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La machine idéologique "anti-complotiste comme marque du fascisme

Démarré par JacquesL, 09 Novembre 2020, 10:09:53 AM

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JacquesL

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La machine idéologique "anti-complotiste" comme marque du fascisme

Par Christophe Hamelin dans Accueil le 8 Novembre 2020 à 13:53



La crise de la Covid_19 agit comme un révélateur. Révélateur de nos personnalités mais aussi de l'efficacité des dispositifs idéologiques qui les modèlent. Ainsi en va-t-il du mécanisme de l'anti-complotiste, particulièrement efficient en France.

Il n'est qu'à voir à quel point des personnages tels que le professeur Raoult sont aujourd'hui quasiment impossibles à mentionner dans un débat sans que l'accusation de complotisme ne tombe. Dans le même ordre d'idées, la faiblesse de la mobilisation contre l'ordre sanitaire qui est en train de s'imposer est également un des signes de l'efficacité prodigieuse de ce dispositif idéologique.

Son contenu commence à être bien analysé. Globalement, on retrouve l'antienne classique de haine du peuple qui sommeille chez les classes dominantes qui l'exploitent et vivent de lui, mais aussi chez leurs valets : journalistes, professeurs et autres inspecteurs ou proviseurs de l'Éducation Nationale. La première expression de ce mépris du peuple reste l'inénarrable opposition entre raison et émotions, celle-là même dont ces affreux philosophes des Lumières ont fait leur miel. La raison est le fait de ceux qui savent, les émotions relèvent de la masse.

On retrouve ce même dédain dans l'interprétation que les anti-complotistes font du fait qu'une foule de gens se pose des questions et tombe dans une forme de paranoïa. Cependant, se sont-ils demandé d'où pouvait bien venir le complotisme si ce n'est d'une population qui sent qu'elle n'a plus de contrôle sur son quotidien et que des forces invisibles agissent pour le verrouiller en permanence ? Partant de là, il n'est pas absurde de se poser la question de savoir d'où vient la force qui agit avec tant de cohérence ! Est-ce délirant ? Ceux qui disent le contraire, les Rudy Reichstadt (Conspiracy watch) et autres Samuel Laurent (des Décodeurs du Monde.fr), ont-ils lu Tocqueville qui décrit un pouvoir totalitaire avant l'heure ? L'ont-ils lu quand il écrit :

« Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d'agir mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »(1)

Si quelqu'un écrivait cela aujourd'hui, il serait considéré comme complotiste. Mais là, que disent nos anti-complotistes patentés quand ils lisent cela? Tocqueville décrit un peuple dépossédé de son destin par un pouvoir centralisé qui l'infantilise, c'est ce qu'il a toujours fait et ce qu'il fera toujours car la centralisation est privation de souveraineté pour le peuple. Ce n'est pas une question de psychologie mais de structure : dans la lutte, une classe prend l'ascendant sur les autres en faisant passer pour l'intérêt général ce qui relève de son intérêt de classe. Elle trompe et manigance pour parvenir à ses fins : tel est l'horrible jeu des sociétés de classes. La population constate ces tendances inhérentes à la centralisation du pouvoir dans son quotidien, et elle cherche des explications. Est-ce anormal ? Illégitime ?




On dirait bien que oui, en tout cas selon nos oligarques et leurs sbires. Un doute persiste cependant quand on observe la teneur de leur argumentation. Ainsi avons-nous un Jérôme Grondeux (2), inspecteur général de l'Éducation nationale de son état qui, pour situer le complotisme, met sur le même plan la pensée critique populaire actuelle et les fabulations d'un abbé Barruel. En vue de décrédibiliser la parole critique, on procède à l'amalgame. Ainsi la campagne contre le complotisme du réseau Canopé va mettre sur le même plan le protocole des sages de Sion avec le fait qu'un « groupe de personnes refuse l'explication officielle d'un événement en disant que les gens au pouvoir mentent » (voir ici, mais Bruno Duvic, l'auteur, a-t-il lu Machiavel et si oui, qu'a-t-il à dire du Prince ? N'est-ce pas un manuel de complotisme ? Les classes dirigeantes n'auraient-elles pas lu Machiavel ?). L'anti-complotisme procède en assimilant discours délirants et questionnements populaires critiques qui cherchent honnêtement à comprendre.


Finalement, rien de bien neuf là-dedans. Mais alors, allons au bout de la narration anti-complotiste et prenons-la au sérieux pour voir où elle nous mène : l'idée est que si l'on prête une intention malveillante au pouvoir en place, c'est que l'on a tort, qu'on se trompe et que l'on est paranoïaque. Derrière cette approche, il y a l'idée d'une alliance entre le peuple et l'État. Que les deux avancent main dans la main dans l'histoire, sur le même bateau. Il ne peut y avoir de mauvaises intentions signifie que l'un est l'expression de l'autre, que l'État est l'expression de la volonté du peuple et ce par les mécanismes compliqués de la république et de la représentation politique. « L'État est le garant de la sécurité intérieure et extérieure, mais il est aussi le gardien et le transmetteur de l'esprit du peuple [...]. » En cela, « [...] sauvegarder la fidélité et la confiance chez le peuple, c'est agir dans l'intérêt de la nation, tout comme sauvegarder sa santé. » C'est d'ailleurs bien ce qui est en train de se passer aujourd'hui avec la crise de la Covid-19 : les médias de masse nous font acquiescer à l'idée d'un pouvoir bienveillant qui nous prive de liberté au nom de notre santé. C'est pourquoi, selon eux, il n'y a aucun complot là-dedans, le pouvoir est bienveillant et protège notre santé. Imaginer le contraire relève de l'émotion et du complotisme. Bien entendu, la première citation est de ce hégélien de Mussolini(3) et la seconde d'Hitler(4). Derrière l'idée d'un pouvoir bienveillant qui nous prive de liberté au nom de notre sécurité, derrière l'idée que les classes dominantes ne complotent pas contre les classes dominées se tient une conception de l'histoire comme processus dont le mécanisme réside dans l'alliance des « élites » et des peuples. Cette mythologie nous vend la fin de la lutte des classes, ce qui signifie implicitement que la classe profondément révolutionnaire qu'est la bourgeoisie ne complote pas en permanence pour faire perdurer les conditions actuelles d'exploitation du travail et d'accumulation du capital. Il n'y a plus de luttes des classes car plus de complots des classes dominantes. Les classes populaires peuvent donc collaborer pleinement à ce mouvement puisque, en un sens, l'État, dans cette mythologie, reconnaît « les exigences réelles qui donnèrent naissance au mouvement socialiste et syndicaliste et il les fait valoir dans le système [salarial] où ces intérêts s'accordent avec l'intérêt de l'État. » Qui aujourd'hui contesterait une telle phrase? N'est-ce pas ce que tout le monde veut? Un État tolérant, qui accueille les demandes de chacun en les aménageant dans un cadre compatible avec ses réquisits. Évidemment, la phrase est encore de Mussolini(5), seul le terme « corporatiste » a été remplacé par « salarial » pour l'actualiser. Mais cet État qui accueille une forme euphémisée, anodine de la lutte des classes et qui promeut la collaboration des classes en son sein pour devenir plus fort ne peut être que parce qu'il est l'âme des peuples, l'âme de l'âme comme l'écrivait Mussolini(6). Il ne peut pas être complotiste, c'est-à-dire cacher des plans pour opprimer davantage les classes dominées. Il ne peut être que tolérant et bienveillant, à l'instar de la gestion de la crise du Covid-19 où le pouvoir nous protège de nous-mêmes par ses forces de l'ordre puisque parmi le peuple, certains, similaires en cela à des enfants, n'ont rien compris et n'adoptent pas les gestes barrières...





Alors quel est le moteur de l'histoire dans la mythologie anti-complotiste ? Évidemment, un Samuel Laurent ou un Rudy Reichstadt n'ont certainement pas la profondeur intellectuelle suffisante pour se poser une telle question mais si on prend ce discours délirant au sérieux, le processus historique se déroule dans la concorde entre dominants et dominés pour mener vers l'utopie d'une société sans risque, sans aventure, au nom de la santé, au nom de la vie. Et le cadre fabriqué par les dominants pour maintenir leur emprise sur les peuples, l'État, est le lieu de cette entente entre les classes. En d'autres termes, le discours anti-complotiste est un propos fasciste dans le sens où l'antagonisme capital/travail semble en apparence neutralisé alors que se poursuit l'exploitation économique et l'œuvre de domestication du bétail humain, avec des individus condamnés au refoulement, avec tous ses effets. La lutte des classes est comme congédiée alors que le pouvoir approfondit son emprise sur la vie, les pratiques quotidiennes, les gestes de chaque personne : sans cette conscience de la lutte, les opprimés sont condamnés à subir, c'est-à-dire à abandonner toute spontanéité, toute liberté.

