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COMPRENDRE LA RUSSIE Par Dimitri Orlov

Démarré par JacquesL, 30 Avril 2015, 05:44:47 AM

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JacquesL

COMPRENDRE LA RUSSIE

Par Dimitri Orlov
http://lesakerfrancophone.net/comprendre-la-russie/

CiterAspects particuliers du caractère Russe

Le dieu slave Zimnik :


? L'ancien dieu slave Zimnik:  un homme trapu, les cheveux longs couleur de neige, vêtu d'un manteau blanc, toujours pieds nus. Il porte un bâton de fer, avec lequel qui il peut geler instantanément tout être solide. Peut invoquer les tempêtes de neige, les tempêtes de verglas et les blizzards. Vagabondant partout, prenant tout ce qu'il aime, en particulier les enfants qui se conduisent mal.

De récents événements comme le renversement du gouvernement de l'Ukraine, la sécession de la Crimée et sa décision de rejoindre la Fédération de Russie, la campagne militaire qui en a résulté contre les civils d'Ukraine de l'Est, les sanctions occidentales contre la Russie, et plus récemment l'attaque contre le rouble, ont provoqué une phase de transition au sein de la société russe, qui est à mon avis très peu comprise, voire tout à fait incomprise en Occident. Ce manque de compréhension induit pour l'Europe un net désavantage en ce qui concerne sa capacité à négocier efficacement pour résoudre cette crise.

Bien qu'avant cette crise les Russes se satisfaisaient de se considérer comme un pays européen comme les autres, ils se sont maintenant souvenus qu'ils forment une civilisation particulière, avec des racines culturelles différentes (Byzance plutôt que Rome), une civilisation qui a fait l'objet d'efforts de destruction coordonnés de la part de l'Occident une à deux fois par siècle, que ce soit de la part de la Suède, la Pologne, la France ou l'Allemagne, ou de n'importe quelle combinaison des pays cités ci-dessus. Ceci a formé dans le caractère Russe un modèle d'attitudes particulières, qui est susceptible de conduire l'Europe et le reste du monde au désastre s'il n'est pas bien compris

A contrario de ce que vous pourriez penser, à savoir que l'influence culturelle de Byzance sur la Russie a été assez insignifiante, celle-ci est en fait assez fondamentale. Cette influence culturelle, qui apparut à l'avènement de la chrétienté orthodoxe, d'abord en Crimée (berceau du christianisme en Russie), puis à Kiev, capitale de la Russie (la même Kiev qui est aujourd'hui la capitale de l'Ukraine), permit à la Russie de faire un bond de géant de plus ou moins mille ans dans son développement culturel. Ces influences expliquent la nature opaque et lourdement bureaucratique de la gouvernance russe, que les Occidentaux, qui adorent la transparence (même si c'est seulement pour les autres), trouvent profondément agaçante, et bien d'autres choses encore. Les Russes aiment assez nommer Moscou la Troisième Rome – troisième après Rome et Constantinople – et ceci n'est pas vide de sens. Mais cela ne signifie pas que la civilisation russe est un produit dérivé ; certes, elle a réussi à absorber la totalité de l'héritage classique, perçu au travers d'une lunette typiquement orientale, mais son immense territoire nordique a transformé cet héritage en quelque chose de radicalement différent.

Ce sujet étant d'une immense complexité, je me concentrerai sur quatre facteurs que j'estime essentiels pour comprendre le changement dont nous sommes aujourd'hui témoins.

Gestion des offenses

Les nations occidentales sont nées dans un environnement dont les ressources étaient limitées et les pressions démographiques implacables, et ceci a déterminé dans une large mesure leur façon de répondre aux offenses. Pendant longtemps, alors que l'autorité centrale était faible, les conflits furent résolus par des batailles sanglantes, et même un affront minime pouvait amener des amis à devenir des ennemis mortels et à dégainer leur épée. Ceci parce que la clé de votre survie était de maintenir votre position.

En contraste, la Russie a émergé comme nation dans un environnement aux ressources pratiquement infinies, quoique largement répandues. Elle a aussi tiré des revenus de la route commerciale entre les Vikings et les Grecs, route si active que les géographes arabes crurent qu'il existait un détroit d'eau de mer reliant la mer Noire à la Baltique, alors que cette route était constituée de rivières avec un trafic important. Dans cet environnement, ce qui importait était d'éviter les conflits, ce qui fait que les gens qui dégainaient leur épée au moindre mot de travers avaient peu de chance de bien y survivre.

Ainsi émergea une stratégie de gestion des conflits tout à fait différente, qui a perduré jusqu'à nos jours. Si vous insultez, lésez, ou d'une façon ou d'une autre commettez du tort envers un Russe, il est peu probable que vous vous retrouviez dans une bagarre (sauf en cas de correction publique à titre d'exemple, ou un règlement de compte délibéré par la violence). Au lieu de cela, il est beaucoup plus probable que le Russe vous dise d'aller au diable, puis qu'il refuse toute interaction avec vous. Si la proximité physique empêche cela, il se peut qu'il pense à déménager, ou à partir dans n'importe quelle direction du moment que ce soit loin de vous. Cet acte verbal est si courant dans la pratique qu'il a été réduit à une monosyllabe  » Pshol ! « , ce qui au sens littéral équivaut à  » envoyer « . Dans un environnement où il y a une quantité infinie de terres libres où s'installer, une telle stratégie est parfaitement sensée. Les Russes vivent en sédentaires, mais lorsqu'ils doivent déménager, ils se déplacent comme des nomades, dont la méthode principale de résolution des conflits est le déménagement volontaire.

Ce réflexe d'entretenir une rancune pour toujours est un trait saillant de la culture russe, et les Occidentaux qui ne le comprennent pas ont peu de chance d'arriver au résultat désiré, ni même de le comprendre. Pour un Occidental, on peut réparer une offense en disant quelque chose comme  » excuse-moi ! ». Pour un Russe, cela ne sera que du vent, surtout venant de quelqu'un à qui on a déjà dit d'aller au diable. Une excuse verbale qui n'est pas accompagnée par quelque chose de concret est une de ces règles de politesse représentant une sorte de luxe. Il y a encore deux décennies, l'excuse russe de base était  » izviniàius « , ce qui peut se traduire littéralement par  » je m'excuse « . La Russie est aujourd'hui un pays beaucoup plus poli, mais les schémas culturels de base sont restés en place.

