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Poutine raconté par Sharon Tennison.

Démarré par JacquesL, 30 Avril 2015, 04:57:40 AM

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JacquesL

Poutine raconté par Sharon Tennison

http://reseauinternational.net/poutine-raconte-sharon-tennison/
ou : http://cybercomnet.fr/2014/09/reimformation-mediatique-poutine-raconte-par-sharon-tennison-sa-vision-de-poutine-est-aux-antipodes-de-ce-que-nos-medias-nous-disent-souvent-de-celui-qui-est-devenu-le-president-de-la-federation-d/

CiterPoutine raconté par Sharon Tennison   

Préambule

Voici un témoignage d'une Américaine qui connaît bien la Russie. Sa vision de Poutine est aux antipodes de ce que nos médias nous disent souvent de celui qui est devenu le président de la Fédération de Russie. Un propos qui jette sur l'un des tout plus importants dirigeants de ce monde un éclairage pour le moins singulier.

The French Saker

Chers amis et collègues,

Alors que la situation en Ukraine s'est aggravée, une désinformation et un battage inadmissibles sont quasi-quotidiennement déversés sur la Russie et sur Vladimir Poutine.

Les journalistes et les experts des médias doivent à présent parcourir l'Internet et sonder les dictionnaires pour produire de nouvelles épithètes diaboliques leur permettant de continuer à décrire leurs deux souffre-douleurs.

Partout où je fais des présentations, à travers l'Amérique, la première chose que l'on me demande, durant la séance des questions, c'est toujours, de façon assez sinistre : « Qu'en est-il de Poutine ? »

Il est temps pour moi de partager les réflexions qui suivent :

Il arrive à Poutine, évidemment, de commettre des fautes et de faire des erreurs. D'après l'expérience que j'ai de lui, et d'après les expériences de personnes de confiance, y compris celles de responsables américains qui ont travaillé en étroite collaboration avec lui sur une période de plusieurs années, Poutine est probablement un homme droit, fiable et extrêmement inventif. C'est de toute évidence quelqu'un qui pense à long terme et qui planifie, et il s'est avéré excellent analyste et fin stratège. C'est un leader qui est capable de travailler tranquillement pour atteindre ses objectifs, malgré les monceaux d'accusations et de mythes qu'on lui attribue régulièrement depuis qu'il est devenu le deuxième président de la Russie.

Je me suis tenue à l'écart, observant sans rien dire comment Poutine était diabolisé de façon croissante depuis le début des années 2000 ; c'est avec mon ordinateur que je réfléchissais, notant mes pensées et mes préoccupations, dont j'espérais en fin de compte parvenir à faire un livre (lequel fut finalement publié en 2011). Le livre explique mes observations de façon plus approfondie que dans cet article. Comme d'autres qui ont pu avoir une expérience directe avec cet homme que l'on connaît peu, je me suis efforcée, mais en vain, d'éviter d'être étiquetée comme une « apologiste de Poutine ». Si quelqu'un s'avise de rester seulement neutre à son sujet, il sera considéré comme « mou à l'égard de Poutine » par les experts et les citoyens, qu'ils appartiennent à la nouvelle meute ou qu'ils soient seulement des gens ordinaires, prenant leurs informations sur CNN, Fox et MSNBC.

Je n'ai nulle prétention d'être un expert ; j'ai seulement été développeur de programme en URSS et en Russie pendant ces 30 dernières années. Mais durant ce temps, j'ai eu, sur le terrain, avec des Russes de tous bords et dans 11 fuseaux horaires différents, des contacts beaucoup plus directs que n'importe lequel des reporters occidentaux ou, en ce domaine, que quiconque parmi les officiels de Washington. J'ai passé suffisamment de temps dans le pays pour réfléchir à l'histoire et à la culture russes en profondeur, pour étudier leur psychologie et la façon dont ils fonctionnent, et pour comprendre ces différences marquées entre les mentalités américaine et russe qui compliquent tellement nos relations politiques avec leurs dirigeants. Comme il en est de personnalités différentes au sein d'une famille, ou d'un club civique, ou dans une réunion municipale, il faut de la compréhension et une certaine dose de compromis pour parvenir à créer des relations viables lorsque les arrière-plans de base des uns et des autres sont différents. A Washington, on s'est notoirement désintéressé de la compréhension de ces différences et de la façon dont il y aurait lieu d'essayer de faire la moitié du chemin vers la Russie.

En plus de mon expérience personnelle avec Poutine, j'ai eu des discussions avec de nombreux responsables américains, ainsi qu'avec des hommes d'affaires américains qui ont eu des années d'expérience de travail avec lui : je crois que l'on peut dire sans crainte de se tromper qu'il ne viendrait à l'idée de personne de le décrire comme « brutal » ou « voyou », ni non plus d'utiliser aucun des autres noms ou adjectifs diffamatoires dont on l'affuble constamment dans les médias occidentaux.

J'ai rencontré Poutine des années avant qu'il eût même rêvé d'être un jour président de la Russie, de même que beaucoup d'entre nous qui avons travaillé à Saint-Pétersbourg dans les années 1990. Depuis que toutes les calomnies à son encontre ont commencé, je suis devenue presque obsédée à force de vouloir comprendre son caractère. Je crois que j'ai lu tous les discours importants qu'il a prononcés (y compris le texte intégral de ces longues heures de conversation téléphonique qu'il a annuellement avec les citoyens russes). J'ai essayé de vérifier s'il avait changé en pire depuis qu'il a été élevé à la présidence, ou si c'est un personnage droit qui s'est trouvé en situation d'avoir à jouer un rôle qu'il n'avait jamais prévu, et qui n'aurait à sa disposition que sa seule intelligence pour essayer de faire du mieux qu'il peut face à Washington, et ce dans des circonstances extrêmement difficiles. Si tel est le cas, et je pense que ça l'est, il a mérité de très bonnes notes pour la performance qu'il a accomplie au cours des 14 dernières années. Ce n'est pas par hasard que Forbes l'a qualifié de dirigeant le plus puissant de l'année 2013, en faisant ainsi le remplaçant d'Obama, qui avait reçu le titre en 2012. Les lignes qui suivent ne prétendent retracer que ma seule expérience personnelle avec Poutine.