Ce constat est gravissime dans le sens où l'anti-complotisme est un condensé de la pensée dominante aujourd'hui, il est ce qu'elle présume de l'intelligence populaire. Marx et Engels expliquaient que les pensées des classes dominantes sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes(7). En effet, la classe qui possède les moyens de la production matérielle possède de ce fait, les moyens de la production intellectuelle. C'est ce que nous voyons aujourd'hui avec l'école, qui est un outil de diffusion de l'idéologie dominante, avec les médias qui sont la propriété de cette classe, sans parler du monde d'internet, possédé par les GAFAM. L'anti-complotisme disqualifie toute réflexion populaire en la méprisant, en la ridiculisant sous prétexte qu'elle entérine l'idée qu'il y a encore une lutte des classes (le complot des puissants contre les faibles) et qu'elle n'est pas cohérente avec la bien-pensance des classes dominantes. En cela, elle n'est pas domestiquée. Le discours anti-complotiste est donc profondément fasciste mais bien plus, du fait qu'il est l'expression de la pensée des classes dominantes – celle-là même qui irrigue l'ensemble des canaux de la société –, il indique que nous sommes dans une société fasciste. L'ensemble des idées qui s'y diffusent promeuvent la concorde dans un environnement de plus en plus aliéné où un pouvoir centralisé pénètre chaque jour davantage tous les aspects de la vie, éteignant toute autonomie populaire, isolant les individus tout en les formatant de façon à maintenir la domination.




Il est difficile pour nos générations, qui n'ont pas connu le monde d'avant-guerre, de comprendre l'énormité de la situation actuelle où l'État s'immisce dans les tréfonds de notre intimité au point de nous interdire certains gestes, de danser par exemple, de nous couvrir le visage et de réprimer ceux qui ne comprennent pas que tout cela est fait pour notre bien. Un penseur tel que Jacques Ellul, qui avait connu l'autre monde, nous mettait en garde : « [...] l'État doit avoir en mains tous les ressorts financiers économiques, vitaux, et placer à la tête de tout des techniciens qui deviennent les premiers dans la nation. Suppression de la liberté, suppression de l'égalité, suppression de la disposition des biens, suppression de la culture pour elle même, suppression des choses, et bientôt suppression des gens inutiles à la défense nationale. L'État prend tout [...]. »(voir ici) Lui avait connu ce monde où l'autonomie populaire régnait, en tout cas les derniers moments de ce monde, avant l'avènement total de la société administrée que nous connaissons aujourd'hui. Il poursuivait : « On parle beaucoup de démocratie et de liberté. Mais personne ne veut plus les vivre. On a pris l'habitude que l'État fasse tout, et sitôt que quelque chose va mal, on en rend l'État responsable. Qu'est-ce à dire sinon que l'on demande à l'État de prendre la vie de la nation toute entière à charge ? La liberté vraie, qui s'en soucie ? La limitation des droits de l'État apparaît comme une folie. Les ouvriers sont les premiers à réclamer une dictature. Le tout est de savoir qui fera cette dictature. »(voir ici)

De telles idées sont litigieuses pour nous qui n'avons connu que la société administrée mais regardons bien le monde actuel, son chaos permanent, la catastrophe écologique et humaine, bref l'ensemble du désastre. À quoi tout cela est-il dû si ce n'est à la fin de toute autonomie populaire, de cette morale qui savait ce qu'est une limite, de cette humilité qui acceptait la condition humaine dans toute sa tragédie : savoir tomber malade, savoir mourir, vivre pauvrement (pas dans la misère comme aujourd'hui). Tout cela a été balayé par la centralisation du pouvoir et l'avènement de l'hubris - l'illimité - comme mode de vie dans la société marchande, véritables marques de la victoire de la bourgeoisie fasciste. L'anti-complotisme n'est jamais qu'un de ces dispositifs de maintien de l'ordre, cet ordre qui prend aujourd'hui la forme d'une dictature sanitaire dans laquelle nous continuerons de tomber malade et de mourir mais dans la domination et le mal-être d'individus qui ne savent plus qui ils sont. Voici l'avènement de la désolation totalitaire.

Christophe Hamelin






(1) Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome 2, Garnier-Flammarion, Paris, 1981, p.386.
(2)Didier Desormeaux, Jérôme Grondeux, Le complotisme : décrypter et agir, éditions Canopé, coll. Éclairer, 2017, 128p. Voir également https://www.reseau-canope.fr/les-valeurs-de-la-republique/le-complotisme-dans-lhistoire-lhistoire-face-au-complotisme.html   
(3) Benito Mussolini, La doctrine du fascisme, Kontre-Kulture, St Denis, 2020, p.31.
(4) Adolphe Hitler, Mein Kampf - Mon devoir, Nouvelles Éditions Latines, Paris, p.54.
(5) Benito Mussolini, op. cit., p.14.
(6) Ibidem, p.17.
(7) Karl Marx – Friedrich Engels, L'idéologie allemande, Paris, Éditions Sociales, 1976, p. 44.