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Quand deux sommités niaisent à plein tubes.

Démarré par JacquesL, 05 Mars 2009, 02:42:47 PM

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JacquesL

On ne soulignera jamais assez la responsabilité de l'éditeur, en matière de vulgarisation scientifique. Bien trop souvent, celui-ci se conduit en margoulin, irrespectueux envers son public, et se contente de lui resservir ce qui s'est déjà bien vendu.

A sa décharge, bien vulgariser est difficile... Difficile, en ne partant que de la culture du journaliste ou de l'éditeur, de ne pas se laisser bluffer par l'argument d'autorité. On a même quelques collègues qui tempêtent contre toute vulgarisation, puisqu'elle dispense le public des efforts et du travail. Ils poussent le bouchon bien trop loin, mais le problème de la bonne place de la vulgarisation reste entier.

Ainsi on a eu droit à xx versions réécrivant le même vagissement plaintif de Bernard d'Espagnat et de son "réel voilé". Du moment que ça se vend, l'éditeur en re-réclame à un auteur aussi épuisé que le maréchal Pétain... Mais il n'y avait aucun contenu physicien nouveau, si tant est qu'il y eût du contenu physicien au départ, ce dont personnellement je doute. La réalité microphysique "n'en a rien à branler" de nos état d'âme, de nos poignants sentiments de cruelle incertitude... Par argument d'autorité que personne n'a le cran de descendre en flammes, Niels Bohr et Eugen Wigner ont joué le plus sale des tours à la postérité, quand ils ont mis l'observateur macroscopique humain et ses états d'âme au centre du tableau. Et c'est toujours enseigné... Il n'y a pas de physique là dedans, il n'y a que de l'autothéorie transféro-transférentielle, de la fuite derrière les mots creux.

Charpak et Omnès se vendent bien, donc Odile Jacob nous en ressert, et c'est consternant de malhonnêteté et d'incompétence, pour ne pas dire pis, ce "Soyez savants, devenez prophètes", de Georges Charpak et Roland Omnès.

Pour l'essentiel, ils sont hors de leur domaine de compétence. Bien sûr, ils ont le droit de prendre ce risque. Nous prenons tous des risques, gens des sciences dures, quand nous traitons d'histoire des sciences et de leur insertion dans les affaires politiques des royaumes : nous ne sommes pas historiens, pas sociologues, nous n'avons pas eu le temps de chercher toutes les sources et d'en faire la critique comparée. Avons-nous tort de prendre ces risques ? Non, parce que les historiens de profession n'ont pas nos compétences pour tout comprendre de l'histoire des sciences. La coopération et le dialogue interprofessionnels sont donc indispensables.

Et là, ces deux sommités se sont-elles fait contrôler par un historien qui puisse les interrompre et leur dire de refaire leur copie ? Non.
Ils se sont fait plaisir à deux, pour composer leurs contes de fées, et se prétendre qu'ils allaient jouer là un rôle social salvateur.
Le rôle de l'éditeur était de leur crier casse-cou, mais elle ne la pas fait.

Et dans leur spécialité, au moins, la quantique ? C'est tout aussi consternant.
Voici une pièce à conviction parmi d'autres, la figure page 87 :


en résolution propre à l'écran.
Si vous voulez la résolution maximale, enlevez le R majuscule.

Et tout le reste est à l'avenant.

Evidemment, on peut argumenter qu'ils ont été trahis par leur dessinateur, tout comme Olaf Magnus a été trahi par son dessinateur qui, lui, n'avait jamais vu en Italie de skis des lapons et des suédois.

Alors voici la suite :



Et le texte, qui vaut son pesant de cacahouètes :
CiterLa particule est lâchée, cette fois avec une certaine vitesse et les clones se dispersent à nouveau, se cognent contre le mur et rebondissent un certain nombre de fois jusqu'à ce qu'ils sortent par une des portes et se répandent en zigzag à travers la place.