Bien que des excuses strictement verbales soient sans valeur, ce n'est pas le cas du dédommagement. Pour réparer les choses, il se peut qu'on doive se défaire d'un bien auquel on accorde de la valeur, ou que l'on doive prendre un engagement clair, ou annoncer un changement de cap net. Ce qui importe, ce sont des actes décisifs, et pas seulement des paroles, car passé un certain point, les mots ne peuvent qu'empirer la situation, l'amenant du stade va au diable au stade vraiment pas terrible je vais te montrer le chemin.

https://www.youtube.com/watch?v=8Mf3O5Znw5Q

Comment traiter les envahisseurs

L'Histoire de la Russie est remplie depuis fort longtemps d'invasions de toutes parts, et surtout de l'Occident, et la culture russe a développé un certain état d'esprit qu'il est très difficile de comprendre pour un étranger. Avant tout, il faut réaliser que lorsque les Russes combattent un envahisseur (et dans le cas de la CIA et du Département d'Etat US occupés à diriger l'Ukraine avec l'aide de Nazis ukrainiens, nous avons une invasion), ils ne se battent pas pour un territoire, ou du moins pas directement. En réalité, ils se battent pour la Russie en tant que concept. Et ce concept affirme que la Russie a été envahie à de nombreuses reprises, mais jamais avec succès. Dans l'état d'esprit russe, réussir à envahir la Russie implique de devoir tuer absolument tous les Russes et, comme ils aiment à le dire, « ils ne peuvent pas nous tuer tous« . La population sera rétablie avec le temps (elle avait baissé de 22 millions à la fin de la guerre 1939-1945), alors que le concept, s'il se perdait, serait perdu à tout jamais. Pour un Occidental, entendre les Russes parler de leur pays comme d'un pays de princes, de poètes et de saints ne fait aucun sens, mais c'est ce qu'il est – un état d'esprit. La Russie n'a pas une histoire, elle est son histoire.

Les Russes combattant pour le concept de la Russie plutôt que pour une portion quelconque de son territoire, ils sont toujours prêts à faire retraite – pour commencer. Lorsque Napoléon envahit la Russie, avec le plan de piller tout le pays sur son passage, il découvrit que ce pays avait été entièrement brûlé par les Russes faisant retraite. Lorsqu'il réussit à occuper Moscou, celle-ci fut également incendiée. Napoléon installa son campement quelque temps dans les environs, puis réalisant qu'il n'y avait plus rien à y faire (attaquer la Sibérie?) et que son armée allait mourir de froid et de faim si elle restait là, il entama une retraite précipitée et honteuse, finissant par abandonner ses hommes à leur sort. Au cours de cette retraite, une autre facette de l'héritage culturel russe se manifesta : chaque paysan de chaque village qui avait été incendié par l'armée russe en retraite était là, en première ligne, brûlant du désir d'avoir une chance d'abattre un soldat français.

De même, l'invasion allemande de la Deuxième Guerre mondiale commença par une avancée rapide et la prise d'une grande quantité de territoire alors que les Russes faisaient rapidement retraite en évacuant leur population, relocalisant des usine complètes et d'autres institutions en Sibérie, et réinstallant les familles à l'intérieur du pays. Alors l'avance allemande s'arrêta, devint une retraite, et finit en déroute. Le modèle standard se répéta, alors que l'armée russe brisait la volonté de l'envahisseur et que la plupart des habitants qui s'étaient retrouvés sous occupation refusaient de collaborer, s'organisaient en partisans et infligeaient un maximum de dommages à l'envahisseur en retraite.
Murmansk, 68°58?45?, pop. 300,000 January 12: first sunrise in 40 days Length of day: 38 minutes
Murmansk, population: 300.000. 12 janvier: premier lever de soleil depuis 40 jours, durée du jour 38 minutes

Une autre méthode russe de gestion des envahisseurs consiste à utiliser le climat pour qu'il fasse le travail. La manière russe habituelle de se débarrasser de la vermine dans une maison rurale est tout simplement de ne pas la chauffer; quelques jours à 40° sous zéro, et tous ce qui est cafards, punaises, poux, lentes, charançons, souris et rats meurt. Cela fonctionne aussi avec les envahisseurs. La Russie est le pays le plus septentrional au monde. Le Canada est très au nord, mais la majorité de sa population est localisée le long de sa frontière méridionale, et le Canada n'a pas de villes au-dessus du Cercle arctique, alors que la Russie en a deux. La vie en Russie, c'est un peu comme vivre dans l'espace, ou au milieu de l'océan. Il est strictement impossible de survivre à l'hiver russe sans la coopération des autochtones, ce qui fait que pour se débarrasser d'un envahisseur, il suffit de ne pas collaborer avec lui. Et si vous imaginez qu'un envahisseur peut obtenir cette collaboration en abattant quelques autochtones pour effrayer les autres, reportez-vous au chapitre précédent gestion des offenses.

Comment traiter avec les puissances étrangères

Les Russes possèdent pratiquement la totalité de la partie nord du continent eurasiatique, ce qui représente à peu près 1/6 de la surface des terres émergées. Selon les standards terriens, ça fait beaucoup de territoire. Ce n'est ni une aberration, ni un accident de l'histoire : tout au long de leur parcours les Russes furent résolument poussés à assurer leur sécurité collective par l'annexion du plus de terres possible. Si vous vous demandez ce qui les a entraînés dans cette expansion, reportez-vous au chapitre ci-dessus gestion des envahisseurs.

Si vous vous imaginez que des puissances étrangères ont régulièrement entrepris l'invasion et la conquête de la Russie dans l'objectif d'avoir accès à ses vastes ressources naturelles, vous vous trompez : ces ressources ont toujours été disponibles pour les demandeurs. Les Russes ne sont pas vraiment connus pour refuser de vendre leurs ressources naturelles – même à leurs ennemis potentiels. Non, ce que voulaient en fait les ennemis de la Russie était de pouvoir se procurer les ressources russes gratuitement. Pour eux, l'existence de la Russie était un inconvénient, qu'ils tentèrent d'éliminer par la violence.

Ce qu'ils obtinrent en lieu et place fut un prix à payer plus élevé après que leur tentative d'invasion avait échoué. L'équation est simple : les étrangers veulent les ressources russes ; pour les défendre, il faut à la Russie un état centralisé fort disposant de forces armées puissantes ; donc c'est aux étrangers de payer pour financer l'État russe et son armée. Par conséquent, la plupart des besoins financiers de l'État russe sont remplis par des taxes à l'exportation, surtout en ce qui concerne le pétrole et le gaz, plutôt que par des impôts levés sur la population russe. Après tout, le peuple russe est régulièrement taxé par l'obligation de se dresser pour combattre des invasions ; pourquoi rajouter des impôts en sus ? Ainsi, l'État russe est un état douanier ; il lève des impôts et des droits de douane pour obtenir des ennemis qui pourraient le détruire les fonds qui lui permettent de se défendre. Comme il n'y a pas de substitut aux ressources naturelles russes, plus le monde extérieur paraît hostile à la Russie, plus il lui faudra payer pour la défense nationale russe.