On était en 1992, soit deux ans après l'implosion du communisme ; et l'on était à Saint-Pétersbourg. Pendant des années, j'avais créé des programmes destinés à permettre d'ouvrir des relations entre nos deux pays, et nous espérions pouvoir aider les soviétiques à dépasser cette mentalité bien ancrée qui les vouait au déclin. Une nouvelle possibilité de programme s'est fait jour dans ma tête. Comme je m'attendais à ce qu'elle nécessitât d'obtenir la signature des gens de la mairie au Mariinsky [1], je pris rendez-vous. Mon ami Volodia Shestakov et moi nous sommes donc présentés à une entrée latérale du bâtiment du Mariinsky. Nous nous sommes retrouvés dans un petit bureau brun et terne, face à un homme à l'apparence plutôt banale dans un costume marron. Il s'enquit de la raison de ma venue. Après avoir sondé la proposition que j'avais soumise, il commença à poser des questions intelligentes. Après chacune de mes réponses, il passait à la question pertinente suivante. Je pris conscience de ce que cet interviewer-là était différent des autres bureaucrates soviétiques, lesquels semblaient toujours transformer leurs conversations avec des étrangers en badinage de copains dans l'espoir d'arriver à obtenir quelque pot de vin en échange des demandes que présentaient les Américains. Le CIC [2] s'en tenait au principe de ne jamais, jamais donner de pot de vin. Mais ce fonctionnaire-là était ouvert, curieux, et son comportement restait impersonnel. Après plus d'une heure de questions et réponses attentives, il m'expliqua tranquillement qu'il avait essayé de son mieux de déterminer si la proposition était légale, et me dit alors que, malheureusement, au moment où nous parlions, elle ne l'était pas. Quelques bons mots furent prononcés au sujet de la proposition. Et ce fut tout. Simplement et gentiment, il nous montra la porte. Une fois dehors sur le trottoir, je dis à mon collègue : « Volodia, c'est bien la première fois que nous avons jamais eu affaire à un bureaucrate soviétique qui ne nous a pas demandé à faire un voyage aux États-Unis, ou quelque autre chose qui ait de la valeur ! » Je me souviens avoir jeté un œil à la carte qu'il nous avait remise, dans la lumière du soleil ; on y lisait : Vladimir Vladimirovitch Poutine.

1994 : le consul général américain Jack Gosnell me passe un appel d'urgence à Saint-Pétersbourg. 14 membres du Congrès accompagnés du nouvel ambassadeur américain en Russie, Thomas Pickering, doivent venir à Saint-Pétersbourg au cours des trois prochains jours. Il a besoin d'une aide immédiate. Je me suis précipitée au Consulat où j'ai appris que Jack m'avais chargée de donner à cette délégation de bon augure, ainsi qu'à l'ambassadeur arrivant, les instructions qui leur étaient nécessaires. J'étais abasourdie, mais il a insisté. Ils venaient de Moscou, et ils étaient furieux de la façon dont le financement des États-Unis y était gaspillé. Jack voulait qu'ils entendissent la « bonne nouvelle » au sujet des programmes du CIC, lequel présentait de beaux résultats. Dans les 24 heures qui suivirent, Jack et moi avons aussi mis en place des réunions de « domicile » dans les petits appartements d'une douzaine de chefs d'entreprise russes, à l'intention des dignitaires qui arrivaient (les gens du Département d'Etat de Saint-Pétersbourg étaient atterrés, car on n'avait jamais procédé de la sorte auparavant, mais c'est Jack qui avait la haute main en l'occurrence). C'est seulement plus tard, en 2000, que j'ai entendu parler de l'expérience antérieure de Jack, pendant trois ans, avec Vladimir Poutine, dans les années 1990, alors que ce dernier courait la ville pour le maire Sobchak. Davantage à ce sujet plus tard.

31 décembre 1999 : sans le moindre avertissement, alors que l'on changeait d'année, le président Boris Eltsine fit au monde l'annonce de ce qu'à compter du lendemain, il démissionnait de ses fonctions et laissait la Russie entre les mains d'un Vladimir Poutine inconnu. En entendant les nouvelles, je pensais qu'il ne s'agissait sûrement pas du Poutine dont je me souvenais ; celui-là ne pourrait jamais diriger la Russie. Le lendemain, un article du New York Times publiait une photo. Oui, c'était le même Poutine que j'avais rencontré des années auparavant ! J'étais choquée et consternée, et je disais à mes amis : « C'est une catastrophe pour la Russie. J'ai passé du temps avec ce type : il est trop introverti et trop intelligent, jamais il ne sera en mesure d'établir de rapports avec les masses de Russie. » De plus, je déplorais ceci : « Pour que la Russie, qui est à genoux, se relève, il lui faut deux choses : 1) que les jeunes oligarques arrogants soient retirés de la circulation de force par le Kremlin, et 2) il faut trouver un moyen de retirer leurs fiefs aux patrons des régions (les gouverneurs), et ce dans les 89 régions de Russie. » Il était clair pour moi que l'homme en costume brun n'aurait jamais l'instinct ou les tripes pour faire face à ces deux défis primordiaux qui attendaient la Russie.


Le 31 décembre 1999, Boris Eltsine transmet la Constitution à Vladimir Poutine dans le bureau présidentiel du Kremlin

Février 2000 : presque immédiatement, Poutine a commencé à mettre les oligarques de Russie sur la touche. En février, la question des oligarques fut posée ; il la précisa par une question, suivie de sa propre réponse : « Quelle devrait être la relation avec ceux que l'on appelle oligarques ? La même qu'avec n'importe qui d'autre. La même qu'avec le propriétaire d'une petite boulangerie ou d'une boutique de cordonnier. » Ce fut le premier signal de ce que les magnats des affaires ne seraient plus en mesure de faire fi des réglementations gouvernementales ou de compter sur un accès privilégié au Kremlin. Cela rendit également les capitalistes occidentaux nerveux. Après tout, ces oligarques étaient des hommes d'affaires prospères et intouchables, de bons capitalistes, et peu importait qu'ils eussent obtenu leurs entreprises illégalement et que leurs profits fussent mis à l'abri dans des banques à l'étranger.

Quatre mois plus tard, Poutine convoqua une réunion avec les oligarques et leur soumit un accord : ils pourraient garder leurs entreprises de l'ère soviétique, productrices de richesse quoique illégalement acquises, et ils ne seraient pas nationalisés... SI leurs impôts sur le revenu étaient acquittés et s'ils restaient, à titre personnel, en dehors de la sphère politique. Ce fut la première des « solutions élégantes » de Poutine aux défis presque impossibles auxquels la nouvelle Russie devait faire face. Mais l'affaire mit également son auteur dans la ligne de mire des médias des États-Unis et des officiels américains, qui commencèrent alors à défendre les oligarques, et en particulier Mikhaïl Khodorkovski. Ce dernier devint une figure hautement politique, ne paya pas ses impôts, et avant d'être arrêté et emprisonné, était en pourparlers avec Exxon Mobil en vue de vendre à celle-ci la majeure partie de la plus grande compagnie pétrolière privée de Russie, Yukos Oil. Malheureusement, pour les médias américains et les diverses structures du gouvernement des Etats-Unis, Khodorkovski devint un martyr (et le demeure encore à ce jour).