Or, vous avez chez vous, dans votre salon, la contre-expérience : le canon à électrons de votre téléviseur. Si la physique des électrons était tortillonnante comme ces deux sommités vous l'ont expliqué, aucun téléviseur n'aurait jamais pu fonctionner, aucun oscilloscope cathodique n'aurait jamais pu fonctionner, aucun microscope électronique n'aurait jamais pu fonctionner, aucune des machines graveuses de microprocesseurs qui fabriquent les circuits de toute l'électronique actuelle, n'aurait jamais pu fonctionner, aucun accélérateur d'électrons, ni le synchrotron de l'ESRF n'auraient jamais pu fonctionner, aucun écran radar n'aurait jamais pu fonctionner, etc... Peut-être on aurait pu sauver les triodes, tétrodes et pentodes, peut-être, peut-être aurait-on pu sauver les tubes générateurs de rayons X auxquels nous devons une large partie de la médecine et toute la radiocristallographie, peut-être avec beaucoup de chance, et en changeant la géométrie des anticathodes, mais c'est toute l'architecture de la collimation du faisceau X qui serait très différente, etc...

Mais alors pourquoi ces deux sommités vous ont-ils asséné de pareilles énormités ? Parce qu'ils sont sûrs que vous n'êtes pas de niveau pour pouffer de rire devant leurs supercheries. Ils sont sûrs de ne pas être pris la main dans ce pot de confiture. Leur vertu scientifique est tout aussi folâtre que la vertu tout court de Dorabella et de Fiordiligi : elle dépend du regard des autres et du qu'en dira-t-on.
Cosi fan tutti !

Oui, pourra-t-on objecter, Mais à l'extérieur de l'enceinte, leurs électrons volent en ligne droite, conformément à l'optique connue ; ce n'est qu'à l'intérieur de l'enceinte mystique qu'ils ont un comportement mystique et farfadique ! Donc comme cela, il y aurait à nouveau deux physiques, comme avant Galilée et Kepler : une physique terrestre, connaissable expérimentalement, et une métaphysique céleste, accessible aux seuls théologiens... Admirez le progrès !

Admirez l'autre victoire de la théologie : en dehors de l'enceinte, leurs électrons demeurent des corpuscules, mais persistent à obéir aux lois de l'optique, avec franges d'interférences... Oui, mais c'est mystique, ce qui prouve encore une fois la supériorité du théologien sur le profane...

Quand ils calculent dans le cadre de leur métier, ces deux sommités emploient le formalisme standard, qui, ouf, demeure ondulatoire et déterministe. Mais quand il s'agit de se faire mousser, et de duper le public, qu'il s'agisse des étudiants ou du grand public, les contes de fées reviennent immédiatement :
La "particule" redevient clairement un corpuscule, avec trajectoire définie, sauf que pour faire hasardeux, la trajectoire se tortille vers toutes  les directions, afin d'être la plus longue possible.

Ils expliquent que c'est comme cela qu'ils ont compris Feynman et le principe de moindre action. Or dès 1924, un certain Louis Victor de Broglie avait fait l'union entre le principe de moindre action de Hamilton (en mécanique) avec le principe de Fermat (en optique) : si toute "particule" est ondulatoire, alors le trajet de moindre action est aussi celui qui est isophase, où tous les trajets voisins au premier ordre, arrivent en phase, au premier ordre au moins.
Exception à cet énoncé simplifié : si deux ou plus de deux branches de trajet non simplement connexes sont simultanément empruntées par le quanton (photon, électron, atomes d'hélium neutre, fullérène, molécule d'insuline, etc.) alors ce qui compte est d'arriver en phase, à une ou plusieurs périodes près. Depuis Young et Fresnel, cela s'appelle des interférences.

Visiblement, Omnès et Charpak oublient les apports de Broglie, vieux d'octante ans au moment où ils écrivent, sans doute bien trop récents pour eux... Ah oui, mais depuis le coup d'état de 1927, il n'y a plus en physique que des vainqueurs et des vaincus, et comme Broglie et Schrödinger furent vaincus en 1927, au congrès Solvay, leurs résultats sont passés au Trou de Mémoire par les vainqueurs... L'équation de Schrödinger est soigneusement dé-Schrödinguérisée, entre autres : le terme périodique de sa solution disparait au tout début des manuels après une fugitive apparition limitée à une seule ligne.
Et puis dans la foulée, Omnès et Charpak oublient les apports de la physique du début du 19e siècle, les Thomas Young et Augustin Fresnel déjà cités.

A leur décharge, Feynman aussi l'avait oublié. Jeune étudiant en Licence d'ancien régime, j'étais en 1964-1965 de ceux qui se jetaient en B.U. sur les Feynman tout nouveaux, et encore jamais traduits. Comme tous les autres, j'étais fasciné par la conférence spéciale sur le minimum d'action.