Veuillez noter que cette règle s'applique aux puissances étrangères, et non aux personnes étrangères. En quelques siècles, la Russie a absorbé de nombreux immigrants : venant d'Allemagne pendant la Guerre de Trente Ans, de France après la Révolution. Les flux migratoires récents viennent du Vietnam, de Corée, de Chine et d'Asie centrale. L'an passé, la Russie a absorbé plus d'immigrants que n'importe quel autre pays au monde, à l'exception des États-Unis, qui tentent de gérer un flux migratoire venant des pays situés le long de sa frontière sud, dont les populations ont été considérablement appauvries par la politique étrangère des mêmes États-Unis. En outre, les Russes parviennent à absorber ce flux important, qui inclut près d'un million de personnes venant de l'Ukraine ravagée par la guerre, sans trop de protestations. La Russie est une nation d'immigrants, bien plus que la plupart des autres pays, et un creuset de population bien plus important que les États-Unis.
Merci, nous avons les nôtres

Un autre trait culturel russe intéressant est que les Russes se sont toujours sentis motivés à exceller dans tous les domaines, du ballet au patin à glace et du football à l'exploration spatiale, en passant par la manufacture de composants électroniques. Vous pensez que le champagne est une création typiquement française, mais la dernière fois que j'ai regardé, le champagne soviétique se vendait à toute allure le soir du Nouvel An, non seulement en Russie mais également dans les magasins russes des États-Unis. Car voyez-vous, la version française est excellente, mais elle n'a pas un goût assez russe. Il existe pour tout ce que vous pouvez imaginer une version russe, que les Russes préfèrent généralement, et dont ils affirment parfois avoir été les inventeurs originels (la radio, par exemple, a été inventée par Popov, et non par Marconi). Il existe des exceptions, les fruits tropicaux par exemple, et on les accepte du moment qu'elles viennent d'une nation sœur comme Cuba. C'était le scénario à l'époque soviétique, et il semble qu'il ait tendance à se reproduire actuellement.

Au cours de la défunte période de stagnation Brezhnev/Andropov/Gorbatchev, l'innovation russe s'est effectivement arrêtée en même temps que tout le reste, et la Russie a perdu du terrain technologiquement par rapport à l'Occident (mais pas culturellement). Après l'effondrement soviétique les Russes sont devenus friands d'importations occidentales, ce qui est normal puisque la Russie n'a plus produit grand chose à l'époque. Puis, pendant la décennie 1990, apparut l'ère des marchands occidentaux important sur le marché russe des produits à bas prix, dans le but de détruire à long terme la production domestique et de transformer la Russie en un simple producteur de matières premières, la rendant ainsi sans défense en cas d'embargo et facilement susceptible d'abandonner sa souveraineté. Une sorte d'invasion par des moyens non militaires face à laquelle la Russie se retrouverait sans moyen de défense.

Ce procédé fonctionna à merveille avant de rencontrer quelques obstacles majeurs. En premier lieu, la manufacture russe et l'exportation de produits autres que les hydrocarbures se redressèrent, se multipliant par deux à plusieurs reprises en une décennie. Cette expansion incluait exportations de céréales, d'armes et de produits de haute technologie. En second lieu la Russie rencontra de par le monde beaucoup de partenaires commerciaux meilleurs, moins chers et plus amicaux. Cependant, le commerce russe avec l'Occident, et surtout avec l'Europe, est loin d'être insignifiant. Troisièmement, l'industrie de défense russe a été capable de maintenir ses standards et son indépendance face aux importations. (Ce qui n'est vraiment pas le cas des usines de la défense en Occident, qui dépendent des exportations russes pour le titanium.)

C'est alors qu'apparut la tempête modèle pour les marchands : le rouble a été partiellement dévalué du fait de la baisse des prix du pétrole, ce qui a entraîné un accroissement du prix des importations et a aidé les producteurs locaux ; les sanctions ont miné la confiance qu'avaient les Russes dans la fiabilité de l'Occident en tant que fournisseur ; et le conflit au sujet de la Crimée a sérieusement augmenté la confiance des Russes en leurs propres capacités. Le gouvernement russe s'est empressé de se faire le champion des sociétés capables de produire rapidement des substituts aux importations occidentales. La Banque centrale russe s'est vu assigner la tâche de les financer à des taux d'intérêt rendant encore plus attractifs les produits de substitution à l'importation.

Certaines personnes ont comparé la période actuelle avec l'époque précédente, où le prix du pétrole s'est effondré – jusqu'à 10$ le baril – contribuant ainsi dans une certaine mesure à l'effondrement soviétique. Mais cette analogie est erronée. Pendant toute son existence, l'Union soviétique est resté économiquement stagnante et dépendante de l'Occident en matière de financement pour assurer ses importations de céréales, sans lesquelles elle n'aurait pu nourrir le bétail nécessaire à l'alimentation de sa population. C'était l'irresponsable et influençable Gorbatchev qui était aux commandes – un conciliateur, un adepte de la capitulation et une fripouille de première classe, dont l'épouse adorait faire son shopping à Londres. Le peuple russe le méprisait et le surnommait « Mishka la Marque » à cause de sa tache de naissance. Et aujourd'hui la Russie est en plein essor, un des plus grands exportateurs de céréales au monde, et dirigée par le fier et implacable Président Poutine qui a un taux d'approbation populaire de plus de 80%. Comparer l'URSS avant son effondrement et la Russie d'aujourd'hui ne fait que mettre en évidence l'ignorance des commentateurs et des analystes.

Conclusions

Ce chapitre s'écrit presque tout seul. C'est une recette de désastre, je vais donc le rédiger comme une recette.

1. – Prenez une nation habituée à répondre aux offenses en vous envoyant au diable, et en refusant d'avoir le moindre rapport avec vous, plutôt que par la bagarre. Assurez-vous que les ressources naturelles de cette nation vous sont indispensables pour éclairer et chauffer votre maison, pour construire vos avions de ligne et vos avions de chasse, et pour tout un tas d'autres choses. Gardez à l'esprit qu'un quart des ampoules électriques aux États-Unis ne s'allument que grâce au combustible nucléaire russe, et aussi que la rupture d'approvisionnement du gaz russe à l'Europe serait un cataclysme de première grandeur.

2. – Donnez-leur le sentiment d'être envahis en installant dans un territoire qu'ils considèrent comme une partie historique de leur patrie un gouvernement qui leur soit hostile. La seule partie de l'Ukraine qui ne soit pas vraiment russe est la Galicie, qui s'est séparée il y a des siècles, et donc les Russes vous diront  » emmène-la au diable avec toi « . Si vous aimez vos néo-nazis, vous pouvez les garder. Et rappelez-vous aussi comment les Russes traitent les envahisseurs : ils les font geler jusqu'à extinction.

3. – Imposez à la Russie des sanctions financières et économiques. Découvrez avec horreur que vos exportateurs perdent de l'argent lorsque, en rétorsion instantanée, la Russie bloque vos exportations agricoles. Gardez à l'esprit que ce pays, à cause d'une longue histoire d'invasions, a l'habitude de faire financer sa défense par les États mêmes qui lui sont potentiellement hostiles. Si ça ne marche pas, il utilisera d'autres moyens pour vous persuader, comme vous faire geler à mort. Plus de gaz pour les états de l'OTAN est une devise qui parle bien. Espérez, et priez pour qu'ils ne l'adoptent pas à Moscou.

