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Quand le Maître de forge était maître de fait de la paroisse

Démarré par JacquesL, 20 Février 2007, 01:43:47 PM

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JacquesL

Extraits de cahiers de doléances de 1789.


Les cahiers de doléances des paroisses de Chailland, Olivet, Le Bourgneuf-la-Forêt (où l'on extrayait du minerai pour Chailland et Port-Brillet) disent le particularisme des petites communautés fermées qui vivaient des forges et des forêts, toutes perdues dans les terres, loin des agglomérations et des routes. Un particularisme que la Révolution n'a évidemment pas créé si, politiquement, elle le canalisa dans une attitude anti-chouan. Et pour longtemps. Passant peu avant 1914 à Port-Brillet, le voyageur Ardouin-Dumazet y entend encore les habitants se traiter de Bleu ou de Blanc. « Le Bleu a une nuance libérale, sa famille a été républicaine, impérialiste ou orléaniste. Le Blanc, c'est le légitimiste intransigeant... Il faut avoir eu des Chouans authentiques dans sa famille, de ceux qui ont couru les bois de Misedon et du Pertre à la chasse aux Bleus, et fait le coup de feu avec les forgerons du Port-Brillet ».
Les cahiers furent rédigés en mars 1789, à la fin d'un des hivers les plus rudes du siècle, au plus profond d'une crise de subsistances qui accumulait les pauvres et les mendiants. Celui de Chailland, que son rédacteur limite aux problèmes locaux, trait significatif des mentalités, présente le tableau saisissant, écrit il est vrai au vitriol, d'une communauté de forgerons.
« Article 1. Le nombre des pauvres est si considérable dans la paroisse, que sur 276 feux dont elle est composée (environ 1 300 habitants), notre charitable pasteur, en 1787, a distribué ses largesses à 183 chefs de famille.
« La paroisse est en très mauvais fonds, garnie de fougères et bruyères, parsemée de landes, de montagnes, de pierres, cailloux et rochers de forme prodigieuses. On y compte jusqu'à 1 200 journaux (environ 480 hectares) de mauvais taillis, 1 100 journaux de landes particulières de 4 à 500 journaux de landes communes (soit au total 1 000 hectares de landes). Tout ce vaste terrain, qui ne produit rien, et dont on ne peut tirer aucun parti, se trouvant répandu dans les différents cantons de la paroisse, assure bien la mauvaise qualité du sol. La chaleur, en été, fait périr les semences des pièces labourables sur les montagnes ; le froid et les eaux détruisent les ensemencés dans les vallons, ainsi les récoltes ne donnent en tout temps que de faibles espérances. Les gorges des montagnes étant fort étroites, les parties pliasses sont de faible étendue, et le foin est fort rare ; on ne peut donc avoir que les bestiaux nécessaires au labourage. Il ne se fait aucun commerce dans la paroisse. Les calamités des temps passés, les épidémies sur les habitants, la mort des principaux cultivateurs, les pertes des bestiaux, la surcharge des impôts, la pauvreté quasi universelle des habitants ont occasionné un découragement total ; à peine y compterait-on dix laboureurs qui cultivent leur ferme convenablement. La force manque. La détresse accompagne cet assoupissement léthargique sans espoir de s'en relever. Le propriétaire, épuisé par les avances qu'il a faites à son colon (son métayer), se trouve lui-même dans la gêne. Fatigué des pertes qu'il a essuyées lui-même par la mort ou par l'évasion de son colon, il ne tire de son fonds que ce que l'effet du hasard, si l'on peut s'exprimer ainsi, peut lui procurer. II n'y a donc plus de ressource que dans la diminution des impôts.


A suivre.

Extrait de "le fer contre la forêt", de François Dornic. Ouest France Université.