Mars 2000 : je suis arrivée à Saint-Pétersbourg. Une amie russe (une psychologue) que j'ai depuis 1983 est venue pour notre visite habituelle. Ma première question est : «Lena que penses-tu de ton nouveau président ? » Elle se met à rire et réplique : « Volodia ? Je suis allée à l'école avec lui ! » Elle commence à décrire Poutine comme un jeune tranquille et pauvre, aimant les arts martiaux, qui s'est dressé pour défendre les enfants victimes d'intimidation sur les terrains de jeux. Elle se souvenait de lui comme d'un jeune homme patriote qui avait demandé à entrer au KGB prématurément après avoir obtenu son diplôme de fin de secondaire (ils l'ont envoyé promener en lui disant de faire des études). Il est entré à la fac de droit, puis plus tard a postulé de nouveau et a été accepté. Je dois avoir grimacé en entendant cela, parce que Lena a dit : « Sharon, en ce temps-là, nous admirions tous le KGB et nous étions convaincus que ceux qui y travaillaient étaient des patriotes, et qu'ils assuraient la sécurité du pays. Nous avons donc pensé qu'il était naturel pour Volodia de choisir cette carrière. » Ma question suivante fut : « Que penses-tu qu'il va faire avec les criminels d'Eltsine au Kremlin ? » Elle a mis sa casquette de psychologue, et après avoir réfléchi, elle a répondu : « Si on le laisse faire les choses à sa façon, il va les observer pendant un certain temps, pour être sûr de ce qui se passe, et puis il va tirer quelques fusées éclairantes en l'air pour leur faire savoir qu'il les regarde. S'ils ne répondent pas, il leur parlera personnellement, et alors, si leurs comportements ne changent pas, certains se retrouveront en prison d'ici quelques années. » Je l'ai félicitée par courriel lorsque ses prédictions ont commencé à se réaliser pour de vrai.

Tout au long des années 2000 : de nombreux anciens du CIC de Saint-Pétersbourg ont été interrogés afin de déterminer comment fonctionnait le programme PAP [3] de formation d'entreprise et comment nous pourrions rendre l'expérience réalisée aux États-Unis plus profitable pour leurs nouvelles petites entreprises. La plupart croyaient que le programme avait été extrêmement important, au point de représenter un véritable tournant. Enfin, il fut demandé à chacun : « Alors, que pensez-vous de votre nouveau président ? » Aucun ne répondit de façon négative, même si, à l'époque, les entrepreneurs détestaient les bureaucrates russes. La plupart répondirent de la même manière : « Poutine a enregistré mon entreprise il y a quelques années. » Question suivante : « Et, combien cela vous a-t-il coûté ? » Quelqu'un obtint la réponse suivante : « Poutine ne nous a pas fait payer quoi que ce soit. » Un autre dit : « C'est au bureau de Poutine que nous sommes allés parce que les autres qui fournissaient des inscriptions au Marienskii, ceux-là s'enrichissaient sur leurs sièges. »

Fin 2000 : durant la première année de Poutine en tant que président de la Russie, les responsables américains m'ont paru suspecter qu'il irait à l'encontre des intérêts de l'Amérique : chacun de ses mouvements fut remis en question dans les médias américains. Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi et me contentait de relater ces événements sur mon ordinateur et dans mes bulletins d'information.

2001: Jack Gosnell (l'ancien consul général des Etats-Unis dont j'ai déjà fait mention) a expliqué sa relation avec Poutine lorsque celui-ci était adjoint au maire de Saint-Pétersbourg. Tous les deux travaillaient en étroite collaboration pour créer des coentreprises [Ndt : « joint ventures »] et d'autres moyens de promouvoir les relations entre les deux pays. Jack raconte que Poutine avait toujours cette même rectitude, qu'il était courtois et serviable. Quand la femme de Poutine, Lioudmila, eut un grave accident de voiture, Jack prit la liberté (avant d'en informer Poutine) d'organiser pour elle une hospitalisation et un transport par avion en Finlande, afin qu'elle pût y bénéficier de soins médicaux. Quand Jack l'annonça à Poutine, il raconte que ce dernier resta comme saisi par l'offre généreuse, mais finit par dire qu'il ne pouvait pas accepter cette faveur, que c'était dans un hôpital russe qu'il faudrait que Lioudmila récupère. Ce qu'elle fit, alors même qu'en Russie, dans les années 1990, les soins médicaux étaient abominablement mauvais.

Un officier supérieur du CSIS [2]  avec lequel j'étais amie dans les années 2000 a travaillé en étroite collaboration avec Poutine sur un certain nombre de coentreprises au cours des années 1990. Il m'a raconté qu'il n'y avait jamais eu avec Poutine quoi que ce soit de discutable à chaque fois qu'il avait eu affaire à lui, et qu'il le respectait, estimant que c'était de façon imméritée que les médias américains lui faisaient une réputation aussi austère. De fait, il ferma la porte du CSIS quand nous commençâmes à parler de Poutine. Je devinai sans peine que ses commentaires n'auraient pas été considérés comme acceptables si les autres les avaient entendus.

Un autre ancien responsable américain, dont je tairai le nom, a également indiqué avoir travaillé en étroite collaboration avec Poutine, disant qu'il n'y avait jamais eu à son égard de soupçon de corruption ou de pression, qu'on ne lui avait jamais vu rien d'autre que des comportements respectables et de la serviabilité.

En 2013, j'ai rencontré par deux fois des fonctionnaires du Département d'Etat concernant Poutine :

Lors de la première rencontre, je me suis senti la liberté de poser la question à laquelle j'avais déjà tant soupiré d'obtenir une réponse : « Quand Poutine est-il devenu inacceptable pour les fonctionnaires de Washington et pourquoi ? » Sans une hésitation, on m'a répondu : « Lorsqu'il a été annoncé que Poutine serait le prochain président, c'est là que les couteaux ont été tirés ». J'ai demandé POURQUOI. Et la réponse fut : « Je n'ai jamais pu savoir pourquoi ; peut-être parce qu'il a appartenu au KGB. » J'ai fait remarquer que Bush n°1 avait été à la tête de la CIA. On m'a répondu : « Cela n'aurait fait aucune différence, c'était un homme à nous. »

La seconde rencontre était avec un ancien fonctionnaire du Département d'Etat avec qui j'ai récemment partagé une interview à la radio à propos de la Russie. Suite à l'interview, tandis que nous parlions, j'ai remarqué : « Cela pourrait vous intéresser de savoir que j'ai recueilli auprès de nombreuses personnes les expériences qu'elles avaient de Poutine, et pour certaines d'entre elles, c'est une expérience qui s'étend sur une période de plusieurs années. Et bien, toutes ont dit qu'elles n'avaient jamais eu d'expérience négative avec Poutine et qu'il n'y avait contre lui aucune preuve de corruption passive ». Il m'a fermement répondu : « Personne n'a jamais été en mesure de présenter une seule charge de corruption contre Poutine. »

De 2001 jusqu'à aujourd'hui, j'ai observé le montage négatif des médias américains contre Poutine... avec même des accusations d'assassinats, ou d'empoisonnements, pour finir par le comparer à Hitler. Allégations à l'appui desquelles nul n'a présenté à ce jour le moindre élément concret. Pendant ce temps, j'ai voyagé dans toute la Russie, à plusieurs reprises chaque année, et j'ai vu le pays changer lentement sous la gouverne de Poutine. Les impôts ont été réduits, l'inflation a diminué, et des lois se sont mises en place peu à peu. Les écoles et les hôpitaux ont commencé à s'améliorer. Les petites entreprises se sont développées de plus en plus, l'agriculture a montré des signes d'amélioration, et les magasins d'alimentation se sont trouvés de mieux en mieux approvisionnés. Les problèmes d'alcoolisme se sont faits moins évidents, l'interdiction de fumer dans les bâtiments a vu le jour, et l'espérance de vie a commencé à augmenter. On a construit des autoroutes à travers le pays, de nouvelles voies de chemin de fer et des trains modernes sont apparus même en des endroits reculés, et le secteur bancaire est devenu de plus en plus fiable. La Russie a commencé à ressembler à un pays décent ; elle n'a sans doute pas encore atteint le niveau que les Russes espèrent depuis longtemps, mais l'amélioration se fait progressivement, et pour autant qu'ils se rappellent, c'est la première fois.