4. – Montez une attaque contre leur monnaie nationale, de façon à ce qu'elle perde une partie de sa valeur, en équivalence avec la baisse du prix du pétrole. Observez avec horreur que les officiels russes sont hilares parce que la baisse du rouble a fait que les revenus de l'État n'ont pas changé malgré la baisse du prix du pétrole, car cette baisse du rouble a annulé une partie du déficit budgétaire potentiel. Regardez avec horreur vos exportateurs faire faillite car leurs produits sont devenus trop chers pour le marché russe. Gardez à l'esprit que la Russie n'a pas une dette nationale digne d'être mentionnée, a un déficit budgétaire négligeable, a beaucoup de devises étrangères en réserve et un important stock d'or. Gardez aussi à l'esprit que vos banques ont prêté des centaines de milliards aux sociétés russes (que vous venez juste d'exclure, par vos sanctions, de votre système bancaire). Espérez et priez pour que la Russie n'impose pas un moratoire au remboursement de ces dettes aux banques occidentales tant que les sanctions ne sont pas levées, car cela détruirait vos banques.

5. – Regardez avec horreur la Russie signer des contrats de fourniture de gaz avec tout le monde, sauf avec vous. Est-ce qu'il restera encore du gaz pour vous quand ils auront fini ? En fait, il semble que ce ne soit plus un souci pour les Russes, car vous les avez offensés. Étant les gens qu'ils sont, ils vous ont dit d'aller au diable (n'oubliez pas d'emmener la Galicie avec vous), et ils traitent maintenant avec d'autres nations plus amicales.

6. – Continuez à observer avec horreur la Russie qui s'emploie à rompre tous les liens commerciaux avec vous, à trouver des fournisseurs dans d'autres coins du monde, et à organiser sa production de façon à remplacer les importations.

Et c'est alors que vient la surprise, dont on n'a d'ailleurs pas assez parlé. La Russie vient d'offrir un marché à l'UE. Si l'UE refuse d'adhérer au Partenariat Transatlantique pour le Commerce et l'Investissement avec les États-Unis (traité, de plus, économiquement néfaste pour l'Europe), elle peut alors rejoindre l'Union douanière avec la Russie. Pourquoi vous infliger de vous geler alors qu'on pourrait geler Washington à la place ? Ceci est le dédommagement que la Russie accepterait pour le comportement hostile de l'Europe en ce qui concerne l'Ukraine et les sanctions. De la part d'un État douanier, c'est une offre extrêmement généreuse. Elle sous-entend beaucoup de choses : la reconnaissance que l'Europe n'est pas une menace militaire pour la Russie, ni même économique d'ailleurs ; le fait que les États européens sont tous mignons, petits et gentils, et qu'ils fabriquent d'excellentes saucisses et du bon fromage ; la reconnaissance du fait que la mouture actuelle de politiciens est incapable et inféodée à Washington, et qu'ils ont besoin d'une grande claque pour comprendre où se situent les véritables intérêts de leurs nations. L'Europe acceptera-t-elle cette offre, ou acceptera-t-elle la Galicie comme nouveau membre, pour geler avec elle ?

Source: ClubOrlov

Traduit par Abdelnour relu par JJ pour le  Saker Francophone

JacquesL

http://lesakerfrancophone.net/russie-et-islam-acte-vi-le-kremlin/

C'est le sixième article de la série, parue dans le Saker (faucon sacre) :

CiterRussie et Islam, acte VI: le Kremlin

Par le Saker original – Le 9 mars 2013 – Source vineyardsaker
PREMIÈRE PARTIE – INTRODUCTION ET DÉFINITIONS.
SECONDE PARTIE  – LE CHRISTIANISME ORTHODOXE
TROISIÈME PARTIE – LA RUSSIE ACTUELLE
QUATRIÈME PARTIE – LA MENACE ISLAMIQUE
Cinquième partie – L'ISLAM, UN ALLIÉ

RUSSIE ET ISLAM: LE KREMLIN

Voici un sujet que j'ai beaucoup hésité à traiter, et ceci pour de nombreuses raisons, l'une d'entre elles étant que mon opinion en la matière a fini par changer. Ce n'est pas dû à la découverte de faits indéniables, mais plutôt à une combinaison de facteurs comme la lecture entre les lignes de compte-rendus d'événements avec la réalisation que beaucoup de faits annexes pointaient tous dans la même direction, en plus d'une certitude instinctive, inévitablement subjective mais extrêmement forte. Je vais énoncer ma thèse sans ambages. Je suis arrivé à la conclusion qu'il existe depuis de nombreuses années plusieurs groupes d'intérêts en conflit au Kremlin, et que l'un de ces groupes a pris la décision de sortir de l'ombre et de passer à l'attaque contre l'autre de façon discrète, mais bien perceptible. Le résultat de ceci est qu'une révolution en profondeur est en cours en Russie et que les quatre ou cinq prochaines années verront d'énormes changements ou une terrible lutte de pouvoir à l'intérieur du Kremlin.

Le monde musulman et le facteur islamique en Russie n'ont que peu d'incidence, voire aucune, dans ce conflit, mais le résultat de ce dernier définira la politique de la Russie envers les musulmans du pays ainsi que vis-à-vis du Moyen-Orient et du reste du monde. C'est pourquoi j'ai décidé de traiter ce sujet aujourd'hui.

Dans le passé, j'étais d'avis que Poutine autant que Medvedev étaient tous deux des représentants du même groupe d'intérêts, que l'on peut décrire comme une association entre certains services de sécurité et les grosses fortunes. Je mets au crédit de ce groupe d'avoir réussi très habilement à rouler le régime Eltsine sous contrôle US et ses oligarques juifs, et à briser ce contrôle dès l'arrivée au pouvoir de Poutine. Je crois toujours que c'est exactement ce qui s'est produit, mais j'en suis arrivé à réaliser qu'il y a dans tout cela une dimension que je n'avais pas perçue dans le passé.

