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La façon la plus délicieuse de traverser la piscine

Démarré par JacquesL, 19 Février 2007, 03:31:54 PM

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JacquesL

La façon la plus délicieuse de traverser la piscine


La façon la plus délicieuse de traverser la piscine, c'était accroché à mon cou. Après avoir bien joué dans le petit bain, puis après m'avoir laissé nager pour mon compte un millier de mètres, les aînés adoraient se faire remorquer par leur papa. Les premières fois, ils étaient accrochés bien serrés sur mon cou, me donnant quelques difficultés à respirer. A mesure que l'anxiété diminuait, ils parvenaient à apprendre à ne plus s'accrocher qu'à mes épaules, bras tendus, puis à nager des jambes seules, sans me shooter dans le dos.

Comment m'est revenu ce souvenir oublié, de ces petits bras enserrant mon cou  ? Cette nuit (6 décembre 2000), en lisant Alice Miller (L'enfant sous terreur) : la terreur et la solitude irrémédiable du jeune Franz Kafka dans sa famille, qu'il nous a livrés dans « La métamorphose », « Le procès », « Le château », « La colonie pénitentiaire ». Gustave Flaubert aussi, dans sa nouvelle écrite à quinze ans, « Quidquid volueris », a écrit en termes terrifiants son désespoir de ne pouvoir approcher sa mère, si étrangère, en termes à peine déguisés, sinon à lui-même, d'être réduit à la mutité, à l'impuissance de jamais dire quelque chose qui fut entendu.

Et la petite dernière ? Pourquoi n'a-t-elle jamais bénéficié de remorques au cou de son papa ? Le papa travaillait comme un forçat pour des clopinettes. Le papa avait renoncé à prendre des vacances. Et la guerre d'élimination du papa s'était bien installée dans la sournoiserie. Si le papa passait du temps avec Sigbert, la mère déboulait ivre de jalousie, visage blanc, lèvres pincées : « Que faites-vous ensemble ? Sigbert ! As-tu fini ceci ? Jacques ! As-tu fini cela ? ». Le père et les enfants ne pouvaient passer du temps ensemble qu'en l'absence de la folle jalouse.

Ces petits bras autour de mon cou... Qui maintenant s'indignent que mon cou n'ait toujours pas été tordu comme celui d'un poulet, que ma mémoire n'ait pas encore été anéantie.

La figure fermée de ces petits (elle surtout, surtout ! durant toutes ces années où elle fut fille unique) sur les photos sur la plage, l'admiration de l'ex-petite, devenue depuis ma femme, pour son papa « C'était un bel homme ! », la figure sévère et fermée de sa mère, cachant ses propres terreurs de petite fille, sous sa dureté de mère hypercontrôlante et intrusive sans limites. Puis les photos disparurent, le passé devint oublié et inapprochable, et les travers les plus horribles de ma belle-mère se réincarnèrent en sa fille, y compris son besoin de tuer tout ce qui la dépasse, et dont la vitalité lui échappe.

L'enfance n'a qu'un temps. Profitez vite de l'enfance de vos petits. Vous ne savez pas ce que la suite vous réserve.

Jacques, paru le 6 décembre 2000 sur ReseauContact.