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L'esclavage pour dettes au fil des âges. MICHAEL HUDSON.

Démarré par JacquesL, 16 Janvier 2012, 09:54:31 PM

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JacquesL

http://www.counterpunch.org/2011/12/02/debt-slavery-%E2%80%93-why-it-destroyed-rome-why-it-will-destroy-us-unless-it%E2%80%99s-stopped/

Traduction française probablement due à Jean-Jacques Viala (Non, dit-il, sans pour autant désigner le traducteur) :
CiterDepuis la plus haute antiquité nous avons appris à vivre dans l'esclavage de la dette, et quand elle disparait parfois, brisée par la volonté d'un peuple épris de liberté, son cadavre hante encore les fantômes de nos rêves.
Le livre V de La Politique d'Aristote décrit l'éternel cycle des oligarchies qui se transforment en aristocraties héréditaires - pour finalement être renversées par des tyrans ou se déchirer entre elles quand certaines familles décident de "mettre la multitude dans leur camp" et de réinstaurer la démocratie dont émerge à nouveau une oligarchie, suivie d'une aristocratie et ainsi de suite tout au long de l'histoire.

 La dette a été la force motrice de ces évolutions -seules les stratégies changent. La dette clive la richesse en créant une classe de créanciers dont le pouvoir oligarchique est renversé par de nouveaux leaders ("tyrans" dans le vocabulaire d'Aristote) qui obtiennent le soutien populaire en supprimant la dette et en redistribuant les biens ou en gardant les profits que génèrent ces biens pour l'état.

Depuis la Renaissance, cependant, les banques se sont mises à soutenir les démocraties. Non pas par souci de liberté ou d'égalité mais bien plutôt pour sécuriser leurs prêts. Comme l'a expliqué James Stewart en 1767, les emprunts royaux restaient des affaires privées plutôt que des dettes publiques. Pour qu'une dette souveraine devienne la responsabilité d'une pays tout entier, il fallait que des représentants élus puissent faire passer des augmentations d'impôts pour payer les intérêts.

En accordant aux contribuables une voix au gouvernement, les démocraties anglaises et hollandaise ont donné aux créanciers de bien meilleures garanties de remboursement que les rois et les princes dont les dettes s'éteignaient avec eux. Mais à cause des récentes protestations contre la dette, de l'Islande à la Grèce en passant par l'Espagne, les créanciers retirent leur adhésion aux démocraties. Ils exigent l'austérité fiscale et même la privatisation des biens publics.

La finance internationale est devenue le fer de lance d'un nouveau type de guerre. Son objectif est le même que la conquête militaire d'autrefois : s'approprier la terre et les ressources minières, ainsi que les infrastructures communales et les revenus de l'extraction. En réponse les démocraties exigent des référendums pour choisir de payer ou non les créanciers en vendant le domaine public et en augmentant les impôts, ce qui engendrera du chômage, des baisses de salaire et une récession économique. L'alternative étant de réduire le montant de la dette ou même de l'annuler et de remettre en place des règles pour contrôler le secteur financier.

Des dirigeants du Proche Orient ont effacé leurs ardoises pour maintenir l'équilibre économique

Faire payer un intérêt sur l'argent ou les marchandises livrées en avance de règlement n'avait pas pour but au départ de cliver l'économie. Lorsqu'il a été institué pour la première fois au troisième millénaire avant JC par un accord contractuel entre les temples et les palais sumériens et les marchands et les entrepreneurs qui travaillaient dans la bureaucratie royale, l'intérêt était de 20% (le capital doublait en 5 ans) et représentait une honnête part des profits générés par le commerce de longue distance ou la location de terre ou d'autres biens publics comme des usines, des navires et des maisons à boire.

Quand la pratique a été privatisée au profit des collecteurs royaux de redevances et de loyers, "la royauté divine" protégeait les créditeurs agricoles. Les lois de Hammourabi (vers 1750 avant JC) ont décrété la suppression de leurs dettes en cas d'inondation ou de tornade. Tous les dirigeants de la dynastie babylonienne, en montant sur le trône, annulaient les dettes des paysans afin de leur permettre de repartir à zéro. Le travail gratuit des débiteurs, les hypothèques sur la terre ou la récolte et autres obligations étaient annulés pour "réinstaurer l'ordre" dans une situation idéale d'équilibre "originel". Cette coutume s'est poursuivie avec l'année du Jubilée de la Loi de Moïse comme elle est décrite dans le Lévitique 25.

La logique était claire. Les sociétés anciennes avaient besoin de lever des armées pour défendre leur terre et pour cela il leur fallait libérer les citoyens de l'esclavage. Les lois de Hammourabi empêchaient les conducteurs de chars et autres combattants d'être réduits en esclavage à cause de leur dette et empêchaient les créanciers de prendre les récoltes des tenanciers des terres royales, publiques et communales qui étaient redevables au roi de service sur ses terres et dans son armée.