En premier lieu, je ne voyais dans les événements de 1999-2000 que la victoire de Poutine et de son clan contre l'oligarchie juive (ce qui est le cas) et contre les intérêts US. Ce dernier point n'est pas si tranché. Oui, lorsque Poutine est arrivé au pouvoir, il a décapité les personnages clés de l'oligarchie, mais il n'avait absolument pas les moyens de changer le système que ces oligarques avaient mis en place avec leurs commanditaires US. Les individus furent remplacés, le système resta fondamentalement le même. Berezovsky et Gusinsky s'enfuirent de Russie, Khodorkovsky fut gratifié d'un séjour bien mérité dans un camp de bûcherons en Sibérie, mais le système que ces types avaient construit resta en place: les médias baissèrent un peu le ton de leur propagande la plus voyante (surtout au sujet de la Tchétchénie), les nouveaux Russes millionnaires cessèrent leurs tentatives de se payer la Douma (comme l'avait fait Khodorkovsky), les différents mouvement séparatistes se firent discrets, et la mafia russe entreprit d'être plus prudente dans ses activités. Mais les lois fondamentales, la Constitution, le système de gouvernement, ne furent absolument pas réformés. De plus, parmi les hommes de Poutine, certains voulaient à tout prix approfondir l'intégration de la Russie dans l'Occident et son système international sous contrôle US. Certains d'entre eux étaient visiblement des agents d'influence rémunérés émargeant au MI6/CIA, d'autres agissaient par conviction que ceci représentait la meilleure option pour la Russie. Cette catégorie se trouve bien souvent proche de Medvedev, aussi bien physiquement qu'intellectuellement. Après les années 1990, un grand nombre de ces gens gardèrent des positions clé dans diverses agences gouvernementales, des agences de médias et des intérêts d'affaires. Qui était à l'intérieur des cercles de pouvoir à l'époque n'est pas moins important que qui en était exclu. Certaines personnalité extrêmement populaires furent écartées très loin de ces cercles. Le cas de Dimitri Rogozin, qui fut envoyé à Bruxelles, illustre bien ce point.

Ainsi, tout ce à quoi nous avons assisté entre 2000 et 2012 est un grand tour d'équilibriste, un compromis entre au moins deux des groupes d'intérêts: je nommerai le premier les intégrationnistes pro-atlantiques et le second les souverainistes eurasiatiques. Le premier groupe veut que la Russie devienne un partenaire respecté de l'Occident alors que le second a pour objectif la création d'un monde multipolaire dans lequel aucun pays, aucune alliance, ne détiendrait un pouvoir suprême.

De la même façon qu'à la fin des années 1990 les partenaires du tandem Putin&Medvedev réussirent à déjouer l'oligarchie juive, les alliés du camp Poutine ont apparemment réussi au cours de ces deux dernières années à duper le parti Medvedev. Je suis très sceptique sur le fait que les gens autour de Medvedev aient bien réalisé ce qu'ils faisaient en laissant Poutine se présenter aux élections présidentielles sous le prétexte officiel que sa popularité était plus élevée que celle de Medvedev (ce qui est vrai). On les a probablement convaincus qu'il fallait s'attendre à six années de plus de compromis, mais le fait est que Poutine a fondamentalement changé la trajectoire de la Russie depuis qu'il a été réélu il y a un an.

Dans le passé, des fissures entre les deux camps étaient déjà apparues, entre autres la vente des S300 à l'Iran, la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU sur l'intervention en Libye, ou la réponse à la guerre du 08.08.08 en Géorgie, mais ces différends s'étaient toujours réglés en s'appuyant sur le fait fondamental que le rôle du président et celui du chef du gouvernement (Premier ministre) étaient parfaitement délimités, et que chacun devait rester dans sa sphère de compétence. Medvedev le précisa en personne lorsqu'il déclara que la décision de ne pas opposer de veto à la résolution du CSNU sur la Libye autorisant l'intervention US/OTAN était une décision personnelle, et qu'il en avait lui-même donné l'ordre au ministre des Affaires étrangères. En revanche, Poutine dénonça cette décision en termes très clairs mais ne put s'y opposer. Chaque fois que Poutine et Medvedev se heurtaient sur une affaire, la popularité de Medvedev baissait alors que celle de Poutine augmentait.

Serdiukov

Ce conflit devint critique dans le cas d'Anatolii Serdiukov, précédent ministre de la Défense actuellement disgracié. Je n'entrerai pas dans les détails, déjà connus, de la façon dont Serdiukov fut confondu, mais je donnerai un seul fait évident: ni les journalistes qui révélèrent les malversations de Serdiukov ni la Commission d'enquête qui ouvrit un dossier d'investigation n'auraient pu le faire sans l'approbation directe de l'administration présidentielle. De la même façon qu'Obama dut donner son accord (lisez donner les instructions nécessaires) dans le scandale Petraeus pour se débarrasser d'un adversaire beaucoup trop gênant et le remplacer par un fidèle, ainsi c'est Poutine en réalité qui fut le moteur de la chute de Serdiukov. J'ajouterai que l'illusion répandue comme quoi Serdiukov était un homme de Poutine n'est fondée que sur des clichés de journalistes et n'a en fait aucune importance. Si, comme je le crois, Serdiukov fut imposé à Poutine par les intégrationnistes pro-atlantique, Poutine aurait été inévitablement tenu pour responsable des agissements de Serdiukov, même s'il n'avait pas choisi lui-même cet homme. Ceci rendait à Poutine extrêmement difficile tout mouvement contre son protégé.

La raison pour laquelle j'accorde une telle importance à cette affaire Serdiukov est que dans le système politique russe, le ministre de la Défense est pratiquement un second président: il dirige ce qui est en fait un État dans l'État, il est à la fois très autonome et extrêmement puissant. La fonction de ministre de la Défense est donc un des postes les plus puissants de Russie. Je pense qu'il est également possible que les intégrationnistes pro-atlantique aient concédé à Poutine le poste présidentiel à condition que Medvedev soit numéro 2 et Serdiukov numéro 3. Medvedev est toujours numéro 2 mais Serdiukov a été éjecté après avoir été déshonoré, et son successeur Sergey Shoïgu est pratiquement à tous points de vue son négatif photographique

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Shoigu

Dès que Shoigu entra en fonction au ministère de la Défense, il éjecta sans ménagement le général Makarov, chef d'état major (un personnage d'une incomparable médiocrité), et le remplaça par un officier combattant extrêmement doué et immensément respecté, le général Valerii Gerasimov, qui à son tour remit en place toute une liste de généraux admirés et très compétents aux postes clés de la Défense. Shoigu annula également certaines des pires mesures connues sous la dénomination de réformes de Serdiukov dans toute une série de domaines comme la formation militaire, la médecine militaire, le commandement et le contrôle, etc.

Comme on pouvait s'y attendre, et à l'inverse de Serdiukov, Shoigu entretient d'excellentes relations avec des personnalités comme Dimitri Rogozin, vice-premier ministre chargé de l'industrie de la défense, et Sergei Ivanov, chef du personnel de l'administration présidentielle (tous deux soupçonnés par pas mal d'analystes d'avoir joué un rôle de premier plan dans l'éviction de Serdiukov).

Il y a encore d'autres signes d'un changement potentiel au plus haut niveau du pouvoir en Russie. De plus en plus d'observateurs prévoient que le Front de toute la Russie de Poutine n'a pas été lancé seulement pour générer de nouvelles idées, ce qui est supposé être son objectif au départ, mais bien pour être un outil destiné à influencer et si nécessaire remplacer le parti Russie unie, qui serait un peu trop bien contrôlé par les intégrationnistes pro-atlantiques. Encore une fois, ceci n'est que spéculation, mais le fait est que de plus en plus d'analystes envisagent que Medvedev pourrait bien ne pas rester chef du gouvernement encore très longtemps. Mon avis personnel est que Medvedev est un honnête homme, mais dont la stature politique est insuffisante, capable de gérer et d'administrer, mais dépourvu de vision politique. Encadré par des visionnaires de génie comme Poutine, Shoigu ou Rogozin, il s'alignera sur eux. Mais certes, s'il ne le fait pas, il risque d'être très rapidement éjecté.