Mes voyages en Russie de 2013/2014 : en plus de Saint-Pétersbourg et de Moscou, je suis allée en septembre dans les montagnes de l'Oural, et j'ai passé quelque temps à Iekaterinbourg, à Tcheliabinsk et à Perm. Nous sommes allés d'une ville à l'autre en automobile et en train ; les champs et les forêts semblent en bonne santé, les petites villes sont repeintes de frais et l'on y voit de nouvelles constructions. Les Russes d'aujourd'hui ressemblent aux Américains (ce sont les mêmes vêtements qui nous viennent de Chine, aux uns et aux autres). Les vieux blocs d'habitation en béton du temps de Khrouchtchev cèdent la place à de nouveaux complexes résidentiels privés à plusieurs étages, tout à fait charmants. Des centres d'affaires de grande hauteur, de beaux hôtels et de grands restaurants sont maintenant chose courante, et ce sont des lieux que fréquentent les Russes ordinaires. Des maisons résidentielles à deux et trois étages ceinturent aujourd'hui ces villes russes pourtant loin de Moscou. Nous avons visité de nouveaux musées, des bâtiments municipaux et d'énormes supermarchés. Les rues sont en bon état, les autoroutes sont neuves et leur marquage est enfin bon, les stations-service ressemblent à celles qui parsèment les routes américaines. En janvier, je suis allée à Novossibirsk, en Sibérie, où une nouvelle architecture de ce type a été observée. Les rues étaient maintenues ouvertes à la circulation grâce à un déneigement constant, un éclairage moderne gardait la ville éclairée toute la nuit, beaucoup de nouveaux feux de circulation (avec compte-à-rebours des secondes jusqu'au changement de feu) avaient fait leur apparition. Je suis étonnée de voir tout le progrès qu'a fait la Russie au cours des 14 dernières années, depuis qu'un inconnu sans expérience est entré à la présidence russe et a repris un pays qui gisait sur le ventre.

Alors pourquoi nos dirigeants et nos médias dénigrent-ils Poutine et la Russie ? Pourquoi les diabolisent-ils ?

Comme Lady MacBeth, ne protestent-ils pas trop ?

Les psychologues nous disent que les gens (et les pays ?) projettent sur les autres ce qu'ils ne veulent pas regarder sur eux-mêmes. Ce sont les autres qui portent notre « ombre » lorsque nous refusons de la posséder. Nous conférons aux autres ces mêmes traits que nous sommes horrifiés de reconnaître en nous.

Serait-ce la raison pour laquelle nous trouvons constamment à redire de Poutine et de la Russie ?

Se pourrait-il que nous projetions sur Poutine nos propres péchés et ceux de nos dirigeants ?

Se pourrait-il que nous condamnions la corruption de la Russie, en faisant comme si la corruption n'existait pas dans le monde de nos propres entreprises ?

Se pourrait-il que nous condamnions chez eux la situation en matière de droits de l'homme et les questions qui ont trait aux lesbiennes, gays bi et trans, sans affronter le fait que nous n'avons pas résolu ces mêmes questions chez nous ?

Se pourrait-il que nous accusions la Russie de tenter de « reconstituer l'URSS » à cause de ce que nous faisons nous-mêmes pour rester « l'hégémonie » qui domine le monde ?

Se pourrait-il que nous projetions des comportements nationalistes sur la Russie parce que c'est ce que nous sommes nous-mêmes devenus, et que nous ne voulons pas y faire face ?

Serait-ce que nous projetons une attitude va-t-en-guerre et belliciste sur la Russie, en raison de ce que nous avons fait au cours des dernières administrations américaines ?

Sharon Tennison
Traduit par Goklayeh pour vineyardsaker.fr

Notes de Traduction

[1] Le Mariinsky, ou palais Marie, fut construit à Saint-Pétersbourg, sur commande du tsar Nicolas Ier, pour sa fille, la grande-duchesse Marie Nikolaïevna, à l'occasion de son mariage ; ancien siège du Soviet de Léningrad, le bâtiment abrite depuis 1994 l'Assemblée législative de Saint-Pétersbourg. (wikipedia, anglais)

[2] Le Centre d'initiatives citoyennes. (wikipedia, anglais)

[3] Programme d'amélioration de la productivité

[4] Service canadien du renseignement de sécurité.

Sharon Tennison a travaillé pendant 25 ans, en Russie et dans la Communauté des États indépendants (CEI), à la création de nombreux programmes d'assistance technique pluriannuels de plusieurs millions de dollars, destinés à assurer la formation des citoyens soviétiques et russes pour leur permettre d'accéder à l'indépendance et à certaines compétences conçues en vue d'une auto-gouvernance. Elle est fondatrice et présidente du Centre d'initiatives citoyennes (CICSF) à San Francisco. Elle est l'auteur du livre The Power of Impossible Ideas: Evidence that Ordinary People can Accomplish Extraordinary Feats Even in International Relations, édité en octobre 2012. Elle vit une partie de l'année en Russie et y voyage beaucoup.

Source : PUTIN, BY SHARON TENNISON (vineyardsaker, anglais, 17-09-2014)

http://www.vineyardsaker.fr/2014/09/19/poutine-raconte-sharon-tennison/

Ce dernier lien est périmé, le site vineyardsaker.fr n'existe plus.

JacquesL

Que veut Poutine ?

http://lesakerfrancophone.net/que-veut-poutine/

Citer
Que veut Poutine ?

Par Rostislav Ischenko – Le 11 février 2015 – Source thesaker.is

Il est gratifiant que les «patriotes» n'aient pas instantanément accusé Poutine pour l'échec de la mise en déroute à grande échelle des troupes ukrainiennes au Donbass en janvier et février, ni pour les consultations de Minsk avec Merkel et Hollande.

Néanmoins ils attendent impatiemment une victoire. Les plus radicaux sont convaincus que Poutine finira par «rendre la Novorussie», alors que les modérés craignent que, dès la signature de la prochaine trêve (si cela se réalise), un regroupement et un grossissement des rangs de l'armée novorusse aient lieu (ce qui aurait pu être fait sans désengagement des opérations militaires), et qu'il faille se réadapter à de nouvelles circonstances sur le plan international, se préparer à de nouvelles batailles diplomatiques.