Je ne suis plus un jeune débutant, et la faille me saute aux yeux : ce principe de moindre action reste un miracle mathématique tant qu'on ne le rattache pas à l'optique des ondes brogliennes. Il devient alors une évidence physique, simple prolongement des travaux de Christiaan Huyghens au 17e siècle.


J'insiste pour les débutants : "Quantique", ça désigne "périodique et ondulatoire", tout en le cachant au maximum.
C'est juste codé ainsi pour éviter que vous compreniez quelque chose d'aussi simple. Pourquoi ce codage secret ? Pour que la frontière entre "Nous les initiés qui savons" et "Vous les profanes qui ne savez pas" reste bien étanche.

Le même collègue, chercheur à Jussieu, qui plus haut tempêtait contre la vulgarisation (il est irrité par les cranks qui nous bassinent sur Usenet), m'oppose volontiers l'argument suivant : "Oh ! Mais je connais un physicien de haut niveau qui ne fait pas la confusion que tu dénonces ! Donc personne ne pratique cette confusion dans l'enseignement, voyons !"

Voilà, on a désormais la preuve imprimée que même des physiciens de haut niveau, dont l'un est prix Nobel, pratiquent et enseignent des confusions que je déplore depuis pas mal d'années. Alors des profs d'IUFM, j'vous raconte pas...



--
La science diffère des autres modes de transmission des connaissances:
nous croyons que les experts sont faillibles, que les connaissances
transmises peuvent contenir des fables et erreurs, et qu'il faut prendre
la peine de vérifier, par des expériences.
http://jacques.lavau.deonto-ethique.eu/Quantique_pour_les_nuls.html

JacquesL

#1
Bon, on tient le coupable premier. Hélas, c'était bien Feynman lui-même.
L'article original de 1948 : "Space-Time approach to Non-Relativistic Quantum Mechanics", occupe les pages 321 à 341 du recueil par Julian Schwinger "Selected Papers on Quantum Electrodynamics", Dover ed.
La mauvaise nouvelle est que les loupes sont indispensables pour lire : c'est vraiment imprimé très réduit.
Les hypothèses de Feynman ne sont pas explicitées et sont soigneusement ensevelies sous le formalisme lagrangien. En fait le mérite de Taylor, Vokos et O'Meara est justement de les avoir mises en évidence, et là seulement leur irréalisme saute aux yeux.
CiterThis fundamental and underived postulate tells us that the frequency f with which the electron stopwatch rotates as it explores each path is given by the expression : [tex]f=\frac{KE-PE}{h}[/tex].
Or cette fréquence, explicite chez ces auteurs - merci à eux -, implicite chez Feynman, est totalement fictive, immensément variable, et des millions voire des milliards de fois inférieure à la fréquence réelle, intrinsèque. Or Feynman, interné dans la pensée de groupe issue de la meute de Copenhague, était persuadé que l'onde électronique était fictive, juste un magique artifice de calcul : corpusculistes, ils croyaient aux corpuscules, juste dotés de pouvoirs magiques. Fréquence fictive et irréaliste pour une onde supposée fictive... Le résultat est que les trajets imaginables par Feynman et ses lecteurs étaient bien trop mous et peu exigeants, et que leurs calculs devaient embrasser des espaces gigantesques pour un résultat parfaitement nul. Pas étonnant qu'ils se soient battus avec des intégrales toutes divergentes, bien que condamnées à donner zéro...

Finalement les tortillonnasses de Charpak et Omnès ne sont que les symptômes poussés au delà des limites de l'absurde, d'une maladie collective.
En voici d'autres preuves, fournies paraît-il par Hawking et Mlodinow :
CiterI am just inhaling "The Grand Design" and am stuck in the chapter on the "buckyballs" double slit experiment.

The authors say that in case of the experiment, a particle may take any possible way ("
perhaps to Jupiter and back"), which then Feynman depicts as adding vectors to a result vector (as I understand).

However, I wonder how this can be real, as the buckyball (or photon) has a definite speed s (or c) on the result vector path. But in case the particle takes the path to "Jupiter and back" the length of the path it has taken cannot fit the speed of the particle on the result vector, resulting in the (presumably false) supposition, that it had a speed greater than s (or c).

