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Décès d'Elisabeth Schwarzkopf, nuit du 3 août 2006

Démarré par JacquesL, 15 Février 2007, 01:28:47 PM

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JacquesL

Elisabeth Schwarzkopf est décédée dans la nuit du 3 août 2006, à l'âge de 90 ans.
http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3382,50-801069,0.html
CiterElisabeth Schwarzkopf
LE MONDE | 04.08.06 | 17h29  •  Mis à jour le 04.08.06 | 17h29

La cantatrice britannique d'origine allemande Elisabeth Schwarzkopf est morte, jeudi 3 août vers 1 h 15 du matin, à son domicile de Schruns, en Autriche. Elle était âgée de 90 ans.

La soprano, née le 9 décembre 1915 à Jarotschin (aujourd'hui en Pologne), est l'une des incarnations vocales les plus illustres du XXe siècle, une artiste qui aura façonné son art du chant, fait de l'artifice un naturel recréé et laissé une empreinte discographique des plus déterminantes dans les domaines de l'opéra et du lied.

Elisabeth Schwarzkopf aura été une étoile incandescente mais ne se sera pas consumée à la manière de son amie Maria Callas. Elle ne dansait pas, ne sortait pas, travaillant encore et toujours. Dans Les Autres Soirs, elle déclare, sur ce ton sans nuances qui ne l'a jamais quittée : "Je suis trop allemande. Chez nous, l'obligation de travailler est une évidence. La vie l'impose, l'éducation la fortifie, et le long temps de guerre que j'ai vécu m'y a plus encore astreinte. Dans cette discipline se cache une morale, et je sais bien que ce mot agace aujourd'hui. Il ne faut pas se tromper sur elle. Ce n'est pas celle du devoir. Qui pourrait, par simple devoir, se donner le mal d'apprendre à mieux chanter ? C'est celle de la recherche du beau."

Son intelligence, décrite par beaucoup comme moyenne, était rehaussée par une méchanceté légendaire qui la faisait être d'une dureté sans appel envers certaines de ses collègues et envers les étudiants qui participaient à ses classes de maître. La cantatrice américaine Renée Fleming, dont Schwarzkopf était l'idole, se souvient, dans ses Mémoires (Une voix, Fayard, 2004) : "Les master classes sont en soi une manière de divertissement. (...) Dans nos classes publiques du soir, Schwarzkopf prenait le parti de divertir son auditoire, mais souvent aux dépens des étudiants à qui elle enseignait."

Mais l'intelligence de Schwarzkopf chanteuse et interprète était exemplaire. Elle savait composer des paysages sonores faits de noirceurs sadiques, de nuages lourds, de fades grisailles savamment dosées ; et aussi de couleurs pimpantes, sursaturées quand il le fallait. On ne sait si son mariage, en 1953, avec l'agent et directeur artistique britannique d'enregistrements Walter Legge (1906-1979), longtemps associé à la firme EMI, fut un mariage d'amour. Mais il fut un mariage au service d'une certaine idée de la musique, qu'il avait jusqu'à l'obsession, obsession qu'elle servira en étant publiquement sa "chose" pour tout ce qui regarde les questions artistiques et vocales.

N'a-t-elle pas autorisé - non sans humour - à donner à la traduction française de son premier volume de Mémoires, On And Off the Record, le titre La Voix de mon maître : Walter Legge (Belfond, 1983) ? N'a-t-elle pas décidé de ne plus chanter après la mort de Legge, en mars 1979, alors qu'elle venait de donner un récital à Zurich trois jours plus tôt ?

Mais Legge ne l'a pas "faite", ni même "refaite". Schwarzkopf s'était forgé, au cours de ses années de conservatoire, une première technique qui devait lui permettre d'incarner tous les rôles d'un premier soprano de troupe, à l'Opéra de Berlin. Bien que sa carrière fût déjà bien installée dans l'Allemagne nazie, elle reprendra tout de zéro avec Maria Ivogün, soprano colorature, grande interprète de la Zerbinette de Strauss. Ivogün l'aidera à renoncer à la voix de sa "toute première jeunesse, argentine certes mais encore bien grêle", selon les termes de Schwarzkopf, et à forger, note à note, une couleur mémorable, une technique durable.

UNE SENSUALITÉ CONTENUE

Dès sa première vraie rencontre musicale avec la cantatrice (ils s'étaient en fait croisés dès 1937), lors d'une audition à Vienne, en mars 1946, Walter Legge la fait reprendre pendant plus d'une heure un lied d'Hugo Wolf, installant d'emblée l'éthique de cette relation de travail passablement sado-masochiste. De cet instrument vocal déjà performant, Legge fera une "méta-voix", pourrait-on dire, mise au service particulier du disque. Ce timbre argenté, cette articulation, cette tenue de ligne et de souffle constituent une réussite d'autant plus admirable qu'elle est construite sur un matériau vocal qui n'a cessé, malgré l'enseignement d'Ivogün, de montrer ses failles.

Il suffit d'écouter son fameux enregistrement, avec George Szell, des Quatre derniers lieder de Richard Strauss pour comprendre qu'Elisabeth Schwarzkopf avait peu d'unité entre les différents registres de sa voix. Plutôt que de tenter de les occulter, Legge aidera son épouse à faire de ces défauts des relais d'expression.

Schwarzkopf sut s'en servir comme personne dans l'univers malade et toxique des lieder d'Hugo Wolf, pour lequel Legge cherchait depuis toujours l'interprète d'élection, où l'énigme de cette voix surnaturelle faisait littéralement respirer l'air d'autres planètes. Infiniment plus cultivé et intellectuellement brillant, Dietrich Fischer-Dieskau y avait du génie aussi, mais moins de mystère peut-être, ce mystère opaque que Schwarzkopf, grâce à son instinct aussi fier que docile, possédait comme vertu première.

Pourtant, ce son effilé comme un rayon laser (Elisabeth Schwarzkopf disait cependant détester le son analytique du disque compact) savait ménager, dans son expression nette et musicalement impeccable, le paradoxe d'une pulpe envoûtante : sa Maréchale, du Chevalier à la rose, de Strauss, et sa Comtesse, des Noces de Figaro, de Mozart, deux rôles qui ont fait sa légende, étaient empreintes d'une volupté d'autant plus sensuelle qu'elle était contenue. Cette voix avait l'irrésistible qualité érotique de ne jamais se déshabiller.

On savait qu'Elisabeth Schwarzkopf avait, comme beaucoup d'autres musiciens, établi sa carrière sous le régime nazi et continué de travailler alors que beaucoup de ses collègues juifs étaient interdits de travail, menacés et poursuivis. Mais la biographie sérieusement documentée d'Alan Jefferson, publiée en 1996 par Gollancz, à Londres, révélera qu'elle avait fait preuve d'une célérité certaine dans le ralliement à l'idéal national-socialiste et s'y était attachée par des affiliations officielles. La soprano conviendra qu'elle avait en effet profité du régime mais ne l'avait fait que par arrivisme et non par idéal politique.

Aux parts d'ombre d'une vie professionnelle conduite sous le joug de la volonté à tout prix, on peut opposer la clarté irradiante et exceptionnelle d'une artiste unique qui fut, après guerre, la voix de Strauss, de Mozart et de Wolf.

Renaud Machart
Sélection discographique

Opéras. Mozart, Cosi fan tutte, avec Alfredo Kraus, Christa Ludwig, Karl Böhm (direction) : EMI ; Les Noces de Figaro, avec George London, Irmgard Seefried, Sena Jurinac, Herbert von Karajan (direction) : EMI ; Don Giovanni, avec Eberhard Wächter, Joan Sutherland, Carlo Maria Giulini (direction) : EMI. Strauss : Capriccio, avec Hans Hotter, Dietrich Fischer-Dieskau, Wolfgang Sawallisch (direction) : EMI ; Le Chevalier à la rose, avec Teresa Stich-Randall, Christa Ludwig, Herbert von Karajan (direction) : EMI. The Very Best of Elisabeth Schwarzkopf, Avec Elisabeth Grümmer (soprano), Lovro Von Matacic, Karl Böhm, Walter Susskind, George Szell (direction), EMI.

Lieder. Mahler : Des Knaben Wunderhorn, avec Dietrich Fischer-Dieskau, George Szell (direction) : EMI ; Mozart : Lieder et airs de concert, avec Alfred Brendel et Walter Gieseking (piano), George Szell (direction) : EMI ; Schubert : Lieder, Geoffrey Parsons, Gerald Moore, Edwin Fischer (piano) : EMI ; Strauss : Vier letzte Lieder, George Szell (direction) : EMI. Wolf : Das Italienische Liederbuch et Goethe Lieder, avec Dietrich Fischer Dieskau, Gerald Moore (piano) : EMI. Wolf : Lieder enregistrés en public à Salzbourg, Wilhelm Furtwängler (piano) : Orfeo. Récital à Carnegie Hall (25/11/1956), Mozart, Schubert, Gluck, Strauss, Wolf, Georges Reeve (piano) : EMI.


Article paru dans l'édition du 05.08.06
Quelques souvenirs par Christa Ludwig :
http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3382,50-801070,0.html

CiterQuelques souvenirs de Christa Ludwig
LE MONDE | 04.08.06 | 17h29

La mezzo-soprano Christa Ludwig évoque, pour Le Monde, la personnalité d'Elisabeth Schwarzkopf.

J'ai chanté mon premier Chevalier avec cette Maréchale extraordinaire. Je me souviendrais toujours de l'émotion qui s'empara de moi lorsqu'elle me dit adieu à la fin de l'acte I. Elle avait une expression si touchante que je me retrouvais sans le savoir en larmes.

Son chant ne venait pas du coeur mais était construit avec un tel art que cela devenait de l'expression pure. C'était un chant sophistiqué tout comme elle l'était elle-même, aux antipodes du style et de la voix très naturels d'Irmgard Seefried. Elle n'avait pas une belle voix naturellement, mais le style et la technique étaient irréprochables. Je me souviens qu'elle m'a dit un jour : "Je chante la couleur". Et c'était vrai, elle pouvait chanter la pluie, elle pouvait chanter le soleil. Je la trouvais trop sophistiquée pour Schubert, mais si merveilleuse dans les Lieder de Hugo Wolf.

La Callas est restée une légende car elle avait du mystère. Je ne sais pas si Elisabeth Schwarzkopf possédait ce mystère. Ce que je sais, c'est qu'elle a incarné un style et une époque, car il y a des modes dans le chant comme ailleurs - on ne chantera plus jamais comme elle.

Cette femme était un bonheur pour les yeux, d'une beauté incroyable, très star, un peu à la Greta Garbo. Mais elle avait sur scène une vraie personnalité.

Je sais qu'elle pouvait parfois être dure avec certains collègues, mais je pense qu'elle avait le courage de dire des vérités que d'autres n'osaient exprimer. Elle n'était pas facile, mais elle n'a pas eu une vie facile. Elle a vécu très longtemps, a connu la guerre et le nazisme. Je ne peux pas juger, je ne veux pas juger de ce qui s'est passé dans sa vie à ce moment-là. Elle et son mari, qui n'ont pas eu d'enfants, ont toujours vécu avant tout et seulement pour l'art.

Propos recueillis par Marie-Aude Roux
Article paru dans l'édition du 05.08.06
A titre personnel, oui, les lieder de Schubert chantés par Schwartkopf, ne sont pas un bon souvenir : excès d'artifices et de maniérisme. Bien plus convainquante était Teresa Stich-Randall.

Une grosse surprise a été l'enregistrement de son sketch avec Victoria de Los Angeles du "Duo per due gatti" de Rossini, au concert d'adieu de Gerald Moore, conclu par le lied "An die Musik" au piano seul.

A la vue, en revanche, Elisabeth Schwarzkopf était un éblouissement pour les yeux, surtout durant sa jeunesse, puis un exemple d'énergie et de discipline au temps de ses Master classes. On ne parlait pas de son sadisme ni de la cruauté de ses commentaires. Je le découvre en même temps que les autres lecteurs, mais cela ne surprend guère, quand on sait le caractère SM de ses relations avec Walter Legge, qui ne dirigeait pas à moitié la vie artistique de son épouse : "Mais tu es complètement folle ! Cet air, cela fait huit mois que tu ne l'as plus travaillé ! ..." (E. avait fixé un programme pour un gala de charité).