En fait, malgré toute l'attention que portent les dilettantes politiques et/ou militaires (les Talleyrands et Bonapartes d'Internet) sur la situation dans le Donbass et plus généralement en Ukraine, il ne s'agit là que d'un seul point sur le front mondial: le résultat de la guerre ne se déterminera pas sur l'aéroport de Donetsk, ni sur les collines des abords de Debaltsevo, mais dans des bureaux de la place Staraya [1], de la place Smolenskaya [2], de Paris, de Bruxelles et de Berlin. L'action militaire n'est qu'un des nombreux éléments qui composent la querelle politique.

C'est aussi bien l'ultime élément, le plus terrible, il comporte de grands risques, mais l'affaire ne commence pas et ne se termine pas avec la guerre. C'est seulement une étape intermédiaire qui marque l'impossibilité du compromis. Sa conséquence est de créer de nouvelles conditions, rendant un compromis possible ou alors montrant que celui-ci n'est plus nécessaire, du fait de la disparition d'une des parties au conflit. Quand vient le moment du compromis – quand les combats cessent, les troupes sont de retour à leurs casernes et les généraux commencent à écrire leurs mémoires et à préparer la prochaine guerre – c'est alors, à la table des négociations que les politiciens et les diplomates déterminent le résultat réel de la confrontation.

Souvent les décisions politiques ne sont comprises ni par la population, ni par les militaires. Par exemple, pendant la guerre austro-prussienne de 1866, le chancelier prussien Otto Von Bismarck (plus tard chancelier de l'Empire allemand) avait ignoré les demandes répétées du roi Guillaume Ier (le futur empereur allemand), ainsi que les exigences des généraux prussiens de prendre Vienne, et il avait eu tout à fait raison. De cette façon, il avait accéléré la paix à partir des exigences prussiennes et s'était également assuré que l'Autriche-Hongrie reste dès lors – jusqu'à son démembrement en 1918 – un partenaire mineur de la Prusse et plus tard de l'Empire allemand.

Pour comprendre comment, quand et dans quelles conditions l'activité militaire peut se terminer, il est nécessaire de savoir ce que les politiciens veulent et comment ils envisagent les conditions d'un compromis d'après-guerre. Alors la raison pour laquelle l'action militaire s'est transformée en guerre civile de faible intensité avec des trêves occasionnelles, non seulement en Ukraine, mais aussi en Syrie, deviendrait claire.

De toute évidence, les points de vue des politiciens de Kiev ne nous intéressent pas, parce qu'ils ne décident de rien. Le fait que les étrangers gouvernent l'Ukraine n'est plus occulté. Que les ministres soient des Estoniens ou des Géorgiens n'a pas d'importance; ils sont tout d'abord des Étasuniens. Ce serait également une grosse erreur de s'intéresser à la façon dont les dirigeants de la République populaire de Donetsk (RPD) et de la République populaire de Lougansk (RPL) voient l'avenir. Les républiques existent seulement grâce au soutien russe. Aussi longtemps que la Russie les soutiendra, ils devront protéger les intérêts de la Russie, même dans leurs décisions et initiatives indépendantes. Les enjeux sont trop importants pour permettre à [Alexandre] Zakharchenko ou [Igor] Plotnitzky, ou n'importe qui d'autre d'ailleurs, de prendre des décisions indépendantes.

Nous ne sommes pas non plus intéressés par la position de l'Union européenne. Beaucoup dépendait de l'UE jusqu'en été dernier. Alors la guerre aurait pu être évitée ou arrêtée dès le départ. Une position ferme de principe de la part de l'UE contre la guerre aurait été nécessaire. Elle aurait pu bloquer les initiatives des États-Unis pour la commencer et aurait fait de l'UE un acteur géopolitique indépendant significatif. L'UE a raté cette occasion et s'est comportée en fidèle vassal des États-Unis.

En conséquence, l'Europe est au bord d'un bouleversement interne effrayant. Dans les années à venir, elle a toutes les chances de subir le même sort que l'Ukraine, mais dans un grand vacarme, une grande effusion de sang et avec moins de chances que les choses ne se tassent en peu de temps – en d'autres termes, que quelqu'un se présente pour mettre de l'ordre.

En fait, aujourd'hui l'UE peut faire le choix de rester l'outil des États-Unis ou de se rapprocher de la Russie. Selon son choix, l'Europe pourra s'en tirer avec une légère frayeur, comme la rupture de certaines parties de sa périphérie et la possible fragmentation de certains pays, ou elle pourra s'effondrer complètement. À en juger par la réticence des élites européennes à rompre ouvertement avec les États-Unis, l'effondrement est presque inévitable.

Ce qui devrait nous intéresser, ce sont les avis des deux principaux acteurs qui déterminent la configuration du front géopolitique et, en fait, se battent pour la victoire dans une nouvelle génération de guerre globale en réseau, la Troisième Guerre mondiale. Ces joueurs sont les États-Unis et la Russie.

La position étasunienne est claire et transparente. Dans la seconde moitié des années 1990, Washington a raté l'opportunité de réformer son économie de guerre froide sans obstacle et d'éviter ainsi la crise imminente de son système, dont le développement est limité par les ressources de la planète Terre, y compris humaines, limites qui sont antagoniques avec l'incessant besoin d'imprimer des dollars.

Après cela, les États-Unis ne pouvaient que prolonger l'agonie du système en pillant le reste du monde. Dans un premier temps, ils s'en sont pris aux pays du Tiers-Monde; puis aux concurrents potentiels; puis à leurs alliés et même à leurs proches amis. Ce pillage aurait pu persister aussi longtemps que les États-Unis seraient restés les maîtres incontesté du monde.

Ainsi, lorsque la Russie a affirmé son droit de prendre des décisions politiques indépendantes – des décisions d'importance régionale et non mondiale – un affrontement avec les États-Unis était devenu inévitable. Ce choc ne pourra pas finir en compromis de paix.

Pour les États-Unis, un compromis avec la Russie signifierait une renonciation volontaire à son hégémonie, ce qui conduirait à une rapide catastrophe systémique – pas seulement une crise politique et économique, mais aussi une paralysie des institutions de l'État et l'incapacité du gouvernement de fonctionner. En d'autres termes, son inévitable désintégration.

Mais si les États-Unis gagnent, ce serait la Russie qui subirait une catastrophe systémique. Après une certaine forme de rébellion, les classes dirigeantes de la Russie seraient punies par la liquidation et la confiscation de leurs actifs ainsi que par l'emprisonnement. L'État serait fragmenté, des territoires importants annexés, et la puissance militaire du pays détruite.

Par conséquent la guerre durera jusqu'à ce qu'un côté ou l'autre gagne. Tout accord intérimaire ne devrait être considéré que comme une trêve – un répit nécessaire pour regrouper, pour mobiliser de nouvelles ressources et trouver (c'est à dire, braconner) des alliés supplémentaires.