Avant de nous intéresser à l'étape suivante, je souhaite énoncer une thèse que j'ai longtemps rejetée mais que j'ai fini par considérer comme juste.

Sans l'ombre d'un doute, en 1991 l'Union Soviétique a perdu la guerre froide: le pays se fractura en 15 morceaux, le régime politique s'effondra complètement et l'État cessa pratiquement de fonctionner, toute la richesse du pays fut accaparée par les intérêts occidentaux et leurs hommes de main – les oligarques juifs –, la pauvreté monta en flèche en même temps que le taux de mortalité, l'OTAN avança ses forces pratiquement jusqu'aux frontières de la Russie, et des conseillers américains inventèrent littéralement le nouvel Etat russe, sa constitution, son mode de gouvernement et la plupart de ses lois. Voici maintenant le concept clé que je veux exposer: en dépit des apparences extérieures, la Fédération Russe entre 1991 et 2000 était devenue une colonie US, un territoire administré par les États-Unis, quelque chose de très similaire au statut de l'Irak après le retrait de la plus grosse partie des forces américaines, ou au statut, disons, de la Pologne ou de la Roumanie pendant la période soviétique. Quiconque ayant des doutes à ce sujet devrait étudier soigneusement les événements de 1993, au cours desquels le Parlement à peu près légitime de la Russie fut la cible des obus des chars avec le soutien total (lisez: sous les ordres) des USA agissant par l'intermédiaire de leur ambassade à Moscou, qui devint pendant ces événements le poste de commandement de la répression organisée contre l'opposition. J'étais personnellement présent à Moscou au moment des faits, et j'avais des informations de première main sur ce qui se passait en temps réel. Je peux par exemple témoigner des deux faits suivants : 1) le nombre de victimes déclarées a été largement en dessous de la vérité et 2) l'importance de la répression en termes de durée et d'échelle a été beaucoup plus grande que ce qu'on a prétendu. Les véritables chiffres sont près de 5000 (cinq mille) victimes et cinq à six jours de combat couvrant l'ensemble de la zone urbaine de Moscou (y compris des endroits hors de la ville proprement dite) pour réussir à écraser l'opposition. (Je peux personnellement témoigner d'un furieux combat aux armes à feu exactement devant les fenêtres de mon appartement le soir du cinquième jour de l'assaut.) Tout ce bain de sang a été dirigé et coordonné par les USA via son ambassade à Moscou, et la plupart des atrocités ont été commises non pas par des membres en uniforme des forces gouvernementales, mais par des mercenaires en civil (incluant des truands et des équipes du Betar) sans aucune autorité légale. Cela vous rappelle-t-il une autre capitale ? Eh oui, tout à fait, cela pourrait être aussi bien Bagdad. Comme on pouvait s'y attendre, les membres de la presse alignée occidentale rapportèrent avec un bel ensemble que ceci était une grande victoire de la démocratie et de la liberté contre les forces obscures du revanchisme, du nationalisme et du communisme.

Si nous reconnaissons la thèse que la Russie était de facto un territoire sous contrôle US jusqu'en 2000, nous pouvons immédiatement comprendre la conséquence la plus importante : l'arrivée au pouvoir de Poutine n'a pas pu changer cette réalité d'un coup de baguette magique. Pensez à d'autre exemples, comme Saddam Hussein ou Noriega, marionnettes loyales des USA, qui décidèrent en fin de compte de changer de cap et de prendre leur indépendance. Purent-ils faire changer leur pays en une nuit ? Bien évidemment non. La différence en ce qui concerne la Russie, bien sûr, est que les USA n'ont jamais eu la possibilité de déclencher une guerre contre elle et encore moins de l'occuper militairement le temps d'y installer un autre régime fantoche. La Russie des années 1993-1999, même avec des institutions terriblement affaiblies et dysfonctionnelles, avait encore les moyens de transformer toute les grandes villes américaines en un tas de cendres radioactives. Et malgré tout, l'État russe n'arrivait même pas à mobiliser assez de régiments pour pouvoir vaincre l'insurrection tchétchène. Tout ce qu'il arrivait à réunir pour contrer cette révolte n'était qu'un nombre limité de régiments mixtes, un bric-à-brac de sous-unités rassemblées à la hâte, bien souvent sans aucune formation militaire. Ainsi, lorsque Poutine parvint au pouvoir, l'État russe n'était plus qu'un mort-vivant totalement contrôlé par les USA.

Et pourtant, Poutine réalisa ce qui tenait du miracle. En premier lieu, il écrasa magistralement l'insurrection tchétchène. Puis il éjecta les oligarques juifs, ce qui amena immédiatement un changement de ton dans la couverture médiatique de la guerre en Tchétchénie. Ensuite il commença à remettre l'État en place morceau par morceau tout en reconstruisant ce qu'il nommait la verticalité de la puissance, c'est-à-dire subordonner à nouveau au gouvernement central les différentes régions de la Russie: les mafieux furent chassés des postes de gouverneur qu'ils avaient achetés, les régions recommencèrent à payer des impôts au gouvernement fédéral (la plupart avaient cessé de le faire), et des envoyés présidentiels furent chargés de rétablir l'ordre dans les régions. Si tout ceci représentait une potion bien amère à avaler pour les Britanniques, qui s'étaient impliqués à fond dans le découpage de la Russie en petites entités, cela ne représentait pas un gros souci pour les Américains, qui avaient à l'époque des sujets de préoccupation beaucoup plus urgents: les néo-conservateurs venaient juste de réussir leur coup avec le 11 septembre, et la Guerre globale contre la terreur (GWOT) était en plein essor. De plus, ostensiblement, la Russie avait l'air de se conduire de façon très sage, apportant une aide active aux État-Unis en Afghanistan. Ce qui fait que pendant que la presse britannique fabriquait frénétiquement une vaste propagande hystériquement anti-russe, la presse US n'accordait pas beaucoup d'attention à tout cela.

Je ne crois pas que les Américains avaient beaucoup de sympathie pour Poutine, mais ils le considéraient probablement comme un partenaire fiable qu'ils pouvaient garder en laisse et qui ne leur causerait pas trop de soucis. Bien sûr, il était parvenu à empêcher le démembrement complet de la Russie, mais même les meilleures choses ont une fin, et en 2000 il aurait été peu réaliste de compter sur une autre décennie de chaos et d'effondrement façon Eltsine. Et puis la Russie ne s'était pas vraiment débarrassée du joug américain: le système qui avait été mis en place par les USA était toujours là, et ce que Poutine pouvait faire était délimité par la loi.

C'est ainsi que Poutine et Medvedev se lancèrent étape par étape dans le processus de reconstruction interne. En matière de politique étrangère, la Russie suivit un chemin très sinueux, agissant parfois de façon agaçante pour les Américains, mais toujours prête à coopérer dans les affaires réellement importantes.

