soit prévu qu'il témoigne, a également fait valoir que la New Orleans International Trade Mart (dont Clay Shaw était le directeur), la filiale américaine de Permindex, était liée au meurtre de Kennedy.

Garrison a fait un travail remarquable compte tenu de la situation et du nombre de témoins qui sont morts avant le procès...

Ce lien avec Permindex ne serait pas aussi accablant si nous n'avions pas le rapport de la SDECE, mais nous l'avons. Et rappelez-vous, dans ce rapport, Permindex a été surpris en train de transférer 200 000 $ directement dans la banque de l'OAS pour tenter d'assassiner de Gaulle en 1962.

Ainsi, l'implication de Permindex dans un réseau international d'assassinats ne fait pas débat. En outre, la CIA s'est avérée fortement impliquée dans ces tentatives d'assassinat contre de Gaulle, et nous ne devrions donc pas simplement écarter la possibilité que Permindex était effectivement une façade de la CIA pour un commando international.

En fait, parmi les personnages étranges et meurtriers qui ont convergé vers Dallas en novembre 1963 se trouvait un commando français de l'OAS notoirement connu, Jean Souetre, qui était lié aux complots contre le président de Gaulle. Souetre a été arrêté à Dallas après l'assassinat de Kennedy et expulsé vers le Mexique. [David Talbot, "The Devil's Chessboard", P422].

Le colonel Clay Shaw était un officier de l'OSS pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui permet d'établir un lien direct avec sa connaissance d'Allen Dulles, et nous bouclons ainsi la boucle.

Après son retour des funérailles de Kennedy à Washington le 24 novembre, de Gaulle et son ministre de l'information, Alain Peyrefitte, ont eu une discussion franche qui a été enregistrée dans les mémoires de Peyrefitte « C'était de Gaulle », le grand général aurait dit :

Citer    Ce qui est arrivé à Kennedy est ce qui a failli m'arriver... Son histoire est la même que la mienne. ... Cela ressemble à une histoire de cow-boy, mais ce n'est qu'une histoire d'OAS [Organisation Armée Secrète]. Les forces de sécurité étaient de mèche avec les extrémistes. ...Les forces de sécurité sont toutes les mêmes quand elles font ce genre de sale boulot. Dès qu'elles parviennent à éliminer le faux assassin, elles déclarent que la justice n'a plus à s'inquiéter, qu'aucune autre action publique n'est nécessaire maintenant que le coupable est mort. Mieux vaut assassiner un innocent que de laisser éclater une guerre civile. Mieux vaut une injustice que le désordre. L'Amérique risque de connaître des bouleversements. Mais vous verrez. Tous ensemble, ils observeront la loi du silence. Ils resserreront les rangs. Ils feront tout pour étouffer tout scandale. Ils jetteront le manteau de Noé sur ces actes honteux. Pour ne pas perdre la face devant le monde entier. Pour ne pas risquer de déclencher des émeutes aux États-Unis. Pour préserver l'union et éviter une nouvelle guerre civile. Pour ne pas se poser de questions. Ils ne veulent pas savoir. Ils ne veulent pas savoir. Ils ne se permettent pas de le savoir.

Cynthia Chung

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

JacquesL

Le retour du Léviathan. Les racines fascistes de la CIA et la véritable origine de la guerre froide.

https://lesakerfrancophone.fr/le-retour-du-leviathan-les-racines-fascistes-de-la-cia-et-la-veritable-origine-de-la-guerre-froide

Par Cynthia Chung – Le 7 mars 2021 – Source Strategic Culture



En 1998, le groupe de travail inter-agences sur les crimes de guerre nazis et les dossiers du gouvernement impérial japonais (IWG) a lancé, à la demande du Congrès, ce qui est devenu le plus grand effort de déclassification sur un seul sujet. En conséquence, plus de 8,5 millions de pages de documents ont été ouvertes au public en vertu de la loi sur la divulgation des crimes de guerre nazis (P.L. 105-246) et de la loi sur la divulgation du gouvernement impérial japonais (P.L. 106-567). Ces documents comprennent des dossiers opérationnels de l'Office of Strategic Services (OSS), de la CIA, du FBI et des services de renseignement de l'armée. L'IWG a publié trois rapports au Congrès entre 1999 et 2007.

Ces informations apportent un éclairage important et confirment l'un des secrets les mieux gardés de la guerre froide : l'utilisation par la CIA du vaste réseau d'espionnage nazi pour mener une campagne secrète contre l'Union soviétique.


Cette campagne contre l'Union soviétique, qui a débuté alors que la Seconde Guerre mondiale faisait encore rage, a été au cœur de la tolérance de Washington à l'égard des violations des droits civils et autres actes criminels commis au nom de l'anticommunisme, comme en témoignent le maccarthysme et les activités de COINTELPRO. Grâce à cette décision fatidique, la CIA a eu le champ libre non seulement pour l'exécution d'interventions anti-démocratiques dans le monde, mais aussi pour des interventions anti-démocratiques sur le territoire national, qui continuent encore aujourd'hui.

L'origine louche de la guerre froide apparaissant au grand jour, il convient de se demander : Qui dirige la politique étrangère et les services de renseignement américains aujourd'hui ? Une telle opposition peut-elle être justifiée ? Et quels intérêts la guerre froide a-t-elle servi et continue-t-elle de servir ? Cet article est la première partie d'une série de trois articles qui aborderont ces questions.


Allen Dulles, l'agent double qui a créé l'empire du renseignement américain

Allen Dulles est né le 7 avril 1893 à Watertown, dans l'État de New York. Il obtient une maîtrise en politique à Princeton en 1916 et entre dans le service diplomatique la même année. Dulles est transféré à Berne, en Suisse, avec le reste du personnel de l'ambassade, peu avant l'entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale. De 1922 à 1926, il occupe pendant cinq ans le poste de chef de la division du Proche-Orient du département d'État.

En 1926, il obtient un diplôme de droit à la faculté de droit de l'université George Washington et travaille chez Sullivan & Cromwell, le plus puissant cabinet d'avocats d'affaires du pays, où son frère aîné (de cinq ans son aîné) John Foster Dulles est associé. Il est intéressant de noter qu'Allen n'est passé à la barre qu'en 1928, deux ans après avoir rejoint le cabinet d'avocats, mais cela ne l'a apparemment pas empêché de passer six mois à Genève en 1927 en tant que « conseiller juridique » de la Conférence sur l'armement naval.

En 1927, il devient directeur du Council on Foreign Relations (dont les membres, des hommes d'affaires et des décideurs politiques de premier plan, ont joué un rôle clé dans la formation d'un consensus émergeant en faveur de la guerre froide), c'est le deuxième directeur depuis la fondation de ce Council en 1921. Il se lie rapidement d'amitié avec son compatriote Hamilton Fish Armstrong, rédacteur en chef de la revue du Council, intitulée Foreign Affairs. Ensemble, ils écrivent deux livres : Can We Be Neutral ? (1936) et Can America Stay Neutral ? (1939). Allen a été secrétaire du CFR de 1933 à 1944, et son président de 1946 à 1950.

Il convient de noter que le Council on Foreign Relations est la branche américaine du Royal Institute for International Affairs (alias Chatham House) basé à Londres, en Angleterre. Il convient également de noter que cette Chatham House elle-même a été créée par le mouvement de la Table ronde dans le cadre du programme du traité de Versailles en 1919.