Pour compléter le tableau, nous n'avons besoin que de la position de la Russie. Il est essentiel de comprendre les objectifs des dirigeants russes, en particulier ceux du président, Vladimir Poutine. Nous parlons du rôle clé que joue Poutine dans l'organisation de la structure du pouvoir russe. Ce système n'est pas, comme beaucoup l'affirment, autoritaire, mais fait plutôt autorité – ce qui signifie qu'il n'est pas fondé sur la consolidation législative de l'autocratie, mais sur l'autorité de la personne qui l'a créé et qui étant à sa tête, le fait fonctionner efficacement.

Au cours des quinze années de pouvoir exercé par Poutine, et en dépit des situations internes et externes difficiles, il a essayé de maximiser le rôle du gouvernement, de l'Assemblée législative, et même des autorités locales. Ce sont des mesures tout à fait logiques qui auraient dû assurer au système intégrité, stabilité et continuité. Parce qu'aucun politicien ne peut garder le pouvoir éternellement, la continuité politique, indépendamment de qui vient au pouvoir, est la clé de la stabilité du système.

Malheureusement, le contrôle entièrement autonome, à savoir la capacité de fonctionner sans la supervision du président, n'a pas été atteinte. Poutine reste l'élément clé du système parce que les gens mettent leur confiance en lui personnellement. Ils ont beaucoup moins confiance dans le système tel qu'il est représenté par les pouvoirs publics et des organismes individuels.

Ainsi, les opinions et les plans politiques de Poutine deviennent le facteur décisif dans des domaines tels que la politique étrangère. Si l'expression «sans Poutine, il n'y a pas de Russie» est une exagération, alors la phrase «ce que Poutine veut, la Russie le veut aussi» reflète à mon avis assez précisément la situation .

Tout d'abord, notons que l'homme qui pendant quinze ans avait attentivement guidé la Russie vers sa renaissance l'a fait dans des conditions où les États-Unis avaient l'hégémonie en politique mondiale, ainsi que des possibilités importantes d'influer sur la politique intérieure de la Russie. Il a dû comprendre la nature de la lutte et son adversaire. Autrement, il n'aurait pas duré si longtemps.

Le niveau de confrontation que la Russie s'est autorisé face aux États-Unis a progressé très lentement et jusqu'à un certain point est passé inaperçu. Par exemple, la Russie n'a pas réagi du tout à la première tentative de révolution de couleur en Ukraine en 2000-2002 (l'affaire Gongadze [3], le Scandale des cassettes [4] et la protestation d'Ukraine sans Koutchma [5]).

La Russie a pris une position d'opposition, mais n'est pas intervenue activement dans les coups qui ont eu lieu à partir de novembre 2003 jusqu'en janvier 2004 en Géorgie et de novembre 2004 à janvier 2005 en Ukraine. Mais en 2008, en Ossétie et en Abkhazie, la Russie a utilisé ses troupes contre la Géorgie, un allié des États-Unis. En 2012, en Syrie, la flotte russe a démontré sa volonté d'affronter les États-Unis et ses alliés de l'Otan.

En 2013, la Russie a commencé à prendre des mesures économiques contre le régime de [Victor] Ianoukovitch, qui avait contribué à la réalisation et à la signature de l'accord nocif d'association [avec l'UE].

Moscou n'a pas pu sauver l'Ukraine du coup d'État en raison de la bassesse, de la lâcheté et de la stupidité de ses dirigeants – non seulement Ianoukovitch, mais tous sans exception. Après le coup d'État armé à Kiev en février 2014, la Russie est entrée en confrontation ouverte avec Washington. Avant cela, les conflits étaient entrecoupés d'améliorations dans les relations; mais au début de 2014 les relations entre la Russie et les États-Unis se sont rapidement détériorées et ont presque immédiatement atteint le point où en une ère pré-nucléaire la guerre aurait été déclarée automatiquement.

Ainsi, aux moments appropriés, Poutine a su engager précisément le niveau de confrontation avec les États-Unis que la Russie pouvait gérer. Si la Russie maintenant ne limite pas le niveau de ses confrontations, cela signifie que Poutine estime que, dans la guerre des sanctions, la guerre des nerfs, la guerre de l'information, la guerre civile en Ukraine, et la guerre économique, la Russie peut gagner.

C'est la première conclusion importante à propos de ce que Poutine veut et sur ce qu'il anticipe. Il anticipe la victoire. Et considérant qu'il adopte une approche méticuleuse et qu'il s'efforce d'anticiper les surprises, vous pouvez être sûrs que lorsque la décision a été prise de ne pas reculer sous la pression des États-Unis, mais de lui répondre, les dirigeants russes avaient une double, sinon une triple, garantie de victoire.

Je voudrais souligner que la décision d'entrer en conflit avec Washington n'a pas été prise en 2014, pas plus qu'en 2013. La guerre du 8 août 2008 était un défi que les États-Unis ne pouvaient laisser sans réponse. Après cela, chaque nouvelle étape de confrontation s'accompagnait d'une montée des enchères. De 2008 à 2010, la capacité des États-Unis – non seulement militaire ou économique, mais leur capacité globale – a décliné, alors que celle de la Russie s'est sensiblement améliorée. Donc l'objectif principal était de faire monter les enchères de manière lente plutôt qu'explosive. En d'autres termes, devant une confrontation où les simulacres sont écartés, tout le monde comprend la situation et la nécessité de retarder une guerre ouverte aussi longtemps que possible ou mieux encore l'éviter complètement.

Chaque année qui passait voyait les États-Unis s'affaiblir alors que la Russie se renforçait. Ce processus est naturel et impossible à arrêter. Nous pouvons prévoir avec un degré élevé de certitude que d'ici 2020-2025, en l'absence de confrontations, la période hégémonique des États-Unis viendra à sa fin, et qu'ils seraient alors mieux inspirés de ne plus penser comment gouverner le monde, mais comment conjurer la précipitation de leur propre déclin interne.

Ainsi le second désir de Poutine devient clair: maintenir la paix ou son apparence aussi longtemps que possible. La paix est avantageuse pour la Russie parce que dans des conditions de paix, sans énormes dépenses, elle obtiendrait les mêmes résultats politiques, mais dans une bien meilleure situation géopolitique. C'est pourquoi la Russie avance continuellement avec la branche d'olivier. Pareillement la junte de Kiev, dans des conditions de paix au Donbass, s'effondrerait. Dans les mêmes conditions dans le monde, le complexe militaro-industriel et le système financier mondial créés par les États-Unis seraient voués à l'autodestruction. De cette façon, les actions de la Russie reflètent justement la maxime de Sun Tzu : «La plus grande victoire est celle qui ne nécessite pas de bataille.»

Il est clair que Washington n'est pas gouverné par des idiots, peu importe ce qui se dit dans les talk-shows russes ou s'écrit sur les blogs d'internet. Les États-Unis comprennent précisément la situation où ils se trouvent. En outre, ils comprennent également que la Russie n'a pas l'intention de les détruire et qu'elle est vraiment prête à coopérer d'égal à égal. Même si, en raison de la situation politique et socio-économique aux États-Unis, cette coopération ne leur est pas acceptable. Un effondrement de leur économie et une explosion sociale seraient susceptibles de se produire (même avec le soutien de Moscou et de Pékin) avant qu'ils aient le temps d'introduire les réformes nécessaires, et en particulier si l'on considère que l'UE sera dans la même situation et qu'elle aura aussi à faire des réformes. En outre, les membres de l'élite politique qui a émergé aux États-Unis les 25 dernières années sont habitués à leur statut de propriétaires du monde. En toute sincérité, ils ne comprennent pas que l'on puisse le leur contester.

Pour l'élite dirigeante des États-Unis (pas tant la classe affaires, mais la bureaucratie gouvernementale), passer d'un pays qui décide du sort des peuples inférieurs à celui qui négocie avec eux sur un pied d'égalité serait intolérable. Cela équivaudrait probablement à offrir à Gladstone ou à Disraeli le poste de Premier ministre du royaume zoulou sous Cetshwayo kaMpande. Et ainsi contrairement à la Russie, qui a besoin de paix pour se développer, les États-Unis considèrent la guerre comme vitale.

En principe, toute guerre est une lutte pour des ressources. Typiquement, le gagnant est celui qui a plus de ressources et qui peut finalement mobiliser davantage de troupes et construire plus de chars, de navires et d'avions. Même si, parfois, ceux qui sont défavorisés stratégiquement peuvent renverser la situation avec une victoire tactique sur le champ de bataille. Les exemples incluent les guerres d'Alexandre le Grand et de Frédéric le Grand, ainsi que la campagne d'Hitler en 1939-1940.

Les puissances nucléaires ne peuvent pas se confronter directement l'une à l'autre. Par conséquent, leur base de ressources est d'une importance primordiale. C'est précisément la raison pour laquelle au cours de cette année la Russie et les États-Unis se sont engagés dans une course désespérée pour trouver des alliés. La Russie a remporté cette course. Les États-Unis ne peuvent compter comme alliés – et pas toujours de manière inconditionnelle – que sur l'UE, le Canada, l'Australie et le Japon; mais la Russie a réussi à mobiliser le soutien des BRICS, à prendre solidement pied en Amérique latine, et à commencer à remplacer les États-Unis en Asie et en Afrique du Nord.

Bien entendu, ce n'est manifestement pas évident, mais si l'on considère les résultats des votes à l'ONU, en assumant que le défaut de soutien officiel pour les États-Unis signifie la dissidence et donc le soutien à la Russie, il s'avère que les pays alignés avec elle dans leur ensemble contrôlent environ 60% du PIB mondial, ont plus des deux-tiers de la population du globe et couvrent plus des trois-quarts de sa surface. Ainsi la Russie a été en mesure de mobiliser davantage de ressources.

À cet égard, les États-Unis avaient deux options tactiques. La première semblait avoir un important potentiel et ils l'ont employée dès les premiers jours de la crise ukrainienne.

Il s'agissait d'essayer de mettre la Russie en face du dilemme de l'obliger à choisir entre une mauvaise situation et une situation encore pire. La Russie aurait été contrainte d'accepter un État nazi à ses portes et donc de perdre de manière dramatique son autorité internationale, de pair avec la confiance et le soutien de ses alliés. Après un court laps de temps, elle serait devenue vulnérable aux forces pro-étasuniennes internes et externes, sans avoir de chance de survie. Elle aurait pu choisir d'envoyer son armée en Ukraine, balayer la junte avant qu'elle ne s'organise, et rétablir le gouvernement légitime de M. Ianoukovitch. Dans ce cas, toutefois, elle serait accusée d'agression contre un État indépendant et de répression de révolution populaire. Une telle situation aurait entraîné un degré élevé de désapprobation de la part des Ukrainiens et nécessité la dépense constante de ressources militaires significatives, politiques, économiques et diplomatiques, ainsi que le maintien d'un régime fantoche à Kiev, car aucun autre gouvernement n'aurait été possible dans de telles conditions.

La Russie a évité ce dilemme. Il n'y a pas eu d'invasion directe. C'est le Donbass qui se bat contre Kiev. Ce sont les Étasuniens qui sont obligés de consacrer des ressources rares au régime fantoche moribond de Kiev, alors que la Russie peut rester à l'écart en faisant des propositions de paix.

Ainsi, maintenant, les États-Unis emploient la deuxième option. Elle est vieille comme le monde. Ce qui ne peut être tenu, et qui sera pris par l'ennemi, doit être endommagé autant que possible afin que sa victoire devienne plus coûteuse que sa défaite, et que toutes ses ressources soient utilisées pour reconstruire le territoire détruit. Les États-Unis ont donc cessé d'aider l'Ukraine, sauf pour la rhétorique politique tout en encourageant Kiev à répandre la guerre civile à travers tout le pays.

La terre ukrainienne doit brûler, non seulement à Donetsk et Lougansk mais aussi à Kiev et Lvov. La tâche est simple: détruire autant que possible l'infrastructure sociale et laisser la population à la limite de la survie. Alors la population de l'Ukraine consistera en millions d'affamés, désespérés mais lourdement armés, qui s'entretueront pour de la nourriture. La seule façon d'arrêter ce bain de sang sera une intervention massive militaire internationale en Ukraine (la milice à elle seule ne suffirait pas) avec de très importantes injections de fonds pour nourrir la population et reconstruire l'économie jusqu'à ce que le l'Ukraine puisse recommencer à se nourrir.

Il est clair que tous ces coûts seraient à charge de la Russie. Poutine estime à juste titre que dans ce cas, non seulement le budget, mais aussi les ressources publiques en général, y compris militaires, seraient débordées et peut-être insuffisantes. Par conséquent, l'objectif consiste à ne pas permettre à l'Ukraine d'exploser avant que la milice puisse ramener la situation sous contrôle. Il est crucial de minimiser les pertes et la destruction et de sauver autant que possible l'économie et l'infrastructure des grandes villes afin que la population, en quelque sorte, survive. Alors les Ukrainiens eux-mêmes se chargeront des racailles nazies.

À ce stade, un allié pour Poutine apparaît sous la forme de l'UE. Parce que les États-Unis ont toujours essayé d'utiliser les ressources européennes dans leur lutte contre la Russie. L'UE, déjà affaiblie, a atteint le point d'épuisement et doit résoudre ses propres problèmes qui purulent depuis longtemps.

Si l'Europe avait à sa frontière orientale une Ukraine complètement détruite, d'où des millions de gens armés fuiraient non seulement vers la Russie mais aussi vers l'UE, amenant avec eux des passe-temps sympathiques tels que le trafic de drogue, le trafic d'armes et le terrorisme, l'UE ne survivrait pas. D'un autre côté les républiques populaires de Novorussie serviraient de tampon pour la Russie.