C'est alors que les USA firent deux choses vraiment stupides: gonflés par un sentiment de toute-puissance et par l'arrogance impériale, ils laissèrent la Géorgie attaquer les forces russes en Ossétie et donnèrent leur plein soutien à l'agresseur. Ceci, ajouté à leur insistance maniaque sur le déploiement d'un système anti-missiles autour de la Russie, eut comme résultat une lame de fond de colère anti-américaine de la part des Russes, que Poutine exploita avec brio. Les Américains s'imaginèrent que, bien sûr, Medvedev c'était mieux, mais bon, Poutine, ils avaient déjà eu affaire à lui lorsqu'il était au pouvoir, et il n'avait rien de redoutable – ils pouvaient le contrôler. Sauf que Poutine 2.0 n'avait rien de semblable à la version originale.

Il y avait eu un signe annonciateur que l'Occident avait pris pour un banal discours politique: le discours de Poutine à la conférence de Munich 2007 pour la Politique de sécurité, discours dans lequel il affirmait sans ambiguïté que l'empire planétaire US était la cause majeure de tous les grands problèmes mondiaux.

Certes l'Histoire de l'humanité a connu des époques unipolaires et témoigne d'aspirations a la suprématie mondiale. Qu'est ce qui ne s'est jamais produit dans l'Histoire de l'humanité ?

Cependant, qu'est ce qu'un monde unipolaire ? Malgré tous les efforts pour embellir ce terme, en fin de compte cela ne signifie qu'une sorte de situation, à savoir un seul centre d'autorité, une seule source de puissance, un seul point de décision.

C'est un monde dans lequel il n'y a qu'un maître, un seul souverain. Et c'est finalement pernicieux aussi bien pour tous ceux qui sont à l'intérieur de ce système que pour la puissance souveraine, car elle se détruit de l'intérieur.

Et ceci n'a absolument rien à voir avec la démocratie. Car, comme vous le savez, la démocratie est le pouvoir de la majorité, éclairé par les intérêts et les opinions de la minorité.

Au fait, la Russie – nous – reçoit constamment des leçons de démocratie. Mais pour une raison ou une autre, ceux qui prétendent nous enseigner ne parviennent pas à apprendre eux-mêmes.

Je considère que le monde unipolaire est non seulement inacceptable, mais également impossible dans le monde actuel. Et ceci pas seulement parce que les ressources militaires, politiques et économiques seraient insuffisantes s'il existait une autorité unique dans le monde d'aujourd'hui – et justement dans ce monde d'aujourd'hui. Ce qui est plus important est que ce modèle est défectueux car, à la base, il ne comprend ni ne permet de fondement moral pour une civilisation moderne.

Ce discours au ton inhabituellement franc provoqua une onde de choc au début, puis on le mit de côté et on l'oublia. La réaction occidentale fut clairement très bien, tu ne nous aimes pas, et puis après, qu'est ce tu peux faire ?, avec un haussement d'épaule.

Ce que Poutine put faire fut poursuivre le renforcement systématique de l'État, relancer l'économie vers un essor de plusieurs années qui parvint même à surmonter la crise de 2008, et rééduquer patiemment le peuple à l'intérieur de la Russie sur un nouveau concept : le rétablissement de la souveraineté (суверенизация).

Rétablissement de la souveraineté est un concept très puissant, combinant un diagnostic (nous ne sommes pas vraiment souverains) et un but (il nous faut devenir souverains). Cela ne vise personne, mais quiconque s'y oppose est mal vu (comment qui que ce soit peut-il s'opposer au fait d'être souverain?). De plus, en introduisant ce concept de rétablissement de la souveraineté, Poutine incitait les gens à se poser des questions clé qui n'avaient jamais été posées auparavant: comment cela se fait-il que nous ne soyons pas maîtres chez nous? Comment avons-nous perdu notre souveraineté ? Et qui est souverain à notre place, alors ? Et quels sont les véritables intérêts de ceux qui s'opposent à cette souveraineté ?

Lorsque les Américains comprirent que le génie était sorti de la bouteille, il était bien trop tard: par le bais de ce simple concept, tout le discours politique russe avait opéré une mutation de l'état de stupeur catatonique au cocktail d'opinions potentiellement très dangereux .

Et cette fois Poutine ne s'en tint pas aux discours: il fit proclamer des lois imposant à toute ONG financée par l'étranger de s'enregistrer comme agent étranger, et à tout agent de l'État possesseur de biens ou d'argent à l'étranger d'en justifier la provenance, ou de démissionner. Et tout ceci ne constitue que des coups d'essai. Le plus gros est à venir. Poutine a maintenant l'intention de modifier les lois régulant les activités des médias, il compte mettre en place une nouvelle législation permettant d'enregistrer les grandes entreprises sous la loi russe (actuellement elles sont toutes enregistrées à l'étranger), il planifie le changement du régime de taxation des grandes multinationales étrangères et, pour finir, inévitablement, il lui faudra lancer un processus de révision de la Constitution russe. Pas à pas, Poutine utilise sa puissance pour modifier le système, amputant l'un après l'autre chacun des instruments de contrôle de l'étranger sur la Russie. Et enfin, mais ce n'est pas le moins important, Poutine a maintenant ouvertement entrepris la création d'une nouvelle zone économique communautaire eurasiatique (Единое Евразийское Экономическое Пространство), incluant toute ancienne république soviétique désireuse de s'y joindre (la Biélorussie et le Kazakhstan sont déjà à bord), qui deviendra en fin de compte une Union Eurasiatique (Евразийский Союз). Ceci est bien évidemment totalement inacceptable pour les USA, ce qui est la raison pour laquelle Hillary Clinton a fait la démarche inconnue jusqu'alors d'annoncer ouvertement (http://news.yahoo.com/clinton-fears-efforts-sovietize-europe-111645250–politics.html) que les USA feraient tout ce qui est en leur pouvoir pour bloquer ce projet, ou tout au moins le retarder.

Il y a une tentative pour re-soviétiser la région. Ce ne sera pas nommé de cette façon, ce sera nommé union douanière, ou Union eurasiatique, ou quelque chose de ce genre. Mais ne nous y trompons pas. Nous connaissons l'objectif et nous essayons de trouver des moyens efficaces de ralentir ce projet ou de le bloquer.

Cette fois-ci, c'est au tour de la Russie de dire très bien, tu ne nous aimes pas, et puis après, qu'est ce tu peux faire ?

Le fait est que les USA ne peuvent pas y faire grand chose. Oh bien sûr les USA ont fait un foin énorme au sujet des élections volées, il y a eu les Pussy Riots, le Congrès a édité l'Acte Magnitsky, et Hillary a prononcé les menaces habituelles. Mais tout ça était bien trop peu et beaucoup trop tard, et lorsque que les Américains ont fini par comprendre qu'ils avaient un très gros problème sur les bras, il n'y avait plus grand chose à faire pour y remédier.

Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne vont rien tenter au cours des prochaines années. Avant tout, nous devons nous attendre à un accroissement du nombre d'attentats terroristes dans le Caucase et le reste de la Russie. Si la Tchétchénie semble calme, du moins pour l'instant, la situation dans la république voisine du Daguestan est très dangereuse. Ensuite, nous pouvons nous attendre à ce que la rhétorique anti-Poutine atteigne de nouveaux sommets. Troisièmement, MI6 et CIA vont revenir à leurs bonnes vieilles méthodes de la guerre froide, à savoir financement et direction en sous-main d'un groupe dissident. Enfin, si tout le reste échoue, l'Occident pourrait bien essayer le coup du tireur isolé pour se débarrasser de Poutine en personne.

Poutine et les souverainistes eurasiatiques ne représentent probablement pas la majorité du peuple actuellement. Certes, ils occupent des positions de puissance et peuvent recourir à ce qu'ils appellent de façon euphémique les ressources administratives (административный ресурс: la puissance de la bureaucratie d'État) pour faire avancer leur agenda, mais ils doivent compter avec une intelligentsia toujours férocement anti-Poutine et avec des médias encore plus hostiles à toute idée de souverainisme. Cependant, aussi longtemps que Poutine ne fait rien d'excessif, il sera extrêmement difficile pour les médias d'attaquer ouvertement un programme politique dont l'objectif est de rendre sa souveraineté à la nation russe. C'est pour cela que chaque fois que Poutine revient sur cette idée au cours de son message à l'assemblée fédérale, les médias choisissent de l'ignorer ou d'en réduire la portée. Malgré tout, ce sujet revient de plus en plus fréquemment dans le discours politique russe, porté par le très actif réseau internet russe (RuNet)

En ce moment Poutine exerce un grand contrôle sur l'appareil d'État et la plupart des positions clé au Kremlin est dans les mains de ses alliés. L'État lui-même est plus ou moins opérationnel, toujours rongé par la corruption et par un système légal étudié pour le rendre inefficace, il peut fonctionner lorsqu'il le faut mais c'est encore loin d'être une mécanique bien rodée. L'économie russe se porte bien, surtout comparativement aux autres, mais elle est encore pesante, parfois inefficace, et la plupart des revenus continue à filer à l'étranger. De même la société russe, dans l'ensemble, est ravie que les années19 90 soient dépassées, mais la grande majorité des gens est encore dans les difficultés et aspire à un avenir plus souriant. Enfin, les forces armées russes ont beaucoup souffert sous Serdiukov, mais elles sont désormais sans aucun doute aptes à faire face à toute sorte de conflit imaginable, et elles travaillent progressivement à rétablir leur pleine capacité de dissuasion tous azimuts. Dans un tel contexte, les chances de succès de Poutine sont raisonnablement bonnes. Mais rien n'est joué, loin de là, et il serait très naïf de sous-estimer les capacités de nuisance de l'empire US face à cette nouvelle menace contre la domination américaine.

Le laps de temps dans lequel les choses commenceront à se dessiner est assez court, quatre à six ans au maximum. Si, d'ici la fin de son premier terme présidentiel, Poutine n'est pas arrivé à faire accepter son programme de rétablissement de la souveraineté nationale, rien ne va plus pour le Kremlin, et comme toutes les parties intéressées le savent, la lutte interne au sein du Kremlin ne peut que s'envenimer. Nous pouvons être sûrs que dans les mois et les années à venir, nous allons assister à de sérieux bouleversements politiques en Russie, en commençant peut-être par un conflit ouvert entre Poutine et Medvedev.

Que devient l'islam dans tout ceci ?

Comme je l'ai écrit plus haut, ni le monde musulman ni le facteur islamique au sein de la Russie n'auront une quelconque influence sur le résultat de cette lutte. Tout au plus, les USA et leurs alliés intégrationnistes pro-atlantiques pourraient-ils utiliser des terroristes islamistes pour déstabiliser la Russie. Mais aussi longtemps que l'État reste organisé et fort, tout le terrorisme imaginable ne suffira pas pour changer le cours des événements. De plus, un renouveau terroriste en Russie pourrait bien avoir l'effet exactement contraire: cela pourrait convaincre encore plus de Russes de la nécessité d'un régime fort et indépendant pour protéger la nation.

Cependant, le résultat de cette lutte pourrait avoir un grand effet non seulement en ce qui concerne le facteur islamique en Russie, mais aussi pour le monde musulman dans son ensemble. Les intégrationnistes pro-atlantiques sont en gros anti-musulmans et pro-israéliens ; ils cherchent l'intégration de la Russie dans un système sécuritaire occidental en opposition avec son équivalent islamique. Les intégrationnistes pro-atlantiques sont toujours plus ou moins des partisans du paradigme du conflit des civilisations. En contraste avec cela, les souverainistes eurasiatiques, bien que n'étant pas nécessairement complètement pro-islamiques, sont tous en faveur d'un monde multipolaire et n'ont pas d'opposition à ce qu'un de ces pôles soit islamique. En d'autres termes, la seule circonstance où les souverainistes eurasiatiques reconnaissent en l'islam une menace est quand il est utilisé par l'empire US comme un outil de déstabilisation de ces pays qui osent résister aux USA. A partir de ce point de vue, il y a un islam comme en Bosnie, au Kosovo ou en Tchétchénie, qui est un ennemi déclaré de la Russie, mais il existe un islam en Iran, au Liban ou dans la Tchétchénie de Kadyrov, qui est un allié objectif de la Russie. Il est caractéristique que les intégrationnistes pro-atlantiques continuent à considérer Israël comme l'allié naturel de la Russie au Moyen Orient, alors que pour les souverainistes eurasiatiques, c'est l'Iran.

Tant que ces forces continueront à se combattre pour le contrôle du Kremlin et de la Russie, la politique russe envers l'islam en Russie et envers le monde musulman restera floue, parfois indécise, et par conséquent difficilement prévisible. Mon sentiment personnel est que Poutine et les souverainistes eurasiatiques sont actuellement en position de force par rapport à leurs opposants, ce qui est vraiment une bonne nouvelle pour le monde arabe et musulman, particulièrement en Syrie. Le processus est loin d'être terminé, et il serait imprudent de faire des pronostics quant à ce que va faire la Russie, ou de compter sur elle pour faire ce qui est juste simplement parce que la logique des choses le voudrait. Un exemple atterrant de ceci nous a été fourni lorsque la Russie a donné, par le biais du CSNU, le feu vert aux US-OTAN pour envahir la Libye. Ce qui doit nous rappeler que la Russie n'est pas encore un pays véritablement souverain et qu'il ne faut pas s'attendre à ce qu'elle puisse systématiquement résister à la puissance monumentale des États-Unis .

Le Saker original

A suivre...SEPTIÈME PARTIE– LES ÉCHAPPATOIRES DE Mr MÉTÉO

Traduit par Abdelnour, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone