L'art et la manière de recruter un poseur de bombes pour l'OAS.

[JacquesL]

De sa grosse voix rauque, raclée au fond de la gorge, de grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf, Bernard rapportait à Georges les derniers potins de sa famille, sur son grand frère :
"Pôpa et môaman croient que Pierrot et Sabine, ça pourrait coller. Mais moi je sais bien que Sabine, elle se fout bien de la gueule de Pierrot !
- Et Pierre, qu'en pense-t-il, lui ?
- Boaf ! Il fait comme s'il n'avait pas faim !"

Mis au courant du ragot de son fils cadet, Jean se contenta d'admirer sa sagacité :
"S'il a vraiment dit que Pierrot fait le type qui n'a pas faim, c'est fort pour son âge !".

En ce temps là, printemps 1962, les "nuits bleues" sur Paris n'étaient pas rares. Il me fut confirmé ultérieurement par un témoin sur place, que le secret de Polichinelle était exact, que c'étaient bien les cyrard du Baze Louis, qui étaient les principaux poseurs des bombes pour l'OAS (Organisation Armée Secrète, avide de tuer Charles De Gaulle, et de restaurer un pouvoir politique partisan de la guerre d'Algérie à outrance). Dans le même dortoir, il les voyait sortir par la corniche, à plus de huit mètres du sol, puis rentrer une fois les bombes posées. Et lui était de corvée pour leur préparer du café à leur retour. Il était alors en Maths Sup, et moi en "Reconversion", c'est à dire Math_Elem moins Philo, pour les titulaires d'un bac de philo, tous deux au Lycée Saint-Louis, boulevard Saint-Michel. Les autorités du lycée faisaient ce qu'elles pouvaient pour boucler les entrées et sorties des pensionnaires et demi-pensionnaires. Je râlais ferme, car j'avais l'habitude prendre l'heure de midi pour aller jouer de la flûte. Parmi toutes les Prépas à Saint-Louis, les cyrards (aussi dits "cornichons") et les flottards donnaient le ton le plus folklorique et le plus violent : les futurs élèves officiers, de terre et de mer.

"Qu'est-ce que Cyr ?
- Rituel !"

En revanche, je n'ai aucune idée de la procédure pour remettre les explosifs et les instructions à ces cyrards. Deux seulement furent arrêtés. Un score dérisoire, qui donne la mesure de l'implantation de l'extrême droite dans la police parisienne.

Certaine de son ascendant sexuel sur Pierre E., Sabine vient l'attendre à sa sortie de lycée, entourée de sa meute de cyrards et autres adeptes de l'OAS. Ils posent à Pierre l'ultimatum "Tu te rallies à nous, ou on te casse la gueule !". Pierre parlemente, gagne du temps, se défile, va demander la protection de ses parents, Jean et Suzon.

Il ne me semble pas que Jean s'en soit davantage ému, ni n'ait levé le petit doigt pour mettre fin au manège de Sabine et de sa meute OAS, pour protéger son fils aîné. Ou peut-être discrètement, auprès des parents de Sabine ? Ce dernier épisode m'est revenu indirectement, par ma mère cette fois.

[JacquesL]

Pierre est décédé avant-hier.