" La finance internationale est devenue le fer de lance d'un nouveau type de guerre. Son objectif est le même que la conquête militaire d'autrefois : s'approprier la terre et les ressources minières, ainsi que les infrastructures communales et les revenus de l'extraction. "

En Egypte, le pharaon Bakenranef (vers 720-715 avant JC, "Bocchoris" en Grec) a proclamé une amnistie de la dette et aboli l'esclavage des endettés devant la menace d'une invasion militaire de l'Ethiopie. Selon Diodore de Sicile, (I, 79, écrit en 40-30 avant JC), il a établi que si un débiteur contestait sa dette, la dette était annulée si le créancier ne pouvait présenter un contrat écrit. (Il semble que les créanciers aient toujours eu tendance à exagérer le montant des dettes). Le pharaon pensait que "les corps des citoyens devaient appartenir à l'état afin que l'état puisse bénéficier des services que les citoyens lui devaient en temps de paix comme en temps de guerre. Car il se disait qu'il serait absurde qu'un soldat... soit mis en prison par son créancier pour ne pas avoir remboursé un prêt et que l'avidité de personnes privées mette ainsi en danger la sécurité de tous."

Le fait que les principaux créanciers du Proche Orient étaient les rois, les temples et leurs collecteurs facilitait l'annulation des dettes. Il est toujours plus facile d'annuler les dettes qu'on vous doit à vous. Même les empereurs romains ont brûlé des livres d'arriérés d'impôts pour empêcher une crise. Mais il est devenu beaucoup plus difficile d'annuler des dettes dues à des créanciers privés quand la pratique de l'intérêt s'est répandue à l'ouest vers les royaumes de la Méditerranée à partir de 750 avant JC environ. Au lieu de permettre aux familles d'équilibrer les recettes et les dépenses, la dette est devenue le principal facteur des expropriations et du clivage des sociétés en deux camps : l'oligarchie créditrice et les clients endettés. En Judée, le prophète Isaïe (5:8-9) condamne les créanciers qui saisissent les bien hypothéqués et "ajoutent maisons aux maisons et champs au champs au point qu'il ne reste plus d'espace libre et qu'ils se retrouve les seuls habitants du pays".

" D'une manière moins autoritaire, Solon, a fondé la démocratie athénienne en 594 avant JC en interdisant l'esclavage de la dette. "

Le pouvoir des créanciers et la croissance stable n'ont jamais fait bon ménage. La plupart des dettes personnelles de la période classique étaient constituées de petites sommes d'argent prêtées à des individus au seuil de la pauvreté qui avaient du mal à joindre les deux bouts. La saisie de leur terre et de leurs biens -et de leur liberté personnelle- enchaînaient irréversiblement les débiteurs. Au 7ième siècle avant JC, des "tyrans" (leaders populaires) se sont levés pour renverser les aristocraties de Corinthe et d'autres riches cités grecques en obtenant le soutien populaire par l'annulation des dettes. D'une manière moins autoritaire, Solon, a fondé la démocratie athénienne en 594 avant JC en interdisant l'esclavage de la dette.

Mais les oligarchies se sont reformées et ont appelé Rome à la rescousse quand les rois de Sparte, Agis, Cléomène et leur successeur Nabis ont voulu effacer les dettes à la fin du 3ième siècle avant JC. Ils ont été assassinés et leurs supporters chassés. Depuis l'antiquité, ça a été une constante politique de l'histoire que les créanciers s'opposent à la fois à la démocratie populaire et au pouvoir royal qui pouvaient tous les deux empêcher la conquête de la société par la finance - une conquête qui a pour objectif de transformer en dette productrice d'intérêts autant de pans de l'économie qu'il est possible.

Quand les frères Gracchus et leurs adeptes ont essayé de réformer les lois sur le crédit en 133 avant JC, la classe sénatoriale dominante a réagi avec violence et les a fait assassiner, inaugurant de la sorte un siècle de guerre sociale qui s'est terminée avec le sacre de l'empereur Auguste en 29 avant JC.

L'oligarchie créancière romaine gagne la Guerre Sociétale, réduit la population en esclavage et c'est le début des années noires

Les choses étaient plus sanglantes à l'étranger. Aristote n'a pas mentionné la construction d'une empire dans son schéma politique, mais la conquête étrangère a toujours été un instrument capital dans la création de dettes et les guerres ont été la cause principale des dettes publiques des temps modernes. Rome a été le plus intraitable créancier de l'Antiquité ; ses collecteurs rançonnaient l'Asie Mineure, sa province la plus prospère. Le droit n'existait plus quand les "chevaliers" qui levaient le tribut arrivaient. Mithridate de Ponts a mené trois révoltes populaires et les populations d'Ephèse et d'autres cités se sont soulevées et ont tué 80 000 Romains en 88 avant JC selon les estimations. L'armée romaine a riposté et Sylla a imposé un tribut de guerre de 20 000 talents en 84 avant JC. En 70 avant JC les amendes pour les intérêts en retard avaient multiplié la somme par six.

Tite Live, Plutarque et Diodore, entre autres historiens célèbres de Rome, ont rejeté la responsabilité de la chute de la République sur l'intransigeance des créanciers qui a provoqué une guerre sociétale de 100 ans (133 à 29 avant JC) marquée par les meurtres politiques. Des leaders populaires ont essayé d'obtenir le soutien populaire en demandant l'annulation de la dette (la conspiration de Catilina en 63-62 avant JC). Ils ont été assassinés. Au 2ième siècle après JC, environ un quart de la population était réduite en esclavage. Au 5ième siècle, l'économie de Rome s'est effondrée car il ne lui restait plus un sou. Pour survivre les gens retournèrent dans les campagnes.

Les créanciers trouvent une raison légale pour soutenir la démocratie

Quand les banquiers se sont remis en selle après le pillage de Byzance par les croisés et ont investi de l'or et de l'argent dans le commerce occidental européen, les chrétiens n'ont pas réussi à empêcher le paiement d'intérêts comme ils l'auraient souhaité à cause de l'entente entre des prêteurs prestigieux (les Templiers et les Hospitaliers ont prêté de l'argent pendant les croisades) et leurs principaux clients - les rois, d'abord pour payer l'Eglise et de plus en plus pour financer les guerres. Mais les dettes royales n'étaient pas honorées quand les rois mouraient. Les Bardi et les Peruzzi ont fait faillite en 1345 quand Edward III a refusé d'honorer ses dettes. Les familles de banquiers ont perdu beaucoup d'argent en prêtant aux Habsbourg et aux Bourbon qui régnaient sur l'Espagne, l'Autriche et la France.

Les choses ont changé quand la démocratie hollandaise a voulu se libérer de l'Espagne des Habsbourg. Le fait que leur parlement pouvait faire des emprunts publics sur le long terme au nom de l'état a permis aux Pays Bas de lever des emprunts pour s'offrir des mercenaires à une époque où l'argent et le crédit étaient le nerf de la guerre. L'accès au crédit "a été l'arme la plus puissante dans leur lutte pour l'indépendance" a écrit Richard Ehrenberg dans Capital et finance à l'époque de la Renaissance (1928). "Celui qui faisait crédit à un prince savait que le remboursement de la dette dépendait de la capacité et du bon vouloir de son débiteur. Il n'en était pas de même avec les cités qui n'avaient pas seulement le pouvoir de décider mais étaient aussi des corporations et des groupes d'individus reliés par un destin commun. Selon la règle généralement acceptée chaque habitant de la cité répondait des dettes de la cité sur sa personne et sur ses biens".

" De nouveaux gouvernements peuvent agir de manière démocratique et obliger le secteur bancaire et financier à servir l'économie au lieu du contraire. "

L'avantage financier du gouvernement parlementaire était donc de pouvoir contracter des dettes qui n'étaient pas seulement les obligations personnelles de princes, mais étaient véritablement publiques et contraignantes quelque soit le roi en place. C'est pourquoi les deux premiers pays démocratiques, la Hollande et l'Angleterre après sa révolution de 1688, sont devenus les pays marchands les plus actifs pour ensuite devenir des puissances militaires de première importance. Ce qui est ironique, c'est que c'est le besoin de financement de la guerre qui a promu la démocratie en formant une trinité symbiotique, la guerre, le crédit et la démocratie parlementaire, qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours.

A l'époque "la situation légale du roi en tant qu'emprunteur n'était pas claire et on ne savait pas encore si ses créanciers pouvaient exercer un recours contre lui en cas de non-paiement." (Charles Wilson, England's Apprenticeship : 1603-1763 : 1965.) Plus l'Espagne, l'Autriche et la France devenaient despotiques, plus elles avaient du mal à financer leurs opérations militaires. A la fin du 18ième siècle, l'Autriche était un pays "sans crédit et par conséquent sans grande dette", un pays à qui personne ne voulait prêter, qui avait la plus mauvaise armée d'Europe et qui était complètement dépendant des subsides et garanties de prêts anglais au moment des guerres napoléoniennes.

La finance s'adapte à la démocratie, puis s'efforce d'y promouvoir une oligarchie

Au 19ième siècle, alors que les réformes démocratiques réduisaient le pouvoir de l'aristocratie terrienne au parlement, les banquiers ont adroitement développé des relations symbiotiques avec presque toutes les formes de gouvernement. En France, les adeptes de Saint-Simon réclamaient des banques mutualistes qui accordent du crédit en échange d'une répartition équitable des profits. L'état germanique a fait alliance avec la grande finance et l'industrie lourde. Marx a écrit avec optimisme que le socialisme rendrait la finance productive au lieu de parasitaire. Aux Etats-Unis, la régulation des services publics était assortie de profits garantis. En Chine, Sun-Yat-Sen a écrit en 1922 : "J'ai l'intention de regrouper toutes les industries nationales chinoises en un Grand Trust appartenant au peuple chinois qui sera financé par les capitaux internationaux pour un profit mutuel."

Pendant la première guerre mondiale les Etats-Unis ont remplacé l'Angleterre comme principal pays créancier et à la fin de la guerre ils avaient accaparé 80% de l'or monétaire mondial. Leurs diplomates ont modelé le FMI et la Banque Mondiale de façon à ce que leurs crédits engendrent la dépendance financière aux Etats-Unis principalement. Les prêts accordés pour financer le commerce et le règlement des déficits étaient soumis a des "conditions" qui mettaient la direction de l'économie entre les mains d'une oligarchie aux ordres et de dictateurs militaires. La réaction démocratique aux plans d'austérité nécessaires au service de la dette s'est réduite à des "soulèvements contre le FMI" jusqu'à ce que l'Argentine refuse d'honorer sa dette étrangère.

" Les dettes des banques privées ont été intégrés aux bilans des gouvernements irlandais et grecs et les contribuables en sont redevables!... "

Une austérité au service de la dette similaire est aujourd'hui imposée à l'Europe par la Banque Centrale Européenne (BCE) et la bureaucratie européenne. Des gouvernements d'obédience sociale démocrate ont été mis en demeure de sauver les banques au lieu de promouvoir la croissance économique et l'emploi. Les pertes dues aux prêts bancaires toxiques et à la spéculation sont imputés aux budgets des états grevant les dépenses publiques et obligeant même à vendre des infrastructures. En réponse les contribuables, écrasés par le poids de la dette, sont sortis dans les rues ; les manifestations ont commencé en Islande et en Lettonie en janvier 2009 et se sont amplifiées en Grèce et en Espagne à l'automne pour protester contre le refus de leurs gouvernements de faire des référendums au sujet de ces aides funestes en bonds étrangers.

La planification passe des représentants du peuple aux banquiers

Toutes les économies sont planifiées. Ce sont traditionnellement les gouvernements qui sont chargés de cette planification. Renoncer à cette prérogative au nom du " libre marché " revient à la céder aux banques. De plus la planification de la création et de la répartition du crédit est encore plus centralisée que lorsque les officiels élus en avaient la responsabilité. Et pour combler le tout, le cadre temporel financier est le court terme, une course en avant qui se termine quand nous n'avons plus rien. En recherchant leur seul profit, les banques tendent à détruire l'économie. Les surplus sont finalement absorbés par les intérêts et autres frais financiers, et il ne reste rien pour de nouveaux investissements ou pour les dépenses sociales de première nécessité.

C'est pourquoi donner le contrôle de la politique d'un pays à une classe de créanciers a rarement engendré la croissance économique et la hausse du niveau de vie. La tendance des dettes à grossir plus vite que la capacité des peuples à les rembourser est une constante de toute l'histoire connue. Les dettes croissent exponentiellement, absorbant les surplus et réduisant une grande partie de la population en esclavage de la dette pour ainsi dire. Le cri du peuple de l'Antiquité pour annuler la dette avait la même fonction que les ordonnances royales du Proche Orient de l'âge de bronze : annuler l'excès de dettes pour retrouver l'équilibre économique.

A une époque plus récente, les démocraties incitaient un état fort à taxer les revenus et les biens des rentiers et à effacer une partie de la dette quand cela devenait nécessaire. Cela est plus facile à faire quand c'est l'état lui-même qui crée la monnaie et le crédit. Quand les banques ont la possibilité de faire leurs propres règles et peuvent mettre leur veto à ceux qui veulent leur imposer des limites, l'économie est pervertie et incite les créanciers à se livrer aux paris spéculatifs et aux fraudes cyniques qui ont marqué la dernière décennie. La chute de l'Empire Romain montre ce qui arrive quand les exigences des créanciers ne sont pas contrecarrées. En effet, la seule alternative à la planification et la régulation étatique du secteur financier est l'esclavage de la dette.

La finance contre le gouvernement ; l'oligarchie contre la démocratie

La démocratie implique de subordonner la dynamique financière à l'équilibre économique et à la croissance - et de taxer les revenus des rentiers ou de garder les monopoles essentiels dans le domaine public. Détaxer ou privatiser les revenus de la propriété c'est les "libérer" pour les confier aux banques pour qu'ils soient capitalisés en prêts plus importants. Financée par l'augmentation de la dette, l'inflation des prix des biens augmente la richesse des rentiers tout en endettant l'économie globale. L'économie se contracte et la valeur des biens devient inférieure au montant des emprunts contractés.

Le secteur financier a assez de pouvoir pour profiter de telles situations d'urgence pour convaincre les gouvernements que l'économie va s'effondrer s'ils ne "sauvent pas les banques". En pratique cela leur permet de renforcer leur contrôle de la politique pour cliver encore plus l'économie. Le modèle typique est ce qui est arrivé dans la Rome ancienne en passant de la démocratie à l'oligarchie. En fait, en donnant la priorité aux banquiers et en permettant à l'Europe, à la BCE et au FMI prendre la direction des économies, on prend le risque de déposséder les pays de leur pouvoir de frapper ou d'imprimer de la monnaie et de lever les impôts.

Le conflit qui en résulte est celui des intérêts financiers contre l'indépendance nationale. L'idée que la banque centrale indépendante est le "fleuron de la démocratie" est un euphémisme qui permet de confier la décision politique la plus importante -celle de créer la monnaie et le crédit- au secteur financier. Au lieu de laisser le choix politique à des référendums populaires, le sauvetage des banques organisé par l'UE et la BCE représente aujourd'hui la meilleure manière d'augmenter la dette nationale. Les dettes des banques privées ont été intégrées aux bilans des gouvernements irlandais et grecs et les contribuables en sont redevables. C'est la même chose pour les 13000 milliards de dollars qui ont été ajouté en Amérique aux bilans du gouvernement depuis septembre 2008 (dont 5300 milliards de dollars de mauvaises hypothèques de Fannie Mae et Freddie Mac portés au bilan de l'état et 2000 milliards de dollars de produits toxiques "recyclés" par la Réserve Fédérale).

" Des gouvernements d'obédience sociale démocrate ont été mis en demeure de sauver les banques au lieu de promouvoir la croissance économique et l'emploi. "

Tout cela est fait sur ordre des représentants de la finance qu'on appelle par euphémisme des technocrates. Ils sont mis en place par des lobbys de créanciers pour évaluer la quantité de chômage et de récession qu'il faut pour extraire le surplus d'argent nécessaire pour rembourser aux créanciers des dettes qui sont maintenant intégrées aux bilans des pays. Mais cela va à l'encontre du but recherché car la contraction de l'économie -la déflation due à la dette- rend la dette encore plus impossible à rembourser.

Ni les banques, ni les autorités publiques (ni les universitaires de la pensée dominante d'ailleurs) n'ont évalué la capacité concrète de l'économie à rembourser -je veux dire à rembourser sans contracter l'économie. Grâce à leurs médias et à leurs think tanks, ils ont convaincu les populations que la manière de devenir riche rapidement est d'emprunter de l'argent pour acheter des maisons, des actions et des obligations qui montent -grâce à l'inflation due au crédit bancaire- et d'inverser le système d'imposition progressive de la richesse du siècle dernier.

Pour le dire clairement, ce sont des pratiques économiques malsaines. Le but est de détruire les équilibres et les réglementations étatiques pour transférer le pouvoir de décision économique à la haute finance sous prétexte que c'est plus efficace que les réglementations publiques. On accuse la planification et la taxation gouvernementales de "mener à l'esclavage" comme si le "libre marché", contrôlé par des banquiers qui ont tout loisir de prendre des risques insensés, n'était pas au service des intérêts spécifiques de l'oligarchie et non de la démocratie. On ordonne aux gouvernements de rembourser des emprunts contractés non pas pour défendre des pays en temps de guerre comme au temps passé mais au profit des couches les plus riches de la population en faisant payer leurs pertes par les contribuables.

Le refus de prendre les opinions publiques en considération laisse les dettes nationales sans solide garantie politique ni même légale. En face d'un forte opposition populaire, des dettes imposées par décret, par des gouvernements ou par des agences financières étrangères peuvent se révéler aussi fragiles que celles des Habsbourg et autres despotes des temps passés. N'ayant pas été validées par le peuple, elles peuvent devenir caduques en même temps que le régime que les a contractées. De nouveaux gouvernements peuvent agir de manière démocratique et obliger le secteur bancaire et financier à servir l'économie au lieu du contraire.

Ils pourraient au moins essayer de les payer en réinstaurant une imposition progressive sur le patrimoine et les revenus, faisant ainsi passer le fardeau fiscal sur la richesse et les biens des rentiers. La re-réglementation bancaire et la remise en place de banques publiques de services et de crédit renouerait avec le programme social démocratique qui semblait avoir un bel avenir au siècle dernier.

L'Islande et l'Argentine en sont les exemples les plus récents mais on peut aussi se rappeler le moratoire sur les dettes de guerre des alliés et les réparations germaniques en 1931 (*). Un principe mathématique et politique de base est à l'oeuvre : Les dettes qui ne peuvent pas être payées ne le seront pas.

MICHAEL HUDSON

Cet article a été publié dans le Frankfurter Algemeine Zeitung le 5.12.2011

MICHAEL HUDSON est un ancien économiste de Wall Street. Il est professeur de recherche émérite de l'université de Missouri, Kansas City (UMKC). Il a écrit de nombreux livres dont Super Imperialism : The Economic Strategy of American Empire (new ed., Pluto Press, 2002) et Trade, Development and Foreign Debt : A History of Theories of
Polarization v. Convergence in the World Economy.

JacquesL

Emmanuel Todd sur le pouvoir de l'oligarchie financière sur les gouvernements :
http://www.youtube.com/watch?v=zALvvA3G2Vo
L'euro ne pouvait marcher.
Montée en puissance d'une caste de super-riches. Les états contrôlés par ces super-riches font semblant d'être affolés...
Un système où de plus en plus d'argent va aux plus riches, ne peut pas fonctionner.

JacquesL

COMMENT REMBOURSER UNE DETTE EXORBITANTE ? – LEÇON D'HISTOIRE EN FORME D'AVERTISSEMENT, par Cédric Mas

Emmanuel Todd aussi avait prévenu que les dettes ne seraient pas remboursées.

http://www.pauljorion.com/blog/?p=36065

Citer COMMENT REMBOURSER UNE DETTE EXORBITANTE ? – LEÇON D'HISTOIRE EN FORME D'AVERTISSEMENT, par Cédric Mas
17 avril 2012 par Paul Jorion

Les dettes, qu'elles soient publiques ou privées, sont aujourd'hui exorbitantes.