Un électron réel ou un neutron réel ont des propriétés bien plus contraignantes que celles postulées par ce genre d'auteurs.

Voici deux illustrations scannées du Greiner :



Walter Greiner. Quantum Mechanics, special chapters. Springer Verlag 1989. Chapitre 13.1 Action Functionnal in Classical Mechanics and Schrödinger's Wave Mechanics.
Lui non plus n'explicite pas la fréquence fictive utilisée par Feynman. Et là sont dessinées des tortillonasses en guise de trajectoire.



Cet irréalisme total découle du choix initial fait par Feynman d'une "onde fictive", à l'horloge fictive, où il confond vitesse de phase et vitesse de groupe.
Mais bon, il avait été élevé en tribu corpusculariste...

JacquesL

Quant à Joseph Louis Lagrange, qui travaillait au 18e siècle, on lui pardonnera volontiers d'avoir élaboré un formalisme non relativiste.

Richard Feynman est moins pardonnable d'être retourné au formalisme lagrangien, non relativiste donc, qui lui donnait une fréquence donc des contraintes de Huyghens et de Fermat totalement irréalistes, si contraires à l'expérience.
C'est la conséquence d'avoir été élevé chez les corpuscularistes.

JacquesL

#3
Jusqu'à hier, j'ignorais le secret de Bernard d'Espagnat, pour ainsi rater tout ce qu'il touchait en physique, tout en faisant faire de bons bénéfices à ses éditeurs : C'était un mystique, probablement catho. Partageant ce mysticisme, Sylvain Rakotoarison a ainsi livré le secret :

http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/bernard-d-espagnat-une-pensee-171855

CiterBernard d'Espagnat, une pensée quantique complexe
« Déjà la physique classique nous apprenait qu'alors que le caillou est pour nous le symbole du "plein", il est, en fait, principalement constitué de vide (le vide entre les noyaux et les électrons). Mais la non-séparabilité nous laisse entendre qu'à rigoureusement parler il n'existe même pas en qualité d'être distinct. Que son "état quantique" est "enchevêtré" (c'est le mot technique) avec celui de tout le reste de l'univers » ("Traité de physique et de philosophie", 2 avril 2002).


Les mots sont venus de Roger Balian (82 ans), son ancien collègue, membre de l'Académie des sciences, chercheur au CEA et professeur à Paris XI-Orsay, lorsqu'il fut reçu à l'Académie des sciences morales et politiques : « une pensée complexe, exhaustive, extrêmement nuancée ». Bernard d'Espagnat, physicien et l'un des rares philosophes de la physique quantique, s'est éteint le 1er août 2015 à Paris à trois semaines de ses 94 ans.

Je n'ai jamais eu l'occasion de le rencontrer mais j'aurais été ravi de l'écouter en conférence. J'avais été passionné par les idées qu'il exprimait au début des années 1980, à l'époque où une expérience qu'il avait contribué à mettre en place allait prouver physiquement l'intrication quantique, remisant l'hypothèse des variables cachées locales imaginée par Albert Einstein (1879-1955) aux oubliettes de la science. Le triomphe par chaos (et pas par K.O. !) de Niels Bohr (1885-1962) !

Pour lui rendre hommage, il est extrêmement périlleux de parler de manière pertinente de la pensée très complexe de Bernard d'Espagnat. Heureusement, il a tenu de nombreuses conférences, a écrit de nombreux ouvrages très rigoureux, très soucieux d'être intelligible, pour pouvoir efficacement diffuser ses travaux.

Au départ, Bernard d'Espagnat, né le 22 août 1921 à Fourmagnac, amoureux de la poésie, être très sensible, fut passionné par la géométrie et les sciences en général. Parce qu'il ne savait pas quoi faire, il a poursuivi ses études à l'École Polytechnique en 1942. Dès le début de son existence, il a montré qu'il n'était attiré ni par l'argent ni par le pouvoir : « Les affaires politiques sont toujours des affaires à court terme, alors que moi, je pense à long terme. » (Reuters, 17 mars 2009). Son jugement sur la société actuelle était sévère, au point d'évoquer ainsi la crise financière du 15 septembre 2008 : « C'est un symptôme de gens qui se sont trop excités sur la façon de gagner de l'argent, encore et toujours. S'ils avaient su qu'il y a des problèmes plus importants, plus fondamentaux, peut-être que les choses se seraient passées différemment. » ("La Tribune" du 5 mai 2009).




