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Saviez-vous que... il vaut mieux etre riche que pauvre ?

Démarré par JacquesL, 19 Juillet 2010, 10:32:35 AM

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JacquesL

J'ignore qui est ce "Diberman", dont je ne sais que le nom de plume.

http://groups.google.fr/group/fr.soc.economie/browse_thread/thread/25376886910a96e5#
Appréciez :

CiterLa richesse offre la possibilité de libérer son temps et son esprit de
toute une série de problèmes matériels qui empoisonnent la vie de la
plupart des gens. Mais la richesse, ce n'est pas qu'un niveau de revenu,
c'est aussi une façon d'être, une assurance, une aisance, une façon de
parler, de se tenir en société, qui marque l'incorporation physique des
privilèges.

Au début de La Raison du plus faible, un film de Lucas Belvaux, la
motocyclette de Carole, une jeune ouvrière, tombe en panne : elle
s'avère irréparable. La remplacer est financièrement impossible. Prendre
le bus pour aller au travail, c'est une heure de transport en plus. Dans
une situation de crise sociale, cet incident banal conduit au drame en
enclenchant un engrenage funeste. L'argent ne règle pas tous les
problèmes, mais il aurait pu, ici, éviter qu'un désagrément de la vie
quotidienne ne tourne à la tragédie.

Pourtant la vulgate du sens commun affirme que l'argent ne fait pas le
bonheur. Faisant de nécessité vertu, on préfère croire que la richesse
n'apporte pas la félicité et que, bien au contraire, elle est source de
contraintes : un certain dépouillement serait nécessaire à une existence
libre, et heureuse. Le financier de la fable de Jean de La Fontaine
était soucieux au point d'en perdre le sommeil alors que le pauvre
savetier « chantait du matin au soir ». Ce lieu commun est aujourd'hui
repris dans une certaine presse qui s'attarde volontiers sur les
malheurs qui affligent les familles régnantes, les vedettes du show-biz
ou les étoiles du football. Toutes personnes nanties et néanmoins
frappées par le destin. Certes les mêmes médias illustrent aussi leurs
articles de photographies de villas tropéziennes, de yachts
interminables et de véhicules rutilants. Mais les séparations, les
maladies, les accidents de la vie viennent remettre à sa place cette
opulence : secondaire et finalement insatisfaisante.

Notre longue et attentive fréquentation de la haute société nous incline
à penser tout autrement. L'argent donne du pouvoir, non seulement dans
les rapports sociaux, mais aussi sur deux biens rares et précieux,
l'espace et le temps. La richesse permet certes d'acheter des objets de
luxe coûteux. Mais ce n'est là que la partie émergée des inégalités
immenses qu'elle génère : elle est à l'origine d'existences hors du
commun parce qu'elles échappent au sort commun.

Un espace à sa mesure

Le pouvoir de l'argent s'inscrit dans l'espace. Les lieux des nantis
sont généreux : il nous est arrivé de réaliser des entretiens dans des
appartements de plusieurs centaines de mètres carrés habitables. Pas
question de faire ses devoirs sur le coin de la table de la salle à
manger. Chacun a droit, dès le plus jeune âge, à l'intimité de sa
chambre personnelle. Le corps lui-même est modelé par sa mise en scène
permanente sous le regard d'autrui. Il apprend à se tenir dignement, à
être vu sans pouvoir dissimuler ses jambes sous la table, à gérer ses
gestes. Celui qui a grandi dans un logement ouvrier étriqué, encombré,
sait combien il est difficile de maîtriser son corps dans une situation
publique. Ces expériences sont fondatrices de l'aisance ou du malaise à
l'école, sur le lieu de travail, dans les réunions de toutes sortes.
L'espace des beaux quartiers, lui aussi, est généreux. Avenues larges,
plantées d'arbres, espaces verts et, à Paris, périphérique couvert dès
sa construction. Cela aussi se paie : les prix de l'immobilier prennent
en compte ces privilèges. Et cela exprime aussi, symboliquement, la
surface sociale, comme on dit si bien, des intéressés.
L'espace est également contrôlé. Les familles qui habitent en ces lieux
sont sélectionnées par l'argent, selon la logique sacro-sainte du
marché. Pas de pauvres venant gâcher le paysage. Mais parfois quelques
nouveaux riches encore mal dégrossis. Qu'à cela ne tienne : la
ségrégation spatiale, qui en l'occurrence est plutôt une agrégation des
semblables, est confortée par la création de lieux préservés au sein de
ces espaces déjà privilégiés. Les clubs et autres cercles sont des lieux
hypersélectifs de l'entre-soi dans un environnement déjà très sélectionné.

Les villes balnéaires, les stations de sport d'hiver, comme Marbella en
Espagne ou Gstaad en Suisse, sont aussi le produit de la richesse
conjuguée avec la conscience d'appartenir à une élite, soucieuse de
gérer ses marges et son cadre de vie.

Ce contrôle de l'espace va jusqu'à l'appropriation de fait d'espaces
publics. Il en est ainsi dans le bois de Boulogne, avec les concessions
qui accordent à plusieurs clubs parisiens, très privés, dont le cercle
du Bois de Boulogne et le Polo de Paris, qui comptent parmi les plus
chics, la jouissance d'hectares prélevés sur le plus grand espace vert
de la capitale, pourtant l'une des villes les plus denses d'Europe. Il
existe bien d'autres entorses à la propriété publique. Ainsi les grands
clubs mondains parisiens se sont regroupés dans une association,
Intercercles, qui propose aux membres des soirées privées au Louvre, à
guichets fermés. Après une visite de certaines salles, sous la conduite
d'un conservateur, la soirée se termine par un dîner sous la pyramide,
le tout aux frais des participants.

En voyage aussi, les privilégiés de la fortune ne se mêlent au commun
que lorsque bon leur semble. La Mamounia, dans la palmeraie de
Marrakech, est un palace de renommée internationale qui permet au
voyageur, dans ce pays où il est impossible de ne pas côtoyer la misère,
de retrouver ses semblables dans un cadre luxueux.
Les clubs entretiennent entre eux des relations permettant aux membres
du Jockey Club de la rue Rabelais, à deux pas de l'Elysée, d'être reçus
au Knickerbockers, à l'angle de la 62e Rue et de la 5e Avenue de New
York. Et donc de retrouver leurs pairs immédiatement, dans toute grande
ville où ils se rendent, à travers le monde, les conventions entre ces
cercles étant multiples (plus d'une centaine pour le cercle de l'Union
interalliée).

Beaux quartiers, lieux de villégiature, vie de cercle, grands hôtels,
tout cela a un prix. Mais la richesse parfois ne suffit pas. Etre coopté
dans les clubs ou être admis dans les grandes soirées caritatives, comme
le bal de la Croix-Rouge à Monaco, suppose plus que la richesse
matérielle. Cet entre-soi assure le plaisir d'être en compagnie de ses
semblables, à l'abri des remises en cause que peuvent générer les
promiscuités gênantes.
L'entre-soi permet de se laisser aller aux dispositions de son habitus
et il se décline aujourd'hui à l'échelle de la planète, le
cosmopolitisme étant l'un des traits dominants des élites sociales à
travers le monde.

Un temps sans compter

Au quotidien de la vie la plus ordinaire, la haute société jouit de
privilèges inouïs quant à la gestion du temps. La panne de la Mobylette
de Carole, une fuite d'eau, le chéquier volé, le train raté. Tous ces
ennuis viennent grignoter le temps. Sans compter les tâches fastidieuses
et répétitives du ménage, les déplacements du domicile au lieu de
travail, les leçons à faire réviser aux enfants. Or l'argent permet de
gagner un temps fou. La voiture ne démarre pas ? On prend un taxi. On
appelle un artisan. Le ménage est confié à du personnel de service. Les
enfants ont leurs nurses. Le temps des plus riches est libéré des
contraintes les plus étouffantes. Cela n'empêche pas d'avoir un agenda
très rempli, mais il s'agit d'activités liées aux affaires, à la gestion
du capital social, aux relations qui sont l'une des richesses les plus
précieuses de ce milieu.
Etre servi est l'un des privilèges les plus inestimables de la richesse.
Les jours retrouvent leur plénitude. Le temps n'est pas le même pour
tous. Peut-on mettre sur un pied d'égalité l'étudiant « libre » et celui
qui doit travailler ?

La richesse faite corps

Le rapport au temps long des familles fortunées varie selon l'ancienneté
de la richesse. Dans les vieilles lignées, l'enfant apprend à s'orienter
dans la dynastie familiale. Le château facilite ce travail d'inscription
dans la durée qui permet d'échapper à l'usure du temps. Les jeunes y
puisent les souvenirs de ceux qui les ont précédés. Ils y trouvent aussi
l'exhortation à continuer, à conserver dans la famille ce bien qui en
incarne la continuité.
Les nouvelles fortunes sont nombreuses à s'engager dans une voie
similaire : comme si la grande fortune, sans doute parce qu'elle suppose
la transmission, impliquait la naissance de nouvelles dynasties. Les
familles Pinault, Arnault, Lagardère, Dassault sont significatives de ce
processus. Autrement dit, l'argent est porteur d'un bien rare,
l'immortalité symbolique. Certes, cette immortalité est toute relative.
Mais elle est à même de donner un peu de sérénité devant la mort
inéluctable : il n'est pas indifférent de savoir que l'on a des ancêtres
et que l'on aura des descendants, que l'on appartient donc à une lignée
dont l'existence transcende la vôtre. La richesse porte ainsi en
elle-même une dimension symbolique qui la dépasse et n'est pas l'un des
moindres avantages de la fortune. Une maîtrise du temps illusoire mais
qui participe à la construction des avantages les plus profonds de la
fortune, l'assurance de soi et la sérénité.

Inscrite dans la longue durée, la richesse doit aussi s'inscrire dans
les corps pour achever sa métamorphose : de propriétés extérieures à la
personne, pouvoirs liés à la puissance de l'argent, elle doit devenir
qualités de la personne elle-même. Entre les nouveaux enrichis et les
vieilles fortunes, la différence est là : les premiers jouissent de
signes extérieurs de richesse, les seconds bénéficient d'une richesse
intérieure, faite corps en quelque sorte.

Cette transformation du corps est le fruit de la patiente acculturation
des générations : au fil des décennies, apprentissages explicites et
intériorisation par osmose modèlent les comportements, la manière de
gérer son corps, le langage, les goûts, culturels comme alimentaires.
Ainsi le baron Frère, grand financier international, fils d'un marchand
de clous, pour reprendre le sous-titre d'une biographie qui lui a été
consacrée, anobli par le roi des Belges et membre aujourd'hui du Jockey
Club français, a renoncé à la bière au profit du vin dont il est
d'ailleurs devenu un producteur, ayant acheté un grand vignoble du
Bordelais.

Ces transformations des dispositions de l'habitus construisent autrement
les personnalités. A la première génération, l'enrichissement récent se
fait encore sentir, puis, petit à petit, le fils, le petit-fils
acquièrent les signes de l'excellence, et ne se font plus remarquer dans
les palaces. Cela tient à la coiffure, à la discrétion de l'élégance, à
la courtoisie des relations avec le personnel. Le processus atteint son
terme lorsqu'on dit de tel ou tel héritier, ou héritière, qu'il ou
qu'elle a de la classe. Autrement dit que la classe est en elle, seconde
nature, distinguée et distinguable, construction éminemment sociale qui
passera pour l'expression de qualités innées.

Un monde sur mesure

Cette aristocratie de l'argent qui jouit d'un pouvoir sur l'espace et le
temps a modelé un monde à sa mesure. Ce n'est pas un hasard si l'on
trouve dans ce milieu les clients des boutiques qui proposent des
costumes, des chemises, des chaussures ou des chapeaux sur mesure. A
l'ère du prêt-à-porter, c'est devenu un grand luxe. Les privilèges de la
richesse vont avec celui d'être considéré comme une personne
exceptionnelle, unique. Le contrôle sur l'espace de résidence, ou celui
des villégiatures conduit à un environnement en parfaite harmonie avec
cette classe sociale.

Les dispositions de l'habitus sont donc ajustées aux conditions de la
pratique et réciproquement. Si l'on veut bien admettre qu'une partie au
moins des besoins naît dans la discordance entre les conditions de vie
et les attentes et exigences des dispositions intériorisées, on comprend
que les familles de la vieille bourgeoisie et de la noblesse fortunée
voient pour l'essentiel leurs besoins satisfaits. Elles vivent avec des
ressources et dans un environnement tels que le monde qui les entoure
répond à leurs attentes. On comprend que ce milieu soit courtois : c'est
bien la moindre des choses lorsque, par rapport au commun des mortels,
les gens fortunés voient se réaliser la plupart de leurs souhaits et
vivent dans la société, ou du moins dans « leur » société, comme des
poissons dans l'eau.

Jacques-Henri Lartigue, héritier, descendant d'une famille bourgeoise, a
laissé un témoignage édifiant sur le bonheur d'être riche. Très tôt son
père lui offrit un appareil de photographie. Il a composé la chronique
d'une famille fortunée au xxe siècle, réunissant en 130 albums la
multitude de clichés qu'il réalisa en témoin infatigable de sa propre
vie et de celle de ses proches. Des jeux d'enfants dans les jardins de
Paris et dans le parc du château familial aux palaces de la Riviera en
passant par les premiers essais d'envol d'aéronefs primitifs et par les
premières voitures, J.-H. Lartigue a enregistré le bonheur de vivre des
privilégiés de la fortune. Son éducation et sa vie mettent en évidence
la combinaison des formes de richesse : économique, mais aussi
culturelle et sociale. Les précepteurs à domicile prennent en charge ces
différents aspects, dans un mélange harmonieux d'instruction et
d'éducation, appréhendant la totalité de la personnalité de leur jeune
élève. De larges plages de temps sont consacrées au sport, complément
indispensable du rapport au corps. Le capital physique est l'un des
éléments permettant d'affirmer son excellence aux autres, il donne
l'assurance de ceux qui ont de la classe, c'est-à-dire les qualités
nécessaires pour être au sommet de la société.

L'incorporation des privilèges aboutit à la naturalisation des qualités
sociales, donc arbitraires puisque liées à la naissance, à leur
transfiguration en qualités personnelles et innées. Cette confusion
entre l'inné et l'acquis permet de vivre la bonne fortune, la chance de
la naissance, non comme une injustice, comme un hasard, mais comme le
résultat naturel de l'exceptionnalité de la personne.

Il en est ainsi du privilège d'appartenir à une dynastie. Cela apparaît
tout naturel, ce qui a un fond de vérité : nous arrivons tous du fond
des âges à travers de multiples générations d'ancêtres. Mais seules la
fortune et la réussite sociale permettent de constituer ces lignées,
réelles mais obscures, en généalogies dûment répertoriées et vivantes.
Leur présence sur les murs du château, classé monument historique par
les instances étatiques, conforte, avec les portraits des ancêtres, le
statut de cette demeure comme berceau de la mémoire familiale. Pour qui
a grandi dans un tel décor, rien que de plus naturel que d'évoquer le
ministre de Louis XIV ou le maréchal d'Empire sous le regard desquels la
famille tient ses dîners.

Rien de tel dans les barres de logements HLM où mijotent les problèmes
sociaux, au point qu'on les fait parfois imploser sous le regard de ceux
qui y passèrent leur enfance et qui voient ainsi disparaître un témoin
majeur de leurs années de jeunesse. Deux poids, deux mesures : alors que
les riches vivent de plus en plus leur (bonne) fortune comme la
récompense de leurs immenses mérites, ce que, selon de récents sondages,
nombre de leurs concitoyens semblent leur accorder, les plus humbles, en
échec social, vivent avec culpabilité une pauvreté qu'ils ne peuvent
devoir qu'à eux-mêmes. Ne subsistent-ils pas aux crochets des créateurs
d'emplois et de richesses, sur lesquels l'Etat puise les ressources
fiscales qui permettent aux assistés de vivre sans travailler ? Le
consensus qui paraît s'étendre sur le caractère incontournable de
l'économie de marché renforce la bonne conscience et l'assurance de soi
des nantis, tout en culpabilisant les plus pauvres.
Décidément, mieux vaut être financier que savetier.

--
Diberman