Plus aucun esprit sensé ne peut sérieusement considérer que  leur remboursement est possible, même au prix de « réformes structurelles » ou de mesures de « rigueur ».

Je ne reviendrai pas ici sur les chiffres qui, si l'on cumule les dettes des établissements publics (Etat, collectivités etc...) et des acteurs privés (qu'il s'agisse de ceux des ménages ou des établissements bancaires) représentent des montants impressionnants et proprement impossibles à prendre en compte dans leur intégralité.

En revanche, une fois ce constat établi, il reste la question de savoir ce que l'on peut faire pour solutionner un problème en apparence impossible à traiter normalement, c'est-à-dire par le désintéressement des créanciers.

Si l'on prend la peine de se pencher sur l'Histoire, on s'apercevra qu'il n'existe que trois façons de régler une dette impossible à assumer financièrement :

1)     Faire défaut ;

2)     Rembourser en monnaie de singe ;

3)     Rembourser à n'importe quel prix.

Malgré toutes mes recherches, je confesse humblement n'avoir pu trouver d'autres solutions dans la longue histoire humaine à un problème simple : comment assumer une charge financière trop élevée par rapport aux moyens disponibles ?

En revanche, ma réflexion que je soumets à l'analyse sagace des membres du blog, se nourrit d'un constat : les dettes privées sont aujourd'hui progressivement, et par divers moyens, transférées vers les acteurs publics, les créances étant pour leur part soit publiques, soit privées. Ce constat va être important pour apprécier les trois solutions historiques que j'ai pu étudier.

1°) Le défaut :

C'est la solution la plus simple qu'en droit français, nous appelons communément la cessation de paiement. Mais il est intéressant de relever qu'elle existe dans tous les systèmes juridiques libéraux, y compris dans les systèmes les plus capitalistes.

Il s'agit de mettre le prêteur devant ses responsabilités, en reportant sur lui la charge financière excessive.

Ce défaut peut être total ou partiel.

Sa mise en œuvre pratique peut obéir à des règles très différentes selon les pays, et peut être assortie de conséquences pour l'emprunteur défaillant plus ou moins importantes ou plus ou  moins longues dans le temps.

A ce stade, relevons qu'en France, il est fixé par des règles juridiques précises, et voit l'intervention d'un Juge qui arbitrera un rapport de force entre l'emprunteur (ou ses représentants s'il est une personne morale – un administrateur judiciaire), et les créanciers (certaines procédures collectives voyant la désignation d'un « représentant des créanciers »).

Ce rapport de force est donc équilibré par une autorité juridique incontestable, qui devra tenir compte de l'intérêt public (représenté par le Ministère Public, dont la présence est en théorie prévue dans les procédures collectives, même si elle est rare en pratique), et de ceux des salariés lorsqu'il y aura des salariés concernés (des représentants de salariés doivent ainsi être également désignés).

La procédure française, qui date d'une Loi du 25 janvier 1985 pour les personnes morales et d'une Loi du 1er juillet 2010  pour les personnes physiques (il existe aussi des dispositions pour les associations, les collectivités locales etc...), est très imparfaite et fait l'objet de nombreuses critiques de la part des praticiens.

Elle a toutefois le mérite d'exister.

En effet, dans un contexte de Crise internationale de la dette publique, il convient de relever, et de déplorer qu'aucune règle n'ait été fixée pour un défaut d'un Etat, ou entre personne relevant de plusieurs états différents .

L'arbitrage du rapport de force entre emprunteurs défaillants et débiteurs lésés est donc laissé sans règles prédéfinies, dans l'incertitude la plus totale.

Il faut le déplorer car, historiquement, cette incertitude laisse la porte ouverte à toute sorte d'excès ou de débordements, pouvant aller du renoncement intégral (emprunts ottomans ou russes) jusqu'à des conflits armés, l'emprunteur usant de la force (expédition des troupes françaises contre le Dey D'Alger le 14 juin 1830) ou l'inverse (les exemples abondent, nous pourrons citons les exemples récents de l'occupation de la Rhénanie par les troupes franco-belges en gage du remboursement par l'Allemagne des réparations, ou de celle de Suez en 1956 contre la nationalisation du Canal de Suez par Nasser).

Voici la situation dans laquelle se présente aujourd'hui toute tentative de restructuration ou de défaut, total ou partiel, de la dette : l'absence complète de règles préalables permettant d'arbitrer entre des intérêts irréconciliables, et donc de solutionner pacifiquement les rapports de force entre emprunteurs et prêteurs.

Des mécanismes existent que l'on peut explorer brièvement : le plus plausible aux yeux de beaucoup serait la convocation d'une conférence internationale, permettant de mettre enfin en place un système en remplacement de celui de Bretton Wood, totalement failli, au sens figuré comme au sens propre.

Mais cette solution, qui n'est absolument pas envisagée par nos dirigeants actuels, ne règle pas a priori l'incertitude née des rapports de forces, d'autant plus impérieux, qu'ils peuvent intervenir entre puissances nucléaires sur le déclin.

Cette tendance est renforcée par le fait que l'ensemble des politiques actuelles tendent inéluctablement à transférer les dettes ou les créances privées vers les États.

Il ne nous reste qu'à déplorer que, comme en matière nucléaire, les acteurs se soient lancés dans un jeu sans règles de fin de partie sereine. Les emprunts internationaux ont été lancés ou souscrits sans qu'au préalable une procédure de règlement des défauts ait été mise en place, ce qui est une imprévoyance grave.

Il s'agit d'une condition essentielle à prévoir pour l'avenir : aucun instrument de crédit ne devrait exister sans qu'une norme de règlement d'un défaut ne soit adoptée préalablement.

Le défaut, ordonné ou désordonné, par  l'imprévisibilité de ses modalités et de ses conséquences ne peut qu'inquiéter.

2°) Le faux remboursement :

Il s'agit là encore de ne pas rembourser la totalité de la dette, qui rappelons-le est par hypothèse impossible à rembourser, mais de se contenter d'en restituer le nominal au créancier.

Le phénomène économique le plus classique pour cela est l'émission de monnaie artificielle, de la part des Etats, comme des acteurs privés.

Historiquement, ce phénomène se matérialise par une inflation galopante, et une perte de crédit dans la monnaie comme dans la valeur des engagements souscrits par l'emprunteur.

Ce remboursement en « monnaie de singe » s'est rencontré à de nombreuses reprises depuis l'Antiquité, engendrant des situations d'inflation parfois dramatiques pour les populations. Les exemples abondent et j'en épargnerai l'énumération au lecteur.

Mais ce remboursement peut aussi se faire de manière temporaire, les créanciers étant désintéressés puis ponctionnés par l'emprunteur, en l'occurrence le Roi, d'impôts et de taxes.

Hausse des impôts et inflation sont donc deux symptômes d'un remboursement que nous qualifierons de « faux », mais qui a l'avantage d'éteindre la dette dans son existence même, au prix de souffrances importantes des populations prises dans un tourbillon. Il faut ajouter que ce tourbillon, dévastateur pour la richesse et l'activité économique est incontrôlable, notamment parce qu'il va se nourrir des réactions  de précautions des agents. Il n'y a en effet pas de meilleure période pour vérifier l'inanité intégrale du dogme idéologique ultralibéral postulant l'identité parfaite entre la somme des intérêts privés et l'intérêt général, qu'une phase d'hyperinflation où les anticipations de chacun aggravent le désastre collectif.

Ce mécanisme se rencontre historiquement avant tout lorsque l'emprunteur est en position de force, c'est-à-dire lorsqu'il est détenteur de la force publique ou qu'il est l'autorité légale pouvant émettre de la monnaie.

Toutefois, il s'agit d'une solution lourde de conséquences en termes d'instabilité politique et sociale, et surtout qui lèse durablement les intérêts des créanciers, qui sont donc par définition en position de faiblesse dans le rapport de force.

Rappelons que les révolutions anglaises et françaises sont nées de la crainte des créanciers de voir naître de telles situations (que leur déclenchement a en fait accéléré mais c'est une autre histoire).

C'est à l'évidence aujourd'hui une hypothèse à ne pas écarter, au regard de la tendance lourde que l'on peut constater de transfert des dettes vers les États, même si cette situation suppose une diminution importante du poids et de l'importance politique des créanciers, ce qui n'est pas le cas.

3°) le remboursement réel :

C'est cette troisième hypothèse qui est la plus intéressante à étudier, puisqu'elle se rencontre à chaque fois que les créanciers disposent de la supériorité dans le rapport de force né de leur confrontation avec des emprunteurs incapables de les rembourser.

Il s'agira principalement de deux situations : soit le créancier est public et les emprunteurs privés, soit les créanciers sont privés mais contrôlent l'appareil gouvernemental, de manière à pouvoir imposer à la masse un remboursement de leurs créances à tout prix.

Ce prix, que les capacités financières ne permettent pas de payer, est donc remplacé par la spoliation ou la perte de liberté des emprunteurs défaillants.

Historiquement, c'est un phénomène qui s'est constaté notamment lors de la chute de l'Empire romain.

Confronté à des problèmes financiers insolubles, dont les causes sont multiples, les empereurs ont ainsi été amenés à augmenter de manière de plus en plus importante les impôts au point d'éteindre toute capacité de paiement de la plus grande part des contribuables [ii].

C'est ainsi que l'on constate au cours du Bas Empire, une dégradation importante des droits des affranchis, et surtout des petits fermiers ou artisans romains, souvent descendants de la plèbe ou d'anciens légionnaires, qui sont écrasés d'impôts. Ils vont progressivement et par divers mécanismes basculer dans le colonat, un statut de contrainte qui est l'ancêtre du servage du Moyen-Age.

Comment cela a-t-il pu arriver ?

Ne pouvant faire face aux charges liées à des impôts excessifs, les petits propriétaires terriens du Bas Empire, au départ des Hommes libres, parfois citoyens romains, vont se réfugier dans le clientélisme, c'est-à-dire la protection d'un puissant. Cette protection est d'autant plus impérieuse que les problèmes de rentrées fiscales vont aggraver la corruption de l'appareil étatique, qui va se mettre aux services des riches, seuls à même d'assurer la subsistance des fonctionnaires et des militaires.

La distinction classique à Rome entre « Honestiores » et Humiliores » va s'en trouver aggravée [iii].

Accablés de dettes, les petits propriétaires vont ainsi être contraints de céder leur terre à un riche propriétaire, qui va pouvoir fixer ses conditions, car il ne peut lui-même l'exploiter. Le fermier va ainsi être contraint de ne pas enregistrer la cession, permettant au riche « potentes » de ne pas payer l'impôt, tout en devant lui donner une partie de sa récolte.

Cet accord va être appelé « patrocinium », et offre un double avantage au riche possédant : il accroît son patrimoine par des terres et une partie des récoltes, tout en échappant au fisc.

Le fermier va de son côté poursuivre sa descente dans la spirale d'un endettement sans fin, les impôts non réglés s'accumulant alors même que ses ressources sont réduites par la ponction d'une partie de sa récolte.

Ces procédés vont faire l'objet de plusieurs interdictions impériales, d'abord sous Constantin [iv], puis à nouveau sous Arcadius [v], sans succès. La validité de ces cessions est finalement reconnue par l'Administration impériale en 415, en échange du règlement par le patron des arriérés d'impôts dus [vi]. Une fois les arriérés payés, le débiteur défaillant, le fermier, bascule dans le statut de colonat, nouveau statut juridique.

Le colon, qui n'est pas un esclave (il dispose de l'existence juridique) perd sa liberté et celle de ses descendants. Il est désormais attaché au lieu où il réside et doit un certain nombre de prestations à son patron. Il s'agit d'hommes libres qui pour payer leurs dettes exorbitantes perdirent légalement leur statut d'hommes libres. Citons Salviens : « transformés comme s'ils avaient bu le breuvage de Circé, ceux qui étaient libres tournent en esclaves » [vii].

Ce statut va être étendu aux artisans par les autorités impériales, afin de pallier les effets sur l'industrie de la baisse démographique.

Puis, le colon va perdre le droit de choisir une épouse d'une autre classe, celui de quitter son lieu de résidence, de changer de métier et se voit soumis à de légères redevances, rapidement transformées en prestations. Le tryptique du colonat est défini ainsi : Origo, Obnoxatio et Munera.

En revanche, ils disposent d'un droit inaliénable à pouvoir exploiter leur ancienne terre, droit transmis à leur descendance.

Cette évolution, qui est le contrepied de toute l'évolution juridique du Haut Empire en faveur des esclaves, est principalement expliquée par un rapport de force en faveur des créanciers, face à une dette impossible à rembourser. Les riches possédants [viii], dont la plupart refusaient de payer les mêmes impôts, ont pris le contrôle de l'appareil impérial, pour imposer le transfert des créances publiques à leur profit vis-à-vis des petits contribuables [ix].

Outre que nous retrouvons là une nouvelle variation du droit de propriété, il faut donc constater qu'historiquement, si le rapport de forces est en faveur des créanciers, les dettes, mêmes impossibles à rembourser, le seront, en sacrifiant un bien sans prix : la Liberté.

Nous n'en sommes aujourd'hui pas là, mais il m'a paru intéressant de rappeler quelques exemples historiques à la réflexion de chacun.

Je mets de côté le règlement communautaire n°1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité et une Loi type de la CNUDCI sur le commerce internationale ; l'une comme l'autre sont loin d'être complètes par rapport à la finalité traitée dans le texte ;

[ii] Les causes de cette situation sont pour synthétiser maladroitement à rechercher dans la conjonction de trois facteurs : une baisse des ressources liées à l'arrêt des conquêtes (butin, esclaves...), une hausse des charges impériales (coût d'une accession à la pourpre impériale dans une instabilité politique permanente, coût de fonctionnement d'un Etat et d'une Armée de moins en moins efficace...), et une baisse démographique ;

[iii] Voir Guillaume CARDASCIA : L'apparition dans le droit des classes d'« honestiores » et d'« humiliores », in Revue Historique de Droit Français, 1950, pp. 305-337 et 461-485 ;

[iv] Code Théodosien, III, 1, 2 ;

[v] Code Théodosien, XI, 1, 26 ;

[vi] Code Theodosien, XI, 24, 6 ;

[vii] De Gubernatione Dei, V, 8, 44 ;

[viii] Rappelons tout de même que dans cette période d'invasions barbares périodiques, la classe des riches va subir un renouvellement permanent, ces évolutions de statut profitant in fine aux roitelets barbares qui ont exterminé les derniers descendants des chevaliers et des sénateurs romains.

[ix] Notons l'assentiment des premiers chrétiens à cette évolution, l'Eglise prônant la soumission et l'obéissance « pour la plus grande gloire de Dieu » cf. Concile de Gangres (340).