À l'X et à l'Institut Henri Poincaré, puis au CNRS où il fut chargé puis maître de recherches (de 1947 à 1957), Bernard d'Espagnat a rencontré deux professeurs. L'un, Louis de Broglie (1892-1987), qui lui enseigna les premiers rudiments de la physique quantique (très peu diffusée en France à l'époque) par son cours d'optique électronique. Hélas, ce chercheur exceptionnel n'était pas très bavard et aucune discussion ne s'est amorcée. L'autre, Louis Leprince-Ringuet (1901-2000), a compris que son élève était passionné par la physique quantique et par sa signification philosophique. Il l'a alors introduit, d'abord auprès d'Enrico Fermi (1901-1954) à Chicago (1951 à 1952), mais ce fut une déception, aucune discussion vraiment philosophique ne fut possible car l'esprit de Fermi était tout entier dans la conception d'un nouvel accélérateur de particules, ensuite après du maître lui-même, Niels Bohr, à Copenhague (1953 à 1954), mais Bernard d'Espagnat se sentait trop jeune pour initier une réelle discussion philosophique avec le concepteur de l'interprétation de Copenhague : « Bohr était à l'époque obsédé par la dissémination de l'arme nucléaire. Il accrochait par le revers du veston tous les diplomates qui passaient par là, et qui n'y connaissaient rien. » ("La Recherche" n°298 de mai 1997).

En fait, les prédictions de la physique quantique fonctionnaient très bien et on se moquait un peu de savoir pourquoi. Ce n'était, pour la plupart des physiciens, que spéculations intellectuelles sans beaucoup d'intérêt. Ce n'était pas l'avis de Bernard d'Espagnat qui a réussi à trouver sa pleine mesure lorsqu'il a contribué à l'accélérateur du CERN (Centre d'étude et de recherche nucléaire) à Genève comme physicien théoricien (1954 à 1959). Très rapidement, il s'est investi dans la classification des particules élémentaires, et a même pressenti l'existence du quark.

Professeur à la Faculté des sciences de Paris (1959 à 1987) et chercheur à Orsay, où se trouve encore aujourd'hui l'excellence de la physique française, Bernard d'Espagnat est parvenu à faire financer une thèse pour départager de manière expérimentale Bohr et Einstein. Il était aidé de John S. Bell (1928-1990), qui avait posé son théorème et ses inégalités de la théorie des groupes en 1964 et qui avait lu avec intérêt le livre "Conceptions de la physique contemporaine" de Bernard d'Espagnat sorti en 1965. Avec de telles inégalités, il était possible de concevoir un dispositif expérimental pour savoir si les particules étaient séparables ou pas (intriquées). Bernard d'Espagnat, John Bell, Olivier Costa de Beauregard (1911-2007) et Abner Shimony (1928-2015) définirent cet essai (ce fut l'expérience d'Alain Aspect réalisée entre 1980 et 1982 à l'Institut d'optique à Orsay pour son doctorat d'État, j'y reviendrai peut-être plus tard). Or, contrairement à ce que John Bell croyait, l'expérience a donné raison à Bohr : la physique quantique ne pouvait pas décrire fidèlement la réalité, juste proposer des prédictions de phénomènes.

C'est fort de cet enseignement (à mon sens, l'un des plus grands progrès de la pensée humaine des cinquante dernières années) que Bernard d'Espagnat s'est forgé cette idée de "réalité voilée", qu'il existait bien une réalité mais qu'il était impossible de l'observer sans la bousculer.