En 1935, Allen Dulles devient associé chez Sullivan & Cromwell, le centre d'un réseau international complexe de banques, de sociétés d'investissement et de conglomérats industriels qui ont aidé à reconstruire l'Allemagne après la Première Guerre mondiale.

Après la prise de contrôle par Hitler dans les années 1930, John Foster Dulles continue de représenter des cartels allemands comme IG Farben, malgré leur intégration dans la machine de guerre croissante des nazis, et les aide à obtenir l'accès à des matériaux de guerre essentiels.

Bien que le bureau berlinois de Sullivan & Cromwell (dont les avocats étaient contraints de signer leur correspondance par « Heil Hitler ») ait été fermé en 1935, les frères Dulles ont continué à faire des affaires avec le réseau financier et industriel nazi ; Allen Dulles a ainsi rejoint le conseil d'administration de la J. Henry Schroder Bank, la filiale américaine de la banque londonienne que le magazine Time qualifiera en 1939 de « stimulant économique de l'axe Rome-Berlin ».

Les frères Dulles, en particulier Allen, travaillaient en étroite collaboration avec Thomas McKittrick, un vieil ami de Wall Street qui était président de la Banque des règlements internationaux (BRI). Cinq de ses directeurs seront plus tard accusés de crimes de guerre, dont Hermann Schmitz, l'un des nombreux clients des Dulles impliqués dans la BRI. Schmitz était le PDG d'IG Farben, le conglomérat chimique devenu célèbre pour sa production de Zyklon B, le gaz utilisé dans les camps de la mort d'Hitler, et pour son recours massif à l'esclavage pendant la guerre.

David Talbot écrit dans son ouvrage « The Devil's Chessboard » :

Citer    La secrète BRI est devenue un partenaire financier crucial pour les nazis. Emil Puhl – vice-président de la Reichsbank d'Hitler et proche associé de McKittrick – a un jour appelé la BRI la seule 'branche étrangère' de la Reichsbank. La BRI a blanchi des centaines de millions de dollars d'or nazi pillé dans les trésoreries des pays occupés.

La Banque des règlements internationaux est basée en Suisse, la région même où Allen Dulles travaillera pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale.

L'Office of Strategic Services (OSS) a été créé le 13 juin 1942 en tant qu'agence de renseignement de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette décision a été prise par le président Franklin Roosevelt. William J. Donovan a été choisi par Roosevelt pour mettre sur pied l'agence qui a été créé spécifiquement pour répondre aux besoins de communication secrète, de décodage et d'espionnage nécessaires à la stratégie de guerre ; pour intercepter les renseignements ennemis et identifier ceux qui se coordonnent avec l'Allemagne nazie et le Japon.

L'OSS était la première de son genre, rien de tel n'avait existé auparavant aux États-Unis. Roosevelt avait compris qu'une telle agence aurait une immense possibilité de tomber dans l'abus de pouvoir si elle était entre de mauvaises mains et qu'elle ne pouvait pas être autorisée à continuer une fois la guerre contre le fascisme gagnée.

Allen Dulles a été recruté par l'OSS dès le début. Le 12 novembre 1942, il est rapidement transféré à Berne, en Suisse, où il habite à la Herrengasse 23 pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale. Connaissant le rôle louche joué par la Suisse tout au long de la Seconde Guerre mondiale, avec son soutien étroit à la cause nazie et l'implication étroite d'Allen Dulles dans tout cela, on est en droit de se demander à ce stade, à quoi pouvaient bien penser Donovan et Roosevelt ?

Eh bien, Dulles n'était pas le seul maître joueur d'échecs impliqué dans ce jeu à enjeux élevés. « Il était un pion », dit John Loftus, un ancien enquêteur sur les crimes de guerre nazis pour le ministère de la Justice américain. Ils « voulaient que Dulles soit clairement en contact avec ses clients nazis afin qu'ils puissent être facilement identifiés. » En d'autres termes, Dulles a été envoyé en Suisse en tant qu'espion américain, en sachant parfaitement qu'il était en fait un agent double, dont la mission était d'obtenir des informations sur les réseaux américains, britanniques et français, entre autres, qui soutenaient secrètement la cause nazie.

L'un des problèmes de ce plan est que l'espion britannique du MI6, William Stephenson, connu sous le nom de « Man Called Intrepid », est censé avoir été choisi pour surveiller Dulles  ; Roosevelt était loin de se douter, à l'époque, jusqu'où irait l'affaire.

Cependant, comme l'écrira Elliott dans son livre « As He Saw It », Roosevelt était très conscient que la politique étrangère britannique ne correspondait pas à ses vues sur le monde de l'après-guerre :

Citer    Vous savez, à maintes reprises, les hommes du département d'État ont essayé de me cacher des messages, de les retarder, de les confisquer d'une manière ou d'une autre, simplement parce que certains de ces diplomates de carrière là-bas ne sont pas en accord avec ce qu'ils savent que je pense. Ils devraient travailler pour Winston. En fait, la plupart du temps, ils travaillent [pour Churchill]. Arrêtez de penser à eux : un certain nombre d'entre eux sont convaincus que la façon dont l'Amérique doit mener sa politique étrangère est de découvrir ce que font les Britanniques et de les copier ! ». On m'a dit... il y a six ans, que je devrais nettoyer le Département d'État, il est comme le Foreign Office britannique....

Comme la véritable allégeance entre la BRI et de la finance de Wall Street est devenue claire pendant la guerre, Roosevelt a tenté de bloquer les fonds de la BRI aux États-Unis. C'est nul autre que Foster Dulles qui fut engagé comme conseiller juridique de McKittrick, et qui intervint avec succès en faveur de la banque.

Il convient également de noter que le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Montague Norman, a autorisé des transferts directs d'argent à Hitler, toutefois pas l'argent de l'Angleterre, mais plutôt les 5,6 millions de livres d'or appartenant à la Banque nationale de Tchécoslovaquie.

À l'approche de la fin de la guerre, le projet Safehaven, une opération de renseignement américaine imaginée par Roosevelt, est créé pour traquer et confisquer les avoirs nazis cachés dans les pays neutres. On craignait, à juste titre, que si les membres de l'élite allemande nazie parvenaient à cacher de grandes quantités de leurs richesses, ils pourraient attendre le bon moment et tenter de reprendre le pouvoir dans un avenir pas si lointain.

C'est Allen Dulles qui a réussi à bloquer et à saboter l'opération de Roosevelt, expliquant dans une note de décembre 1944 à ses supérieurs de l'OSS que son bureau de Berne manquait de « personnel adéquat pour faire [un] travail efficace dans ce domaine et répondre aux autres demandes. »

Et tandis que Foster travaillait d'arrache-pied pour dissimuler les actifs américains des grands cartels allemands comme IG Farben et Merck KGaA, et protéger ces filiales de la confiscation par le gouvernement fédéral en tant que biens étrangers, Allen assurait les arrières de son frère et était bien placé pour détruire les preuves incriminantes et bloquer toute enquête menaçant les deux frères et leur cabinet d'avocats.

« Le déchiquetage des documents nazis récupérés était la tactique favorite de Dulles et de ses [associés] qui sont restés pour aider à gérer l'occupation de l'Allemagne d'après-guerre », a déclaré John Loftus, ancien enquêteur sur les crimes de guerre nazis pour le ministère de la Justice des États-Unis.