L'Europe ne peut pas affronter les États-Unis, mais elle est morte de peur à la perspective d'une Ukraine détruite. Par conséquent, pour la première fois dans le conflit, Hollande et Merkel ne se contentent pas d'atténuer les exigences étasuniennes (en imposant des sanctions, sans aller trop loin), mais entreprennent aussi une action indépendante limitée dans le but de parvenir en Ukraine à un compromis – peut-être pas à la paix, mais au moins à une trêve.
Si l'Ukraine prend feu, elle brûlera rapidement, et si l'UE est devenue un partenaire peu fiable, c'est-à-dire même si elle n'est pas prête à passer dans le camp de la Russie, mais décide juste d'adopter une position neutre, alors Washington, fidèle à sa stratégie, sera obligé de mettre le feu à l'Europe.

Il est clair qu'une série de guerres, civiles et entre pays, dans un continent empli de toutes sortes d'armes, et où vivent plus d'un demi-milliard de personnes, serait bien pire que la guerre civile ukrainienne. L'Atlantique sépare les États-Unis de l'Europe. Même la Grande-Bretagne pourra espérer rester à l'abri derrière la Manche. Mais la Russie et l'UE partagent une très longue frontière.

Il n'est pas du tout dans l'intérêt de la Russie d'avoir un incendie qui s'étend de l'Atlantique aux Carpates alors que dans les territoires entre les Carpates et le Dniepr couvent des cendres encore fumantes. Par conséquent, un autre objectif de Poutine serait, dans la mesure du possible, d'éviter les effets les plus négatifs d'une conflagration en Ukraine et d'une autre en Europe. Parce qu'il est impossible d'empêcher complètement une telle éventualité (si les États-Unis veulent mettre le feu, ils le mettront), il est nécessaire d'être en mesure de l'éteindre rapidement pour préserver ce qu'il y a de plus précieux.

Ainsi, pour protéger les intérêts légitimes de la Russie, Vladimir Poutine considère que la paix a une importance vitale, car c'est la paix qui permettra d'atteindre cet objectif avec un effet maximum et à un coût minimum. Mais comme la paix n'est plus possible, et que les trêves deviennent de plus en plus théoriques et fragiles, il a besoin aussi que la guerre finisse aussi rapidement que possible.

Mais je tiens à souligner que si un compromis aurait pu être atteint il y a un an dans des conditions favorables pour l'Occident (la Russie aurait quand-même atteint ses objectifs, mais plus tardivement – ce qui est une concession mineure), maintenant ce n'est plus possible, et la situation progressivement s'aggrave. En apparence elle reste la même; la paix à presque n'importe quelle condition est toujours bénéfique pour la Russie. Il n'y a qu'une seule chose qui ait changé, mais elle est de la plus haute importance: l'opinion publique. La société russe aspire à la victoire et au châtiment. Comme je l'ai souligné plus haut, la puissance russe fait autorité, plutôt que d'être autoritaire; par conséquent, l'opinion publique en Russie importe, contrairement aux démocraties traditionnelles.

Poutine peut maintenir son rôle de pivot du système aussi longtemps qu'il a le soutien de la majorité de la population. S'il perdait cet appui, du fait qu'aucune personnalité de sa stature n'a émergé de l'élite politique russe, le système perdrait sa stabilité. Mais le pouvoir ne peut maintenir son autorité que tant qu'il incarne avec succès les souhaits des masses. Ainsi la défaite du nazisme en Ukraine, même si elle n'est que diplomatique, doit être claire et incontestable – ce n'est que dans ces conditions qu'un compromis russe serait possible.

Ainsi, indépendamment de la volonté de Poutine et des intérêts de la Russie, compte tenu du rapport de forces global, ainsi que des priorités et des capacités des protagonistes, une guerre qui aurait dû se terminer l'an dernier à l'intérieur des frontières de l'Ukraine débordera presque certainement en Europe. On ne peut que deviner qui sera le plus efficace – les Étasuniens avec leur bidon d'essence ou les Russes avec leur extincteur? Mais une chose est absolument claire: les initiatives de paix des dirigeants russes seront limitées non pas par leurs désirs, mais par leurs capacités réelles. Il est vain de se battre contre les souhaits de la population ou contre le cours de l'histoire; mais quand les deux coïncident, la seule chose qu'un homme politique sage puisse faire est de comprendre les souhaits de la population et la direction du processus historique et d'essayer de le soutenir à tout prix.

Les circonstances décrites ci-dessus font qu'il est extrêmement improbable que les souhaits des partisans d'un État indépendant novorusse s'accomplissent. Étant donnée l'ampleur de la conflagration à venir, déterminer le sort de l'Ukraine dans son ensemble n'est pas excessivement compliqué, mais cela reviendra cher.

Ce ne serait que logique que le peuple russe demande: si les Russes, que nous avons sauvés des nazis, vivent en Novorussie, pourquoi doivent-ils vivre dans un État séparé? S'ils veulent vivre dans un État séparé, pourquoi la Russie reconstruirait-elle leurs villes et leurs usines? À ces questions il n'y a qu'une seule réponse raisonnable: la Novorussie devrait faire partie de la Russie (d'autant plus qu'elle dispose de suffisamment de combattants, bien que la classe dirigeante soit problématique). Eh bien, si une partie de l'Ukraine peut se joindre à la Russie, pourquoi pas l'Ukraine tout entière ? D'autant plus qu'en toute vraisemblance, quand cette question sera à l'ordre du jour, l'Union européenne ne sera plus [pour l'Ukraine] une alternative à l'Union eurasienne.

Par conséquent, la décision de rejoindre la Russie sera prise par une Ukraine unie fédérée et non par une entité sans statut clair. Je pense qu'il est prématuré de redessiner la carte politique. Très probablement, le conflit en Ukraine sera conclu d'ici la fin de l'année. Mais si les États-Unis parviennent à étendre le conflit à l'UE (et ils essaieront), la résolution finale des questions territoriales sera retardée d'au moins un ou deux ans et peut-être plus.

Dans n'importe quelle situation, la paix nous est bénéfique. Dans des conditions de paix, alors que les ressources de la Russie se développeront, de nouveaux alliés (anciens partenaires des États-Unis) viendront se mettre à ses côtés, et comme Washington sera progressivement marginalisée, la restructuration territoriale deviendra beaucoup plus simple et temporairement moins importante, en particulier pour ceux qui seront restructurés.

Notes:
1. Rue de Moscou où se trouve le siège de l'administration présidentielle de la Russie.
2. Place à Moscou où se situe le ministère russe des Affaires étrangères.
3. Géorgiy Gongadze était un journaliste et réalisateur ukrainien né en Géorgie, qui a été enlevé et assassiné en 2000.
4. Le Scandale des cassettes a éclaté en 2000 avec la fuite de cassettes audio où Leonid Koutchma aurait discuté de la nécessité de réduire au silence Gongadze pour avoir rapporté sur la corruption de haut niveau.
5. En conséquence du Scandale des cassettes, une manifestation massive anti-Koutchma avait eu lieu en Ukraine en 2000-2001.

Article original en russe.

Traduit du russe par Denis, Gideon, and Robin

Traduit de l'anglais par Alexandre Moumbaris, relu par Marie-José Moumbaris pour le Saker Francophone.