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Si les mots reflètent les faits, les idées seront justes

Démarré par JacquesL, 15 Février 2007, 01:51:10 PM

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JacquesL

Si les mots reflètent les faits, les idées seront justes

A la fin du XVIIIe siècle la chimie prend un nouvel essor et se constitue en science moderne. De nouveaux manuels semblent nécessaires ; un éditeur va demander à Louis-Bernard GUYTON DE MORVEAU (chimiste français, 1737-1816) qui enseigne la chimie à Dijon de rédiger un Dictionnaire de la Chimie pour l'Encyclopédie méthodique. Guyton de Morveau comprit que l'écriture de cet ouvrage devrait être l'occasion pour mettre de l'ordre dans le fatras des termes utilisés en chimie. Les premiers contacts entre LAVOISIER et Guyton datent de 1775, mais ils ne travaillent ensemble qu'à partir de 1785 sur la nouvelle nomenclature.
Pour cette nouvelle nomenclature, les chimistes seront fortement influencés par Étienne BONNOT DE CONDILLAC (philosophe français, 1715-1780) pour qui l'emploi de termes précis est essentiel dans l'élaboration d'une théorie : "L'analyse ne nous apprendra donc à raisonner qu'autant qu'en nous apprenant à bien faire notre langue ; et tout l'art de raisonner se réduit à l'art de bien parler" (Logique, Ch. V).
Cela fera écrire à Lavoisier : "Il est temps de débarrasser la chimie des obstacles de toutes espèces qui retardent ses progrès ; d'y introduire un véritable esprit d'analyse, et nous avons suffisamment établi que c'était par le perfectionnement du langage que cette réforme devait être opérée... pourvu que ce soit une méthode de nommer, plutôt qu'une nomenclature elle s'adaptera naturellement aux travaux qui seront faits par la suite ; elle marquera d'avance la place et le nom des nouvelles substances qui pourront être découvertes."
Pour faire cette nomenclature, Lavoisier, Guyton et quelques autres chimistes vont établir des règles simples qui pour la plupart subsistent encore de nos jours :
•   Chaque substance doit avoir un nom et ne pas être une périphrase. Par exemple la base de l'air vital devient oxygène : qui génère les acides, ou encore l'azote (ou radical nitrique) remplace base de l'air phlogistiqué ou mofète atmosphérique...
•   Le nom d'un composé chimique doit en évoquer les constituants et le caractériser sans rappeler le nom de l'inventeur. Ainsi le sel de Glauber devient du sulfate de soude, le sédatif devient de l'acide boracique (on dit maintenant acide borique) et l'acide vitriolique de l'acide sulfurique.
•  Toute substance de composition incertaine doit recevoir une dénomination ne signifiant rien, plutôt qu'une autre pouvant exprimer une idée fausse.
•   Les termes nouveaux sont à former d'après les racines prises dans les langues mortes les plus généralement répandues, c'est-à-dire le grec et le latin. Ainsi oxygène = générateur d'acide (Lavoisier pensait que tous les acides contenaient de l'oxygène), hydrogène = générateur d'eau, azote = empêche la vie (zôein, "vivre" en grec).
Voici ce que Lavoisier écrit : "Les noms au surplus qui sont actuellement en usage, tels ceux de poudre d'algaroth, de sel alembroth, de pompholix, d'eau phagédénique, de tirbith minérale, d'ethiops, de colcothar, et beaucoup d'autres ne sont ni moins durs, ni moins extraordinaires ; il faut une grande habitude et beaucoup de mémoire pour se rappeler les substances qu'ils expriment, et surtout pour reconnaître à quel genre de combinaison ils appartiennent. Les noms d'huile de tartre par défaillance, d'huile de vitriol, de beurres d'arsenic et d'antimoine, de fleurs de zinc, etc. sont plus ridicules encore, parce qu'ils font naître des idées fausses ; parce qu'il n'existe à proprement parler, dans le règne minéral, et surtout dans le règne métallique, ni beurre, ni huile, ni fleurs ; enfin parce que les substances qu'on désigne sous ces noms trompeurs, sont la plupart de violents poisons."
Certains termes vont perdre en poésie mais gagner en compréhension. Les cristaux de Vénus deviennent nitrate de cuivre, les fleurs de Jupiter oxyde d'étain, le sucre de Saturne acétate de plomb et la Lune cornée du muriate d'argent.
Le tableau de la nomenclature va comporter six colonnes
- Colonne I : les "substances non décomposées" ; on y trouve la lumière, la chaleur mais aussi l'oxygène, l'hydrogène et l'azote.
- Colonne II : les substances "mises à l'état de gaz Par le calorique", on y rencontre le gaz hydrogène.
- Colonne III : les substances "combinées avec l oxygène" : eau, acide carbonique, acide sulfurique...
- Colonne IV : les substances "oxygénées gazeuses" ; gaz acide carbonique, gaz acide sulfureux...
- Colonne V : les substances "oxygénées avec bases" les sulfates, les carbonates, les nitrates...
- Colonne VI : Les substances "combinées sans être portées à l'état d'acide" : carbure de fer, sulfure, ...

Ce traité va paraître en 1787 sous le titre de Méthode de nomenclature chimique. Sa publication va avoir des côtés très positifs pour l'élaboration de la chimie et de sa clarification. Avant cette nouvelle méthode, le gaz carbonique possédait au moins vingt noms différents. Malheureusement il y a également des côtés négatifs, ainsi les traités d'alchimie deviennent inintelligibles à cause du vocabulaire et certains travaux anciens tomberont dans l'oubli. Avant Lavoisier on utilisait le même langage dans les amphithéâtres et dans les ateliers, après, les langages deviennent différents, ce qui va provoquer un divorce entre le milieu des universitaires et celui des artisans.

"L'acide sulfurique exprimera le soufre saturé d'oxygène autant qu'il peut l'être ; c'est-à-dire ce qu'on appelait acide vitriolique.
L'acide sulfureux exprimera le soufre uni à une moindre quantité d'oxygène ; c'est-à-dire ce qu'on nommait acide vitriolique sulfureux volatil, ou acide vitriolique phlogistiqué.
Sulfate fera le nom générique de tous les sels formés de l'acide sulfurique.
Sulfite fera le nom des sels formés de l'acide sulfureux.
"

Extrait de l'ouvrage
"Méthode de nomenclature chimique"

Extrait d'un manuel pour classes de secondes : Techniques des Sciences Physiques, chez Dunod, sous la direction de René Prunet, 1994.