Il ne fait aucun doute que Roosevelt avait l'intention de poursuivre les frères Dulles ainsi que de nombreux autres complices du soutien à la cause nazie après la victoire de la guerre. Roosevelt était conscient que les frères Dulles et Wall Street avaient travaillé dur contre son élection, il était conscient qu'une grande partie de Wall Street soutenait les Allemands plutôt que les Russes dans la guerre, il était conscient qu'ils étaient contrariés par sa gestion de la Grande Dépression en s'en prenant aux grands banquiers, tels que J.P. Morgan via la Commission Pecora, et qu'ils le détestaient pour cela, mais surtout ils n'étaient pas d'accord avec les vues de Roosevelt sur un monde d'après-guerre. En fait, ils s'y opposaient violemment, comme en témoigne la tentative d'assassinat de Roosevelt quelques jours après sa victoire aux élections, et la révélation par le général Smedley Butler, diffusée à la télévision, de la manière dont un groupe d'officiels de la Légion américaine payés par les hommes de J.P. Morgan a approché Butler au cours de l'été 1933 pour qu'il mène un coup d'État contre le président Roosevelt, une tentative de prise de contrôle fasciste des États-Unis faite en plein jour.

Roosevelt n'a été inauguré que le 4 mars 1933, il était donc clair que Wall Street n'avait pas à attendre de voir ce que le Président allait faire, ils savaient déjà que Roosevelt avait l'intention de bouleverser l'équilibre du contrôle impérial, avec Wall Street et la City de Londres comme centres financiers. Il était clair que les jours de Wall Street seraient comptés sous Roosevelt.

Cependant, Roosevelt n'a pas vécu jusqu'à la fin de la guerre, et sa mort a permis un coup d'État en douceur, restant dans les limites des couloirs du gouvernement et de ses agences, et tous ceux qui avaient été étroitement associés à la vision de Roosevelt ont été mis sur la touche.

David Talbot écrit dans son livre intitulé « The Devil's Chessboard » :

Citer    Dulles était plus proche de nombreux dirigeants nazis qu'il ne l'était du président Roosevelt. Dulles n'a pas seulement bénéficié d'une familiarité professionnelle et sociale avec de nombreux membres de l'élite du Troisième Reich qui a précédé la guerre ; il partageait nombre des objectifs d'après-guerre de ces hommes.


La véritable histoire de l'origine de la guerre froide

Dans son livre « The CIA, Vietnam and the Plot to Assassinate John F. Kennedy », L. Fletcher Prouty décrit comment, en septembre 1944, alors qu'il était capitaine dans les forces aériennes de l'armée américaine et stationné au Caire, on lui a demandé de transporter ce qu'on lui a dit être 750 prisonniers de guerre capturés par l'armée de l'air américaine, qui avaient été abattus dans les Balkans lors de raids aériens sur les champs pétrolifères de Ploesti. Cette information était basée sur sa rencontre avec des officiers des services secrets britanniques qui avaient été informés par leurs services secrets et par l'OSS.

Prouty écrit :

Citer    Nous avons pris l'avion pour la Syrie, rencontré le train de marchandises en provenance de Bucarest, chargé les prisonniers de guerre dans notre avion et commencé le vol de retour vers Le Caire. Parmi les 750 prisonniers de guerre, il y avait peut-être une centaine d'agents de renseignement nazis, ainsi que des dizaines d'agents des Balkans sympathisants des nazis. Ils avaient été cachés dans cette cargaison par l'OSS pour les mettre à l'abri de l'armée soviétique qui avait marché sur la Roumanie le 1er septembre.

    Cette opération de septembre 1944 fut la première grande activité pro-allemande et anti-soviétique de type guerre froide. Avec l'aide de l'OSS, de nombreuses autres ont suivi en vagues rapides, notamment l'évasion et la fuite soigneusement planifiée, vers Washington, du général Reinhart Gehlen, chef des services de renseignement de l'armée allemande, le 20 septembre 1945.

Dans son livre, Prouty explique qu'avant même la capitulation de l'Allemagne et du Japon, les premiers murmures de la guerre froide se faisaient entendre, et que ces murmures provenaient en particulier de Frank Wisner à Bucarest et d'Allen W. Dulles à Zurich, qui étaient tous deux de fervents partisans de l'idée que le moment était venu de rejoindre certains centres de pouvoir nazis afin de séparer l'alliance occidentale de l'Union soviétique.

Prouty écrit :

Citer    C'est cette faction secrète au sein de l'OSS, coordonnée avec une faction similaire des services de renseignement britanniques, et ses politiques qui ont encouragé les nazis choisis à concevoir le concept de division du « rideau de fer » pour enfoncer un coin dans l'alliance avec l'Union soviétique dès 1944 – pour sauver leur propre cou, pour sauver certains centres de pouvoir et leur richesse, et pour attiser le ressentiment contre les Russes, même au moment de leur plus grand triomphe militaire.

La version de « l'histoire officielle » considère que les Britanniques ont été les premiers à reconnaître la « menace communiste » en Europe de l'Est, et que c'est Winston Churchill qui a inventé l'expression « rideau de fer » en référence aux actions des pays du bloc communiste d'Europe de l'Est, et ce après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, Churchill n'est pas à l'origine de l'expression ni de l'idée du rideau de fer.

Juste avant la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, le ministre allemand des Affaires étrangères, le comte Lutz Schwerin von Krosigk, a prononcé un discours à Berlin, rapporté par le London Times du 3 mai 1945, dans lequel il a utilisé l'expression de propagande inventée par les nazis « rideau de fer », qui devait être utilisée précisément dans le même contexte par Churchill moins d'un an plus tard.

À la suite de ce discours allemand, trois jours seulement après la capitulation allemande, Churchill a écrit une lettre à Truman, pour lui faire part de son inquiétude quant à l'avenir de l'Europe et lui dire qu'un « rideau de fer » était tombé.

Les 4 et 5 mars 1946, Truman et Churchill se rendent de Washington au Missouri, où, au Westminster College de Fulton, Churchill prononce ces lignes historiques :

Citer    De Stettin, dans la Baltique, à Trieste, dans l'Adriatique, un rideau de fer est tombé sur le continent.

Les implications de cette affaire sont énormes. Non seulement cela met en évidence la véritable origine de la source qui a claironné la prétendue menace de la guerre froide provenant de l'Europe de l'Est, l'ennemi nazi lui-même, mais cela met également en lumière le fait que moins d'un mois après la mort de Roosevelt, la Grande stratégie avait été abandonnée. Il n'y aurait plus l'équilibre prévu pour le monde d'après-guerre, un équilibre entre les quatre puissances (États-Unis, Russie, Grande-Bretagne et Chine), mais plutôt un rideau de fer, avec plus de la moitié du monde dans l'ombre.

Les partenaires de cette nouvelle structure de pouvoir mondiale devaient être les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et le Japon, trois des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et deux des vaincus. Peu importe que la Russie et la Chine aient combattu et que leurs soldats soient morts aux côtés des Alliés, les mois précédents.

Après la déclaration d'indépendance de Ho Chi Minh le 2 septembre 1945, les Français sont rentrés au Vietnam quelques semaines après la fin de la Seconde Guerre mondiale et les États-Unis les ont rejoints quelques mois après le discours de Churchill sur le rideau de fer. Ainsi, un peu plus d'un an après l'une des guerres les plus sanglantes de l'histoire, les Français et les Américains ont déclenché ce qui allait être une guerre indochinoise qui allait durer plusieurs décennies, tout cela au nom de la « liberté » et pour protéger d'une prétendue menace communiste.

Prouty écrit :

Citer    Dès que l'île d'Okinawa est devenue disponible comme site de lancement pour [l'invasion américaine prévue du Japon], les fournitures et l'équipement pour une force d'invasion d'au moins un demi-million d'hommes ont commencé à être empilés, de quinze à vingt pieds de haut, sur toute l'île. Puis, due à la capitulation précoce du Japon, cette invasion massive n'a pas eu lieu, et l'utilisation de cet énorme stock d'équipement militaire n'a pas été nécessaire. Presque immédiatement, les navires de transport de la marine américaine ont commencé à arriver dans le port de Naha, à Okinawa. Ce vaste chargement de matériel de guerre a été rechargé sur ces navires. J'étais à Okinawa à l'époque et, à l'occasion d'un passage au port, j'ai demandé au directeur du port si tout ce nouveau matériel était renvoyé aux États-Unis.

    Sa réponse a été directe et surprenante : « Bon sang, non ! Ils ne vont jamais le revoir. La moitié de ce matériel, assez pour équiper et soutenir au moins cent cinquante mille hommes, va en Corée, et l'autre moitié va en Indochine. »

Le parrain de la CIA

« Et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres ».
– Inscription choisie par Allen Dulles pour le hall d'entrée du siège de la CIA, tirée de Jean 8:31-32.

Le 20 septembre 1945, le président Truman dissolvait l'OSS, quelques semaines après la fin officielle de la Seconde Guerre mondiale. C'était la chose à faire, étant donné que l'OSS n'avait jamais été conçu pour exister en dehors de la période de guerre et que le président Roosevelt aurait fait la même chose s'il n'était pas décédé le 12 avril 1945. Cependant, Truman a fait preuve d'une grande naïveté en pensant qu'un morceau de papier était suffisant. Truman ne comprenait pas non plus la lutte de faction entre les patriotes de Roosevelt qui voulaient vraiment vaincre le fascisme et ceux qui voulaient une guerre contre l'Union soviétique, et qui étaient même prêts à travailler avec d'« anciens » fascistes pour atteindre cet objectif.

Truman considérait l'OSS comme une entité homogène. Il n'avait aucune idée des luttes intenses qui se déroulaient au sein du gouvernement américain et de la communauté du renseignement pour l'avenir du pays. Il y avait l'OSS de Roosevelt, et il y avait l'OSS clandestin d'Allen Dulles.

Peu après, le 18 septembre 1945, la CIA est fondée, et Truman la déplorera comme le plus grand regret de sa présidence. Truman n'avait aucune idée du type d'arrière-cour qui se déroulait dans les coulisses. Il ne le savait pas encore à l'époque, mais il allait le découvrir en partie : la dissolution de l'OSS, qui a retiré le contrôle à William J. Donovan en tant que chef du renseignement américain, a ouvert la porte aux piranhas. Les patriotes de FDR ont été purgés, y compris William J. Donovan lui-même, à qui Truman a refusé le poste de directeur de la CIA. À la place, Truman lui confie la bête tâche de diriger un comité chargé d'étudier les services d'incendie du pays.

En avril 1947, la commission des services armés du Sénat demande à Allen Dulles de présenter ses idées pour une agence de renseignement forte et centralisée. Son mémo contribuera à l'élaboration de la législation qui donnera naissance à la CIA, plus tard dans l'année.

Dulles, insatisfait de la « timidité » de la nouvelle CIA, organise le rapport de la commission Dulles-Jackson-Correa, duquel Dulles prend bien sûr rapidement le contrôle, qui conclut son évaluation très critique de la CIA en exigeant que l'agence soit prête à déclencher essentiellement une guerre avec l'Union soviétique. La CIA, déclare le rapport, « a le devoir d'agir ». L'agence « a été dotée, par la loi, d'une grande autorité ». Il est temps de profiter pleinement de ce pouvoir généreux, insiste le comité, c'est-à-dire Dulles.

Dulles, impatient de la lenteur de la CIA à déclencher le chaos dans le monde, crée un nouvel avant-poste du renseignement appelé Office of Policy Coordination en 1949. Frank Wisner (qui travaillait comme avocat à Wall Street pour le cabinet Carter, Ledyard & Milburn et était un ancien de l'OSS, de toute évidence de la branche de Dulles) est nommé chef de l'OPC et amène rapidement l'unité à s'intéresser aux arts noirs de l'espionnage, notamment le sabotage, la subversion et l'assassinat. En 1952, l'OPC dirigeait quarante-sept stations à l'étranger, et son personnel comptait près de trois mille employés, avec trois mille autres sous-traitants indépendants sur le terrain.

Dulles et Wisner géraient cela comme si c'était leur propre agence d'espionnage privée.

L'OPC est dirigée avec peu de surveillance gouvernementale et peu de restrictions morales. Beaucoup des recrues de l'agence étaient d'« anciens » nazis. Dulles et Wisner se sont engagés dans une guerre sans merci contre le bloc soviétique, sans aucune supervision gouvernementale.

Comme Prouty l'a mentionné, la douteuse évacuation de nazis cachés parmi les prisonniers de guerre allait être la première d'une longue série, dont l'évacuation du général Reinhart Gehlen, le chef des services de renseignements de l'armée allemande, vers Washington le 20 septembre 1945.

La plupart des renseignements recueillis par les hommes de Gehlen ont été extraits de l'énorme population de prisonniers de guerre soviétiques – qui a fini par atteindre quatre millions – tombés sous le contrôle des nazis. La réputation exaltée de Gehlen en tant que magicien du renseignement découlait de l'utilisation généralisée de la torture par son organisation.

Gehlen avait compris que l'alliance américano-soviétique se briserait inévitablement (moyennant un sabotage suffisant), offrant ainsi la possibilité, au moins à certains éléments de la hiérarchie nazie, de survivre en s'alliant à l'Occident contre Moscou.

Il a réussi à convaincre les Américains que ses renseignements sur l'Union soviétique étaient indispensables, que si les Américains voulaient gagner une guerre contre les Russes, ils devaient travailler avec lui et le garder en sécurité. Par conséquent, au lieu d'être remis aux Soviétiques en tant que criminels de guerre, comme l'exigeait Moscou, Gehlen et ses principaux adjoints ont été mis sur un navire de transport de troupes pour retourner en Allemagne !

Aussi incroyable que cela puisse paraître, l'équipe d'espions de Gehlen a été installée par les autorités militaires américaines dans un complexe situé dans le village de Pullach, près de Munich, sans aucune supervision, d'où il a pu réaliser son rêve de reconstituer la structure de renseignement militaire d'Hitler au sein du système de sécurité nationale américain. Grâce au soutien généreux du gouvernement américain, l'Organisation Gehlen – comme on l'a appelée – a prospéré à Pullach, devenant la principale agence de renseignement de l'Allemagne de l'Ouest. Et personne n'aurait dû s'étonner de l'arrivée d'« anciens » SS et fonctionnaires de la Gestapo, dont le Dr Franz Six. Plus tard, Six sera arrêté par les agents de contre-espionnage de l'armée américaine. Reconnu coupable de crimes de guerre, Six n'a purgé que quatre ans de prison et, quelques semaines après sa libération, il est retourné travailler au quartier général de Gehlen à Pullach !

Pour ceux qui ont pu croire pendant la guerre que les Russes étaient leurs véritables ennemis (alors qu'ils sont morts par millions au combat pour la même cause que les Américains), ce n'était pas une pilule difficile à avaler, mais il y eu quand même quelques résistances.

La plupart des renseignements recueillis par les hommes de Gehlen ont été extraits de l'énorme population de prisonniers de guerre soviétiques – qui a fini par atteindre quatre millions – tombés sous le contrôle des nazis. La réputation exaltée de Gehlen en tant que magicien du renseignement a fait que de nombreux membres de la CIA se sont opposés avec véhémence à toute association avec d'« anciens » nazis, y compris l'amiral Roscoe Hillenkoetter, premier directeur de la CIA, qui, en 1947, a vivement recommandé au président Truman de « liquider » l'opération autour de Gehlen. On ne sait pas exactement ce qui s'est passé pour empêcher cela, mais il suffit de dire que Gehlen bénéficiait d'un soutien très puissant à Washington, y compris au sein de l'establishment de la sécurité nationale, avec le soutien principal de la faction Dulles.

Walter Bedell-Smith, qui a succédé à Hillenkoetter au poste de directeur de la CIA, même s'il a fait appel à Allen Dulles et l'a nommé adjoint, n'aimait pas du tout cet homme. Alors que Smith s'apprêtait à quitter ses fonctions, quelques semaines après l'investiture d'Eisenhower, il a conseillé à ce dernier qu'il serait peu judicieux de confier à Allen la direction de l'agence. Eisenhower allait regretter profondément de ne pas avoir tenu compte de ce conseil judicieux.

Avec la victoire d'Eisenhower et de Nixon, point culminant d'années de stratégie politique de la part des courtiers républicains de Wall Street, nuls autres que Foster et Allen Dulles ont été choisis comme nouveaux chefs du département d'État et de la CIA; et ils allaient diriger les opérations mondiales de la nation la plus puissante du monde.

C'est pour cette raison que l'élection présidentielle de 1952 est entrée dans l'histoire comme le triomphe du « pouvoir de l'élite ».

Cynthia Chung

[à suivre]

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

JacquesL

Le retour du Léviathan : Les leçons pour aujourd'hui de la guerre froide au Vietnam

https://lesakerfrancophone.fr/le-retour-du-leviathan-les-lecons-pour-aujourdhui-de-la-guerre-froide-au-vietnam

Par Cynthia Chung – Le 17 mars 2021 – Source Strategic Culture



Dans la première partie de cette série, j'ai expliqué comment un stock massif d'armes américaines stockées à Okinawa, au Japon, qui devaient à l'origine être utilisées pour l'invasion américaine prévue du Japon, ont été retirées une fois que les deux bombes atomiques ont été larguées sur Hiroshima et Nagasaki.

Fletcher Prouty, chef des opérations spéciales pour les chefs d'état-major interarmées sous Kennedy et ancien colonel de l'armée de l'air américaine, explique dans son livre « The CIA, Vietnam and the Plot to Assassinate John F. Kennedy » que ces énormes cargaisons d'armes n'ont pas été renvoyées aux États-Unis, mais que la moitié a été transportée en Corée et l'autre au Vietnam.

Les implications de ce fait sont énormes.


Cela signifie que des préparatifs de la guerre froide étaient déjà en cours dès août 1945 et probablement bien avant, et que les deux régions choisies, la Corée et le Vietnam, ont été planifiées respectivement cinq ans et dix ans à l'avance, avant que les guerres réelles n'aient lieu.

Cela signifie que les récits officiels autour de la guerre de Corée et la guerre du Vietnam n'ont été écrits que pour créer une « réalité » à la guerre froide.

Il convient donc de se demander quelle est la véritable raison pour laquelle les Américains se sont engagés dans ces deux guerres brutales ? Pourquoi des figures de proue de l'élite américaine, dont beaucoup avaient refusé catégoriquement de participer à la lutte contre le fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale, ont-elles été si rapidement convaincues que tout ce qui avait trait au communisme devait être détruit par leurs soins ?

Nous répondons à ces questions dans cette série intitulée « Les racines fascistes de la CIA ».


La CIA et le Pentagone : L'histoire de deux amants

Comme nous l'avons vu dans la première partie de cette série, la victoire d'Eisenhower-Nixon, en 1952, fut le point culminant d'années de stratégie politique menée par des courtiers républicains de Wall Street, et de nouveaux dirigeants au département d'État et à la CIA, Foster et Allen Dulles respectivement, ont été choisis. Ils allaient diriger les opérations internationales de la nation la plus puissante du monde.

C'est pour cette raison que l'élection présidentielle de 1952 est entrée dans l'histoire comme le triomphe de « l'élite au pouvoir ».

Toute la période allant du 12 avril 1945 à ce jour fatidique de l'élection peut être comprise comme la première étape du coup d'État américain. C'est particulièrement évident entre 1945 et 1949, lorsqu'un certain nombre de nouveaux textes législatifs ont été adoptés, réorganisant avec succès les départements au sein des États-Unis, de sorte que la plupart des décisions gouvernementales et militaires soient soumises à l'autorité de quelques hommes, beaucoup plus puissants que le président lui-même.

La loi sur la sécurité nationale de 1947, un de ces chevaux de Troie, est l'une des premières de ce nouveau type de législation et a conduit à la création de la Central Intelligence Agency, la plaçant sous la direction du Conseil de sécurité nationale.

Bien qu'elle n'autorise pas explicitement la CIA à mener des opérations secrètes, le paragraphe 102 était suffisamment vague pour permettre des abus. En décembre 1947 (moins de quatre mois après la création de la CIA), la nécessité perçue d'« endiguer le flot du communisme » en Europe occidentale – en particulier en Italie – par le biais d'une « guerre psychologique » ouverte et secrète, a mis le feu aux poudres et le NSC 4-A est né.

La NSC 4-A était une nouvelle directive couvrant « les opérations paramilitaires clandestines, ainsi que la guerre politique et économique ». Elle autorisait l'intervention de la CIA dans les élections italiennes d'avril 1948.

Il était entendu que l'armée américaine ne pouvait jouer aucun rôle « direct » dans les opérations secrètes, car cela irait à l'encontre de la possibilité de nier.
On s'attendait à ce que le Parti communiste italien, admiré pour avoir mené la lutte contre Mussolini, remporte les premières élections italiennes de l'après-guerre. Bien entendu, cela a été considéré comme intolérable sous le diktat du rideau de fer et des opérations secrètes américaines ont été déployées pour bloquer la victoire antifasciste. Le journaliste d'investigation Christopher Simpson écrit dans son livre « Blowback » qu'une partie substantielle de ce financement provenait de biens nazis capturés. Cette intervention, selon Simpson, a fait pencher la balance en faveur du parti chrétien-démocrate italien, qui cachait des milliers de fascistes dans ses rangs.

Quelques mois à peine après sa création, la CIA, qui était censée être un organe civil de collecte de renseignements du gouvernement, est devenue responsable d'opérations secrètes, notamment de « guerre psychologique ». On est loin de ce qui avait organisé les États-Unis avant la Seconde Guerre mondiale, et qui reposait sur une armée civile. Un tel mandat gouvernemental pour des opérations de cape et d'épée en temps de paix aurait été considéré comme impensable.

Mais c'est pourquoi le récit de la guerre froide était si impératif, puisque dans ce cauchemar paranoïaque et schizophrénique, on pensait que le monde ne serait jamais en paix tant qu'une partie importante de celui-ci n'aurait pas été anéantie. La guerre froide définissait un ennemi pixellisé, sous-défini et invisible à l'œil. L'ennemi était ce que vos supérieurs vous disaient être l'ennemi, et comme un métamorphe, il pouvait prendre la forme de n'importe qui, y compris votre voisin, votre collègue, votre partenaire... même le président.

Il y aurait toujours un ennemi, car il y aurait toujours des gens qui résisteraient à la Grande Stratégie.

La NSC 4-A fut remplacée par la NSC 10/2, approuvée par le président Truman le 18 juin 1948, qui crée l'Office of Policy Coordination (OPC). La NSC 10/2 est le premier document présidentiel qui spécifie un mécanisme d'approbation et de gestion des opérations secrètes, et également le premier dans lequel le terme « opérations secrètes » est défini.

De 1948 à 1950, l'OPC n'était pas sous le contrôle de la CIA, mais plutôt une opération renégate dirigée par Allen Dulles. L'OPC passe sous le contrôle de la CIA en octobre 1950, lorsque Walter Bedell Smith devient directeur de la Central Intelligence, et est rebaptisé Directorate of Plans.

Bien que la CIA soit strictement chargée des opérations secrètes, elle a souvent besoin de l'armée pour obtenir du personnel supplémentaire, des moyens de transport, des bases à l'étranger, des armes, des avions, des navires et toutes les autres choses que le ministère de la Défense possède en abondance. En réalité, les militaires, qu'ils le veuillent ou non, se retrouvaient pour toujours dans les bras de leur amante toxique, la CIA.

En 1992 Prouty écrivait :

Citer    L'OPC et d'autres membres de la CIA étaient dissimulés dans des unités militaires et bénéficiaient d'une couverture militaire chaque fois que cela était possible, notamment au sein des bases militaires éloignées dans le monde entier... Les méthodes opérationnelles secrètes ou invisibles mises au point par la CIA et l'armée au cours des années 1950 sont encore utilisées aujourd'hui, malgré la disparition apparente de la guerre froide, dans des activités secrètes telles que celles qui se déroulent en Amérique centrale et en Afrique... Il est difficile de distinguer la CIA de l'armée car elles travaillent toujours ensemble.

Une déclaration audacieuse

Le 2 septembre 1945, Ho Chi Minh signait la déclaration d'indépendance d'une nouvelle nation, la République démocratique du Vietnam, qui statue que :

Citer    Un peuple s'est courageusement opposé à la domination française pendant plus de quatre-vingts ans, un peuple a combattu aux côtés des Alliés contre les fascistes au cours de ces dernières années – un tel peuple doit être libre et indépendant.

Ho Chi Minh dirigeait depuis 1941 le mouvement nationaliste d'indépendance du Viet Minh contre la domination coloniale du Japon. Comme la majorité du monde, Ho Chi Minh considérait que la guerre contre les fascistes était alignée sur une guerre contre l'impérialisme. Il pensait que si le monde devait enfin prendre position contre cette tyrannie, le colonialisme n'aurait plus sa place dans le monde de l'après-guerre. Le monde devrait être organisé sur la base de la reconnaissance et du respect des États-nations indépendants, conformément à la vision d'après-guerre de Roosevelt.

Après une longue et horrible bataille contre les impitoyables fascistes japonais, avec le soutien des États-Unis et de la Chine pendant la guerre, Ho Chi Minh espérait que le Vietnam pourrait retrouver sa paix d'antan grâce à sa nouvelle indépendance vis-à-vis du régime colonial.

Les Japonais s'étaient rendus et partaient. Les Français avaient été vaincus par les Japonais et ne reviendraient pas – du moins le pensait-on.

Vo Nguyen Giap, le brillant commandant militaire de Ho Chi Minh, alors qu'il était ministre de l'Intérieur du gouvernement provisoire, a prononcé un discours décrivant les États-Unis comme un bon ami du Viet Minh. Cela aussi, c'était en septembre 1945. Ho Chi Minh avait reçu des États-Unis un énorme stock d'équipement militaire et il s'attendait à pouvoir administrer son nouveau gouvernement au Vietnam sans autre opposition.

Mais le 23 septembre 1945, peu après la publication de la déclaration d'indépendance de la République démocratique du Vietnam, un groupe d'anciennes troupes françaises, agissant avec le consentement des forces britanniques (qui s'étaient vu confier la juridiction de la région à la suite de la conférence de Potsdam) et armé d'armes japonaises volées dans les stocks de capitulation, a organisé un coup d'État local et pris le contrôle de l'administration de Saigon, au Vietnam du Sud, connue aujourd'hui sous le nom de Hô Chi Minh-Ville.

En janvier 1946, les Français avaient atteint tous leurs objectifs militaires au Vietnam et réinstallé le gouvernement français.

Il faut comprendre que la suppression de la présence française en Indochine ne fut pas une mince affaire, car il ne s'agissait pas seulement de leur présence militaire, mais aussi de leurs intérêts commerciaux, notamment les banques françaises, parmi les plus puissantes d'Asie. Les Français imposaient leur présence coloniale en Indochine depuis 1787.

Les négociations entre la France et la République démocratique du Vietnam ont commencé début 1946. Ho Chi Minh se rend à Paris, mais la conférence échoue en raison de l'intransigeance française.

La guerre d'Indochine française éclate en 1946 et dure huit ans, l'effort de guerre de la France étant largement financé et fourni par les États-Unis.

En 1949, Bao Dai, l'ancien empereur qui passait la plupart de son temps dans le luxe à Paris, en France, a été mis en place par des intérêts étrangers pour être le gouvernement fantoche de l'État du Vietnam (Vietnam du Sud).

Le 8 mai 1950, le secrétaire d'État Dean Acheson annonçait que les États-Unis allaient accorder une aide économique et militaire à la France et à l'État du Vietnam. La valeur de cette aide militaire dépassait les 3 milliards de dollars.
Il n'y a jamais eu de raison officielle pour laquelle les États-Unis ont changé leur allégeance de Ho Chi Minh vers les intérêts coloniaux français et à leur gouvernement fantoche. Bien que la croyance de Ho Chi Minh dans le communisme ait été utilisée pour justifier cette trahison, la vérité est qu'il représentait une menace parce qu'il se considérait avant tout comme un nationaliste, qui croyait que le peuple vietnamien ne faisait qu'un et que sa nation méritait d'être indépendante de la domination coloniale.

C'est ce nationalisme qui ne pouvait être toléré dans les régions du monde considérées comme des territoires impériaux et des terres soumises. C'est pour cette même raison que le MI6 et la CIA ont organisé un coup d'État contre le nationaliste bien-aimé Mosaddegh en Iran, un non-communiste titulaire d'un doctorat en droit et qui était en passe de supprimer toutes les revendications impériales britanniques sur le pétrole du pays après avoir gagné son procès contre les Britanniques à La Haye et au Conseil de sécurité des Nations unies en 1951.

C'est pourquoi les intérêts de l'impérialisme et du fascisme étaient souvent liés main dans la main, comme on l'a vu avec Édouard VIII (bien qu'il n'ait pas été le seul de la famille royale britannique à partager ces opinions), le gouvernement de Vichy en France, le roi d'Italie Victor Emmanuel III qui a nommé Benito Mussolini Premier ministre en 1922 (et n'a viré Mussolini qu'en 1943 lorsqu'il était clair qu'ils allaient perdre la guerre) et le Japon impérial sous l'empereur Hirohito.

C'est pour cette raison que nous avons vu, avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale, les impérialistes et les fascistes discuter entre eux de ce que serait le monde d'après-guerre. C'est pour cette raison que les pays choisis pour superviser cette Grande Stratégie seraient les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et le Japon, plutôt que le choix de Roosevelt, à savoir les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et la Chine.

C'est pour cette raison que le rideau de fer, annoncé à l'origine, non pas par Churchill, mais par le ministre allemand des Affaires étrangères, le comte Lutz Schwerin von Krosigk, dans le London Times du 3 mai 1945, devait annoncer les termes d'une guerre indéfinie contre le communisme. En réalité, il s'agissait de tout pays opposé à la domination impériale, opposé à l'idée que certains sont nés pour gouverner et d'autres pour être gouvernés, en d'autres termes, l'impérialisme et les États-nations souverains ne pouvaient coexister.

Ho Chi Minh fut un allié des Américains sous la direction de Roosevelt. Cependant, avec la mort de Roosevelt et le coup d'État mou qui a suivi, Ho Chi Minh est devenu un ennemi.


La mission militaire de Saïgon

Le 8 janvier 1954, lors d'une réunion du Conseil national de sécurité, le président Eisenhower fait clairement savoir que les Américains n'ont pas leur place dans la guerre du Vietnam. Mais cela n'a pas vraiment d'importance.

Eisenhower, qui avait l'habitude que les gens suivent assidûment sa ligne de commandement en tant que général de la Seconde Guerre mondiale, allait bientôt apprendre que cela ne s'appliquait pas en tant que président des États-Unis.

Parmi les participants à la réunion du Conseil national de sécurité du 8 janvier 1954 figurent Allen W. Dulles et son frère John Foster Dulles. Il est impossible que les frères Dulles aient pu mal comprendre les paroles du président Eisenhower.
Pourtant, le 14 janvier 1954, six jours seulement après la déclaration « véhémente » du président contre l'entrée des forces armées américaines en Indochine, le secrétaire d'État John Foster Dulles déclarait :

Citer    Malgré tout ce que nous faisons, il reste une possibilité que la position française en Indochine s'effondre. Si cela se produisait et que les Français étaient jetés dehors, il deviendrait, bien sûr, de la responsabilité du Viet Minh victorieux de mettre en place un gouvernement et de maintenir l'ordre au Vietnam... [Je] ne crois pas que dans cette éventualité, ce pays [les États-Unis] dirait simplement : « Tant pis ; nous sommes battus et c'est la fin de cette histoire ».

Ainsi, la graine était plantée. Si les Français étaient chassés, ce qui était plutôt prévisible, il était entendu que les États-Unis ne s'engageraient pas dans une guerre ouverte avec le Viet Minh. Cependant, ils pourraient mener des opérations clandestines contre les forces de Ho Chi Minh afin de leur causer des ennuis ou, selon les mots de Foster Dulles, « de provoquer l'enfer ».

C'est ainsi que débuta l'intervention et l'implication directe des Américains dans la guerre du Vietnam, une guerre dans laquelle les Américains armaient les deux camps depuis 1945 et à laquelle il n'y avait pas d'objectif militaire officiel, si ce n'est de « provoquer l'enfer ».

Selon un compte rendu de la réunion du Conseil de sécurité nationale du 14 janvier 1954, il a été :

Citer    Convenu que le directeur de la Central Intelligence [Allen Dulles], en collaboration avec d'autres départements et agences appropriés, devrait développer des plans, comme suggéré par le secrétaire d'État [John Foster Dulles], pour certaines éventualités en Indochine.

Et, juste de cette manière, la supervision entière de la guerre du Vietnam fut placée entre les mains des frères Dulles.

Deux semaines plus tard, le 29 janvier, Allen Dulles, choisissait le Colonel Lansdale pour diriger l'équipe qui allait « provoquer l'enfer » au Vietnam. Edward G. Lansdale, chef de la mission militaire de Saïgon, est arrivé à Saïgon le 1er juin 1954, moins d'un mois après la défaite de la garnison française à Dien Bien Phu, dans le but de mener une opération secrète de guerre psychologique et d'activités paramilitaires au Sud-Vietnam.

Prouty écrit :

Citer    Ce n'était pas une mission militaire au sens conventionnel du terme, comme l'avait dit le secrétaire d'État. Il s'agissait d'une organisation de la CIA dont la mission clandestine était de « provoquer l'enfer » avec des « opérations de guérilla » partout en Indochine, une organisation terroriste compétente capable de remplir son sinistre rôle conformément à la Grande Stratégie de ces années de guerre froide.
    ... Avec cette action, la CIA a établi la Mission militaire de Saïgon (SMM) au Vietnam. Elle n'était pas souvent à Saïgon. Elle n'était pas militaire. C'était la CIA. Sa mission était de travailler avec les Indochinois anti-Viet Minh et non de travailler avec les Français. Avec ce contexte et ces stipulations, cette nouvelle unité de la CIA n'allait pas gagner la guerre pour les Français. Comme nous l'avons appris à nos dépens par la suite, elle n'allait pas non plus gagner la guerre pour le Sud-Vietnam, ni pour les États-Unis. Était-elle censée le faire ?

Il convient de noter ici que, bien que les dossiers de la NSC et du Département d'État montrent que la Mission militaire de Saïgon n'a pas commencé avant janvier 1954, il y avait d'autres activités de la CIA au Vietnam, au Cambodge et au Laos (comme les équipes White Cloud) bien avant 1954, et certains membres de la SMM avaient participé à ces activités antérieures dès 1945. [L. Fletcher Prouty "The CIA, Vietnam and the Plot to Assassinate John F. Kennedy" pg 61].

Bien que Lansdale soit répertorié comme un colonel de l'armée de l'air américaine en charge du SMM, ce n'était qu'un stratagème. Il continuerait au Vietnam, comme il l'avait fait aux Philippines, à exploiter la couverture d'un officier de l'armée de l'air et à être affecté au Military Assistance Advisory Group (MAAG) à des fins de « mission de couverture ». Il était toujours un agent de la CIA, et ses véritables patrons étaient toujours à la CIA.

Avec la défaite des Français face à Ho Chi Minh en 1954 lors de la bataille de Dien Bien Phu, mettant fin à la première guerre d'Indochine, il était entendu qu'un nouveau leadership de l'opposition serait nécessaire si l'on voulait empêcher Ho Chi Minh de prendre le contrôle du Sud-Vietnam.

Ngo Dinh Diem allait évincer Bao Dai lors d'un référendum truqué en 1955, devenant ainsi le premier président de la République du Vietnam (Vietnam du Sud). Les Sud-Vietnamiens n'étaient intéressés par aucun des deux candidats.

Le lecteur doit noter ici que le Sud-Vietnam (également connu sous le nom de Cochinchine pendant des siècles) n'a jamais eu de véritable forme de gouvernement, car il n'a jamais été une nation de toute son existence, mais était plutôt composé d'anciens villages, ceci depuis plusieurs siècles avec relativement peu de changements. Il n'y avait pas de congrès, pas de police, pas de système fiscal – rien d'essentiel à la fonction d'une nation. Le « gouvernement » de Diem n'était rien d'autre qu'une façade bureaucratique.

Malgré cela, la République du Vietnam de Diem était traitée comme un membre égal de la famille des nations, comme si elle pouvait se tenir sur ses deux pieds et répondre en conséquence à la crise dans laquelle son peuple était plongé. Le gouvernement vietnamien qui, selon Eisenhower, devait combattre le Viet Minh en son propre nom, n'existait pas.

Un nombre prédominant d'Indochinois était en faveur d'Ho Chi Minh. Ils ne ressentaient aucune loyauté envers Bao Dai, qui vivait à Paris, et ils détestaient les Français. Ngo Dinh Diem était un moins que rien, qui n'a jamais rien accompli pour gagner le cœur de son peuple.

La guerre du Vietnam, telle qu'elle est comprise aujourd'hui, est pleine d'oublis. Mais l'oubli le plus grave de tous est peut-être le fait qu'aucune des six administrations américaines qui ont supervisé la guerre du Vietnam n'a jamais établit d'objectif militaire clair pour cette guerre. On a dit aux généraux envoyés à Saïgon de ne pas laisser les « communistes » prendre le contrôle du Vietnam, point final. Comme Prouty l'a déclaré à plusieurs reprises dans son livre, cela ne constitue pas un objectif militaire.

La mission militaire de Saïgon a été envoyée au Vietnam pour présider à la dissolution du pouvoir colonial français. Les frères Dulles savaient, dès janvier 1954 si ce n'est bien avant, qu'ils allaient créer un nouveau gouvernement vietnamien qui ne serait ni français ni Viet Minh et que ce nouveau gouvernement deviendrait alors la base de la poursuite de la guerre décennale en Indochine.

C'était leur principal objectif.


La Conférence de Genève, un exode génocidaire

La défaite des Français a abouti aux accords de Genève en juillet 1954, qui établissait le 17e parallèle comme ligne de démarcation temporaire séparant les forces militaires des Français et du Viet Minh. Dans les 300 jours suivant la signature des accords, une zone démilitarisée, ou DMZ, a été créée, et le transfert de tous les civils qui souhaitaient quitter l'un ou l'autre camp devait être achevé.
Ho Chi Minh et tous les Vietnamiens du Nord croyaient que leur nation était « une ». Ils ne voulaient pas d'une division de leur pays, comme les accords de Genève l'avaient garanti.



L'article final des Accords de Genève, au numéro 14, quelques lignes à peine remarquées, se lit comme suit : « ... tout civil résidant dans un district contrôlé par une partie, qui souhaite aller vivre dans la zone assignée à l'autre partie, sera autorisé et aidé à le faire par les autorités de ce district ».

Le sens sinistre de ces propos était dissimulé sous l'apparence de mots humanitaires. La note américano-britannique parlait d'un « transfert pacifique et humain », comme s'ils étaient gentils et sensibles à la situation, prêts à déraciner des gens qui avaient vécu toute leur vie dans un village établi qui existait depuis des dizaines de milliers d'années.

Les gens du monde entier, dont la plupart ne connaissaient pas les Tonkinois, ont été amenés à croire que cette offre était un geste de compassion. Et, ce qui est pire, les planificateurs de ce sinistre complot étaient certains que les peuples du monde n'apprendraient jamais la vérité, c'est-à-dire que ce déplacement d'un million de Nord-Vietnamiens était en réalité destiné à mettre le feu au pays. Il s'agissait d'un coup monté et d'une base essentielle pour l'entrée directe des États Unis dans la guerre.

L'exode massif de Nord-Vietnamiens vers le Sud-Vietnam sera orchestré par la Mission militaire de Saïgon. Ce fut un terrible bouleversement pour ces gens, mais il a été vendu à l'Occident comme s'il s'agissait de réfugiés fuyant Ho Chi Minh. En réalité, ils fuyaient la « guerre psychologique » et les « tactiques paramilitaires » aujourd'hui appelées « terrorisme » que la SMM déchaînait contre ces petits villages du Nord.

Dans leurs propres mots, tels que trouvés dans les documents publiés avec les Pentagon Papers, les dirigeants du SMM ont écrit que la mission avait été envoyée au Nord-Vietnam pour mener une « guerre non conventionnelle », des « opérations paramilitaires », une « guerre politico-psychologique », des campagnes de rumeurs et pour mettre en place un cours de guerre psychologique de combat pour les Vietnamiens. Les membres du SMM étaient des « agents provocateurs » classiques.

Prouty écrit :

Citer    Ce mouvement de catholiques – ou d'indigènes que le SMM appelait « catholiques » – des provinces du nord du Vietnam vers le sud, selon les dispositions de l'accord de Genève, est devenu l'activité la plus importante de la Mission militaire de Saïgon et l'une des causes profondes de la guerre du Vietnam. Le terrible fardeau que ces 1 100 000 déplacés démunis ont imposé aux résidents indigènes tout aussi pauvres du sud a créé une pression sur le pays et l'administration de Diem qui s'est avérée écrasante.

    Ces indigènes sans le sou... ont été rassemblés à Haïphong par la mission militaire de Saïgon et mis à bord de navires de transport de la marine américaine. Environ 300 000 ont voyagé sur les avions de transport aérien civil de la CIA, et d'autres sont partis à pied. Ils ont été transportés, comme du bétail, dans la partie la plus méridionale du Vietnam, puis, malgré les promesses d'argent et d'autres aides de base, ont été lâchés au milieu de la population locale. Ces gens du nord sont des Tonkinois, plus chinois que les Cochinchinois du sud. Ils ne se sont jamais mélangés dans des conditions normales. Partout où ces pauvres gens ont été déversés dans le sud, on leur a donné le nom de « révoltés communistes », et une grande partie, la pire et la plus pernicieuse de ces vingt années de guerre qui ont suivi, a été le résultat direct de cette terrible activité qui avait été incitée et menée par la mission militaire terroriste de la CIA.

    ...Rien de ce qui s'est produit pendant ces trente années de guerre, 1945-75, n'a été plus pernicieux que le déplacement de ces 1 100 000 « catholiques » du nord vers le sud à une époque où le gouvernement du sud existait à peine.

Il ne fallut pas longtemps pour que le trouble causé par les intrus nordistes favorisés par Diem sur les indigènes du sud éclate en violence. Très vite, les « amis », selon le gouvernement de Diem et ses soutiens de la CIA, furent le million de catholiques du Nord, et l'« ennemi » – ou du moins le « problème » – était les autochtones cochinchinois du Sud.

Le moment était venu d'attiser les flammes de la guerre et de faire intervenir les Américains.

Cynthia Chung

[à suivre]

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone