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Ni scolarisés, ni employés : la jeunesse gaspillée du Mexique.

Démarré par JacquesL, 27 Août 2011, 06:26:03 PM

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JacquesL

Ni scolarisés, ni employés : la jeunesse gaspillée du Mexique.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/08/27/pas-de-rentree-pour-les-ni-nis_1564344_3232.html

CiterYetzel Decerra, 17 ans, broie du noir entre les murs de la maison vétuste de ses parents dans un quartier populaire du nord de Mexico. La rentrée universitaire a débuté en août. Mais cette passionnée de littérature, qui aspire à devenir  scénariste, n'est inscrite dans aucun établissement supérieur : "Pas de place pour moi dans le public, pas assez d'argent pour l'enseignement privé et pas non plus de boulot."

Aux côtés de 1 400 compagnons d'infortune, elle a passé cinq jours et six nuits, du 5 au 10 août, à clamer sa frustration devant le ministère de l'éducation au centre-ville de Mexico. Son Mouvement des exclus de l'éducation supérieure (MAEES), fondé en 2006, exige une place pour tous les 200 000 étudiants qui n'ont pas d'inscription dans la poignée d'universités publiques de la capitale. Le MAEES dénonce aussi le système des examens d'entrée dans les facs. "Cette sélection, prétendument par le mérite, permet au ministère de masquer le manque flagrant de places disponibles", peste Yetzel, qui a participé aux négociations avec les autorités.

Le jeu en valait la chandelle, puisque les manifestants ont signé, le 10 août, un accord leur assurant à chacun une bourse de 1 000 pesos (55 euros) pour s'inscrire à un cursus par correspondance, avant d'intégrer l'année prochaine l'Université nationale autonome du Mexique (UNAM) ou l'Institut polytechnique national (IPN), si leur note générale n'est pas inférieure à huit sur dix. Mais le cursus de Yetzel n'existe pas par correspondance. "Je dois attendre l'année prochaine pour tenter à nouveau l'examen d'entrée à l'UNAM", dit-elle. Cette prestigieuse université publique, créée en 1929, est la plus importante du Mexique avec 315 000 étudiants. Pas de quoi répondre pour autant aux 122 750 candidatures déposées en 2011, dont seules 10 300 ont été acceptées. Même sélection drastique au niveau national. Au point que seulement 30 % des jeunes Mexicains en âge d'entrer à l'université s'y inscrivent. Le président Felipe Calderon rejette la critique, en revendiquant une hausse de 7 % de la couverture éducative supérieure depuis le début de son mandat en décembre 2006.

L'exclusion scolaire commence bien avant l'université : sur les 28 millions de Mexicains entre 15 et 29 ans, 19 millions ne sont pas scolarisés, selon l'Institut national pour l'évaluation de l'éducation (INEE). Yetzel passerait presque pour une privilégiée dans un pays où sept jeunes sur dix arrêtent leurs études avant la fin du lycée. 500 000 d'entre eux sont analphabètes, même si l'école mexicaine est obligatoire jusqu'au collège. D'autant qu'en ces temps de crise, le système éducatif n'assure plus une ascension sociale. Le taux de chômage a augmenté de 5,4 % à 5,6 % entre juin et juillet, selon l'Institut national des statistiques (Inegi). Les jeunes sont de plus en plus nombreux à rejoindre le secteur informel des vendeurs ambulants, des femmes de ménage et autres travailleurs sans protection sociale.

Pis, 7,5 millions de Mexicains entre 15 et 29 ans ne parviennent même pas à trouver un emploi illégal fixe. José Narro Robles, recteur de l'UNAM, a été le premier, en décembre 2009, à alerter les autorités sur ces jeunes sans scolarisation ni travail, baptisés "Ni-Nis". Depuis, les milieux universitaires et médiatiques érigent ce nouveau groupe social en symbole du manque de moyens alloués à l'éducation publique (8 % du PIB) en général et à la recherche (0,36 % du PIB) en particulier.

Comment en est-on arrivé là ? "La hausse de la natalité a considérablement rajeuni la population, explique José Luis Reyna, politologue à l'université publique du Colegio de Mexico. Par manque de volonté politique, l'Etat est en train de gaspiller ce bonus démographique qui aurait dû permettre au Mexique de doper son développement économique." Aujourd'hui, 40 millions de Mexicains ont entre 15 et 34 ans, soit 35,7 % de la population. Ceux en âge de travailler (15 ans à 64 ans) représenteront ainsi 67 % de la population en 2030. Pour absorber cette main-d'oeuvre, l'économie doit croître de 4,5 % par an durant vingt ans pour créer dix millions de nouveaux emplois, selon l'Institut de la jeunesse. Un enjeu de taille face à la crise du voisin américain et à la vague de violences du crime organisé qui affectent la croissance mexicaine.

Dans ce climat d'incertitude et de manque d'opportunités, les "Ni-Nis" constituent un inquiétant vivier de recrutement pour les cartels de la drogue. La majorité des plus de 40 000 morts, liés depuis fin 2006 à la guerre que les mafias se livrent entre elles et contre le gouvernement, ont moins de 25 ans. A l'école du crime, les tueurs à peine sortis de la puberté se multiplient.

José Narro Robles martèle depuis des mois que "le problème de la violence ne se résoudra que par les efforts de l'Etat en matière d'éducation, d'emploi, d'activités sportives et récréatives". Le 8 août, ce dernier a rendu publique une plateforme d'actions sur la sécurité, qui préconise un changement radical de la stratégie de lutte du gouvernement contre le crime organisé. Un des 36 points de ce rapport, auquel ont participé 88 spécialistes mexicains et étrangers, propose une meilleure prise en compte de la jeunesse dans les politiques publiques. La semaine prochaine, José Narro Robles a rendez-vous avec Felipe Calderon pour lui soumettre ces recommandations. L'avenir de Yetzel en dépend, mais aussi celui du Mexique, qui compte 52 millions de pauvres sur 112 millions d'habitants.

fredsaliba@gmail.com