«Il est vrai que 5 à 600 hommes, au service de la forge, ne sachant faire autre chose que leur ouvrage habituel, qui souvent n'est que momentané, sont autant de sangsues qui portent la disette partout. C'est un feu sourd qui brûle insensiblement et consume la terre sous la bruyère.
« Article 2. Il y a dans la paroisse deux forges à fer (Chailland et Villeneuve), qui portent un préjudice notable et à l'agriculture et au commerce. Quand on n'a pas vu de près les opérations préalables à la fabrication du fer, on se persuade sans peine qu'une telle manufacture suffit pour vivifier et répandre l'aisance dans le canton où elle est située. Elle produit considérablement au roi (allusion aux droits sur les fers), elle enrichit la nation, qui vend à l'étranger l'excédent de la consommation du royaume, les directeurs de ces sortes de manufactures (les maîtres de forges) font presque tous des profits immenses. Tous ceux qui les approchent doivent en faire aussi à proportion, et toute une contrée doit s'en ressentir. Voilà comme on juge ordinairement, et voilà aussi comme on tombe dans l'erreur.
«Il n'en est pas de la manufacture du fer comme des autres manufactures. Les toiles, par exemple, ne parviennent au négociant en gros qu'après que la matière première a été mise en oeuvre par différentes mains qui, outre le prix de leur travail, ont fait un profit dessus. Le laboureur, après avoir cueilli son lin et mis à part sa provision, vend le surplus à celui qui n'en a pas, l'un et l'autre le préparent pour être filé par leurs femmes et leurs enfants. L'hiver est ordinairement le temps où ils se livrent à ce travail, le fil est ensuite vendu au fabricant, qui, l'ayant mis en oeuvre, vend la toile au négociant. On conçoit aisément qu'un pareil commerce peut enrichir tous ceux qui le font avec diligence, ou du moins écarter du pays l'affreuse indigence.
«La marche d'une manufacture de fer est très différente. Toute les matières nécessaires à la fabrique appartiennent au directeur. Le service de la forge occupe environ 500 personnes et environ 400 chevaux, les uns tirent la mine, les autres coupent le bois, ceux-là font le charbon, ceux-ci le voiturent ainsi que la mine, et les derniers font le fer. Ce sont tous gens à la journée ; tant fait tant payé. Tout autre travail leur étant pour ainsi dire étranger, ils dépendent absolument du maître de forges, qui est le centre unique où vont aboutir tous les gains qui peuvent résulter de la manufacture. Aussi vit-il seul dans l'opulence, et la misère la plus noire est le partage de presque tous ceux qui travaillent pour lui.
« Il faudrait être sur les lieux pour se faire une idée fidèle de la position de ces mal-heureux dont, les trois dernières années, nous avons vu jusqu'à 183 chefs de famille demandant l'aumône, et presque tous gens au service de la forge. Si du moins leur détresse n'était à la charge de la paroisse que par les secours que la charité compatissante leur accorde en leur faisant du bien, on les plaindrait encore. Mais il en est tout autrement. Cette classe d'hommes se ressent des lieux sauvages qu'elle habite, et leur caractère grossier aiguillonné par le besoin les porte à toutes sortes d'excès.
« Sans sentiments comme sans propriété, ils ne se contentent pas d'exercer leur brigandage en cachette, ils ravagent les jardins et vergers en plein jour et à main armée. Ils ne font pas de difficulté de garder à bâton planté quinze ou vingt chevaux dans un pré, même à la veille de la fauche, ni dans un champ d'avoine ou de trèfle, qui souvent est l'unique ressource du cultivateur pour la nourriture de ses bestiaux. On pourrait en citer plusieurs exemples, tous récents. On redoute si fort leur voisinage qu'un bon laboureur ne veut point d'exploitation dans leur canton et qu'un propriétaire est forcé quelquefois de l'affermer au moins malhonnête d'entre eux, avec un préjudice considérable.
« Il est bien d'autres dommages que les forges occasionnent à une paroisse : chasse, la récolte étant encore pendante, pêche, avant la coupe de foins ; entretien des chemins uniquement destinés à la voiture de la mine et du charbon ; appât toujours tendu au premier cultivateur dans les voitures, qui se font à l'insu et au détriment du propriétaire (allusion à la contrebande du sel) ».


A suivre.


Sur la misère ouvrière, le cahier de la paroisse d'Olivet, siège des forges du Port-Brillet, lequel ne sue pas la peur et la haine, rejoint celui de Chailland. « Les manants et habitants sont très pauvres, et la majeure partie ne sont que des ouvriers occupés aux travaux de la forge du Port-Brillet, appartenant au seigneur duc de La Trémoille, et qui ne gagnent journellement que huit sols l'hiver et dix sols l'été, cela n'est pas suffisant pour nourrir et entretenir très souvent des ménages composés de huit ou dix personnes. Ils sont réduits, la majeure partie du temps, à mendier. Ce qui fait que ces malheureux ne peuvent vivre aisément, c'est que notre paroisse est beaucoup marécageuse, y ayant beaucoup de fonds, de landes et étangs appartenant au seigneur de La Trémoille, de sa forge du Port-Brillet ».
Le cahier du Bourgneuf-la-Forêt, lieu d'extraction de minerai, n'est pas moins sombre. Il s'étend d'abord, comme font Chailland et Olivet, sur la stérilité du terrain et l'étendue des landes. « Indépendamment des pauvres colons, il y a dans cette paroisse beaucoup d'autres pauvres attirés par l'atelier des mines à fer, qui attirent quantité d'étrangers... Ils tombent à la charge du public, sans que jamais les martres de forges, qui ont tout le profit, aient donné un liard pour aider à soutenir ces misérables. De là quantité de huttes, qu'on construit dans des carrefours et endroits perdus, qui ressemblent à des coupe-gorges ». Suit la dénonciation, comme dans la quasi-totalité des cahiers de la région, du dégât causé par les faux sauniers et agents de la gabelle, de la fainéantise des faux sauniers, des vols et des meurtres qui peuvent se commettre.



Extrait de "le fer contre la forêt", de François Dornic. Ouest France Université.