Cette pensée donnait donc la trame d'un élément transcendant qui échapperait aux individus, qu'on pourrait appeler Dieu ou tout autre chose : « Je crois simplement à une réalité indépendante, à l'existence d'une réalité première par rapport à l'esprit humain, mais que celle-ci ne soit pas pleinement connaissable ne me chagrine pas outre mesure. Bell a été déçu, et Einstein l'aurait été. Je pense quant à moi que l'être humain a besoin d'un horizon, attirant mais inaccessible. Le réel voilé est un tel horizon, et j'admets mal que l'on me dise assoiffé de brumes et de mystères. » ("La Recherche" n°298 de mai 1997). Il l'a reformulé quelques années plus tard ainsi : « Dans mon travail, je prétends qu'on n'arrivera jamais à décrire exactement les choses telles qu'elles sont. La physique est limitée à ne décrire que ce que nous voyons. Cela laisse donc la place à de nombreuses conjectures sur ce que nous ne voyons pas. » ("La Tribune" du 5 mai 2009). Bernard d'Espagnat a donné l'exemple de l'arc-en-ciel qui existe indépendamment de tout observateur mais qui a pourtant des propriétés qui dépendent de l'observateur. Les atomes et les particules, ainsi que les galaxies et les étoiles, existeraient de la même façon.

Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=ypBDwXD6hqw

Tout en dirigeant le Laboratoire de physique théorique et particules élémentaires de l'Université Paris XI-Orsay (1980 à 1987), Bernard d'Espagnat a enseigné la philosophie des sciences à la Sorbonne. Il a été un diffuseur des idées de Platon, de saint Augustin qui estimait que les sens nous trompent, et de Kant, idées mises à jour avec les dernières découvertes en physique quantique.

Il a été élu membre de l'Académie internationale de philosophie des sciences à Bruxelles en 1975 et membre de l'Académie des sciences morales et politiques à Paris le 25 mars 1996 dans la section Philosophie. Il a par ailleurs cofondé le Collège de Physique et de Philosophie et a également enseigné à Austin, au Texas (en 1977) et à Santa Barbara, en Californie (en 1984).




Il fut en outre le lauréat du prestigieux Prix Templeton le 13 mars 2009, pour son « exploration des implications philosophique de la physique quantique ». Ce prix, accompagné d'une somme d'argent très élevée (1,42 million de dollars), récompense "le progrès de la recherche dans le domaine des réalités spirituelles" (furent aussi lauréats notamment Mère Teresa en 1973, Frère Roger en 1974, Alexandre Soljenitsyne en 1983, Carl Friedrich von Weizsäcker, ancien Président de la République d'Allemagne, en 1989, le Dalaï-lama en 2012 et Mgr Desmond Tutu en 2013).

D'Espagnat a utilisé son prix en trois parts égales : une première pour promouvoir les études sur la théologie négative (décrire Dieu que par ce qu'il n'est pas), une deuxième pour aider les personnes sans domicile, enfin, une troisième pour adapter sa maison au handicap de son épouse qui voudrait tellement rester chez eux le plus longtemps possible. Quelques jours plus tard, il expliquait : « Le message [à faire passer à l'occasion du Prix Templeton] serait que le but dans la vie n'est pas de manger et boire, regarder la télévision, etc. Consommer n'est pas le but dans la vie. Gagner autant d'argent que possible n'est pas le vrai but dans la vie. Il y a une entité supérieure, une divinité, "le divin" comme on dit en français, qui mérite réflexion, comme le sont nos sentiments de plénitude, de respect et d'amour, si nous le pouvons. Une société sans laquelle ces sentiments son répandus serait plus raisonnable que la "société occidentale" actuelle. » (Reuters, 17 mars 2009).

Ses réflexions l'ont un peu éloigné de la communauté des physiciens qui séparaient ainsi le Bernard d'Espagnat physicien, à la rigueur scientifique incontestable, du Bernard d'Espagnat philosophe qui présentait des spéculations intellectuelles qui n'avaient rien de scientifique. Pourtant, sa rigueur intellectuelle n'a jamais pu être mise en défaut et il séparait bien les spéculations des choses prouvées : « L'un des inconvénients de la vulgarisation est de mettre sur le même pied ce qui est scientifiquement assuré et ce qui est conjectural. Pour l'heure, la matière noire est une énigme et les théories des cordes et des mondes parallèles de simples hypothèses. En revanche, le fait que la gravitation n'est qu'une déformation de l'espace-temps a été confirmé par nombre d'observations astronomiques et on peut dire que la totalité des physiciens et astrophysiciens le tiennent aujourd'hui pour assuré. » (Revue "Évangile et Liberté" n°201 d'août 2006).

Par pragmatisme, beaucoup de physiciens ignoraient les difficultés philosophiques suscitées par la physique quantique, en particulier l'immense théoricien Paul Dirac (1902-1984) qui pensait que la physique quantique ne serait qu'une étape et qu'une autre théorie la balayerait sans ce problème philosophique, mais des physiciens comme Erwin Schrödinger (1887-1961), célèbre pour avoir réalisé une expérience de la pensée avec un chat qui ne pourrait pas être à la fois mort et vivant, David Bohm (1917-1992) et Eugene Wigner (1902-1995) étaient intéressés par les conséquences philosophiques. Bernard d'Espagnat regretta d'ailleurs de ne jamais avoir rencontré Schrödinger.



Hélas pour Bernard d'Espagnat, son concept de "réalité voilée" fut très rapidement récupéré par un grand nombre de fantaisistes pour justifier leurs propres délires : « Être récupéré par des spirites ou par des aspirants à un prix du concours Lépine : Dieu ! Éloignez-moi de ce sort ! » ("Un Atome de sagesse", 1er mars 1982).

Mais sa pensée originale lui a quand même donné un petit air décalé avec son temps, ne connaissant pas la folle ronde de la mode et des médias : « On aura toujours des questions et les réponses ne seront jamais assurées. La société moderne fait fausse route en allant vers un matérialisme excessif, qui est dépassé par la science elle-même. C'est une fausse route dans laquelle sont engagés la plupart des gens et la vaste majorité des médias, en pensant que le rationalisme peut tout expliquer, et qu'on ira ainsi vers l'essence même du réel. » ("La Tribune" du 5 mai 2009).

Inlassable pédagogue et débateur, Bernard d'Espagnat avait tenu une conférence à l'Université Paris-Diderot le 22 mai 2012 (il avait alors 90 ans) sur : "Physique quantique et réalité, la réalité, c'est quoi ?" (qu'on peut retrouver en texte et vidéo ici). Inséparabilité et coïncidence, une semaine après la mort de Bernard d'Espagnat, le 8 août 2015, son collègue Abner Shimony l'a suivi dans le trépas : physicien américain spécialiste de la physique quantique et de la philosophie des sciences, il avait beaucoup travaillé sur les inégalités de Bell et sur l'intrication quantique.



Laissons à Bernard d'Espagnat le mot de la fin.

« Le réel est lointain, cela est indéniable. Question suivante : est-il physique ou non-physique ? J'entends : est-il dans sa totalité descriptible, au moins en droit, par le moyen d'une science exacte (et, de préférence, unifiée) ? La science, en d'autres termes, peut-elle viser une réalité en soi ? Peut-elle espérer devenir un jour une ontologie ou, plus précisément, l'ontologie ?

Répondront oui sans réfléchir beaucoup d'hommes de science pour qui est impensable toute réponse plus nuancée. Répondront également par l'affirmative beaucoup d'esprits qui, avec Descartes, estiment assurément que la science construit ses concepts mais qui (toujours avec Descartes, même s'ils ne le suivent pas en ses raisons) considèrent qu'en définitive ces construits décrivent ce qui est.

Cette attitude est raisonnable et naturelle et je ne l'attaque pas a priori. Mais je me penche sur la physique fondamentale telle qu'elle existe aujourd'hui, celle des atomes et des particules. Entrant dans le détail du formalisme mathématique qui la sous-tend, je le vois tout entier fondé sur les notions de "préparation des systèmes" et de "mesure des observables". J'observe que ces bases sont anthropocentriques. Je cherche si quelqu'un a réussi à les remplacer par d'autres qui ne le seraient pas. Je constate qu'aucun essai fait dans ce sens n'est convaincant. Et je pense donc pouvoir conjecturer que la physique fondamentale ne saurait décrire fidèlement une quelconque réalité en soi. En d'autres termes, le réel en soi, qui a bien un sens, est voilé : du moins je le crois. » ("Un Atome de sagesse", 1er mars 1982).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 septembre 2015)


Article pas inutile, car l'outrance citée "Univers enchevêtré" a fait sauter le bouchon qui m'arrêtait. Lors de chaque pause stationnaire où un électron se thermalise avec le restant du cortège de l'atome, de la molécule, de la macromolécule ou du cristal, le bruit de fond broglien réalise le déchevêtrement au sens ordinaire, qui nous était intellectuellement difficile à concevoir. Idem pour les nucléons qui se thermalisent à vitesse foudroyante dans un noyau.