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La guerre contre les instruits, ça aussi c'est de la lutte des classes.

Démarré par JacquesL, 18 Juin 2014, 12:27:13 AM

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JacquesL

La guerre contre les instruits, ça aussi c'est de la lutte des classes.

"Non les gars ! Vous n'avez pas les pieds sur Terre ! Vous cherchez dans des bouquins !"
Cette explosion de fureur était celle d'un professeur de technologie, à Montreuil en 1994. Il s'en prenait ainsi au cours de métallurgie physique, tome 6, publié par La Documentation Française, d'auteurs Y. Adda, JM. Dupouy, J. Philibert et Y. Quéré, cours qui était posé devant moi, sur la table basse de la salle des profs. Quelle était sa technologie ? Peinture automobile. La plus intellectuelle pratiquée dans cet établissement était l'électrotechnique. Physiquement, il était sosie de l'acteur Paul Le Person (Maître Vallin dans "Histoire d'une fille de ferme", de Claude Santelli, ou le têtu et borné baron de Brecheville dans "Blanc bleu rouge"). Nous le désignerons donc par le sigle SPLP.
En toute confidence, vingt ans après, j'ai oublié quelle micrographie électronique m'intéressait là pour en faire un transparent à projeter à nos élèves. Des corrosions intergranulaires, en micrographie par balayage ? Ou le rubannage des domaines magnétiques, en micrographie par transmission ? L'intérêt pédagogique était de faire savoir que dans nombre de domaines, dont la structure de la matière, l'échelle de nos mains n'est pas la bonne pour comprendre la réalité des phénomènes, et qu'une théorie macroscopique à l'échelle de nos mains est condamnée à se casser la gueule.

Quelqu'un pourrait-il nous expliquer comment mon silence et mon livre ont fait pour devenir ce pluriel "les gars", qui au pluriel "n'ont pas les pieds sur Terre" ?

Nous étions là en présence d'un exemple chimiquement pur d'un transfert : confusion entre le passé biographique personnel de SPLP, et le passé collectif de ses groupes d'appartenance et classe sociale d'une part, et d'autre part un présent que SPLP ne comprend pas. Ce n'est pas un transfert au sens des freudiens : nulle trace d'un refoulement de la petite enfance ; la haine de classe et la haine à l'égard des enseignants de sa scolarité avait toujours été ouverte. Il ne s'agit nullement de pulsions reptiliennes qui auraient été punies et refoulées, mais au contraire de celles qui ont été encouragées et renforcées par l'entourage. L'entourage leur a "appris" que taper tous ensemble sur la tête d'un bouc émissaire, c'est vachement chouette et ça fait du bien.

Il est futile de passer sa vie à rosser la suffisance des énarques (Coluche y excellait) si dans le même temps on dénie les suffisances populistes et/ou ouvrières. Cette suffisance bien installée est au nombre des héritages toxiques laissés par Mao Zheu Dong.

En quoi la langue française populaire est-elle devenue inadaptée ?
Nombre des rancoeurs de populistes s'exacerbent autour de leurs nombreuses fautes de français, confusions de mots, grammaire culbutée. Sur le Net, ils trouvent un palliatif : abuser des souriards, et autres images toutes faites, afin de ne pas avoir à se donner la peine de construire une phrase. Recueil à http://citoyens.deontolog.org/index.php/topic,1455.0.html.

De réformes simplificatrices en réformes simplificatrices, le fossé entre le populo et les lettrés persiste à s'élargir. Il est prudent, vu la disproportion des bataillons en présence, de taper sur la goule des moins nombreux, les savants et les lettrés. On risque moins de se faire casser la gueule par les plus nombreux, les plus violents et les plus bêtes...

Lourde erreur. L'autre matin, en examinant l'aire d'un couple de milans noirs, un père a dû expliquer à son fils que l'aire, c'est a-i-r-e et que ça n'est pas l'air. Et c'est la faute aux savants si l'aire n'est pas l'air, qui n'est pas l'ère, qui n'est pas l'erre, qui n'est pas l'hère, qui ne sont pas des ers ? Est-ce la faute aux savants si seul l'écrit distingue encore des mots si différents, tous nécessaires, mais que la prononciation commune confond ?
Après épuisement des autres hypothèses, j'ai été acculé à conclure que c'est la paresse de la prononciation depuis la fin du seixième siècle, qui est la coupable. Au temps de Rabelais, on ne pronçait pas l'aire comme l'air : la voyelle finale et les s finaux étaient prononcés. On prenait encore le temps d'élocuter cela. Et "erre" était prononcé avec la redoublure de la consonne. D'autres langues prennent le temps de l'élocution. Pourquoi pas la nôtre ?

Les phonèmes qui restent prononcés, sur les tout petits nombres de syllabes que les gens acceptent de prononcer, voilà qui n'autorise qu'un vocabulaire bien trop restreint pour accueillir toutes les langues d'experts dont on a besoin.
La proposition populiste est de supprimer toutes les langues d'experts, tous les vocabulaires d'experts, et laisser roter et commander le populiste en chef.

La mère « qu'est-ce que je dis », et son fils
Le feuilleton "Pause-café" avec Véronique Janot en vedette comme assistante sociale dans un collège, avait parfois des thèmes trop faciles, mais le plus souvent un ton juste. Là il s'agit de la mère d'un fils quelque peu handicapé social. Elle est aussi la seule dans son quartier difficile à en imposer aux petits voyous harceleurs. Débile léger et un peu trop gros, le fils attire les moqueries, notamment par son tic de langage persistant : « Mais c'est bien qu'est-ce que je dis ! »
Rien n'y fait, aucun professeur n'arrive à obtenir de lui le langage correct. Devant les professeurs, la mère a le même tic de langage : « Mais c'est qu'est-ce que je lui dis tous les jours ! »...
Cela dure comme cela jusqu'à ce qu'il entende des professeurs bavarder entre eux, et voilà qu'il est question de sa mère : « Ah oui, la mère qu'est-ce que je dis » s'esclaffe une professeure. Le garçon ne dit rien, mais plus tard, interrogé et prié de préciser sa réponse : « C'est ce que je dis. ». Il a choisi son indépendance envers les infirmités héritées par piété filiale.

Pour progresser, il faut être capable de voter sa distance et son autonomie envers certains modèles hérités, dont on a reconnu les vices, marquer ses propres frontières d'avec sa famille et sa tribu, au lieu de se contenter de rehausser les frontières de la tribu contre le reste du monde.


Qui engrange les bénéfices de la guerre contre les instruits ?

La guerre contre les instruits est une guerre Perdant-Perdant : y perdent les instruits qui sont rossés, tandis que perdent aussi leurs guerroyeurs qui demeurent ignares et bouchés. C'est une lutte des classes, mais ça n'est juste pas la bonne.
Pourtant, il y a bien quelque part quelques uns qui n'y perdent pas, qui sont à l'abri des coups et hors des regards, qui profitent de la bêtise et de la folle agressivité de leurs nervis.
Inciter les ignares à mener la guerre contre les instruits permet de se garantir que leur bêtise n'ira pas regarder plus haut que les quelques instruits qui sont à portée de couteau. Ils se bouchent à toute libération de la dictature de l'émotion et de leur narcissisme, ils se bouchent tout accès à un esprit analytique. Leur intelligence est saturée à se justifier de l'injustifiable ; leur infirmité logique est pérennisée. L'oligarchie y trouve là bien son compte.